05/10/2011

La fin de la sécularisation ?

Suite aux JMJ madrilènes, sans doute emporté par un enthousiasme aussi compréhensible que peu réfléchi, un des responsables locaux de l’événement déclare dans La Croix du 16 août : « Ces journées vont marquer la fin d’une époque : celle de la sécularisation de notre société ».

C’est n’avoir rien compris à ce qu’est la sécularisation ; c’est ainsi passer à côté de ce qu’est la culture occidentale contemporaine. On peut sans doute se lever contre cette culture, voire la considérer comme non-culture, mais imaginer que l’on pourrait en stopper le mouvement de fond suffirait à vous discréditer à tout jamais et l’on s’étonne que des personnes portées par autant de naïveté ou de refus de voir la réalité, occupent des postes de responsabilité dans l’Eglise. A moins que ce ne soit pour tenir un discours idéologique, contre les faits, qu’elles n’occupent ces postes.

Je ne vais pas refaire ici une analyse de ce qu’est la sécularisation. Même de façon diverse voire contradictoire, elle est suffisamment décrite, y compris par des théologiens ou évêques, y compris par des discours théologiques et pastoraux. Je pose la question contre laquelle semble buter les espoirs fous de notre homme.

Si la sécularisation est inexorable, si on ne peut envisager voir sa fin, quelle chance reste-t-il à l’Eglise ou à l’Evangile ? A l’Eglise, pour le dire tout net, si elle n’accepte pas de changer son regard sur la société moderne, il ne lui reste d’autre avenir que celui d’une secte. Et l’on dirait qu’ils sont nombreux les responsables ecclésiastiques, notamment parmi les plus en vue, qui s’emploient à la sectarisation de l’Eglise.

L’Evangile réchappera-t-il au naufrage annoncé de l’Eglise ? Le pire n’est pas toujours sûr et la force de conversion de l’évangile, une fois encore, pourrait toucher l’Eglise elle-même. Si nous acceptons de ne pas défendre des positions (territoriales mais surtout idéologiques) mais de tout perdre ‑ car celui qui veut sauver sa vie la perdra, à commencer par l’Eglise – alors tout n’est pas perdu. Si nous acceptons de persévérer dans le service des frères, à commencer par les plus pauvres, comme le fait nombre de chrétiens, à titre personnel et/ou dans des institutions ecclésiales, alors tout n’est pas perdu. Si le Seigneur a été rejeté et a connu la mort, l’Eglise pourrait-elle rêver pour elle-même d’autres chemins ? Elle se mentirait et trahirait son Seigneur. La victoire de la résurrection n’appartient à ce monde que sous la forme des arrhes de l’Esprit.

Déjà en 1987, le Cardinal Kasper écrivait : « Partout l’Eglise est devenue plus ou moins une Eglise dans la diaspora du monde moderne, et cette diaspora, qui est la situation ordinaire de l’Eglise […] elle doit l’accepter dans l’obéissance comme le moment historique que le Seigneur a disposé pour elle. En un certain sens, cette situation est même plus conforme à ce qu’est l’Eglise que celle où Eglise et société se recouvrent. Dans cette perspective, le Moyen Age représente davantage l’exception que la norme et la règle. [1]

Dans une société pluraliste, personne ne peut plus imposer des repères au nom de son autorité ou d’une révélation. Ce que l’on peut faire, plutôt que de se lamenter, c’est éduquer les uns et les autres à ce qu’ils puissent se forger des repères ou accueillir des repères raisonnables. Non que ces repères devraient être réduits à ce qu’une humanité seulement humaine ‑ trop humaine ‑ pourrait concevoir. Mais ces repères doivent pouvoir apparaître, dans leur extravagance même, le cas échéant, susceptibles de conduire l’humanité sur les chemins de la vie en abondance, celle que dans la foi, on nomme divinisation. Qui dit éducation, dit tâche à sans cesse recommencer, jamais achevée, peu capitalisable.

Il y a nécessité à faire entendre dans la société la bonne nouvelle de l’évangile ; c’est notre devoir de disciples et un droit pour tout homme. Que l’évangile soit accueilli ou non, ce n’est pas notre affaire, si ce n’est pour nous inviter à toujours plus d’écoute de ceux auxquels nous voulons nous adresser. Nous devons faire en sorte de ne rien trahir de l’évangile et cependant ôter tout ce qui dans notre discours le rend inaudible avant même que nous n’ayons ouvert la bouche. Cela nous mènera sur des chemins que nous ne pouvons pas prévoir. Un autre te mettra ta ceinture (Jn 21,18). Certains payent le prix du martyre, mais avant d’en venir là, et de façon générale, nous devons commencer par consentir à notre propre conversion, abandonner nos certitudes, celles qui nous rendent inaptes à faire résonner la parole de vie dont pourtant nous sommes les dépositaires comme baptisés-confirmés, comme Eglise. Avant d’aller au bras de force avec la société, avant d’aller fanatiquement ou bêtement au casse-pipe, il y a à concéder que nous sommes parfois plus attachés à telle pratique qu’à l’évangile. La réforme est urgente, je n’y reviens pas une fois de plus. On n’est juste étonné, puis scandalisé, de ce que les responsables l’empêchent malgré les nombreux appels que ne cesse de susciter le sensus fidei. Vous annulez la parole de Dieu au profit de votre tradition (Mt 15,6).

L’annonce de l’évangile n’est pas proportionnelle au nombre de chrétiens. Au contraire, rarement autant qu’aujourd’hui et comme aux premiers siècles, on annonce l’évangile. Il n’était‑ quel malheur ! – plus à annoncer quand on croyait que tous étaient chrétiens. Avec les hommes de bonne volonté, avec les croyants d’autres religions, nous pourrons nous mettre d’accord sur ce qui semble raisonnable pour le vivre ensemble, pour limiter la violence et les injustices. Et cela ne marchera pas forcément plus mal qu’en des époques très chrétiennes qui n’ont pas été épargnées par les pires crimes, commis, par la force des choses, par des chrétiens.

Nous avons notre grain de sel à mettre dans ce monde qui demeure celui de l’injustice, de l’inhumain (Cf. Mt 5,13). Et si le sel de la terre relève le goût de l’humanité, le commandement du Seigneur de faire entendre à tous son amour n’aura-t-il pas été respecté ? Comme se plaît à le dire l’évêque émérite de Poitiers, si tout le plat est sel, il est immangeable. Le sel ne se montre pas, ne se voit pas dans le plat. Dès qu’on l’a oublié, tous voient le problème.

Il ne s’agit pas plus de montrer ses légions que de refuser une certaine visibilité. Cela non plus n’importe pas. Il ne s’agit pas de déserter ce monde sous prétexte que la sécularisation est très avancée, il vaudrait d’ailleurs mieux dire, sous prétexte que la déchristianisation est un fait avéré. L’Eglise a sa forme normale, naturelle oserai-je dire histoire de provoquer les défenseurs de la loi naturelle, comme diaspora. Il ne s’agit pas de se réfugier dans une bastide fortifiée. Il ne s’agit pas non plus de baisser les bras et de cesser d’annoncer l’évangile. Cherchez d’abord le Royaume et sa justice et le reste vous sera donné par surcroît (Mt 6,33).



[1] W. Kasper, La théologie et l’Eglise, Cerf, Paris 1990, p. 194.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire