29/10/2011

Paroles d'hommes ou parole de Dieu ? (31ème dimanche)

« Quand vous avez reçu de notre bouche la parole de Dieu, vous l’avez accueillie pour ce qu’elle est réellement : non pas une parole d’hommes, mais la parole de Dieu qui est à l’œuvre en vous, les croyants. » (1 Th 2,13)
Cette opposition entre parole d’hommes et parole de Dieu pose de nombreuses questions. Radicalisée, elle n’est pas très catholique, c’est le moins que l’on puisse dire. Jamais en christianisme l’humain et le divin ne s’opposent, s’il est vrai que Dieu en son Fils s’est fait cela-même que nous sommes pour que nous soyons, selon son dessein, par l’Esprit, cela même qu’est le fils. A chaque offertoire, nous le redisons : « Comme cette eau se mêle au vin pour le sacrement de l’alliance, puissions-nous être unis à la divinité de celui qui a pris notre humanité. »
L’évangile de Jean en confessant que le Verbe s’est fait chair ne saurait permettre que l’on opposât parole de Dieu et parole d’homme, puisque cet homme Jésus est la parole de Dieu.
Reste que répondre ainsi n’honore ni le texte paulinien, ni les questions qui demeurent : Comment une parole de Dieu peut-elle résonner dans le monde des hommes ? A-t-elle un statut spécial qui permettrait qu’on ne les confondît pas ? D’autres religions prétendent aussi avoir recueilli la parole de Dieu ; y-a-t-il une différence entre par exemple le Coran et les Ecritures judéo-chrétiennes en ce qui concerne leur prétention à être parole de Dieu ? Parole de Dieu peut-il alors s’entendre au pluriel ? Et en effet, le psaume ne dit-il pas : Dieu a dit une chose, deux choses que j’ai entendues.
Les descriptions des sciences religieuses ou de l’anthropologie ne sauraient prendre en compte une quelconque révélation quand bien même elles doivent rapporter ce qui est prétendu être révélation. Mais elles ne voient que des textes, oraux ou écrits, les aléas de leur production, leur histoire, leur usage et les pratiques qu’ils suscitent. L’origine humaine de ces textes ne permet pas de répondre à nos questions théologiques. Elle empêche même parfois qu’on les pose tant la genèse des textes rend superflue la quête d’autres motifs.
Pour le théologien, pour le chrétien, la parole de Dieu n’est pas un texte. Certes le texte en constitue un élément, mais ce texte est toujours lu en Eglise, c’est-à-dire dans le temple spirituel que nous formons, dont la pierre angulaire est Jésus et les fondations les apôtres. Ces textes portent la parole de Dieu, ils ne la sont pas au sens où elle s’y réduirait.
Le dialogue liturgique de l’acclamation de l’évangile est révélateur à cet égard. Levant le livre, le ministre invite : Acclamons la parole de Dieu. Il s’adresse à l’assemblée sans laquelle il semble ne pouvoir acclamer, voir cette parole. Mais la parole n’est pas le texte lu, sans quoi l’assemblée répondrait, oui, acclamons ce texte, vénérons ce livre. La réponse est prière : louange à toi Seigneur Jésus. Si la lex orandi est lex credendi, alors la parole de Dieu n’est pas ces textes quand bien même le texte lui est indispensable.
Le dialogue liturgique ne relève pas du discours descriptif, comme deux et deux font quatre, le chat est sur le paillasson. Il se fait prière communautaire qui engage et met en relation un peuple avec son Dieu, un peuple de croyants.
Il faut tout cela pour que Dieu parle ; un texte qui n’est pas sa parole et sans lequel cependant sa parole ne saurait advenir, une communauté qui prie et écoute. Sans rejeter nullement la matérialité textuelle, sans donc rejeter l’origine humaine des textes, la parole de Dieu est de-chosifiée. Elle est ce qui advient quand ces textes humains sont lus dans le souffle qui anime l’assemblée des croyants unanimes dans la prière. Plus les textes sont regardés comme production humaine, plus ils font signe vers un ailleurs qui échappe à la pesanteur.
Mais ce n’est pas tout, car cette parole n’est pas un oracle hermétique, qui d’un certain point de vue serait la seule parole à attester de l’étrangèreté de la parole divine. Cette parole, vieille de mille et mille années est interprétée de sorte qu’elle fasse sens aujourd’hui. On n’imagine pas une parole de Dieu qui ne serait pas d’actualité, qui serait passée, dépassée. La parole de Dieu est toujours au présent, présente et présence. Elle est présent quand bien même c’est après coup que l’on y entend autre chose qu’une parole humaine.
Est-ce à dire que c’est la réception qui fait de cette parole une parole de Dieu, que ce serait notre écoute qui lui confèrerait d’être parole de Dieu ? L’humain confèrerait alors la divinité, ce qui ne se peut.
Ces textes sont parole de Dieu parce que nous y entendons la voix sans voix, le récit sans mot qui depuis les origines appelle le monde à la vie. Nous répondons à une parole inouïe si ce n’est dans la trace de son absence que désigne notre réponse. Si nous parlons, c’est qu’on nous a parlé. Si nous répondons, c’est qu’on nous a appelés. Ce que nous nommons Ecritures est la réponse humaine, trop humaine parfois, sublime souvent, à l’inaudible de la parole de Dieu. Ce sont comme dit Michel de Certeau des variations suscitées par le « Suis-moi » qui depuis la fondation nous monde nous appelle à la lumière de la vie.
La parole de Dieu est le silence, non du mutisme, mais de la saturation d’une parole qui n’est autre que Dieu lui-même qui s’offre et est recueilli dans la réponse orante de l’humanité croyante.

