14/10/2011

Rendez à César ce qui est à César (29ème dimanche)

A Dieu ce qui est à Dieu, à César, ce qui est à César. Il importe de ne pas tout mélanger. Dieu n’est pas à mettre à toutes les sauces.
Une première distinction se fait entre Dieu et la nature. Il n’y a aucune démesure à explorer la nature ; on ne commet aucun sacrilège à enquêter scientifiquement. Certes, la science moderne a eu un peu de mal à exister face à la foi. Mais ce n’est pas tant la science qui posait problème, dans l’affaire Galilée par exemple, que les conséquences quant à la vision du monde. Depuis, le concile Vatican II a reconnu une saine autonomie des réalités terrestres. Dieu n’intervient pas en science, il n’intervient pas dans ce qui relève de l’observable, du réitérable, du mathématisable.
Si nous sommes d’accord sur le principe, pas sûr que nous le soyons toujours dans le détail. Car si l’action de Dieu dans le monde n’est pas repérable, observable, cela ne signifie-t-il pas que Dieu n’agit pas dans le monde ?
Une deuxième distinction se fait entre Dieu et la politique. Le proverbe de Jésus s’y réfère explicitement. On ne peut mélanger Dieu et César, les religions et l’Etat. Il a fallu du temps pour en venir là. La mort du roi en 1793 est peut-être un crime, mais pas un sacrilège. La loi de 1905 alors perçue comme discriminatoire par les catholiques n’est plus aujourd’hui remise en cause dans son principe. Le dernier concile reconnaît aussi la juste autonomie des sociétés dans leur fonctionnement.
Une troisième distinction doit être avancée, entre Dieu et la religion. On pourrait traduire ainsi le proverbe de Jésus : Rendez à Dieu ce qui est à Dieu et au Pape ce qui est au Pape. Je vois que l’on pourrait résister d’avantage. Et pourtant, c’est bien sous ce régime que nous vivons. La contestation de l’autorité religieuse n’est plus un sacrilège. Lequel d’entre vous n’a jamais contesté son curé ? (Certes, il est toujours plus facile de respecter l’autorité du Pape que celle de son curé, les questions paroissiales étant tellement hors de prise du Pape que l’on ne craint pas trop qu’il s’y immisce. On est déjà un peu moins prompt à défendre l’autorité des évêques lorsqu’ils sont trop à gauche, comme dans les années 80, ou trop à droite comme aujourd’hui.)
En outre, peut-on parler d’autorité religieuse ? Celui d’entre vous qui veut être votre le premier devra être le serviteur et l’esclave de tous. C’est Jésus lui-même qui sort la foi de la religion, contestant l’institution du temple, les sacrifices et le sacerdoce.
Parce que le culte véritable, c’est le service du frère, parce que la louange véritable rendue à Dieu, c’est l’amour du frère, le religieux est lui-même renversé par l’évangile. Ou du moins, il en est distingué et laissé à d’autres. Les premiers chrétiens le savaient bien qui n’ont pas cherché à s’organiser sur un modèle religieux. Pourquoi, par exemple, retenir, encore au IVe siècle le plan basilical, c’est-à-dire profane, pour les églises, et non le plan des temples religieux ? Le christianisme ne se comprend pas comme une religion, ou du moins, ne peut s’exprimer dans les cadres religieux classiques, comme la séparation entre les prêtres et les autres, entre le pur et l’impur, la sainteté et le reste. Dans la basilique, tous peuvent entrer et s’installer et il n’y a pas de séparation entre les espaces donc entre les personnes. La basilique exprime l’égalité du nouveau peuple de Dieu, à la différence des religions.
Ces trois distinctions, naturelle, politique et religieuse, sont les plus évidentes au cours des siècles. On devrait aussi évoquer la morale car l’on ne saurait faire de Dieu l’adjuvant de l’éducation, par exemple. Rendez à Dieu ce qui est à Dieu et aux parents ce qui est aux parents. Que les parents ne se prennent pas pour Dieu ou, ce qui revient au même, ne se servent pas de l’autorité de Dieu pour pallier leur carence d’autorité. Qui a lu Sartres ou vu les films d’Almodovar connaît les dégâts de la confusion.
Et cependant, le proverbe de Jésus ne convient pas. Car si l’on ne peut pas mélanger Dieu et César, on ne peut non plus les séparer, les opposer. J’aurais plutôt dû parler de refus de mélanger que de distinction entre Dieu et la nature, Dieu et l’Etat, la religion et la morale.
On entend sans cesse dire, et même parmi les chrétiens, que la religion est affaire privée et qu’elle ne concerne donc pas la vie sociale, publique. Mais enfin, si la vie chrétienne ne permet pas de changer le monde, si la vie chrétienne n’est pas affaire ecclésiale mais seulement personnelle ou privée, elle n’a pas de sens. Elle est au mieux une coquetterie, au pire une névrose ou un substitut identitaire d’autant plus dangereux qu’il est irrationnel.
L’évangile a quelque chose à dire et du sens de nos recherches scientifiques, de notre curiosité quant à la nature, et de la vie en société notamment à travers ses institutions politiques, et de la religion, et de l’éducation. Jamais l’évangile n’est hors jeu et ne peut être cantonné dans une sacristie. Ainsi donc, on ne saurait rendre à Dieu ce qui est à Dieu et à César ce qui est à César. Ce serait bâillonner l’évangile, empêcher la bonne nouvelle de féconder nos vies. Et c’est précisément ce que les laïcistes concèdent, que la religion soit affaire privée : elle ne pourrait exister qu’à ne pas se montrer.
Alors que penser ? Contradiction ? Non bien sûr. Sans mélange ne signifie pas avec distinction au sens de séparation étanche. Sans distinction ne signifie pas inversement confusément. Il faut dire ensemble sans division ni séparation, sans mélange ni confusion. Les quatre termes sont ceux que le concile de Chalcédoine en 451 utilisait pour parler des deux natures de Jésus. Il est homme et Dieu sans division ni séparation, sans mélange ni confusion.
Quoi d’étonnant à ce que notre manière de vivre l’évangile dans le monde soit modelée sur l’identité même de Jésus, lui, la Bonne Nouvelle pour notre temps ?

Is 1 45,1-6 ; Th 1,1-5 ; Mt 22, 15-21

Seigneur, donne à ton Eglise le courage de la mission. Qu'elle soit prête à se renouveler au contact de ceux qui, par son annonce, découvrent l'évangile.
Seigneur, donne aux peuples de la terre le courage de la différence. Qu'ils soient prêts à respecter en leur sein les différentes religions. Que personne ne prenne prétexte de ces différences pour exclure ou mépriser qui que ce soit.
Seigneur, donne à nos sociétés déchristianisées le courage de s'interroger, de rester curieuses de tout ce qui fait l'homme, y compris sa quête religieuse et spirituelle. Que la séparation des Eglises et de l'Etat, que la laïcité, ne soient pas le prétexte à l'ignorance de l'évangile.
Seigneur, donne aux membres de notre communauté le courage de la mission. Que nous soyons prêts à annoncer le bonne nouvelle, non par une campagne de pub, mais comme le secret partagé d'un amour.

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