Quel intérêt y a-t-il à dire Jésus roi ? Ne faudrait-il
pas se méfier, alors que Jésus se dérobe à ceux qui viennent le chercher, parce
qu’ils voulaient le faire roi (Jn 6, 15) ? Plus encore, toutes les images
que nous avons de la royauté, spécialement en République, spécialement en France,
sont plutôt négatives, ou alors celles d’un faste qui pose problème appliqué à
Jésus. Est-ce bien ainsi que nous devons l’imaginer ? Est-ce ainsi qu’est
Jésus ?
« Vous
le savez : ceux que l’on regarde comme chefs des nations les commandent en
maîtres ; les grands leur font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne doit
pas en être ainsi. Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre
serviteur. Celui qui veut être parmi vous le premier sera l’esclave de tous :
car le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et
donner sa vie en payant le prix pour la multitude. » (Mt 10, 42-45).
La fête du Christ roi est récente, elle a moins de cent ans,
instituée par Pie XI en 1925, dans un contexte d’entre deux guerres. Il s’agissait
d’affirmer, alors que montait le fascisme et que l’on fêtait le mille
six-centième anniversaire du concile de Nicée, proclamant la seigneurie du
Christ comme nous le disons chaque dimanche ‑ « je crois en un seul Seigneur,
Jésus Christ » ‑ que la visée de toute action politique et sociale
réside dans l’avènement du Règne de Dieu, ainsi que nous prions à la suite du
Seigneur : « Que ton règne vienne ! »
Mais dès le début, cette fête fit problème ; en contestant le culte du tyran, elle se ralliait - malgré elle ? - des
soutiens royalistes, elle était marquée par la nostalgie d’une chrétienté fantasmée, lorsque
le but de la société rejoint celui de l’Eglise, est celui de l’Eglise. La résistance
par rapport à la dimension théologico-politique de la fête s’exprime bien avant
le concile Vatican II.
Suffira-t-il de spiritualiser, de dire que la royauté du
Christ n’est pas de ce monde, comme il le dit lui-même dans l’évangile que nous
venons de proclamer (Jn 18, 33-37) ? C’est un peu court, c’est fumeux
comme chaque fois que l’on ne parvient pas à dire le sens des choses de la foi
et qu’on en fait des réalités spirituelles.
Les théologiens savent qu’il est impossible de nommer Dieu
adéquatement et l’interdit juif de prononcer le nom sacré en est l’expression
la plus obvie. Quand vous dites « dieu » vous avez une idée de ce que
cela signifie, que vous soyez croyant ou non, chrétien ou non. Tous comprennent le mot mais tous ne s’accordent pas sur son sens, et encore, n’a-t-on pas
précisé s’il fallait mettre une majuscule ou non ? Le mot dieu pour parler
de Dieu est dangereux car il charrie avec lui de très nombreuses confusions,
dommageables pour la foi.
Dans les Ecritures, on dit par exemple que Dieu est un rocher,
un roc, solide. Cette métaphore est tellement éloignée de la vérité ‑ Dieu
n’est évidemment pas un caillou, même gros ‑ que l’on ne risque pas, à l’utiliser,
de semer la confusion ou de s’y mouvoir, que l’on est obligé à un instant de
recul pour réévaluer ce que l’on dit de Dieu, veut dire de lui.
Puisque la royauté appliquée au Christ fait problème pour
beaucoup d’entre nous, nous nous trouvons dans la même situation ; nous ne
pouvons pas croire que ce titre convient au Christ. Il ne convient
fondamentalement pas ; les textes évangéliques que nous avons cités le
montre à l’envi. Le Christ n’est pas roi. C’est Pilate qui dit que Jésus est
roi. Mais lui dit autre chose. « C’est toi-même qui dis que je suis roi. Moi,
je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la
vérité. » Jésus n’est pas plus roi que Dieu est roc.
Et pourtant, nous attendons un règne de paix, nous attendons
son règne de paix, nous voulons qu’il soit le Seigneur de nos vies, nous
voudrions que sa paix s’étende sur l’univers entier. Ce paradoxe, peut-être
cette contradiction, doit être assumé ; celui que nous que nous appelons
notre maître est Seigneur ‑ et nous avons raison car il l’est (Jn 13, 13) ‑
se dit dans le même temps le serviteur.
Le renversement des valeurs par le Christ met notre monde,
et aussi la nomination de Dieu, en crise. Il faut bien le reconnaître, c’est un
retournement de l’idée même de Dieu y compris pour les chrétiens. Nous n’avons
sans doute pas encore compris jusqu’où la prédication et la vie de Jésus
subvertissent la conception commune de Dieu. La crise religieuse que provoque
Jésus qui se fait serviteur nous permet de voir naître le Royaume.
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