07/10/2011

Lumen gentium : qu'est-ce que l'Eglise ? (50 ans Vat II n°2)

1. Regard (trop rapide) sur l’avant Vatican II

Pour la première fois lors d’un concile, on s’interroge sur ce qu’est l’Eglise. Certes on en avait déjà parlé, mais indirectement. Les Ecritures et les Pères la présentent en dépendance du Christ, comme son corps ; le Moyen Âge adopte un point de vue juridique traitant des pouvoirs dans l’Eglise et entre l’Eglise et les Etats. La Réforme protestante, au début du XVIe, puis la science rendent nécessaire une apologétique, démonstration que la véritable Eglise est l’Eglise romaine et défense de cette Eglise comme instance ultime de vérité.

Peu à peu, se forge une formule sans cesse reprise : l’Eglise est une société parfaite et hiérarchique, c’est-à-dire inégalitaire. Pour qui n’est pas spécialiste, le faux sens est assuré (parfaite signifie complète, c’est-à-dire autonome et libre par rapport aux Etats). Le pape, vicaire du Christ, concentre tous les pouvoirs et résume l’Eglise à lui seul, surtout depuis la définition de son infaillibilité à Vatican I (1870). L’Eglise se réduit à la hiérarchie et sa théologie à une « hiérarchologie », fondée sur la distinction juridique fondamentale entre clercs et laïcs.[1], les uns ayant des pouvoirs, les autres le devoir de s’y conformer.

Vatican I, interrompu par la guerre, laisse une œuvre inachevée et de ce fait déséquilibrée. Dès les années 1880, on cherche à revenir au mystère de l’Eglise (Cf. l’encyclique de Pie XII sur le corps mystique du Christ en 1943). On resitue surtout l’Eglise et la théologie dans l’histoire. Non, l’Eglise n’est pas sortie toute faite de la tête de Jésus qui a surtout annoncé le Royaume. L’institution des Douze exprime davantage l’identité de Jésus qui peut rassembler les enfants de Dieu dispersés que la préparation de sa succession.


2. La constitution dogmatique Lumen gentium (1964)

Paul VI pensait que l’axe majeur de la réflexion du concile était l’Eglise. De fait, presque tous les documents en parlent, à commencer par Lumen gentium et Gaudium et spes.

Les premiers mots de Lumen gentium désignent le Christ[2]. C’est lui la lumière des nations dont la clarté rejaillit sur l’Eglise. L’Eglise n’a de sens que référée au Christ et aux hommes : On ne peut en parler indépendamment de sa mission, qu’elle a reçu du Seigneur ; c’est lui qui la tourne vers le monde pour l’annonce de l’Evangile (Cf. Mc 16,15).

L’Eglise et le monde, l’humanité, ne sont pas en opposition ou en conflit comme deux sociétés ou cités rivales. Le rapport est de compénétration ; il est service de l’humanité. L’Eglise est sacrement du salut ; cela veut dire qu’elle indique la vocation de l’humanité et participe à la réalisation de cette vocation, la sainteté, dont elle-même est bénéficiaire. Certes, elle demeure toujours à réformer à cause du péché. Par elle et en elle, tous sont appelés à la sainteté c’est-à-dire au salut (1 Tm 2,4 cité § 16)[3]. C’est la vocation universelle à la sainteté.

De nombreuses expressions scripturaires décrivent l’Eglise ; les plus importantes la structurent trinitairement : peuple de Dieu, corps du Christ, temple de l’Esprit. L’Eglise tire son unification de l’unité du Père, du Fils et de l’Esprit (St Cyprien) pour être envoyée par le Père comme le Fils et l’Esprit. Communion et mission (appel et envoi) sont toujours liés.

Le plan du texte et son évolution au cours des débats montrent la réorientation voulue de la théologie de l’Eglise. On part du peuple de Dieu avant de parler de son organisation, avec des ministères comme autant de services. Tous, à égalité, ministres et laïcs, forment le peuple sacerdotal, chargé de la louange et partagent le sens de la foi[4] par lequel le Christ est annoncé et cherché en vérité. Les religieux et religieuses, par une sorte de radicalité baptismale, témoignent de la vocation à la sainteté. Pour finir, Marie apparaît comme le modèle de l’Eglise ; réintégrée dans l’histoire du peuple de Dieu et non absolutisée, elle est toujours comprise par rapport à son Fils et Seigneur et ne fait que renvoyer à lui.

L’Eglise romaine n’est plus purement et simplement identifiée à l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique. La véritable Eglise subsiste dans[5] l’Eglise catholique ; l’enjeu œcuménique de la formule est immense. De même l’Eglise ne coïncide pas avec le Royaume ; elle l’annonce, marche vers lui et trouve en lui son terme, vie en Dieu, déjà-là et pas encore là.

« Eglise universelle » (ou catholique) signifie souvent l’Eglise quand on veut souligner le lien au Pape. Or « l’Eglise catholique existe dans et à partir » des Eglises locales (§ 23). Elle n’est pas une multinationale avec des succursales ; les évêques ne sont pas les représentants du Pape. Ils conduisent collégialement l’Eglise, dans la communion avec l’évêque de Rome, premier entre des égaux, qui veille à l’unité et à la charité (§ 22)[6]. L’épiscopat est pour la première fois défini comme un des degrés du sacrement de l’ordre. La collégialité, mieux la synodalité, avec des conseils, à l’instar des ordres religieux, dans les paroisses, dans les diocèses comme au niveau mondial, est le mode de délibération et de gouvernement de l’Eglise. Si elle n’est pas une démocratie, l’Eglise n’est pas non plus une autocratie.


