28/01/2015

Vous avez dit laïcité ?

Avec les attentats des 7 au 9 janvier, on s’est remis à parler de laïcité et d’enseignement du fait religieux à l’école ; on veut même encourager la recherche en islamologie.
Certains pensent qu’il n’y a pas assez de laïcité en France : la religion sera toujours un poison contre lequel il faut lutter et se protéger en la confinant dans le seul espace privé, lui déniant toute pertinence dans l’espace public. Ce laïcisme-là, qui exclut, est un intégrisme. Ses présupposés sont fallacieux. Si les religions sont source de violence, elles ont été et sont source de paix, de culture et d’humanisation d’autant qu’avant l’émergence des Etats modernes, on ne peut pas parler des religions comme d’entités contre-distinguées des sociétés.
Or, si la loi de 1905 ‑ qui n’est pas l’inventrice de la laïcité ! – en son article 2, « ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte », cela ne peut pas signifier qu’elle devrait les ignorer. Plus encore, l’article premier (aux deux sens du mot) énonce, dans la foulée de la déclaration universelle des droits de l’homme de 1789 : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. » La loi garantit premièrement la légalité des religions au nom de la liberté de conscience et deuxièmement leur existence publique (puisqu’elle vise l’exercice des cultes). La loi s’assure que la liberté de conscience et d’expression n’entrave pas l’ordre public. A bon entendeur !
Il n’y a pas que les intégristes de la laïcité qui ignorent ou veulent ignorer le fait religieux. Cela fait plus de quinze ans que Régis Debray avait été chargé par Lionel Jospin et Jack Lang d’un rapport à ce sujet. Pourquoi se réveiller maintenant ? Avant les enfants et les jeunes, ce sont les professeurs et les adultes, qu’ils appartiennent ou non à une religion, qui ont besoin d’un enseignement sur les religions !
Nous sommes à un moment passionnant, et explosif, de l’humanité. Le pluralisme culturel et religieux avec lequel la mondialisation nous met en contact nous oblige à découvrir l’autre, les autres. Pas seulement dans les livres, avec des récits composés par des gens comme nous, pas seulement pour quelques voyageurs, mais pour tous et en direct avec tous.
Un des défis de ce siècle, d’une façon nouvelle, c’est le vivre ensemble, non en communautés régionales ou nationales, où l’on se rassemble dans de soi-disant unités naturelles et indépendantes, mais le vivre ensemble avec des diversités souvent contraires voire contradictoires, à l’échelle du village planétaire. Ce qui a rassemblé dans les rues de France plus de 3 millions de personnes les 10 et 11 janvier, ce n’est pas d’être français plutôt que musulmans, catholiques ou juifs. C’est d’être voisins dans le même village planétaire, ce qu’a manifesté la présence de près d’un tiers des chefs d’Etat du monde, place de la République, et que le gouvernement Etats-unien a regretté de comprendre trop tard.
De l’écologie et l’immigration jusqu’au partage des richesses, plus rien, en vue de la paix, n’est « de chez nous ». A moins que « chez nous » désigne la maison commune de plus de six milliards de personnes et non la propriété de quelques uns seulement (les 1% qui possèdent autant que les autres 99% et les Occidentaux qui en connaissent un rayon en matière de mainmise sur la planète, avec des formes toujours nouvelles de colonisation).
« Chez nous » il y a des gens religieux et d’autres non, il y a des gens qui connaissent la laïcité et d’autres non. Que les catholiques, avec les derniers papes, se fassent les défenseurs de la laïcité ne peut faire oublier qu’ils l’ont majoritairement et violemment combattue. La séparation du religieux et du politique est une des possibilités, voire des conditions, du vivre ensemble dans la diversité. Il faut, hier comme aujourd’hui, l’arracher de haute lutte contre les religions, y compris au catholicisme, évidemment à l’Islam.
La laïcité est une manière de dénoncer les pouvoirs (politiques, économiques, religieux, etc.) dans leur volonté de dominer ; l’idolâtrie n’est pas que religieuse ! Les pouvoirs doivent être contrôlés pour ne pas être tyranniques. C’est l’engagement citoyen et responsable auquel nous ne pouvons échapper si ce n’est à être coupables, dans les sociétés et dans les religions. Quant à Jésus, il a indiqué un chemin pour une humanité fraternelle, celui du service.

