Le jeudi saint, dit-on, est la fête des prêtres, parce que c’est la fête de l’institution de l’eucharistie. C’est un peu curieux comme idée. Jamais l’Eglise du premier millénaire n’aurait ainsi lié l’eucharistie aux prêtres. C’est toute l’Eglise qui fait mémoire du dernier repas du Seigneur comme il l’a lui-même commandé : Faites cela en mémoire de moi. C’est l’Eglise qui célèbre la mort et la résurrection de son Seigneur chaque fois qu’elle rompt le pain et partage la coupe ainsi que l’exprime Paul dans la 1ère lettre aux Corinthiens, plus ancienne attestation de la Cène du Seigneur : Chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez à cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il revienne.
Alors que les crimes de certains prêtres défrayent la chronique (permettant aux malveillants de taper sur l’Eglise dans une série d’amalgames plus que malhonnêtes), que veut dire cette fête du sacerdoce ?
Faut-il se taire, faire le dos-rond, s’identifier au Christ souffrant, avoir le courage qui ne se laisse pas intimider par la rumeur des opinions dominantes, s’arc-bouter sur nos certitudes d’être dans le vrai ? Celui qui implore le Père de pardonner à ceux qui ne savent ce qu’ils font n’a jamais traité par le mépris ceux qui le menaient au Calvaire. Il ne suffit pas d’être traîné dans la boue pour avoir raison contre ses détracteurs. Est-ce le Pape qu’il faut soutenir dans cette tourmente ? Peut-être un peu les prêtres qui sont facilement soupçonnés du crime de certains d’entre eux, plus encore, tous ceux qui constatent effectivement avec honte, le mal fait à l’Evangile et à leur Seigneur, le discrédit jeté sur le Seigneur de sainteté que le péché des hommes vient une fois encore défigurer. C’est surtout l’humanité entière, croyante ou non, qu’il faut encourager. Alors qu’on l’invite habituellement à faire confiance à l’Eglise, ne la voilà-t-elle pas à plaindre, si même l’Eglise ‑ pas la pire des institutions loin s’en faut ! ‑ n’est plus digne de confiance ? Qui lui présentera la source de la vie, le Seigneur venu pour servir et non être servi ?
Le péché des pédophiles et des autres, à des degrés évidemment différents, revêt d’un masque de laideur le beau pasteur de l’évangile. Il est méconnaissable, n’a plus figure humaine, ou alors trop humaine, bestiale, comme un ver ! Objet de mépris, rebut de l’humanité.
A travers ces vicissitudes, nous devons apprendre à parler autrement des prêtres. Nous devons non seulement avoir honte mais nous amender, ne serait-ce qu’en changeant notre discours, en renouvelant notre façon de penser ; il s’agit d’une conversion (Rm 122). On ne peut parler des prêtres, des chrétiens, indépendamment de leur péché. Il ne s’agit pas de faire de tous des criminels, mais tous sont pécheurs. Le prêtre, s’il est saint, n’est pas l’homme parfait ; il est le pécheur sanctifié par l’illumination baptismale, ainsi que tout chrétien, ni plus ni moins. Il n’est d’ailleurs pas possible d’être plus sanctifié que par la grâce de Dieu dont le baptême est le sacrement. Or on pense trop souvent que les prêtres sont saints, ce qui veut dire parfaits : donnez-nous des prêtres, donnez-nous de saints prêtres. On tolère certaines incartades, mais elles demeurent des exceptions qui confirment la règle. Cet imaginaire entretenu de la perfection est mensonge.
« Je crois en l’Eglise », l’ouvrage du père Christian Duquoc, a pour sous-titre précarité institutionnelle et Règne de Dieu. Il n’est pas possible de faire de la théologie sans prendre en considération la faiblesse, la précarité, la faillibilité. L’angélisme au mieux frappe du sceau de l’inanité ce qu’il touche, au pire en déguise l’horreur : qui fait l’ange fait la bête.