3 commentaires:

  1. Votre texte « me parle ». Je l'ai relu plusieurs fois, pour tenter de m'en imprégner, et surtout d'en ressentir les résonances au regard de ma propre vie. Car sinon, ce ne sont que des mots supports de débats sans fin…

    J'ai été arrêté par ce membre de phrase : «… c’est après coup que l’on y entend autre chose qu’une parole humaine »

    J'espère ne pas être hors sujet, mais me venaient à l'esprit des personnes qui m'ont aidé à me penser plus loin, là où sans doute je n'aurais pu aller seulement par moi-même. Elles étaient animées d'une profonde humanité qui dépassait leur seule personne. Leurs paroles s'actualisaient en moi au présent. Ces êtres me devançaient dans ce que je désirais être, plus que dans des modèles qu'il conviendrait d'imiter.
    Ces êtres humains avaient donc une parole humaine qui à mon sens était habitée d'un « plus être ». Une parole qui, d'une certaine manière les transcendaient, parce que la portée de leurs propos ne pouvait se réduire à leur seule personne. Elles avaient à la fois une parole humaine… Et plus qu'humaine… En quelque sorte : une parole inspirée… Dont on ressent bien qu'elle manifeste « quelque chose » en l'homme qui constitue un « plus que soi en soi », et dont la réalité de ce "plus" à quelque chose de l'ordre du mystère. Je précise que ces personnes n'étaient pas des "gens d'église", ni je ne sais quel gourou en mal de notoriété ou d'ésotérisme… Plutôt des gens ordinaires… Bien que pas si ordinaires que ça…

    Si je me situe dans l'hypothèse que Dieu existe (ce à quoi je n'arrive pas [n'arrive plus] à adhérer), mais si je ne prends pas cette option hypothétique, il n'y a plus de dialogue possible avec vous, … Diriez-vous que ce genre d'expérience, ou de constat, a quelque chose à voir, de près ou de loin, avec la parole de Dieu ?
    Ou bien, suis-je entièrement à côté de la plaque ! ?

    J'ai une autre question :
    vous insistez souvent sur les aspects communautaires.
    Qu'en est-il de ceux qui cherchent en solitaire ? De ceux qui, pour des raisons qui leur sont personnelles, ne supportent pas les « lieux » ou les chrétiens habituellement se rassemblent ? Ne me répondez pas qu'il suffirait de faire des efforts… Ce serait comme demander à un paraplégique de battre le record olympique du 100 m…

    RépondreSupprimer
  2. Je ne suis pas certain que nous parlions de la même chose. Mais il faudrait y regarder à deux fois. Je voudrais dire que la rencontre avec les autres est médiation ou parabole de ce qui appelle et auquel nous répondons, ou plutôt de ce qui est découvert comme appel au moment où nous y répondons. Ainsi, les autres qui disent Dieu, qui en sont parabole, ne sont pas Dieu. Ainsi la parole des autres, qui peut être médiation ou parabole de la parole de Dieu, n'est pas cette parole. Un autre encore appelle.
    Heidegger dit que dans la conscience, le Dasein s'appelle lui-même. Je me méfie du solipsisme qui fait encore de Heidegger, quoi qu'il en dise, un cartésien. Mais, et là il y a rupture avec Descartes, la structure ouverte de l'homme qui empêche d'en faire une substance, ce qu'exprime les existentiaux, ici celui de l'appel de la voix de la conscience, me semble permettre de comprendre ce qu'il en est de cet après coup qui découvre dans la réponse de l'homme un appel inouï.

    RépondreSupprimer
  3. Parlons-nous de la même chose ? Je ne sais pas non plus…
    Je peux donner mon adhésion à vos propos selon lesquels les hommes qui disent Dieu ne sont pas Dieu. D'ailleurs qui peut prétendre « dire Dieu » ? Que bien des gens le fassent parler, ça c'est certain ! Mais comment lui se manifeste-t-il « vraiment » ? C'est bien là le coeur de la question…

    Je peux donner aussi mon adhésion sur « l'appel de la voix de la conscience ». À condition que l'on parle de la conscience profonde, celle qui émane de l'être, qui vient des profondeurs de soi, ressenti comme une invitation qui dure, comme en effet : « quelque chose qui appelle en soi ». Je crois que nous sommes d'accord sur cette conscience-là, distincte des envies et du surmoi. Distincte également de la conscience de soi ou de la conscience morale.

    Mais il existe une différence de taille entre « quelque chose qui appelle » et « quelqu'un qui appelle ».
    Entre un dialogue intrapsychique où « on fait parler en soi-même un supposé autre », (je ne parle pas ici des pathologies, schizophrénie, hallucinations etc.…), et le dialogue interpersonnel où on écoute un autre, il y est quasiment un gouffre.

    Sans parler de tous ces gens qui font parler Dieu par leur bouche dans des prières incantatoires, à coup de « Dieu m'a dit », au risque de quelque peu m'énerver ! (Et donc de vous énerver aussi… *sourire* !), Je dirais plutôt mon étonnement, et même ma méditation, à propos de cette phrase des principes chrétiens : « Il a parlé par les prophètes… »

    La voix de la conscience me tourne à la fois vers moi-même et à la fois en dehors de moi-même.
    Me tourne-t-elle pour autant vers Dieu ? Ou vers un Dieu ?

    Par ailleurs, elle n'est pas forcément un « après coup » évoqué dans votre dernière phrase. Elle peut engager à l'instant même. Sans longs discours préalables. Comme si elle mettait instantanément l'être en action. Je pense à la personne qui se précipite au secours d'un autre en péril par exemple, et qui dira j'ai agi sans réfléchir, tant il était évident qu'il fallait faire quelque chose…

    Cette voix de la conscience, avec son caractère personnel, bien que forcément inscrit dans l'aventure humaine de chacun, ne rejoint-elle pas une conscience plus vaste, commune à la collectivité des hommes ?
    Conscience issue du phénomène de développement et de complexification de la vie. Et qui n'est pas forcément émanation d'un Dieu ayant existence Autre, Ailleurs… ?

    Je ne souhaiterais pas que ce que j'expose ici sois catalogué dans des concepts de « conscience universelle », expression aussi fourre-tout que « développement personnel », et qui recouvre toutes sortes de croyances et ésotérismes divers. (Je le brûle pas de cierges à Gaïa !…) Je n'adhère à rien de tel… Ce serait encore créer des dieux ! Je préfère m'en tenir à des « états du questionnement » sur ces questions qui ne peuvent trouver solution dans un quelconque "credo". (Au sens le plus large du mot… Je ne parle pas ici du credo des chrétiens).

    Cet état intérieur amène toujours à une sorte de mystère. Un grand silence.
    Je m'interdis d'aller plus loin. C'est peut-être là mon problème. Mon péché dirait sans doute le chrétien…

    RépondreSupprimer