Il est malin, Jésus. Il a bien vu comment cela fonctionne. Pour avoir les bonnes places, il ne faut pas trop jouer des coudes, surtout si on n’a pas tout à fait les moyens. On se fait trop d’ennemis ! Mieux vaut se la jouer modeste, jusqu’à sur-jouer l’humilité, histoire d’être un minimum remarqué. L’anomalie de ce que nous ne sommes pas à la place qui nous revient sera vite corrigée par ceux qui ont le souci des convenances. « Mon ami, monte plus haut ! »
La fausse humilité est une forme commune de l’orgueil et de la vantardise. Jésus donnerait-il aux intrigants non des idées ‑ ils n’en ont pas besoin ! ‑ mais une caution ? Jésus aurait-il ainsi procédé ? Il se serait bien raté. Parce que finir sur une croix, pour celui qui est fils de Dieu, c’est un échec, la faillite d’un système.
Il y a beaucoup de gens qui ne peuvent pas feindre de prendre une place qui n’est pas celle que leur rang ou la société leur assigne. « Supposez qu’entre dans votre assemblée un homme à bague d'or, en habit resplendissant, et qu’entre aussi un pauvre en habit malpropre. Vous tournez vos regards vers celui qui porte l’habit resplendissant et vous lui dites : "Toi, assieds-toi ici à la place d'honneur." Quant au pauvre vous lui dites : "Toi, tiens-toi là debout", ou bien : "Assieds-toi au bas de mon escabeau." » (Jc 2, 2-3)
J’y vais un peu fort avec la citation de Jacques ? Mais non, c’est exactement ce que nous faisons dans la société. Les migrants sont traités comme moins qu’humains. Les pauvres sont communément soupçonnés de tricherie aux allocations sociales. Les détenus vivent, c’est bien connu, au Club-Med 365 jours par an. Les habitants des cités et des quartiers déshérités sont incapables de se remuer, les trafics rapportent davantage, etc. Nous n’accordons aux pauvres aucune place, pas même la possibilité de rester debout. Nous les écrasons, en faisons notre marchepied. N’est-ce pas de pomper les pays du Sud que nous sommes riches ?
La honte d’être pauvre. La honte d’être condamné. La honte de ne pouvoir inviter des copains à la maison. C’est à cette hauteur que s’entend le propos de Jésus. C’est à cette hauteur, « au très-bas », qu’il s’est mis. La croix, une faillite, un échec. Il n’avait pas grand-chose, et il a tout perdu. « A celui qui n’a pas, on enlèvera même ce qu’il a » (Lc 19, 26)
Pourquoi choisir la dernière place ? Non par humilité. Mais pour y rencontrer celui qui prend systématiquement cette place, Jésus.
En prison, avec les migrants, je vous le dis, on rencontre Jésus. Non que j’identifie telle personne avec Jésus. Les migrants, les détenus sont comme nous tous, des salauds aussi. Mais dans la rencontre qui dépasse l’étiquette, dans la rencontre des personnes et non de leur statut, on touche Jésus. En prison, avec ceux qui n’ont rien, avec les migrants, on ne cesse de rencontrer Jésus. Certes, certaines de ces personnes sont des saints ‑ je pense en particulier à tel migrant, mais aussi à tel détenu qui fait de sa cellule un lieu de paix et de fraternité au milieu de la coursive ‑ mais telle n’est pas la question. Stop à la starification de la sainteté !
En prison, avec les migrants, avec les pauvres ‑ je pense à la retraite Pierre d’Angle, fraternité quart-monde ‑ dans la rencontre de personne à personne, dans l’accueil des personnes, à se laisser accueillir aussi, à partager seulement un même lieu, un échange de paroles, c’est Jésus qui est là. Je vous le dis, on le touche, on l’étreint. Non pas comme une apparition, magie et merveilleux que les pseudo-spirituels lisent chez les mystiques – « Je suis le Jésus de Thérèse », dit l’enfant à la sainte d’Avila ‑, mais dans son corps, dans sa chair.
Nous sommes si nombreux à dire que l’on ne voit pas Jésus. Mais si nous désertons les lieux où il se trouve, si jamais nous ne fréquentons les lieux où il se tient, nous ne risquons pas de le rencontrer. Ce n’est pas dans l’eucharistie que nous rencontrons le Seigneur, ou alors seulement sacramentairement. Il est présent chez les frères, à commencer ceux de sa prédilection, les pauvres. Le lieu de la révélation, c’est l’échec de la croix. C’est là et là seulement que Dieu se montre. Ceux qui rêvent d’une religion de la réussite, celle du Dieu tout-puissant et celle du croyant, il vaut mieux choisir l’Islam.
Mais alors, nous dira-t-il de
monter plus haut ? C’est déjà fait. « Vous connaissez, en effet, la
libéralité de notre Seigneur Jésus Christ, qui pour vous s'est fait pauvre, de
riche qu’il était, afin de vous enrichir par sa pauvreté. » (2 Co 8,9)
Nous sommes élevés dès que nous le rencontrons. Sa rencontre est une invitation
« Amice ascende superius ! » car à tous il n’a de cesse de
donner la vie, de nous faire vivre grand. Ce n’est pas une meilleure place qu’il
nous attribue, mais la meilleure, il nous prend avec lui (2 Th 4, 13, Mc 5, 40 ;
9, 2, 14,33).
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