Si nous voulons penser une théologie des ministères, nous devons intégrer que les hommes qui les reçoivent ne sont pas des saints. On peut espérer qu’ils ne soient pas plus pécheurs que cela ; on peut espérer que leur ministère et leur vie soient chemin de sanctification. On doit autant que possible écarter les criminels, mais un criminel n’est tel qu’une fois qu’il est passé à l’acte, et c’est trop tard. Les prêtres demeurent des pécheurs. Ce sont des pécheurs qui, au nom de l’Eglise, rompent le pain. La honte qui touche aujourd’hui l’Eglise, sans parler de la douleur incomparable des victimes, n’a d’égal que l’enthousiasme aussi béat que coupable qui met les prêtres sur un piédestal. C’est usurpé, c’est mensonge. Ce que dit l’évangile vaut pour tout chrétien et donc aussi pour les prêtres : « Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. Car c’est un exemple que je vous ai donné, pour que vous fassiez, vous aussi comme moi j'ai fait pour vous. En vérité, en vérité, je vous le dis, le serviteur n'est pas plus grand que son maître, ni l’envoyé plus grand que celui qui l’a envoyé. Sachant cela, heureux êtes-vous, si vous le faites. » (Jn 1314-17)
Tant que l’on ne prendra pas l’évangile au sérieux, tant que les serviteurs continueront à être des Père et Monseigneur, tant que les ministres revendiqueront le magistère, le ver est dans le fruit. Il ne s’agit pas de mépriser les ministres, encore que ce soit aussi le chemin du serviteur, mais c’est humainement intolérable ; il s’agit d’éradiquer ce qui contredit l’évangile ou constitue un déni coupable de la précarité institutionnelle et de la faillibilité humaine.
Non, le prêtre n’est pas un homme séparé, à part. Il partage le sort de tous et parfois, souvent, comme ses frères baptisés, il tache de laisser le visage du Christ transparaître en sa vie, parfois, souvent, il cherche la justice comme tant d’hommes et de femmes, croyant ou non. Les mêmes, en même temps, tous, demeurent enfermés dans le péché.
Il ne s’agit pas de répondre au discours de l’exaltation par celui du misérabilisme. On ne va pas se flageller ; mais que l’on ne s’enorgueillisse pas. Que l’on ne se prenne pas pour quelqu’un d’autre. Le prêtre n’est pas un autre Christ, ou alors comme tous les autres baptisés, voire toute l’humanité que le nouvel Adam restaure à son image.
Il s’agit de tourner le regard vers celui qui fait confiance à des pécheurs pour annoncer son amour jusqu’à l’extrême. Jésus au soir de sa vie s’en remet à ses disciples. Il sait que ce n’est pas gagné ; Judas le livre, Pierre le renie, les autres fuient. Seules des femmes semble-t-il et un anonyme disciple qu’il aimait, certes figure de tout disciple, le suivent jusqu’au bout, jusqu’à l’extrême. La grandeur de l’extrémisme divin, c’est de s’en remettre aux hommes qui sont des pécheurs, tant que la victoire sur la mort n’est pas définitivement remportée.
Plutôt que de parler de la sainteté des prêtres, et de celles de baptisés, même si c’est moins dans les habitudes, laissons-nous saisir par celui qui, seul saint, se confie à la charge de pécheurs. Pouvaient-ils nous aimer plus qu’à ainsi faire confiance malgré tout à ceux dont il sait l’infidélité ?
Textes du Jeudi saint : Ex 12, 1-14 ; 1 Co 11, 23-26 ; Jn 13, 1-15
Prions pour le peuple chrétien. Qu’il puise à la source eucharistique la force de l’action de grâce.
Prions pour le monde. Il est en droit d’attendre une Eglise toujours plus servante.
Prions pour les malades. Qu’ils découvrent par la présence à leurs côtés de frères et sœurs dévoués, le Seigneur serviteur lui-même.
 
 


 Comment ne pas être excédé par la recherche de la gloire, surtout lorsqu’elle devient celle de l’Eglise. Pensez qu’au fronton de la basilique vaticane, c’est le nom de Paul V Borghese qui est au centre. Le prince des apôtres auquel l’édifice est dédié n’occupe que les marges de l’inscription. Exemple parmi bien d’autres. Caravage n'a sans doute pas vu cette façade achevée quatre ans après sa mort. Il avait vu le dôme grandiose qu'avait conçu Michel-Ange.
 Comment ne pas être excédé par la recherche de la gloire, surtout lorsqu’elle devient celle de l’Eglise. Pensez qu’au fronton de la basilique vaticane, c’est le nom de Paul V Borghese qui est au centre. Le prince des apôtres auquel l’édifice est dédié n’occupe que les marges de l’inscription. Exemple parmi bien d’autres. Caravage n'a sans doute pas vu cette façade achevée quatre ans après sa mort. Il avait vu le dôme grandiose qu'avait conçu Michel-Ange. A Sainte Marie du Peuple, la conversion de Paul. Au centre, un sabot de cheval. Regardez comment court la Parole, autrement qu’à faire la gloire de ses hérauts. En face, le martyre de Pierre. Le prince des apôtres est comme caché par le postérieur d’un de ses bourreaux et le pied sale de celui qui le cloue au bois.
 A Sainte Marie du Peuple, la conversion de Paul. Au centre, un sabot de cheval. Regardez comment court la Parole, autrement qu’à faire la gloire de ses hérauts. En face, le martyre de Pierre. Le prince des apôtres est comme caché par le postérieur d’un de ses bourreaux et le pied sale de celui qui le cloue au bois. Vous préférez Saint Louis des Français et le cycle de St Matthieu ? Pierre, l’Eglise qui a reçu mission de montrer le Christ peut y mener qu’à condition de le cacher. Cruel dilemme que l’on a oublié de méditer. Et pendant ce temps, les jambes des changeurs et publicains, le sexe de Matthieu à y regarder de près, s’exhibent sans rien révéler aux voluptueux, quoi qu’il en soit de leur engagement au célibat continent.
 Vous préférez Saint Louis des Français et le cycle de St Matthieu ? Pierre, l’Eglise qui a reçu mission de montrer le Christ peut y mener qu’à condition de le cacher. Cruel dilemme que l’on a oublié de méditer. Et pendant ce temps, les jambes des changeurs et publicains, le sexe de Matthieu à y regarder de près, s’exhibent sans rien révéler aux voluptueux, quoi qu’il en soit de leur engagement au célibat continent. Il faut aller à la galerie Borghese pour voir une des théologies mariales les plus justes jamais peintes ? C’est la Vierge à l’enfant, Marie avec son fils, la Mère de Dieu comme disait le Concile d’Ephèse (431) qui écrase la tête de l’antique ennemi. Mais non. L’enfant appuie sur le pied de la mère. Seul le Christ détruit la mort et associe la mère, l’humanité, à sa victoire, non parce qu’elle en serait seulement bénéficiaire mais qu’elle est, par ce fils de sa chair, elle-même victorieuse. Tout n’est-il pas dit de confession de foi christologique ?
Il faut aller à la galerie Borghese pour voir une des théologies mariales les plus justes jamais peintes ? C’est la Vierge à l’enfant, Marie avec son fils, la Mère de Dieu comme disait le Concile d’Ephèse (431) qui écrase la tête de l’antique ennemi. Mais non. L’enfant appuie sur le pied de la mère. Seul le Christ détruit la mort et associe la mère, l’humanité, à sa victoire, non parce qu’elle en serait seulement bénéficiaire mais qu’elle est, par ce fils de sa chair, elle-même victorieuse. Tout n’est-il pas dit de confession de foi christologique ? 
  On ne saurait tout commenter ni même évoquer : les toiles du palais Barberini avec le Narcisse dont je crois que l’attribution est discutée mais qui renvoie un drôle de miroir à la recherche de la gloire ; les toiles du palais Doria-Pamphili ou du musée capitolin, en particulier les deux Baptiste que l’on a dernièrement préféré appeler Isaac, si proche de l'amour vainqueur. L'ascétisme en prend un coup!
 On ne saurait tout commenter ni même évoquer : les toiles du palais Barberini avec le Narcisse dont je crois que l’attribution est discutée mais qui renvoie un drôle de miroir à la recherche de la gloire ; les toiles du palais Doria-Pamphili ou du musée capitolin, en particulier les deux Baptiste que l’on a dernièrement préféré appeler Isaac, si proche de l'amour vainqueur. L'ascétisme en prend un coup! 
