Nous lisons dans le Missel romain l’oraison après la communion suivante : « Par la communion à ce sacrement, comble notre soif et notre faim de toi ». Ne serait-il pas plus juste de dire : « Par la communion à ce sacrement, comble notre soif et notre faim de toi » ?
Dieu nous comble-t-il ou nous manque-t-il. Le supplions-nous de nous combler ou de nous donner toujours faim et soif de lui ? S’il comble, n’est-ce pas l’idole qui bouche le trou, qui obstrue, rend obèse ? Faire de la présence une idole, ce pourrait bien être une maladie de la "vie spirituelle", comme l’on dit. Mais si la soif est avivée, alors ce n’est pas de présence qu’il s’agit mais de manque.
L’aventure avec Dieu comme comblement ou comme manque, comme rassasiement ou comme désir ? Se dessine deux manières de se penser et se vivre devant Dieu. Je sais quel camp j’ai choisi, ou plutôt, quel camp m’a choisi. Thérèse est une femme du manque et de la soif ardente.
Juste avant la relation de la transverbération, on lit : « Je me sentais mourir du désir de voir Dieu et je ne savais où chercher la vie dont j’avais soif, si ce n’est dans la mort. [Des transports d’amour] me réduisaient à ne savoir que devenir. Rien ne pouvait me satisfaire ; j’étais comme hors de moi et véritablement il me semblait que l’on m’arrachait l’âme. [Seigneur…] tu te cachais de moi et en même temps ton amour me réduisait à une mort si savoureuse que mon âme aurait voulu jamais en sortir. » (Livre de la vie 29, 8)
Thérèse manque de Dieu et ne s’en console pas. Dieu n’est pas là, mais elle ne peut l’accepter.
Lors d’un échange il y a quelques semaines, avant la messe, un détenu me dit combien la séparation d’avec sa femme et ses enfants est une torture. Mais il ne peut s’empêcher de penser à eux. Plus que cela, penser à eux est à la fois une torture et la suavité la plus douce.
Il me faisait comprendre la transverbération. « Je voyais entre les mains de l’ange un long dard qui était d’or et dont la pointe de fer portait à son extrémité un peu de feu. Parfois, il me semblait qu’il passait ce dard au travers du cœur et l’enfonçait jusqu’aux entrailles. Quand il le retirait, on aurait dit que le fer les emportait après lui, et je restais tout embrasée du plus grand amour de Dieu. La douleur était si intense qu’elle me faisait pousser ces faibles plaintes dont j’ai parlé. Mais en même temps, la douceur causée par cette indicible douleur est si excessive, qu’on aurait garde d’en appeler la fin, et l’âme ne peut se contenter de rien qui soit moins que Dieu même. Cette souffrance n’est pas corporelle, mais spirituelle ; er pourtant, le corps n’est pas sans y participer un peu, et même beaucoup. » (Ib, 29,13)
Dieu est absent de notre monde. Il n’est plus celui qui intervient à main forte et bras étendu, si jamais il l’a été. Son silence à Auschwitz, au Rwanda, à Gaza, au Soudan, dans les embarcations de migrants englouties par les mers, la fin du monde enchanté, magique – et c’est une délivrance – nous laissent avec le manque et la soif. Comme Thérèse, nous ne pouvons nous satisfaire dans son absence, douleur intenable. Penser à lui, comme en notre mémoire dirait Augustin est une sensation aussi douce que terrible.
Impossible de le tenir, le savoir présent. Nous éprouvons sa perte. Il faudrait ne pas habiter ce monde et ses rues, mais une citadelle retranchée, une contre-culture défensive, en surplomb, pour le vivre présent.
Dans son absence et la douloureuse douceur de notre soif de lui, Jésus « bon compagnon » indique, est, un chemin. Thérèse ne cesse de le dire par ailleurs.
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