03/10/2009

Il n'est pas bon que l'homme soit seul (27ème dimanche)

A en croire les historiens, le propos de Jésus contre le divorce est tout à fait original, en rupture avec les pratiques tant juives que païennes du premier siècle. On ne peut donc guère ne pas en tenir compte. Pour le comprendre on doit évidemment le situer à la suite de ce que nous avons entendu la semaine dernière, l’exagération extravagante de la discipline de ceux qui suivent Jésus, une hyperbole qui cherche à dire ce qui ne saurait être dit par une simple description. Rappelez-vous, en prenant à la lettre la radicalité des propos de Jésus qui invitait à ce que l’on s’arrache un œil ou se coupe une main plutôt que de pécher, j’avais souligné la rupture de la vie des disciples en raison de la folie d’un amour, celui du Dieu philanthrope.

Ce qui motive, d’après le livre de la Genèse, la décision de Dieu de faire à l’homme une aide qui lui soit assortie c’est qu’« il n’est pas bon que l’homme soit seul ». Comprend-on quoi que ce soit à ce qu’est l’homme (avant de parler du mariage et du divorce), en dehors de ce constat qu’il faut faire entendre par exemple aux partisans trop zélés du célibat : « il n’est pas bon que l’homme soit seul » ? Il s’agit d’une déclaration anthropologique fondamentale. Si l’on s’appuie sur le Genèse pour interdire le divorce, il faudrait alors dans le même temps justifier la contradiction entre le fait qu’il n’est pas bon que l’homme soit seul et le célibat imposé aux clercs.

Qui est cet autre qui fait que l’homme n’est pas seul ? C’est le même, pas un animal quelconque, mais « pour de vrai, l’os de mes os et la chair de ma chair ».

Que l’autre se dise par le même, c’est une chose bien connue, et Platon a construit là- dessus une partie de sa réflexion et de sa lutte contre les beaux parleurs. Nous le savons tous ; pour décrire quoi que ce soit, nous avons besoin de le comparer. A la fois, le crayon que je cherche est autre que celui auquel je le compare, et pourtant il est semblable, il est identique ou même, puisque je veux par là t’indiquer ce que je cherche.

Dans le la Genèse, l’altérité se dit par le fait d’être semblable, et être soi-même pour l’homme passe par l’altérité avec ce qui pourtant lui est semblable. Comment la rencontre de l’autre respectera-t-elle son altérité inassimilable et permettra à chacun de rencontrer le semblable pour être soi-même, enfin plus seul ?

Il ne suffit pas d’être marié, un homme une femme, pour vivre l’altérité telle que la Genèse la décrit. Bien des couples, sans doute plus souvent les hommes, oublient l’altérité de l’autre. Il ne suffit pas d’être un homme et une femme pour vivre le projet de Dieu sur l’homme et la femme ! Et lorsque les discours moraux se mettent en chasse de l’homosexualité sous prétexte qu’elle serait négation de l’altérité, il faut que leurs auteurs soient aveugles et aient la mémoire bien courte. Dans l’histoire, et quoi qu’on dise encore aujourd’hui, dans combien de couples l’altérité est-elle respectée ‑ ce que l’on appelle la chasteté, je crois ‑ ? Combien de fois la femme était, et est encore, réduite à bobonne, juste capable de se taire et de prendre sur elle ? De quelle altérité parle-t-on ? Il faudrait être bien bêtement matérialiste pour rabattre l’altérité homme femme sur la seule différence morphologique ! En tout cas, il est des relations homosexuelles où l’équilibre altérité-identité est vécu et parfois, peut-être rarement, bien mieux que dans des couples homme-femme.

La sexualité appelle la différence autant qu’elle peut la détruire, la bouffer. S’il est inepte selon certains de parler d’homosexualité, comme contradiction dans les termes, cela l’est autant, comme pléonasme, de parler d’hétérosexualité. Vivre l’altérité dans l’égalité est un exercice de haute voltige, d’équilibriste, pour tout le monde.

Les propos de Jésus sur le divorce se comprennent selon cet appel anthropologique au respect de l’altérité au moment même de la reconnaissance de ce qu’un semblable, c’est-à-dire un autre, est à mes côtés. C’est la même dignité, la même humanité de l’un et l’autre ; c’est l’altérité de l’autre qui n’est jamais moi ni ne devrait jamais pouvoir être mon objet.

Oui à l’interdiction du divorce pour plein de raisons, et en premier lieu peut-être pour les enfants, ce dont ne parle pas Jésus ; nous connaissons ceci dit trop de cas où même pour les enfants, le divorce est la solution la moins pire. Y a-t-il d’ailleurs mariage quand l’altérité est bafouée si ce qui justifie la non répudiation, c’est le texte de la Genèse, c’est-à-dire cet équilibre, qui comme tout est équilibre est par définition instable, du semblable et de l’altérité ?

Faut-il comprendre l’interdiction du divorce comme un absolu, c’est-à-dire un en soi, déconnecté du reste, par exemple du contexte, ou comme l’exigence radicale, extravagante, à creuser l’altérité dans une rencontre qui offre à chacun de devenir plus lui-même ?

Texte du 27ème dimanche B : Gn 2, 18b-24 ; He 2 ,9-11 ; Mc 10, 2-16

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