Affichage des articles dont le libellé est Edito. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Edito. Afficher tous les articles

11/10/2024

Pourquoi m'appelles-tu bon ? Mc 10, 17-27 (28ème dimanche du temps)


 

« Hériter la vie éternelle. » On ne sait pas bien ce qu’est la vie éternelle dans le texte. Comprenons une vie qui n’a pas de fin, une vie pleine de l’éternité. En quel sens faut-il entendre le verbe ? Comme un héritage, une richesse qui arrive indue, juste parce qu’on est fils de ? Si l’homme est riche, peut-être bien. A moins que l’on ne parle que de recevoir.

Si la vie est un dû, alors la question est pour le moins importune, goujate ; dans quel monde vit et pense ce riche. Tout est affaire de possession. Tout est dû ou s’acquiert pourvu qu’on y mette le prix. Or la richesse empêche la vie, semble répondre Jésus. Mais si la vie est don, alors l’homme qui souhaite la recevoir n’est peut-être pas loin du Royaume.

« Pourquoi m’appelles-tu bon ? » Jésus refuse d’être ainsi désigné car la bonté est le nom de Dieu. Connaîtrait-il déjà le Corbeau et le renard pour savoir que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute ? Ou bien Jésus n’est bonnement confessé non dans les déclarations emphatiques, superlatives, mais dans la conversion, le changement de vie, dont l’homme se montre incapable. Jésus ne rejetterait le qualificatif que parce qu’il est mensonge, dès lors que celui qui l’emploie n’entre pas lui-même dans la bonté. Dire du bien de Dieu mais l’envoyer bouler par ses actes, et non seulement une contradiction mais fait du compliment une insulte.

Un drôle de décalogue. La liste de commandements ne correspond pas à celles que nous connaissons par ailleurs. En revanche, elle exprime ce que beaucoup ont toujours respecté : ne pas tuer, ne pas voler, ne pas être adultère, au point qu’ils se pensent bons ! Les conversations de comptoir ou de confessionnal, entre voisines ou sur le bord d’un terrain à accompagner les enfants, font entendre que nous ne sommes pas si mauvais que cela, tout compte fait. Or Dieu ne sait pas compter ! Si souvent, on désigne pire que soi pour se faire croire que l’on n’est pas si mal, que l’on est même bon. Mais ce n’est pas bon du tout ! Histoire de bontés ordinaires, conviction hypocrite qu’on est bon, qui dispense et protège d’aller voir plus loin.

« Jésus l’aima », comme reprise de la Genèse : « Et Dieu vit que cela était bon. » ça, c’est étonnant. Rupture dans les bons sentiments. L’amour de Jésus n’est pas déterminé par la qualité de l’homme, préoccupé bonnement de la vie ou voulant l’acheter comme une vulgaire paire de chaussettes, respectant les commandements ou se le faisant croire pour surtout ne rien changer dans sa vie, plein de bons sentiments qui se fracassent sur la mise en pratique.

Le texte est ainsi composé que l’on ne sait pas si l’homme est bon ou non. Mais Jésus l’aime. Notation propre à Marc, avec le verbe de l’agapè, l’amour gracieux, non possessif, respectueux. Jésus aime non en général, mais en regardant, comme le miséricordieux qui voit la misère avec le cœur, ou le créateur réjoui de son œuvre : c’était très bon.

Ce que rate cet homme, peu importe ici que ce soit sa faute, qu’il ne soit qu’un courtisan intéressé ou au contraire un disciple rempli de velléités de perfection, véritablement assoiffé de vie. Ce que rate cet homme, c’est la vie, non parce que la barre serait trop haute, mais parce que « pour les hommes c’est impossible ». On l’a déjà dit, la vie ne s’obtient pas, elle ne récompense pas la bonté. Ce que rate cet homme, c’est ce que nous ratons tous. Alors Jésus l’aima.

L’amour de Dieu, la vie éternelle (on en sait désormais un peu plus) est hors de portée, et pourtant advient. Tristesse de n’en être pas capable ? de n’en être pas la source ? de ne pas voir que malgré ce qui empêche, c’est offert ? Partir sans voir, à la différence de Jésus qui regarde, que l’on est aimé ? Recevoir est si peu spontané, nous renvoyons à ce que nous prenons comme une frustration alors que nous sommes si souvent avare, nous ne sommes pas source.

La bonté est indue et fait vivre. Je l’ai déjà écrit grâce à David Flood : l’expérience de François d’Assise est que la proximité avec les exclus est monde nouveau. Le riche ne peut le savoir, qu’il confisque ou donne généreusement ; le bien-pensant ne peut le savoir, hypocrite ou magnanime, le raciste qui refuse la fraternité ne peut que l’ignorer. Vivre avec les pauvres, les hommes et les femmes sans valeurs, les migrants (s’ils sont pauvres, autrement cela ne fait pas problème), vivre avec les malades sans espoirs de guérison, vivre l’échec qui oblige à recevoir paraît surhumain, comme pour un chameau passer par le chas de l’aiguille.

Les pauvres, les salauds et les migrants, les malades à l’extrême, ceux à la sexualité « déviantes », les prostituées comme dit Jésus, connaissent par la grâce d’un frère, une sœur, bon, le royaume, entrent dans le royaume. C’est ce que Dieu offre, un monde nouveau, la fraternité universelle. Je comprends que cela ne fasse pas recette : qu’importe et apporte d’être frère, sœur, avec les parias ? Beaucoup préfèrent les salamalecs religieux à la discipline, la bonté du maître.

