Il est curieux de trouver tant dans le Premier que dans le
Nouveau Testament le même type d’histoires, une sorte de jalousie, des membres responsables
du peuple de Dieu, ou du moins des membres repérés du peuple de Dieu, qui font
une crise parce que des personnes non-accréditées, selon eux, agissent comme
prophètes sans passer par leur groupe. Ils reprochent aux autres, en freelance,
de marcher sur leurs plates-bandes. On ne sait d’ailleurs s’il y a
effectivement concurrence entre Eldad et Medad et ceux qui avaient été
rassemblés par Moïse sous la tente de la rencontre (Nb 11, 25-29) ou entre les
Douze et celui qui expulse les démons au nom de Jésus sans être de ceux qui le
suivent (Mc 9, 38-48). Les uns et les autres, subalternes, se pensent propriétaire
de la mission. C’est le syndrome du caporal-chef. Il a à peine un galon à l’épaule
qu’il se prend pour le chef et veut tout diriger. Cela n’existe pas que dans l’Eglise
ou le judaïsme. C’est de toujours. Cela n’en est pas moins insupportable.
La logique de l’institution est inscrite depuis longtemps
dans les Ecritures. Depuis aussi longtemps, c’est pour être critiquée, ou du
moins rendue à sa vanité. Josué comme Jean se font remettre gentiment à leur
place. « Serais-tu jaloux pour moi ? Ah ! Si le Seigneur pouvait
faire de tout son peuple un peuple de prophètes ! »
La réponse de Jésus est plus saignante et d’une actualité à
couper le souffle. Avant de vous préoccuper de qui est habilité ou non,
gardez-vous de ne provoquer aucun scandale. On dirait ces versets écrits pour
aujourd’hui ! « Car celui qui fait un miracle en mon nom ne peut pas,
aussitôt après, mal parler de moi ; celui qui n’est pas contre nous est
pour nous. Et celui qui vous donnera un verre d’eau au nom de votre
appartenance au Christ, amen, je vous le dis, il ne restera pas sans
récompense. Mais, celui qui est un scandale, une occasion de chute, pour un seul
de ces petits qui croient en moi, mieux vaudrait pour lui qu’on lui attache au
cou une de ces meules que tournent les ânes, et qu’on le jette à la mer. »
(On pourra se demander pourquoi la conjonction entre les deux parties du discours,
que je traduits ici par mais, n’est pas traduite dans la version liturgique…)
Vous aurez remarqué, le propos de Jésus n’est pas
anti-institutionnel. Il parle en nous. « Celui qui n’est pas contre nous. »
Mais il est des défenses de ce nous qui sont malvenues, pire qui sont scandales.
Alors que la dénonciation du cléricalisme est devenue un
refrain à la mode, il convient d’en dire quelque chose d’un peu précis pour
sortir de l’incantation. Nombre de clercs sont convaincus que l’ordination leur
donne un quelque chose de plus que les autres n’ont pas. C’est bien une forme
de pensée de mecs ! Ainsi justifient-ils leur utilité. L’imposition des
mains les configurerait de manière spéciale, entendez supérieure, au Christ. Et
les non-clerc sont nombreux à penser de même des prêtres.
On a il est vrai écrit ce genre de choses. Un de ceux qui m’est
cher, Antoine Chevrier, à l’école de l’évangile, véritablement engagés pour une
Eglise au service des pauvres, pour la formation de prêtres pour les pauvres, un
peu comme Vincent de Paul, écrivait que le prêtre est alter Christus, un autre Christ. Chez lui, sans doute pas la
moindre trace de cléricalisme, au sens où il réserverait quelque chose aux
prêtres. Mais il est pris dans une institution cléricale, pour qui l’alter
Christus, ce ne peut être les baptisés mais seulement les prêtres.
Or, ceux qui ici et maintenant représentent le Christ, c’est
chaque baptisé uni aux autres. Et si les prêtres ont un rôle à jouer, et je
pense qu’ils l’ont, c’est d’être au service des baptisés pour qu’ils puissent
être chacun et ensemble, un autre Christ. Et si l’on veut savoir à quoi sert un
prêtre, il faudra répondre comme on le ferait de ceux qui sont au service. Quel
est le technicien de surface, puisque c’est ainsi que l’on dit, dont on parle
lorsque l’on présente une école, une entreprise ou tout autre lieu qu’ils
entretiennent en faisant le ménage ? On n’en parle pas. Pourquoi
faudrait-il alors parler des prêtres, les faire témoigner ?
La crise que l’on dit être celle des vocations est d’abord
la crise des communautés qui ne sont pas suffisamment disciples pour être la
source du ministère. Sommes-nous ici religieusement, pour notre besoin de
religieux, ou pour restaurer et nourrir la configuration baptismale qui fait de
nous tous des alter Christus ? Je le concède, l’obligation du célibat et
la sobriété financière dans laquelle on place les prêtres ne facilitent pas à
nos communautés l’engendrement de serviteurs, de ministres, de prêtres. La
crise est ensuite celle du cléri-calisme, cette tare qui consiste à mettre le
prêtre au centre, à le penser supérieur, ou séparé, alors qu’il est au service
pour que chacun avec les autres puisse être encore un autre Christ.
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