3. Questions pour aller plus loin

Quelle conception de l’Eglise ressort de Lumen gentium ? Qu’en pensez-vous ?

Lire un peu plus largement les textes cités en note 2 à 4. Qu’en retenir ?

Comment percevez-vous le rapport Eglise catholique / autres confessions chrétiennes ?

Que signifient pour la vie de l’Eglise, pour la mission, et pour chaque chrétien le sacerdoce commun, la vocation universelle à la sainteté et le sens de la foi (sensus fidei) ?



[1] Pie XII, selon l’enseignement commun, écrit : « Par la volonté du Christ, les chrétiens sont divisés en deux ordres, celui des clercs et celui des laïcs. Par la même volonté a été constitué un double pouvoir sacré ; celui de l’ordre, celui de la juridiction. De plus, également par juridiction divine, on accède au pouvoir d’ordre ‑ celui qui fait la hiérarchie des évêques, prêtres et ministres – par la réception du sacrement de l’ordre ; quant au pouvoir de juridiction, il est directement en vertu du droit divin lui-même conféré au Pontife suprême, et aux évêques en vertu du même droit, mais uniquement par le Successeur de Pierre. » (Ad sinarum gentes, 7 oct 1954)

[2] « Le Christ est la lumière des peuples (lumen gentium) ; réuni dans l’Esprit Saint, le saint Concile souhaite donc ardemment, en annonçant à toutes les créatures la bonne nouvelle de l’Évangile répandre sur tous les hom-mes la clarté du Christ qui resplendit sur le visage de l’Église (cf. Mc 16, 15). L’Église étant, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain, elle se propose de mettre dans une plus vive lumière, pour ses fidèles et pour le monde en-tier, en se rattachant à l’enseignement des précédents Conciles, sa propre nature et sa mission universelle. » § 1

[3] « L’Eglise, dont le saint Concile présente le mystère, est, selon notre foi, indéfectiblement sainte. En effet, le Christ, Fils de Dieu, qui avec le Père et l’Esprit est célébré comme le « seul saint », a aimé l’Eglise comme son épouse, se livrant pour elle en vue de la sanctifier, et il se l’est unie comme son corps et l’a comblée du don de l’Esprit Saint, pour la gloire de Dieu. C’est pourquoi dans l’Eglise, tous, qu’ils appartiennent à la hiérarchie ou qu’ils soient conduits par elle, sont appelés à la sainteté, selon les paroles de l’Apôtre : « La volonté de Dieu, c’est notre sanctification ». Cette sainteté de l’Eglise se manifeste et doit se manifester sans cesse par les fruits de grâce que l’Esprit produit chez les fidèles ; elle s’exprime sous de multiples formes en chacun de ceux qui, dans la conduite de leur vie, tendent à la perfection de l’amour, en édifiant les autres. » § 39

[4] « Le Peuple saint de Dieu participe aussi de la fonction prophétique du Christ ; il répand son vivant témoi-gnage avant tout par une vie de foi et de charité, il offre à Dieu un sacrifice de louange, le fruit de lèvres qui cé-lèbrent son Nom (cf. He 13,15). La collectivité des fidèles, ayant l’onction qui vient du Saint (cf. 1 Jn 2, 20.27), ne peut pas se tromper dans la foi ; ce don particulier qu’elle possède, elle le manifeste moyennant le sens surnaturel de foi qui est celui du peuple tout entier, lorsque, « des évêques jusqu’aux derniers des fidèles laïcs » (St Augustin), elle apporte aux vérités concernant la foi et les mœurs un consentement universel. Grâce en effet à ce sens de la foi qui est éveillé et soutenu par l’Esprit de vérité, et sous la conduite du magistère sacré, pourvu qu’il lui obéisse fidèlement, le Peuple de Dieu reçoit non plus une parole humaine, mais véritablement la Parole de Dieu (cf.1 Th 2,13), il s’attache indéfectiblement à la foi transmise aux saints une fois pour toutes (cf. Jude 3), il y pénètre plus profondément par un jugement droit et la met plus parfaitement en œuvre dans sa vie. » § 12

[5] Cette expression (§8) a été voulue pour correspondre à l’abandon de formules employées par Pie XII dans Mystici corporis 5 et 6 (1943), identifiant le corps du Christ à l’Eglise catholique romaine. On peut l’entendre dans un sens large, inclusif : la véritable Eglise demeure dans l’Eglise catholique (sous-entendu : sans doute ailleurs aussi) ou dans un sens minimal, voire exclusif : c’est dans l’Eglise catholique que subsiste cette véritable Eglise (traduction du site web du Vatican). On obtient un équivalent du verbe être, écarté par les rédacteurs.

[6] La collégialité, qui rééquilibre l’unilatéralisme de Vatican I quant au pouvoir du Pape et renoue avec la plus antique tradition a paru contester la suprématie papale de sorte qu’à été imposée aux pères conciliaires une Note explicative en annexe à la constitution (d’où le faible poids juridique reconnu aux conférences épiscopales).

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