06/05/2023

Post n°1000 ! Vérité et charité (Ep. 4, 15)

Le 28 août 2009, fête de saint Augustin, j’ouvrais ce blog. Un peu moins de quatorze ans plus tard, il atteint la millième publication. Deux tiers des articles sont des homélies. D’après le compteur, le texte le plus lu est « Pourquoi et comment remercier Dieu ? »

Je sais que ce qui est ici publié agace voire agresse certains. Des commentaires parfois violents m’en informent. Je sais que ces mêmes pages accompagnent d’autres personnes qui me font l’amitié et l’honneur parfois de me le confier, comme encore cette semaine.

Palea dit Thomas de ses écrits. De la paille ! Que dire des miens ? Ce n’est pas une coquetterie sous forme de fausse modestie. Il s’agit de remettre les choses à leur place. « La charité [seule] ne passera jamais. » (1 Co 13, 8)

Le Psaume (84, 2 et 11) est impayable. Imaginer que Dieu éprouve du ressentiment, ne serait-ce que pour l'oublier, est insupportable. Mais enfin : « Tu as aimé Seigneur cette terre. [...] Amour et vérité se rencontrent, justice est paix s’embrassent ». Paradis non pas terrestre, mais ciel sur la terre, vie de Dieu parmi les humains.

Veritatem autem facientes in caritate (Ephésiens 4, 15). La phrase est au pluriel et dit le but : « Faisant la vérité dans la charité, nous grandissons vers celui qui est la tête, le Christ ». Il faudrait que "vérifier" en français dise ce que son étymologie exprime, faire la vérité. Le verset est intraduisible : le verbe avec la racine vérité n’existe qu’en grec. C’est la Vulgate qui traduit par faire la vérité, sans doute meilleur que dire la vérité. « Vivant dans la vérité et dans la charité » essaie maladroitement la Bible de Jérusalem ; la TOB ne fait pas mieux avec « confessant la vérité dans l’amour ».

Augustin corrige la vérité par l’amour, discerne la vérité par l’amour.
« - Tu dis: Je n’aime que Dieu, Dieu le Père ?
- Tu mens. Si tu l’aimes, tu ne l’aimes pas lui seul, mais si tu aimes le Père, tu aimes aussi le Fils.
- Bien, dis-tu, j’aime le Père et j’aime le Fils : mais eux seuls [...].
- Tu mens. Si en effet tu aimes la tête, tu aimes aussi les membres ; mais si tu n’aimes pas les membres, tu n’aimes pas non plus la tête. » (Sur la 1ère épitre de Jean x, 3)

« Pour les hommes, c’est impossible. » Impossible de traduire et de dire. Au point qu’il vaudrait peut-être mieux se taire. Plus impossible encore de vivre selon le maître de vérité, vivants. Fra Bartolomeo, peintre florentin et dominicain (1472-1517) a représenté le fondateur de l’ordre des prêcheurs auquel appartenait Thomas par deux fois, que je sache, au couvent Saint Marc, le doigt sur la bouche.

vers 1510-1517 (San Marco - Florence)

 
vers 1511-1512 (San Marco - Florence)

16/10/2022

« Demandez et l’on vous donnera » Lc 18, 1-8 (29ème dimanche du temps)

Il faudrait lire d’un seul tenant le chapitre 18 de Luc dont nous n’avons entendu que les huit premiers versets. Après la parabole du juge inique vient celle que nous lirons dimanche prochain, les prières du pharisien et du publicain au temple. Luc enchaîne ce double propos sur la prière avec un certain nombre de rencontres, les enfants que les disciples rabrouent, l’homme riche, avec les disciples un échange sur le salut et l’abandon de tout, enfin la guérison de l’aveugle de Jéricho, lui aussi rabroué.

Il y a des indices manifeste d’un enchaînement travaillé, les deux paraboles encadrent, avec les deux rencontres, les échanges avec les disciples sur la passion à venir, la possibilité d’être sauvé, l’accueil des enfants. La veuve qui casse les oreilles du juge demande, implore, au début du chapitre, comme l’aveugle à la fin qui crie et répète sa demande.

Le publicain implore la pitié comme l’aveugle. L’homme riche, alors même qu’il rencontre Jésus pour la vie éternelle, ne parvient pas à devenir disciple, comme le pharisien, qui pourtant rend grâce, littéralement fait eucharistie, ne peut être justifié en retournant chez lui. Au centre, les disciples « ne saisirent rien de tout cela ; cette parole leur demeurait cachée, et ils ne comprenaient pas ce qu'il disait ».

Nous pouvions croire que les deux paraboles parlent de la prière ; elles ouvrent plutôt une réflexion sur le salut : « Pour les hommes, c’est impossible ». Le salut n’est pas ce que l’on obtient, en faisant en sorte d’hériter : « que dois-je faire pour hériter de la vie à jamais ? » Le salut n’est pas la récompense après que l’on a tout quitté pour suivre Jésus. La belle préoccupation de l’homme riche pour la « vie à jamais » n’est pas une demande. La stratégie des Douze qui attendent récompense à avoir suivi Jésus se fracasse sur la mort : la croix.

Le salut ne s’obtient d’aucune manière. « Pour les hommes, c’est impossible. » Et si pour Dieu l’impossible n’existe pas, ce n’est pas parce que Dieu pourrait faire des miracles, échapper aux lois de la nature, octroyer quelque avantage, ainsi le roi dans son bon plaisir. