Nous fêtons tous les saints. Nous fêtons la victoire sur la
mort et le mal acquise par le Christ. Jésus restaure en tout homme l’image de
son Dieu selon laquelle tous avaient été créés. A la fin du temps, le rappel du
commencement mythique annonce la vocation de l’homme : ni la mort ni le mal
ne sont son destin.
Affirmation de foi que l’on peut certes apprendre et dans l’habitude
de laquelle on peut vivre de sorte qu’elle devient une évidence. Certains d’entre
nous sont cependant troublés. Alors que tant de ceux qu’ils aiment considèrent
cette affirmation comme fadaises, eux-mêmes ne savent plus ce qu’ils croient.
Ce n’est pas qu’ils manquent de foi ; ce n’est pas qu’ils sont contaminés
par l’athéisme contemporain. Ils sont seulement conviés à rendre compte de l’espérance
censée les habiter autrement qu’en affirmant. Il leur faut trouver des mots qui
rendent pensable l’annonce de la victoire sur la mort et le mal, qui rendent
compréhensible une célébration comme celle de la fête de tous les saints.
On dit que nombre de chrétiens, y compris parmi les
pratiquants réguliers, ne croient pas en la résurrection. Il n’est d’ailleurs
pas certain que ceux qui disent y croire confessent la foi de l’Eglise. L’ébranlement
que constitue la contestation ou l’ignorance par la société du cœur de la foi
nous oblige à nous interroger. Que disons-nous lorsque nous confessons la
résurrection ? Que disons-nous lorsque nous célébrons tous les saints ?
Il faut dire d’abord que l’on ne sait pas grand-chose d’une
vie après la mort, si c’est cela que désigne la résurrection. Nombre de nos
discours ont été démontés comme subterfuge pour échapper à la perte irrévocable
de ceux que nous aimions, pour nous consoler, ou comme moyen de coercition. La peur
d’une damnation éternelle vaudrait mieux que tous les gendarmes moraux !
Il faut reconnaître que même les plus subtiles en théologie n’ont pas été
toujours très bien inspirés, ainsi saint Thomas d’Aquin qui pensait que les corps
célestes étaient sphériques, car la sphère est le volume parfait. Il est vrai
que son légendaire tour de taille lui donnait déjà un air de ressuscité !
Il me semble que nous nous devons à une ascèse du discours
lorsque nous parlons de la vie après la mort. Nous n’en savons rien et les
Ecritures recourent systématiquement à un discours codé lorsqu’elles se
hasardent à en dire quelque chose. C’est le genre apocalyptique, c’est le genre
parabolique, par exemple.
Sommes-nous alors réduits au silence ? Je ne le crois
évidemment pas. Le point de départ de la confession de foi en la résurrection
des morts, c’est-à-dire à la sainteté des élus, réside dans la vie présente,
ici et maintenant. C’est parce que, aujourd’hui, nous prétendons vivre en
amitié avec Dieu, qu’une vie après la mort est possible.
Vous me direz, il n’est pas plus aisé de montrer le sens de que
ce que nous prétendons vivre avec le Christ aujourd’hui que celui d’une vie
après la mort. Ce n’est cependant pas certain. Certes, comme le dit la lettre
aux Romains que nous lisons ces jours en semaine, nous croyons en espérance. Et
si jamais la modalité de l’espérance était remplacée par une certitude du genre
deux et deux font quatre, nous serions sans doute en dehors d’un acte de foi.
Certes, rien ne garantit que ce que nous prétendons être l’amitié avec le
Christ n’est pas une illusion. Et nous ne pourrons jamais complètement écarter,
du point de vue de la connaissance, ce risque car l’on ne justifie pas la vie
avec le Christ, puisque c’est elle qui justifie tout, et notre vie, et ce
monde, et la résurrection, et la sainteté.
Mais tout de même, notre expérience de foi n’est-elle pas qu’il
est vivant celui devant qui nous nous tenons, ainsi que le disait déjà le
prophète Elie ? Et si nous avons la grâce de l’avoir entendu, bien sûr
sans qu’il y ait de parole dans ce récit,
ni de voix qui s’entende, si nous avons eu la grâce de l’avoir entendu nous appeler
ses amis, alors ce que nous vivons aujourd’hui avec lui est déjà vie éternelle,
est déjà résurrection. Vous êtes
ressuscités avec le Christ. Si déjà une vie divine est possible, alors
pensez bien que la mort n’y changera pas grand-chose ! Voilà ce que nous
pouvons affirmer de la vie éternelle, de la sainteté des élus. Si nous vivons
déjà avec le Christ, qu’est-ce qui pourra
nous séparer de son amour ? Rien,
pas même la mort !
On nous objectera, et l’on n’a pas besoin que l’on nous objecte, nous sommes assez grands pour le remarquer nous-mêmes, que cette vie ici et maintenant elle aussi peut être subterfuge ou illusion. Mais peu nous importe car cette résurrection qui nous fait rechercher les réalités d’en-haut trouve son ancrage dans la réalité de l’existence humaine, dans le service des frères. Imaginons un instant que l’amitié du Christ soit illusion, la sainteté née dans le service du frère sera toujours cela de gagné pour rendre un peu de dignité à tout homme, pour le saluer, pour le sauver de l’oubli. Mais si en plus, si ce service était le chemin par lequel nous entendons effectivement le Christ nous déclarer ses amis, alors, oui, nous sommes déjà ressuscités avec le Christ, alors chercher les réalités d’en-haut c’est servir le frère, alors la sainteté est déjà le lot de tous ceux qui se font prochains de leurs frères, qu’ils connaissent ou non le Seigneur de gloire.
On nous objectera, et l’on n’a pas besoin que l’on nous objecte, nous sommes assez grands pour le remarquer nous-mêmes, que cette vie ici et maintenant elle aussi peut être subterfuge ou illusion. Mais peu nous importe car cette résurrection qui nous fait rechercher les réalités d’en-haut trouve son ancrage dans la réalité de l’existence humaine, dans le service des frères. Imaginons un instant que l’amitié du Christ soit illusion, la sainteté née dans le service du frère sera toujours cela de gagné pour rendre un peu de dignité à tout homme, pour le saluer, pour le sauver de l’oubli. Mais si en plus, si ce service était le chemin par lequel nous entendons effectivement le Christ nous déclarer ses amis, alors, oui, nous sommes déjà ressuscités avec le Christ, alors chercher les réalités d’en-haut c’est servir le frère, alors la sainteté est déjà le lot de tous ceux qui se font prochains de leurs frères, qu’ils connaissent ou non le Seigneur de gloire.