Qu’est-ce qu’être chrétien ? La réponse n’est peut-être
pas aussi simple qu’on pourrait le penser. Nous qui sommes ici ce matin, nous
pourrions répondre qu’être chrétien c’est aller à la messe le dimanche. On pourrait
repérer les chrétiens comme les pratiquants. Nous savons que ce n’est pas
juste. Même les sondages et les sociologues qui inventèrent ce repère sont
obligés de le modifier tant il est étroit et obsolète.
Serait chrétien celui qui aurait été baptisé. Ici, au contraire,
le critère est trop vaste. Ils sont nombreux ceux qui ont été baptisés à ne pas
se reconnaître disciples de Jésus, à ne pas revendiquer ce que souvent leurs
parents ont décidé pour eux.
Pensera-ton que l’on aura une réponse dans la confession de
foi ? Mais combien sont-ils ceux qui ne savent pas grand-chose de Jésus et
sont pourtant de ses disciples ? Combien sont-ils qui connaissent
parfaitement le dogme et sont si peu disciples ?
Faudra-t-il chercher pour désigner les chrétiens du côté
des actions posées ? La pratique dans l’évangile, en effet, ce n’est
jamais le fait d’aller à la messe, mais écouter la parole et la mettre en
pratique. Alors on comprend l’importance de la question posée par le scribe à
Jésus (Mc 12, 28-34) : quel est le premier de tous les commandements ?
Mais la pratique des commandements est encore trop courte
pour définir le chrétien. Ils sont nombreux ‑ et heureusement ! ‑
les non-chrétiens qui observent les commandements aussi bien que nous, voire mieux.
Et certains d’entre eux aiment le Seigneur leur Dieu de tout leur cœur, de
toute leur âme, de tout leur esprit, de toute leur force. Quant à nous, nous
sommes nombreux à ne pas observer les commandements comme il conviendrait…
Ainsi, rien de la prière (et des sacrements), des
commandements et de la charité, de la profession de foi ne suffit à dire qui
nous sommes. Augustin écrivait vers 410 : « Beaucoup de ceux qui paraissent
au dehors [de l’Eglise] sont au-dedans, et beaucoup de ceux qui paraissent au-dedans
sont au dehors ».
Il est aujourd’hui de bon ton de dire que la foi chrétienne
ne doit pas être confondue avec la solidarité et l’action humanitaire, lutte pour la
reconnaissance de la dignité de chacun; l’Eglise n’est pas une ONG ! On
aimerait que cette attention à dire une spécificité chrétienne ne dispense
aucun d'entre nous de la pratique du second commandement, égal au premier : « Tu
aimeras ton prochain comme toi-même ».
Si l’on ne peut dire qui est chrétien, c’est que ce n’est
pas à nous d’en décider. Nous autres qui désirons l’être, nous savons tout ce qui
manque en nous pour que nous le soyons. Disciples de Jésus, nous le sommes… si
peu. Etre chrétien n’est pas une identité, un acquis, un fait accompli, mais
une tâche et une espérance, ce vers quoi nous tendons. Il s’agit d’ailleurs
moins d’y tendre par nous-mêmes que de nous laisser mener.
La réponse de Jésus au scribe est notre boussole. D’abord,
un constat dont nous ne pouvons rendre compte, mais qui s’impose à nous en premier.
Nous aimons Dieu tel que Jésus nous le fait connaitre, nous aimons Dieu qui est
amour. Nous voulons nous rassasier de cet amour. Nous ne savons pas bien ce que
veut dire aimer Jésus. Et pourtant, cet homme est pour nous compagnon de route.
Il ne fait pas que montrer le chemin ni nous accompagner sur ce chemin ; il
est lui-même le chemin. Vivre pour nous, c’est reconnaître que notre chemin d'hommes et de femmes, c’est
Jésus. « Vivre, pour moi, c’est le Christ ». Certes, nous ne l’avons
jamais rencontré, et pourtant, nous le connaissons bien davantage que nombre de
ceux avec qui nous vivons.
Ne l’ayant jamais rencontré – il en est ainsi pour tous
les chrétiens depuis la mort du dernier apôtre, et c’est pourquoi l’Eglise
est apostolique, témoignage continu depuis les apôtres – n’ayant jamais vu
Dieu ‑ car « Dieu, nul ne l’a jamais vu » ‑, pour n’être
pas dans l’illusion à dire l'aimer, nous savons que c’est à servir les frères que nous le
rencontrons.
Mieux, c’est même chose servir les frères et aimer
Jésus ; les deux commandements n’en sont qu’un. Pas d’humanitaire dans cette
affaire, à supposer que ce ne soit pas en soi suffisant d’être
engagé dans la solidarité pour la dignité de tous. Pas d’humanitaire, parce qu’avec
Jésus, tout ce qui est humain concerne le divin, est appelé à la divinité, et
tout ce qui est divin ne cesse de se donner à l’humanité. « Puissions-nous
être unis à la divinité de celui qui a pris notre humanité. »
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