14/07/2023

Le ciel sur la terre (Notre-Dame du Mont Carmel)

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1 R 18, 42-45  -  Ga 4, 4-7  -  Jn 19, 25-27

La fête de Notre Dame du Mont Carmel a une histoire quelques peu tortueuse. Les ermites sur les pentes du Carmel se font, comme beaucoup après l’an mil, dévots de Notre Dame. L’ordre, contemporain de la conquête par Saladin de la Terre Sainte, reste peu de temps sur les flancs de la montagne d’Elie. Une règle, reconnue par le patriarche de Jérusalem, date de 1209 et dès 1215, au dernier concile du Latran, l’avenir de la communauté nouvelle est compromis. Hier comme aujourd’hui, la vie religieuse peut être le nid du mensonge. Il faut faire le ménage et le second concile de Lyon en 1274 décide que toutes les fondations récentes soient supprimées. L’ordre du Carmel échappe de justesse à la disparition.

Ce n’est que plus d’un siècle plus tard, à la fin du XIVe que la fête de Notre-Dame du Mont-Carmel est attestée. Quelques années plus tard, au siècle suivant, se met en place la légende selon laquelle Simon Stock, prieur général dans les années d’incertitude pour l’ordre, reçoit de Marie le scapulaire. Les hagiographes présentent la reconnaissance de leur ordre comme miraculeuse. La réforme de Vatican II ne goûte guère la légende et retire du calendrier général la fête qui n’est rétablie qu’en 1979, sans allusion désormais au scapulaire.

Le lectionnaire (1 R 18, 42-45 - Ga 4, 4-7 - Jn 19, 25-27) tourne notre attention et vers le Mont Carmel d’Elie et d’Elisée, et vers la femme dont Jésus naît, mère qui se tient au pied de la croix et devient mère du disciple que Jésus aimait ; vers la montagne des ermites ou vers l’humanité de Jésus que la désignation d’une femme et mère inscrit dans l’histoire.

Les croisés, partis en guerre, pouvaient-ils, sans trahir leur foi, ne pas se réfugier au désert et cultiver la fraternité ? Nous sommes tous en guerre, d’une manière ou d’une autre, avec nous-mêmes ou les autres, notre histoire ou le monde, lui-même en guerre. Comment le pouvons-nous sans trahir notre foi en un Dieu qui a tant aimé le monde ? Si les disciples ne se retirent pas tous au désert, tous sont convoqués à rendre les armes, aussi difficile que ce soit, appuyés sur une fraternité qu’ils reçoivent d’une mère, la commune humanité.

Se retirer au désert, ce n’est pas arrêter le combat, c’est en augmenter l’intensité. Regardez Antoine, et surtout les multiples peintures, toujours entouré d’une foule de démons qui, à défaut d’être effrayants, sont monstrueux. Le désert, paradoxalement, est un concentré du monde, en pire. Seul face à soi-même, on prend les moulins à vent pour des géants. Je suis étonné de ce que beaucoup, aujourd’hui, viennent recharger les batteries dans un monastère. On les épuise, les batteries, au combat. Ce qui recharge les batteries, c’est la vie fraternelle.

On se bat, comme Jacob, à mains nues, et l’on ne sait jamais bien si c’est avec ou contre quelqu’un. Le combat du désert est dépossession, mortification. Mais attention, il est passivité. Se vider de tout, même de Dieu ‑ des images que l’on se fait de Dieu, « je prie Dieu de me libérer de Dieu » ‑ c’est titanesque, combat de géants, gigantomachie. Nous voilà de nouveau avec le Quichotte et ses illusions, la folie des grandeurs à laquelle Elie succomba aussi au point de quitter le sacrifice du Carmel, défait, vidé, suicidaire. Vivement le souffle ténu de la brise légère de l’Horeb ! Le Carmel est un départ, pas la destination.

Thérèse de Jésus pourrait nous donner l’explication du paradoxal combat passif et de sa conséquence, l’erreur ou l’illusion d’un désert ressourçant. Il n’y a pas d’eau au désert. Pour ne pas en crever, les ermites mangent ensemble et partagent le silence et la prière.

C’est que nous pensons que le ciel est ailleurs que sur la terre, que le ciel est autre que la terre. Or le ciel n’est pas ailleurs ni pour demain, il est terrestre, glèbeux, adamique. Certes, c’est le lieu de Dieu. Mais depuis que Dieu habite chez les hommes, le ciel, c’est ici. Le combat n’est pas détester le monde ni le fuir. Déserteurs ! Il n’est pas de s’humilier ‑ nous sommes déjà humus ‑ ni de se donner la discipline ‑ il y a assez de se vider à prendre sa croix. Que le ciel soit, dans ce monde ici et maintenant, notre lieu de terrestres, voilà le combat.

« Là où est Dieu, là est le ciel. […] Pensez-vous qu’il importe peu à une âme qui a tendance à se distraire de comprendre cette vérité et de savoir qu’elle n’a pas besoin d’aller au ciel pour parler à son Père éternel et se délecter avec lui ? qu’elle n’a pas besoin non plus de prier en criant en très fort ? Si bas qu’elle parle, il l’entendra ; elle n’a pas besoin d’ailes pour aller le chercher. Elle n’a qu’à se mettre dans la solitude, regarder au-dedans d’elle-même et ne pas s’étonner d’y trouver un si bon hôte. » (Chemin, 46, 2)

Ruines de l'église (XIIe) Notre-Dame du Mont Carmel, (sur les pentes du Carmel)

1 commentaire:

  1. Venir au Carmel ce n’est pas venir recharger les batteries, c’est y venir vérifier que le chemin de l’Amour est bien celui emprunté, c’est vérifier que la paix et le silence sont bien nécessaire à écouter Dieu et à manger ses paroles, c’est se remettre au diapason pour pouvoir dire « Je ». Mais ce n’est que mon chemin…

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