09/02/2024

La fureur de Jésus Mc 1, 40-45 (6ème dimanche du temps)

Antoni Tàpies, artiste Catalan peintre et graveur - Galerie Murmure
Antoni Tàpies, Cobert de roig (1984)

 

Le premier chapitre de Marc s’était jusqu’à présent bien déroulé. On commence à faire connaissance avec Jésus, avec l’évangile, il y a des frères qui se mettent à suivre Jésus, des guérisons qui remettent debout et au service, la prière nocturne. Certes, Jésus déjà disparaît et il faut aller à sa recherche.

A quoi joue-t-il ? Il sait bien qu’il y a tant de monde à guérir, à lever, à ressusciter. Pourquoi donc se retirer dans un endroit désert ? Pourquoi déserter, de nuit, lorsque rode le mal, insalissable ?

Un lépreux entre en scène (Mc 1, 40-45). Ce n’est pas rien. Maladie contagieuse, certes pas facilement mais tout de même ; maladie traître donc. Maladie que l’on guérit depuis seulement quelques décennies, elle représente un danger que l’on écarte en isolant les malades, en les sortant de la société. La lèpre est ainsi maladie physiologique et sociale.

Un lépreux entre en scène. Ce n’est pas une simple fièvre, comme celle qui tient la belle-mère de Simon ou la multitude des maladies dont on ne dit rien dans les versets précédents. Que va-t-il se passer ? Jésus saura-t-il guérir ? Sera-t-il le plus fort ?

Là interviennent les difficultés textuelles. Nous venons de lire que Jésus est saisi de compassion. Il y a quelques manuscrits, certes peu nombreux et cependant fiables, qui ne portent pas ce mot, mais disent que Jésus est irrité, en colère. Voilà qui est curieux. Pourquoi devant un lépreux venu demander, poliment ‑ « si tu le veux » ‑ la guérison, faudrait-il se mettre en colère ? Habituellement, on préfère retenir le texte le plus difficile à comprendre, pensant que le plus simple est un effort pour rendre le texte abordable. La traduction liturgique n’a pas fait ce choix.

Puis on lit qu’« avec fermeté, Jésus le renvoya aussitôt ». Le texte dit, quels que soient les manuscrits, « Grommelant, il le jeta dehors », ou « l’ayant rabroué, il le chassa ». C’est à la fois curieux, car on ne voit pas ce qui agace Jésus ou le rend si cassant, à la fois comme une confirmation des manuscrits minoritaires qui rapportent la colère.

Quel est donc le problème ? Qu’est-ce qui met Jésus dans cet état ? Faut-il que ce soit la question du lépreux : « si tu le veux, tu peux me purifier », sorte de piège. Comment Jésus pourrait-il ne pas vouloir, répondre « non, je ne veux pas ». Sous prétexte de mettre les formes, de laisser Jésus libre, le lépreux en fait lui force la main.

Ou bien, avec la lèpre se joue autre chose, un autre combat ; on passe de la santé des personnes à l’enjeu de la vie de Jésus, mettre le mal dehors, mettre le mal dehors en réintégrant dans la société. Et guérir les plaies sociales, c’est autre chose qu’une affaire médicale. Aujourd’hui, ce n’est plus la lèpre qui exclut, mais la couleur de peau, la pauvreté, l’orientation sexuelle, la faute commise. Dans une prison, déjà, il n’y a que des exclus de la société. Et si en plus on est étranger, gay, pire trans, indigent et violeur, on a toutes les chances de se faire casser la figure, de se faire piétiner, au plus de l’échelle de la microsociété de derrière les barreaux, paroxysme de l’exclusion.

Ce n’est pas un combat contre la maladie, même incurable, mais une gigantomachie, choc des titans, bien avant l’heure décisive. Il y a de quoi mettre Jésus en colère ou de le déstabiliser, le faire fulminer. On n’est qu’au premier chapitre. Qu’est-ce que ce sera à la fin ?

Ou bien, la lèpre représente la dé-création, le contraire de l’œuvre créatrice. Dieu crée en séparant. La lèpre, c’est la confusion ; la chair morte et les membres rongés, comme d’un cadavre, et le reste de la chair encore vie. La lèpre serait ici la perversion, le mélange du bien et du mal, le mal caché sous le bien. Et la perversion a sans doute de quoi mettre en colère. On aimerait que la société se mette en colère contre la perversion incestueuse, que l’Eglise se mettre en colère contre les crimes de manipulation ou crimes sexuels, quitte à guérir ces lépreux d’un nouveau genre qui les gangrènent.

 Jésus est obligé de partir ‑ c’est grave ! ‑, il ne peut rester parce que tout le monde a entendu parler d’un truc qui n’est manifestement ce que dit Jésus. La nouvelle divulguée par le lépreux guéri empêche l’annonce de la Bonne nouvelle. Il raconte son histoire et non celle de Jésus, ses commérages et non l’évangile. Il parle comme les démons que Jésus avait fait taire. Aujourd’hui, il y a beaucoup de gens qui disent de bonnes paroles, dans l’Eglise et dans la société, pour empêcher le bien. Perversion : on raconte bien pour interdire la parole bonne !

 

 

 

J’ai pris toutes mes idées à deux confrères, l’un a attiré mon attention sur le problème de critique textuelle, l’autre enfonçait le clou en allant du côté de l’interprétation de la lèpre comme décréation et perversion.

 

 

1 commentaire:

  1. super intéressant Patrick. J’ai beaucoup aimé ton questionnement autour de la colère de Jésus. Colère divine contre le fabuleux, le sensationnel peut-être ou contre l’appropriation individualisante de la guérison-libération apportée par Jésus comme tu le laisses entendre. Par ailleurs, l’on pourrait voir dans la lèpre un signe de la disco-communion : le corps qui se défait, tombe en morceaux, contraire à l’unité de la vie dans l’Esprit.

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