01/09/2023

La foi chrétienne est-elle originale ? (22ème dimanche du temps)

Retable du rosaire ou de Lépante, vers 1740, détail, église conventuelle des dominicains, Tui, Galice

 

Renoncer à soi-même et prendre sa croix (Mt 16, 21-27). Pas besoin d’être disciple de Jésus ; la vie en société, en communauté, en famille oblige à renoncer à soi-même et à crucifier ce qui la rendrait impossible. C’est l’ordinaire des jours : les parents qui se lèvent la nuit parce que l’enfant pleure ; des collègues de travail qui offrent de leur compte-épargne-temps ; la moniale qui sait que les paroles blessantes ne la visent pas mais expriment le mal-être de sa sœur ; les personnes âgées ou malades qui deviennent dépendantes. Certes, certains, certaines, se comportent en terroriste et contraignent les autres à supporter leurs excès, sans rien renoncer ni crucifier. Cela peut être extrêmement violent, au travail, dans la communauté, en famille. On parle de personnes toxiques.

Mais de façon générale, bon an, mal an, la nécessité de vivre ensemble contraint à remettre sa majesté le moi à sa place, ce qu’il vit comme un renoncement, une crucifixion. L’exigence posée par Jésus pour le suivre n’est donc pas spécifique de cette suite. La suite de Jésus suppose seulement, si l’on peut dire, que l’on vive comme des humains responsables de la « convivance », comme diraient les hispanophones, convivencia.

« Quel avantage un homme aura-t-il à gagner le monde entier, si c’est au prix de sa vie ? » L’exigence évangélique n’est rien autre que l’exigence pour tous en vue de la vie bonne avec et pour autrui dans des institutions aussi justes que possible. Et ce n’est pas parce que nous sommes nombreux à nous asseoir sur le bon sens et la visée de la vie bonne pour tous que la sagesse qui recommande la sollicitude à l’égard d’autrui revêt un caractère extraordinaire, spécifiquement évangélique, révélé.

L’évangile n’annonce, ici du moins, rien autre que les conditions d’une vie avec les autres, en société, en communauté, en famille. Mais annoncer cela comme divin, voilà plus extraordinaire ou du moins inouï. La nouveauté évangélique réside dans le fait de dire l’ordinaire de l’exigence éthique comme culte rendu à Dieu. Certes, cela se trouve déjà chez tel prophète, mais avec Jésus, cela devient comme l’on dit depuis la Réforme, le canon dans le canon, la règle selon laquelle il faut lire et écouter les Ecritures.

Les deux commandements rapprochés l’un de l’autre sont déclarés égaux (Mt 22,36-40). Le reste est hypocrisie ou mensonge : « Si quelqu’un dit : "J’aime Dieu", alors qu’il a de la haine contre son frère, c’est un menteur. En effet, celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, est incapable d’aimer Dieu, qu’il ne voit pas. » Il faut relire le chapitre 4 de la Ia Johannis.

Il n’y a rien de surnaturel, de miraculeux dans l’évangile. L’évangile est l’une des premières et plus radicales opérations de laïcisation, de sécularisation. C’est tellement violent que les disciples de Jésus s’empressèrent de corriger le tir et de revenir aux sacrifices, au culte rendu à Dieu comme pratique spécifique. Or, comme le dit Paul, le culte selon le logos, le culte rationnel, consiste à faire de nos vies, dans l’ordinaire d’une exigence éthique, la seule offrande. Comme toujours, Paul est intraduisible tant la densité de sa phrase fait exploser ce que la langue peut dire : « Je vous exhorte donc, frères et sœurs, par la tendresse de Dieu, à lui présenter votre corps ‑ votre personne tout entière ‑, en sacrifice vivant, saint, capable de plaire à Dieu : c’est là, pour vous, la juste manière de lui rendre un culte. » (Rm 12, 1)

Il faudrait reprendre chaque terme. La traduction liturgique fait ce qu’elle peut. On remarquera par exemple l’oxymore, sacrifice vivant. Un sacrifice, c’est mort ! A moins précisément qu’il s’agisse de crucifier en nous, de renoncer à ce qui fait mourir, pour ne pas perdre sa vie, pour vivre, c’est-à-dire pour vivre en paix avec les frères.

Mardi, en la mémoire de la décollation du Baptiste, le prédicateur eut un propos qu’en d’autres temps on eut qualifié d’extrinséciste : Qu’était donc aller faire le Baptiste à se préoccuper de justice ? Sa mission n’était-elle pas d’annoncer la venue du Verbe de Dieu ? C’est prendre les choses à l’envers. C’est parce que le Baptiste est préoccupé par la justice qu’il annonce Jésus. C’est parce que nous cherchons la vie bonne avec et pour autrui dans des institutions aussi justes que possible que nous témoignons de celui qui par sa justice est notre justification, par sa justice annonce le Royaume de son Dieu et Père.

La justice, quand elle est injuste, assassine. Quand elle est juste, parole et plus encore acte, rend la vie, relève, justifie. L’évangile dit de Joseph qu’il était un homme juste parce qu’il relève Marie de l’infamie où la tient d’être enceinte en dehors d’une union en bonne et due forme. Il prend chez lui la mère et l’enfant : il leur redonne vie. « Cherchez le Royaume et sa justice, et le reste vous sera donné par-dessus le marché ! » (Mt 6,33)

 

 

3 commentaires:

  1. Est-ce que cette réflexion est à rapprochée de sainte Thérèse lorsqu'elle dit « Faire les choses ordinaires de façon extraordinaire » ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je ne suis pas certain, du moins, ce n'est pas ce que j'ai voulu dire. Ce qui est extraordinaire, c'est l'ordinaire par où passe la suite de Jésus, et non ce que nous ferions.

      Supprimer
  2. Bien compris. Merci ! Très intéressant.

    RépondreSupprimer