La prière pour les défunts a quelque chose d’archaïque qui
rejoint ce qu’exprime l’animisme. Il n’est pas possible de vivre sans ceux que l’on
a aimés ou haïs. Ils sont encore là, ils nous habitent. Prier pour eux est une
façon de nous libérer de leur emprise. Ce ne sont pas eux qui peuvent nous
visiter, c’est nous qui pouvons intercéder pour eux.
On doit reconnaître que l’on ne sait guère ce que cela signifie
dès lors qu’ils ont rejoint l’éternité de Dieu. Il n’y a pour eux ni temps ni
lieu. Il convient surtout d’apprendre à les penser aimés de Dieu, purifiés par
Dieu, vivants de Dieu.
La première lecture que nous avons entendue (Sg 1,7-15) assène
ce que nombre de chrétiens n’ont pas encore entendu. « Dieu n'a pas fait
la mort, il ne prend pas plaisir à la perte des vivants. » Ce n’est en
effet pas Dieu qui fait mourir, qui rappellerait à lui, comme le dit de façon
erronée le missel des défunts. Si Dieu rappelle à lui, c’est de la mort. Dieu
rappelle à la vie, ce que l’on appelle résurrection. Dieu ne fait pas mourir en
rappelant à lui. En rappelant à lui, il fait vivre, car Dieu est le vivant, et
il n’y a pas de mort en lui et par lui.
Dieu est affligé par la mort, pire encore, si c’est
possible, que nous ne le sommes. Non seulement ses amis meurent, mais encore sa
création est mise en péril, est combattue. C’est lui qui sombre lorsque l’un de
nous meurt. Le dernier ennemi que Dieu fait plier, le plus redoutable sans
doute, c’est la mort (1 Co 15, 26). La mort est l’ennemie de Dieu. « Car
Dieu n'a pas fait la mort, il ne prend pas plaisir à la perte des vivants. »
Avec nos défunts, ceux qui nous habitent, ceux que nous
souffrons de ne plus serrer dans nos bras, ceux que nous ne verrons plus
jamais, du moins tant que nous ne serons pas morts nous-mêmes, c’est un peu de
nous aussi qui est mort. C’est ce que nous avons vécu avec eux, ce qu’ils ont
vécu avec nous qui est mort. Je ne suis pas consolé d’entendre dire qu’ils
vivent près de Dieu ; je ne suis pas consolé d’entendre qu’on se
retrouvera. C’est maintenant que leur absence est cruelle. C’est ici et maintenant
que j’ai besoin d’eux.
Peut-être la seule façon de ne pas les perdre tout à fait, c’est
de vivre ici et maintenant avec Dieu, puisque c’est désormais leur lot, d’une
manière certes différente. Cependant, nous vivons la même chose qu’eux, la vie
avec Dieu. Nous avons avec eux Dieu en partage, même si c’est de manière
différente. En étant à Dieu ici et maintenant, nous sommes comme ils sont. Le
royaume de Dieu nous est commun.
Qu’est-ce que ce royaume ? L’évangile que nous venons
de lire (Lc 17, 20-25) n’en dit que la localisation, paradoxe évident puisque
ce royaume n’a ni lieu ni temps. Il est deux lieux où il ne risque pas d’être, dans
ce qui se voit comme une nouveauté soi-disant étonnante, ou demain. Ne courrons
pas après les nouveautés religieuses, les communautés qui prétendent renouveler
les choses parce qu’enfin, elles auraient compris l’évangile à la différence
des autres. « N’y allez pas, n’y courrez pas. » « La venue du
règne de Dieu n’est pas observable. »
Le royaume n’est pas demain non plus, après la mort, parce
que « voici que le règne de Dieu est au milieu de vous ». Il n’y a
rien à voir, il n’y a rien de merveilleux, il y a ici et maintenant l’urgence
de changer nos vies pour qu’elles soient participation au royaume, la présence
de Dieu en nos vies.
Nos défunts ont en commun avec nous la présence du royaume
et, en ce sens, ne sont pas morts. Entretenir leur mémoire n’est-ce pas vivre
encore avec eux, non pas demain, ailleurs, mais ici et maintenant ?
Entretenir leur mémoire, n’est-ce pas accueillir ici et maintenant le règne de
Dieu qui est au milieu de nous ?
La commémoration des fidèles défunts à la suite de Jésus ne
consiste pas à en un culte des morts, mais en un changement de vie, notre
conversion, pour accueillir le règne de Dieu qui est déjà milieu de nous. Nous
vivons avec eux dans le même royaume, la présence vivifiante de notre Dieu.
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