Les propos de Jésus sont extrêmes. Si ton œil t’entraîne au péché, arrache-le ! Ce qui est curieux, c’est que pour les disciples, l’exigence est sans limite et pour ceux qui ne sont pas disciples, l’accueil est sans limite aussi : qui n’est pas contre nous est pour nous. Dans ces conditions, on pourrait se demander quel intérêt il y a à être disciple. Mieux vaut finalement ne pas être disciple et simplement ne pas être contre Jésus, mieux vaut tacher de vivre bien, selon la voix de la conscience, et ne pas entrer dans le groupe des disciples où la loi de l’Eglise et celle de Jésus sont un fardeau insupportable.
Parler ainsi, me laisse cependant sur un sentiment partagé. En lecteur de Nietzsche, j’entends du ressentiment. Comme si cela nous cassait les pieds d’être disciples. Comme si parce que nous en suons à suivre Jésus, nous exigerions de tous la même discipline, et serions jaloux de la magnanimité de Jésus vis-à-vis de ceux du dehors. Le ressentiment est toujours mesquin, expression d’un esprit petit, rabougri. Si suivre Jésus est un pensum, c’est que nous n’avons pas compris ce qu’était la vie du disciple et donc ce que le maître propose : Je vous dis tout cela pour que ma joie soit en vous et que vous soyez comblés de joie. Ou comme le dit Bonhoeffer, « Dieu ne nous demandera pas si nous avons été [chrétiens], mais si nous avons fait sa volonté. Il posera cette question à tout le monde, à nous aussi. Les limites de l’Eglise ne sont pas celles d’un privilège, ce sont celles du choix et de la vocation de Dieu, par grâce. […] Paul se voit obligé d’envisager comme possible que les œuvres de l’amour chrétien elles-mêmes, l’abandon des biens et jusqu’au martyre, puissent être accomplies sans amour, sans le Christ, sans le Saint-Esprit. […] C’est la possibilité la plus profonde, la plus inconcevable du pouvoir satanique dans l’Eglise. » (Vivre en disciples, p. 160-161)
Il se pourrait que ces quelques versets de l’évangile nous invitent à nous mêler de ce qui nous regarde plutôt que de nous occuper du sort des autres. Tu es disciple, occupe-toi de ce qui te concerne ; apprends le bonheur d’être disciple ; ne te mêle pas de vouloir régimenter toutes choses, de vouloir imposer la loi et la morale des disciples au dehors.
Alors, puisque nous sommes disciples, occupons-nous de ce qui est dit aux disciples. Qu’en est-il exactement de l’exigence radicale de l’évangile ? Nous sommes bien obligés de constater que personne n’applique à la lettre la parole évangélique. Ou alors, il n’y a que des saints parmi nous, jamais tentés par l’œil, la main, le pied ! On peut penser que notre assemblée devrait plutôt être un rassemblement de borgnes, de manchots et d’estropiés ! Et « si on disait : il ne s’agit évidemment pas de prendre tout cela à la lettre, nous aurions dès lors échappés au sérieux du commandement ». (Ib. p. 107)
Peut-être n’y a-t-il que l’extravagance pour dire la vie des disciples. Je ne dis pas que nous devrions nous arracher un œil, mais si le débordement, le surplus, le sans pourquoi nous habitait, peut-être être disciple interrogerait. Impossible de croiser un cul-de-jatte sans le repérer. Si facile de croiser un disciple sans le repérer. Je ne parle pas de prosélytisme, de campagne de pub. Ce n’est pas notre extravagance, mais celle de la grâce qui nous appelle qui brouille les repères du monde, non parce qu’ils seraient méprisables, mais parce qu’il y a tellement et encore mieux dans l’excès de la grâce.
La logique du monde est une chose, souvent honorable et respectable. La logique des disciples est l’amour qu’ils ont reçu de celui qui le premier les a aimés. Plus rien ne compte alors, ni œil, ni bras, ni pied, mais lui, qui confère une joie non pas meilleure, plus grande, mais une joie que l’on ne peut pas comparer, la joie d’être les amis de Dieu lui-même, les amis du Dieu philanthrope.
C’est pour cela que nous sommes disciples. Non pas pour avoir une loi plus rigide, plus exigeante, mais pour l’amour de lui, à savoir ce que nous essayons de vivre en réponse à l’amour qui nous a été annoncé et auquel nous avons cru.
Si jamais dans ta vie, tu n’es prêt à la folie de l’amoureux, tu es bien à plaindre. Si jamais dans ta foi, tu n’es prêt à la folie de l’amoureux, à l’extravagance, extrême, de ce que parfois tu perçois l’amour de Dieu comme plus important que tout, alors, pourquoi donc encore être disciple. Se convertir, dans la radicalité de l’évangile, c’est apprendre la discipline du Christ comme chemin d’un bonheur sans pareil. Tu vois ce que c’est que d’être fou amoureux, quelle joie, quelle folie. C’est immense et beau. Etre fou amoureux du Dieu qui le premier nous a aimés, de celui qui veut nous combler de joie ne peut se dire que dans l’extravagance extrême. C’est extravagant parce que cela ne va pas de soi d’aimer Dieu, que de croire que Dieu nous aime. (Cf. ib. 124)
Et lorsque ta vie, comme toute vie, est confrontée à la mort, au renoncement du choix, alors, c’est aussi radical, c’est l’œil ou le pied arrachés, expressions insensées qu’il faut bien pourtant dire pour tacher de rendre compte, ne serait-ce qu’à soi-même, de la philanthropie (Tt 3,4) divine et de notre foi, la réponse à son amour.
« Ce qui fait de [quelqu’un] un disciple, ce n’est pas une nouvelle échelle de valeurs appliquée à sa vie, c’est tout simplement Jésus-Christ. » (151)
Textes du 26ème dimanche B : Nb 11, 25-29 ; Jc 5, 1-6 ; Mc 9, 38-48
Ce qui me frappe dans cet évangile, c'est l'incarnation extraordinaire de Dieu. Il s'agit de main, de pied, d'oeil, des parties non pas vitales mais essentielle à une vie parfaite sous le soleil. Et justement, si nous avons la chance de vivre âgé, nous éprouverons sans doute la perte des sens et des membres. Peu à peu, la corruption gagnera cette chair périssable, peu à peu nous deviendrons aveugles et paralysés. Dans cet appel à la vie amoureuse, auquel je souscris sans réserve, il est aussi dit que notre sainteté n'est pas liée à notre perfection corporelle. "Il vaut mieux entrer manchot, borgne, estropié dans le royaume de Dieu..." Oui, nos corps brisé par la mort seront glorifiés dans les cieux.
RépondreSupprimerJe ne suis pas certain de comprendre. Ici, c'est le corps de l'homme dont il s'agit, pas celui de Dieu. D'autre part, qui pense que la sainteté a rapport avec l'intégrité du corps? Personne, sauf peut-être ceux qui vouent un culte au corps, mais justement, pas sûr que cela ait un rapport avec la sainteté. Je n'arrive pas à voir comment une réflexion sur le corps permet de mieux comprendre ce texte. Les parties du corps désignées sont celles avec lesquelles il est possible d'être pécheur et j'opterais plutôt pour une expression métonymique. Qu'est-ce que c'est le péché de l'oeil? Par exemple ce qui est du côté de l'envie ou du non respect de l'autre. Bref ce qui par l'oeil coupe du frère ou de Dieu. Alors il faut couper ce qui coupe.
RépondreSupprimerOn a trois fois le même raisonnement, genre littéraire bien attesté, comme dans les contes, pour faire monter au comble l'histoire, et l'on finit justement par l'oeil qui est comme la lampe de l'homme.
L'accumulation des trois organes va dans le sens de l'extravagance.
Enfin, il me semble
En lisant l'évangile du 27ème dimanche, on est frappé par la juxtaposition de la suite de l'exigence extravagante avec les propos de Jésus sur le divorce (les historiens disent que c'est une originalité de Jésus) et l'accueil des enfants.
RépondreSupprimerComme si l'outrance des propos sur l'amputation (26ème dimanche) et sur l'interdit du divorce (27ème dimanche) culminait dans l'accueil des enfants. Or à quoi ressemblent ceux qui leur ressemblent? A ceux qui s'en remettent. Comme si l'exigence de la loi aboutissait à l'extravagance et qu'il ne restait qu'à s'en remettre simplement, comme un enfant. Ce qui, pour un adulte, est peut-être encore plus extravagant...