Le lectionnaire nous donne l’impression, en ce premier
dimanche de l’avent, de revenir en arrière, à la thématique apocalyptique du trente-troisième
dimanche du temps. L’horreur de la fin plane sur nos têtes, et ce n’est pas
seulement notre fin, celle de nos proches, mais aussi celle de l’humanité tout
entière qui s’annonce, avec le dérèglement climatique et l’appauvrissement terrifiant
de la biodiversité. Chacun peut essayer de réduire son impact en termes de
pollution, mais nous nous sentons surtout impuissants. Ce ne sont pas seulement
les guerres qui nous menacent, mais la disparition d’un écosystème hospitalier.
Nous y sommes ; ce n’est plus pour demain. « Il y
aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles. Sur terre, les nations
seront affolées et désemparées par le fracas de la mer et des flots. Les hommes
mourront de peur dans l’attente de ce qui doit arriver au monde, car les
puissances des cieux seront ébranlées. » Si tel est notre calendrier, nous
ne devrions pas tarder à voir « le Fils de l’homme venir dans une nuée, avec
puissance et grande gloire. »
Il n’en est évidemment rien. Et nous voilà ébranlés par la
terreur du monde, et aussi dans notre foi. Qu’en est-il de ce retard du Seigneur ?
Il tenaille les disciples depuis sa mort, depuis le début. Le temps de l’avent
n’est pas une préparation à Noël comme on ne cesse de le répéter, à l’encontre
des oraisons et préface de ce dimanche. Le temps de l’avent orchestre
liturgiquement la condition même de la vie de disciples alors que les temps
touchent à leur fin ; notre destin de disciples, depuis le début, est d’attendre
sa venue, de nous tenir prêts.
La vie de disciple est attente
de Dieu. C’est à la fois une évidence et un défi, un truisme et une
contestation de nos discours sur la présence de Dieu, la présence réelle, et autres
arguties pieusardes qui permettent d’éviter les rudes chemins de l’aventure
chrétienne. Non, le Seigneur n’est pas là, et il nous manque, et c’est notre
tourment. Voilà ce que les trois premières semaines de l’avent, au moins, et
les dernières du temps ordinaires, nous font vivre, la condition même de la vie
chrétienne, l’attente de Dieu.
Elles sont une école de la vie chrétienne en ce monde qui
touche à sa fin, espérer le salut, en termes théologiques aseptisés, attendre
Dieu, languir après lui de toute notre chair tel le cerf qui cherche l’eau
vive, telle la terre aride, assoiffée, disent les psaumes, à ras la glèbe.
Nous sommes comme tant d’hommes et de femmes, d’enfants, à
manquer de Dieu. Nous autres, ce manque nous taraude, nous creuse. Il fait mal
comme les vastes nefs de nos églises qui semblent crier la désolation de leur
vide. Quand je pense à la transverbération de Thérèse, c’est exactement cela que
je comprends. Derrières les mots de la présence, sans cesse biffés, se dit ce
qui n’est pas religieusement correct, la vérité de l’expérience évangélique.
À
la mesure sans mesure / De ton immensité / Tu nous manques, Seigneur.
Dans
le tréfonds de notre cœur / Ta place reste marquée / Comme un grand vide, une
blessure.
Veiller dans la foi ne comble pas le vide, au contraire, cela
le creuse. Et cette blessure est l’unique indice de celui que nous attendons.
Nous sommes entraînés à abandonner encore et encore ce qui nous tient, si nous voulons
qu’en nos corps si fragiles se tienne son immensité, si nous voulons qu’en
notre chair habite le Verbe. Pour ne pas trop mentir à cet espace où nous l’attendons,
où il nous attend, il y a les frères à aimer. Les aimer à la folie mais rester
seuls, parce qu’ils ne sont pas à nous, n’ont pas besoin de nous. La dépossession
de la charité redouble l’absence du Dieu qui tarde.
Dans le cri, la prière de cette espérance que patiemment
nous avons consenti à laisser se creuser, l’attende de Dieu n’est pas tant la
nôtre que la sienne ; c’est lui qui nous attend.
Mais
en cette vie recluse, je te cherche quand même !
ma
quête est insensée, rassure-moi.
Si
orgueilleuse que puisse être l’enquête,
si
fatale que soit la chute de ma voix,
Ne
me laisse pas tomber dans un gouffre d’air rare,
ni
étouffer au sol que tu travailles d’en-bas.
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