18/08/2023

Le converti du Père (20ème dimanche du temps)

« Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens. » Est-ce que je comprends mal si j’entends que l’enfant malade est dite un petit chien et que sa mère est en conséquence une chienne. Je ne sais si dans l’Antiquité comparer quelqu’un à un chien, une femme à une chienne, est aussi infamant qu’en français. Dans notre langue au moins, la réponse de Jésus est d’une grande violence.

Il y a d’abord son silence. Il ignore la femme. Il y a la relance des disciples, fatigués par l’insistance de la mère qui leur casse les oreilles et la justification : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël. » Il y a enfin l’intervention qui déclenche, comme un point culminant de la réprobation et de l’agacement de Jésus et des disciples, la réponse cinglante de Jésus. Si c’est le français seulement qui fait entendre une insulte, le déroulement de l’action montre une femme sans gêne et l’exaspération qu’elle suscite.

Qui est-elle ? N’a-t-elle pas de mari qui aille chercher Jésus ? L’évangile de Jean fait dire à la Samaritaine, moins étrangère que cette cananéenne : « Comment ! Toi, un Juif, tu me demandes à boire, à moi, une Samaritaine ? » Cette femme pourtant connaît les codes. Elle appelle Jésus « fils de David » et insiste pour qu’il vienne à son secours. Cela ressemble à une profession de foi dont bien de ceux que Jésus rencontre ne font pas montre.

Que se passe-t-il dans ce texte (Mt 15, 21-28) ? Même Jésus paraît scandalisé par l’universalité du secours, du salut, comme s’il y avait sacrilège à faire du Dieu d’Israël le Dieu des nations. C’est pourtant déjà l’enseignement des prophètes et de l’auteur de la Genèse qui reconnaît dans le dieu tutélaire d’Israël le créateur de tout et tous.

Voilà qui devrait calmer ceux qui attribuent à Jésus un savoir exceptionnel sous prétexte qu’il est le Verbe incarné. Voilà qui nous invite à reconnaître combien l’universalité du secours est scandale. Il y a quelques mois, on a fait plus de foin pour la poignée d’explorateurs du Titanic morts dans l’explosion de leur sous-marin que pour les milliers de migrants morts en mer. La mort ou le sort terrible des nôtres nous émeut, guère celui des autres, au point que le salut des étrangers devient scandale.

Pareillement, certains s’émeuvent que des étrangers en France puissent bénéficier de minima sociaux et ignorent tout de l’horreur dans les Centres de rétention administratifs. C’est cela le scandale du salut des étrangers, des païens, d’une femme, le salut des minorités (numériques ou maintenues en situation de minorité, sous tutelle). Et Jésus trempe là-dedans, parce que notre humanité protège le clan, le sang, la famille.

Cet évangile est surprenant pour ce qu’il dit de Jésus, semblable à nous en toute chose, y compris le racisme, les préjugés de mâle, de membre du peuple élu, élu lui-même. Le renversement auquel l’évangile nous appelle a été pour Jésus lui-même expérience de retournement, passer au Dieu plus grand.

Conversion pour Jésus lui-même, changement de regard. Jésus apprend la grandeur du salut de Dieu d’une femme, étrangère, païenne. Jésus apprend la grandeur de Dieu de celle qui est censée n’en rien devoir dire. L’universalité discrédite la famille du sang, parce que chacun est frère de tout autre, parce que les frères et sœurs de Jésus sont tous ceux qui s’avancent à sa suite, qu’ils le sachent ou non. Ce n’est que dans la passion-résurrection que le Magnificat fait sens, « il renverse les puissants de leur trône, il élève les humbles. » Non qu’il faudrait, pour connaître le relèvement des perdants, connaître Jésus, mais qu’il faut être délogé de la place de majorité, de puissants au mains pleines. La femme en apprend à Jésus le chemin, femme, méprisable, parce que femme, étrangère et païenne. Pour être converti au Père, il n’est d’autre chemin que d’être converti, tourné vers les frères.

Jésus est l’éternel converti du Père, celui qui est sans cesse non pas tant tourné que se tournant vers le Père, le « vers le Père » de Jean. Il ne met pas longtemps à comprendre : immédiatement après la rencontre avec la femme, il multiplie les pains pour les païens, en mode non-juif, sept et non douze. L’humanité est invitée à s’engager dans le mouvement de retournement dont Jésus indique, est, le chemin.

Cette page d’évangile dit la force subversive que nous lisons ailleurs dans le texte. Elle est moins récit de guérison que chemin de conversion, ou plutôt, la véritable guérison, qui rend possible la vie à la fillette, est guérison de nos étroitesses. Dès que l'humanité de Jésus est ouverte à tous, la vie comme en cascade se répand. Nous sommes comme Jésus porteurs de vie à hauteur de notre capacité de retournement, de conversion.

2 commentaires:

  1. Salut, figure-toi que tout de, suite après cette guérison par Jésus, et ce changement de sa pensée, on trouve... La multiplication des pains chez les païens. Ce ne sont plus seulement des miettes pour les nations.

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    1. Merci Bertrand pour ce commentaire. Tu verras que je l'ai intégré dans le texte.

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