04/04/2025

Lapidation légale et nouvelle création Jn 8 (5ème dimanche de carême)

 File:Pieter Bruegel (I) - Christ and the woman taken in adultery.jpg

« Une femme surprise en flagrant-délit d’adultère. » Le texte en bégaie, répétant la phrase. Jusqu’à preuve du contraire, il faut être deux pour un adultère, et même trois, un couple et une tierce personne qui prend la place d’un des partenaires du couple. On n’entend rien de cet homme, il n’existe pas. Déjà, le procès qui s’ouvre paraît faux.

« Ils parlaient ainsi pour le mettre à l’épreuve, afin de pouvoir l’accuser » Ce n’est pas le procès de la femme qui s’ouvre, mais celui de Jésus. Décidément faux procès.

Jésus se baisse… par deux fois. Nouveau bégaiement. Il est au plus près du sol. Il écrit ou trace des traits sur la terre. Dans son abaissement, est-ce la bête traquée qui se replie sur elle pour se protéger des pierres de la lapidation ? Pour répondre aux accusateurs cependant, Jésus se redresse. Il fait face à hauteur d’homme, à hauteur de spécialistes, scribes et pharisiens. A hauteur de criminels. S’il se baisse, serait-ce pour leur montrer le chemin, qu’ils descendent de leur superbe, ou ne pas les humilier, ne pas les observer partir penauds.

Le mouvement debout / au sol / debout indique le renversement qu’il convient d’opérer. Ceux qui se croient justes, droits dans leurs bottes, la loi pour eux, ne feraient-ils pas bien de regarder le monde depuis le bas, privés de la certitude de leur bon droit, depuis la terre d’où ils ont été pétris, depuis la pierre qu’ils lancent où les tables de la loi furent gravées ?

Les accusateurs disparaissent comme l’homme adultère, on n’en parle plus. Il ne reste précisément plus que l’homme et la femme. Jésus et la femme. Aurait-elle trompé son mari à aimer le recadrage de la Loi par la miséricorde ainsi que le propose Jésus ?

L’adultère, la prostitution, on le sait, dans les Ecritures, sert à exprimer l’infidélité à Dieu. On va voir ailleurs ; puisque Dieu ne répond pas, on va frapper aux autres sanctuaires, on les construit même. La lutte contre l’idole ne se termine pas avec l’âge mythologique. Les idoles demeurent aujourd’hui et celles qu’adorent scribes et pharisiens en pliant la loi de Moïse à leurs intérêts n’est pas la moindre. Idolâtrie de la loi, or la loi, le sabbat, est fait pour l’homme et non l’homme pour la loi ; idolâtrie de l’identité, pureté du sang, culture d’un chez soi qui n’est pas chez eux, or le plus court chemin de soi à soi passe par autrui : idolâtrie de la vraie religion, qui ne peut que trouver intolérable la parole de liberté de Jésus.

Sous prétexte de Justice, on est inhumain, on tue. Vous voulez des exemples ? Ouvrez les journaux. L’Etat français est dans l’illégalité avec les migrants, avec les détenus, en gros avec les pauvres, ceux dont il ne veut pas s’occuper, qui lui coûtent un fric de dingue (sic !). Les juges établissent un détournement de fonds et c’est un déni de démocratie ! Etc.

Qui est la femme qui commet l’adultère sans homme ? Elle écoute la voix de sa conscience et secourt les opprimés de la loi, conteste les injustices légales et les mensonges des puissants - la soi-disant dictature des juges, pratique une religion où le Dieu d’amour n’est pas la caution de nos refus d’aimer chacun, tous, à commencer par ceux qui sont piétinés, criminels d’être pauvres. Il n’y a pas besoin d’être Michel Foucault pour savoir que la prison regroupe, dans une proportion sans rapport avec la société, les délits et crimes des classes défavorisées, moyen légal d’exclusion.

La femme sans homme est le double de Jésus, accusée à sa place. Est-ce pour cela que Jésus se baisse, assis dans son ombre ? Par sa pratique de l’amour, elle recadre la loi. Non pas une lettre qui tue, mais, dessiné dans la glaise du sol, le projet de Dieu : Je veux que tu vives.

Si Jésus écrit sur le sol et non sur des tables de pierre, c’est parce que même la loi n’est pas un absolu, ou plutôt, que faire la loi dure comme pierre ‑ dura lex sed lex ‑, réduire celui qui l’enfreindrait à son délit ou crime, détruit l’œuvre créatrice, détruit l’homme, la femme, l’enfant. Alors Jésus reprend dès le commencement : du sol, il façonne à l’image et ressemblance.

Dieu est créateur non pas au début, pour expliquer pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien. Il crée dans un présent éternel, il est le présent, le don, éternel, qui ne cesse d’écrire une histoire malléable sur le sol. La dureté de la pierre où l’on inscrit la loi peut tuer autant qu’une lapidation.

Et que l’on ne vienne pas crier au laxisme, à l’injustice, à la société permissive. Même les accusateurs de la femme et de Jésus le savent. Personne n’échappe au mal commis, Tous, en commençant par les plus âgés, se retirent. Tous donc, sont susceptibles de la grâce que rend possible la glaise malléable où est modelé l’homme nouveau, l’homme et la femme pardonnés, justifiés, qui ne pêchent plus.


Bruegel l'ancien, 1565

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