  Caravage a la réputation d’une vie peu recommandable (insultes, agressions, meurtre, luxure). Est-ce par ce qu’il ne pouvait pas se prendre pour un juste qu’il était disciple du Seigneur de miséricorde ? C’est chez lui comme si souvent, ce que le bourgeois ou le dévot peuvent comprendre : le contraire de la sainteté, ce n’est pas le vice, mais la vertu. Il est heureusement des hommes qui ne confondent pas la sainteté et la perfection morale, qui savent que ce à quoi ils sont appelés n’est pas à leur portée, mais un don, qui ne réduisent pas la sainteté à ce dont ils seraient capables, condamnant leur vie et même leur foi à la mesquinerie. Est-ce pour cela qu'il aime à peindre les gens peu fréquentables ? Il est l'un deux, il les aime sans s'absoudre lui-même. A cet égard, la comparaison des deux scènes d'Emmaüs mérite que l'on s'y arrête. Il y a la stupeur de la première, avec ses couleurs et l'opulence de sa table. Seule la nature morte dit la mort, vanité reprise des toutes premières toiles. La seconde est plus sobre, la palette moins chaude. Il y a seulement un peu de pain. Une femme, une servante, a rejoint l'aubergiste. Le Christ semble s'effacer, sa chevelure se fond dans l'ombre d'où jaillissent les visages des serviteurs, des pauvres. Ne sont-ils pas eux le Christ, celui-là même que l'on sert et reconnaît dans la fraction du pain ?
 Caravage a la réputation d’une vie peu recommandable (insultes, agressions, meurtre, luxure). Est-ce par ce qu’il ne pouvait pas se prendre pour un juste qu’il était disciple du Seigneur de miséricorde ? C’est chez lui comme si souvent, ce que le bourgeois ou le dévot peuvent comprendre : le contraire de la sainteté, ce n’est pas le vice, mais la vertu. Il est heureusement des hommes qui ne confondent pas la sainteté et la perfection morale, qui savent que ce à quoi ils sont appelés n’est pas à leur portée, mais un don, qui ne réduisent pas la sainteté à ce dont ils seraient capables, condamnant leur vie et même leur foi à la mesquinerie. Est-ce pour cela qu'il aime à peindre les gens peu fréquentables ? Il est l'un deux, il les aime sans s'absoudre lui-même. A cet égard, la comparaison des deux scènes d'Emmaüs mérite que l'on s'y arrête. Il y a la stupeur de la première, avec ses couleurs et l'opulence de sa table. Seule la nature morte dit la mort, vanité reprise des toutes premières toiles. La seconde est plus sobre, la palette moins chaude. Il y a seulement un peu de pain. Une femme, une servante, a rejoint l'aubergiste. Le Christ semble s'effacer, sa chevelure se fond dans l'ombre d'où jaillissent les visages des serviteurs, des pauvres. Ne sont-ils pas eux le Christ, celui-là même que l'on sert et reconnaît dans la fraction du pain ? (la Madone de Lorette met les pieds des gueux à la hauteur du nez du célébrant à St Augustin), la théologie (les pèlerins d’Emmaüs, l’apparition à Thomas, le baiser de Judas), la critique de l’étroitesse humaine, critique nourrie d’une compréhension elle aussi humaine, mais en un tout autre sens, de l’évangile. La grandeur de l’humanité, cette vertu dont on voudrait qu’elle donne son nom à l’espèce et non l’inverse, s’oppose à l’humain trop humain si détestable (le sacrifice d’Abraham, Judith et Holopherne, La diseuse de bonne-aventure, David avec la tête de Goliath)
 (la Madone de Lorette met les pieds des gueux à la hauteur du nez du célébrant à St Augustin), la théologie (les pèlerins d’Emmaüs, l’apparition à Thomas, le baiser de Judas), la critique de l’étroitesse humaine, critique nourrie d’une compréhension elle aussi humaine, mais en un tout autre sens, de l’évangile. La grandeur de l’humanité, cette vertu dont on voudrait qu’elle donne son nom à l’espèce et non l’inverse, s’oppose à l’humain trop humain si détestable (le sacrifice d’Abraham, Judith et Holopherne, La diseuse de bonne-aventure, David avec la tête de Goliath)