5 commentaires:

  1. En écho à cette médiation stimulante....
    Cette argumentation éclairée et éclairante nous rappelle, à juste raison, que la laïcité est, avant tout, le fruit culturel d'un rapport et d'une lecture à/de l'histoire, notamment et particulièrement en France. ( ce concept est loin d'être unifié).
    Aussi, la République française se définit comme laïque et non définit la laïcité.
    Ce point est très important, car il s'agissait dans l'esprit des pères de la loi de 1905, non pas de définir une nouvelle religion, écartant ainsi le risque d’une nouvelle idolâtrie, mais de poser un principe de régulation et de qualifier l'autorité qui en a la charge, l’État. L'un des actes législatifs antérieurs aux lois des Constituants de 89 et des Législateurs de 1905 (dont Jaurès avec son célèbre discours sur la laïcité) est l’Édit de Nantes. La laïcité n'est donc pas une idée nouvelle. On pourrait même s'interroger sur le rapport au sacré qui existe au sein des religions avec la distinction entre prêtes et laïcs.
    S'en souvenir permet de regarder la laïcité comme une processus dynamique qui offre un cadre vivant pour que le fait religieux se manifeste positivement. C'est bien à l’État d'être laïque dans son fonctionnement et non à la société.
    C'est d'ailleurs tout l'enjeu de l'enseignement du fait religieux qui doit être présenté, non seulement dans son historicité, mais également dans son actualité. L'erreur consisterait à ne le présenter que comme un évènement accompli et ponctuel en omettant que c'est une donnée de la vie sociale présente. Dès lors, toute la complexité réside dans l'invention d'un savoir-dialoguer au bénéfice du vivre ensemble. Les tumultueux débats sociétaux, récents et à venir, nous le rappellent, nous y appellent. Chacun avec ses convictions doit pouvoir s'y exprimer et écouter, avec détermination et empathie.
    Comme l'indique P.R, les chrétiens ont toute leur place dans la construction humaine et humaniste de la société, eux qui affirment sur leurs chemins de Foi, que personne ne peut s'assoir à la place du Christ, donc incarner et détenir à eux seuls la Vérité. PMR (Rennes)

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  2. Peut-être serait-il opportun que vous vous interrogez sur le fait qu’une large majorité des Français dénie toute pertinence de la religion dans l'espace public. Avant de recourir à l'anathème de l'intégrisme pour qualifier la laïcité, Il serait peut-être opportun de balayer devant sa propre porte, après des siècles de domination de l'idéologie chrétienne et catholique en France, par un terrorisme de la pensée unique et obligatoire (sous peine de bruler en enfer !!), un dévoiement des esprits par de soi-disant « directeurs de conscience » (l’horrible expression !!), celui de ma mère lui enjoignait de voter à droite, sinon c’était amener le communisme en France, et donc voter à gauche était un péché…. (je le tiens de sa bouche…), auxquels il faut ajouter la domination dans tous les domaines, politique, gout du pouvoir, entregent, richesses matérielles et pauvreté spirituelle des fonctionnaires de Dieu, etc.… enfin bref, tous ce que votre chef suprême a reproché vertement aux membres de la Curie romaine en leur remontant les bretelles récemment.
    Et vous voudriez que la religion domine encore la pensée publique ?
    Je vous accorde la part du rêve…. Mais revenez au réel, ce sera mieux…

    Évidemment, je comprends que votre billet soit louangé par vos adeptes, et même qualifié de méditation stimulante, mais enfin, soyons un peu sérieux…
    La laïcité garantit la liberté de conscience et l'exercice d'un culte rendu au dieux auxquels tout un chacun a le droit de référer. Mais ceci ne peut qu'être dans la sphère strictement privée. Rien par exemple ne peut justifier que des adeptes d’une religion puissent manifester dans la rue, avec des propos indignes de gens qui réfèrent à un « amour d’autrui », pour défendre des considérations strictement privées, personnelles, comme celle par exemple de vouloir imposer avec qui, de quel sexe, comment et dans quelle position il faut faire l'amour…

    Sinon je suis d'accord avec vous, l'enseignement du fait religieux peut tout aussi bien se faire que l'enseignement du fait guerrier, afin que chacun puisse forger son opinion sur des siècles d'endoctrinement chrétien (en France), et d'endoctrinements idéologiques de toutes sortes. Tout bon laïc ne pourra qu’y gagner dans l'intelligence de ce à quoi il faut mettre fin. La religion comme la guerre…

    Peut-être même que quelques-uns, enfin débarrassés de la poudre aux yeux religieuse, découvriront la personne de Jésus ! On ne sait jamais… un miracle est si vite arrivé !

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    1. Vous en avez de bonnes ! Quand on est d'accord avec moi et pas avec vous, on est un de mes adeptes, qui plus est, pas sérieux.
      La fréquentation amicale que vous faites de ce blog, méfiez-vous, risquerait bien autrement de vous faire adepte !
      Ai-je à un endroit contesté le poids tyrannique des religions ? Tyrannique est même un des mots que j'emploie après avoir dit que la laïcité devait, y compris en catholicisme, être arrachée de haute lutte. Propos qui d'ailleurs m'a valu quelque opposition, de catholiques qui n'hésitent pas à se reconnaître comme conservateurs. Me reprocheriez-vous de n'avoir pas dit ce que j'ai dit ?
      Je pense que nous sommes bien d'accord sur ce point.
      En revanche, je persiste à parler d'intégrisme laïc. Je pense à l'exclusion institutionnel, où parce que catho on n'est pas invité à telle ou telle manifestation républicaine, parce que catho on n'est pas crédible dans un établissement scolaire ou d'enseignement supérieur, parce que catho, on vous fait la gueule. Que l'histoire puisse peser, je peux l'entendre, même si ils ne sont plus très nombreux ceux qui ont eu à souffrir la férule de l'Eglise. Vous-mêmes devez faire référence à votre mère. Ce n'est pas d'hier si je comprends bien.
      Mais vous-mêmes risquez de tomber dans l'anachronisme que je dénonce. Peut-on penser l'Eglise séparée de l'Etat avant l'apparition de l'Etat moderne, disons avant le 16ème ? C'est autant l'Eglise que la société, l'affaire Galilée; par exemple.

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    2. PR, je sais qu'en venant ici je cours des risques, comme celui d'avoir plus de points d'accord avec vous que de désaccord… c'est dire si mon cas est désespéré ! :-))

      Ce qui peut être entretient un certain intégrismes laïc, c'est cette propension du catho à brandir sa religion à tout propos, comme si cela devait lui conférer un droit de supériorité dans les décisions qui doivent être prises. Le catho ne peut pas se détacher de l'idée qu'il détient la vérité des vérités révélée par "son" dieu, et que cette vérité, qui n'est jamais que la sienne, doit s'imposer à tous…
      Alors on comprend qu'en face, cela paraisse comme un inadmissible que vous appelez intégrisme…
      Tout ceci étant dit bien amicalement à votre égard bien entendu.

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    3. Merci de votre réponse.
      Je trouve que mon texte n'est pas si éloigné de l'interview de Baubérot paru dans l'Express http://www.lexpress.fr/actualite/societe/la-laicite-une-interpretation-fallacieuse-de-la-neutralite-de-l-etat_1648115.html

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