Il est un certain nombre d’entre nous qu’excitent les
prophéties de fin du monde. On vient ainsi d’apprendre que l’accès au Pic de
Bugarach serait interdit afin d’éviter les mouvements de foule et de panique le
21 décembre prochain.
Je ne sais qui sont ces gens que le préfet de l’Aude voit
venir en foule. La première fois que j’en entendu parler de cette fin du monde – car
il y en a d’autres régulièrement annoncées ‑ c’était il y a trois ans à
Madagascar. Comme si la crédulité des plus pauvres était captée. Des badigeons
de science recouvrent mal l’escroquerie ; le calendrier Maya donne au tout
une couleur ésotérique qui appâte ceux qui ne peuvent plus rien espérer de la
vie. Sorte de loterie universelle sans ticket payant, la fin du monde fait
rêver ceux pour qui la vie est un cauchemar.
On peut hausser les épaules et mépriser tour cela, reste qu’en
pensant la fin, on essaie de comprendre le sens de l’aujourd’hui. Si l’histoire
humaine à un sens, alors son point d’aboutissement renseigne sur la
signification du point où nous sommes actuellement, et la trajectoire entre ce
jour et le dernier permet d’orienter sa propre marche.
Personne n’a vécu la fin du monde, comme personne n’assistait
au premier jour de la création. Pour parler du début comme de la fin, la
description est impossible. Le langage scientifique répond à d’autres questions
et fort peu le comprennent. Hier comme aujourd’hui, on a alors recours au mythe.
On raconte une histoire à laquelle on n’a pas assisté, on décrit ce que personne
n’a pas vu.
Dans les Ecritures, le cosmos est convoqué, dans un cas
comme dans l’autre, séparation du jour et de la nuit, du ciel et de la terre,
de la lumière du soleil et de celle des étoles. Ce travail d’organisation des
éléments qui fait reculer le chaos est la façon dont l’auteur biblique se
représente l’origine. Pas étonnant qu’un de ses successeurs, à envisager la fin
des temps, démonte son récit, la lune et les étoles chutent, le ciel et la
terre sont de nouveau confondus dans des cataclysmes, déluges et raz de marée
qui font disparaître la terre ferme sur laquelle nous avions construit nos
abris.
Si tout cela n’est que mythe, On devrait pouvoir s’en passer ?
Pas si simple. Car s’il est possible de penser que le monde a toujours existé
et existera sans fin, cela aussi, nous ne savons le dire aussi que par le
mythe. La parole de la raison est toujours un gain sur la fantaisie mythique,
mais jamais elle n’existe sans elle, jamais elle ne la fait taire, au mieux
peut-elle la canaliser.
Et de fait, si avec la fin du monde nous essayons de dire le
sens de l’existence, alors, le mythe est convoqué dès lors que nous posons les
questions de l’origine et du but, origine et destinée de la vie, du mal, de l’espérance.
L’observation de la nature enseigne un renouvèlement
salutaire, une régénération annuelle fructueuse. S’il pouvait en aller ainsi
dans nos vies ! Si l’on pouvait recommencer comme au printemps, de nouveau
voir poindre le tendre bourgeon du figuier qui annonce des fruits aux connotations
depuis si longtemps érotiques.
Le discours chrétien, le mythe chrétien en appelle à un
autre, certes comme nous, mais à un autre tout de même, pour la régénération
que nous fait espérer l’horreur de ce monde. Comme un fils d’homme. Le salut n’est
pas notre œuvre. Il vient d’ailleurs, d’un autre, et cependant, c’est de ce
monde, de cette humanité qu’il provient.
Inutile d’aller au Pic de Bugarach. Impossible de fuir. Il
faut surtout demeurer ici et maintenant dans ce monde pour guetter la nouveauté
du figuier, pour voir arriver ce Fils d’homme, pour attendre ce fils d’homme. Du
coup, la fin n’est pas pour demain ni après demain, ni pour le 21 décembre.
Elle est déjà là. C’est déjà maintenant la fin, et ce depuis deux milles ans.
Ainsi s’ouvre la lettre aux Hébreux : « Après avoir, à maintes
reprises et sous maintes formes, parlé jadis aux Pères par les prophètes, Dieu,
en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils, qu'il a établi héritier
de toutes choses. »
Inutile, insensé de fuir. Puisqu’il y a longtemps que nous
savons que c’est la fin du monde, ou si nous venons de l’apprendre, il n’y a qu’une
chose à faire, se hâter de changer de vie. S’il ne reste qu’un mois à vivre, ou
quelques heures, il n’y a qu’une chose à faire, aimer. Arrêtons toute querelle,
réconcilions-nous séance tenante, rejetons racisme et toute forme d’exclusion.
la fin du monde serait finalement une bonne nouvelle, si elle
nous convainquait qu’il suffit d’aimer.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire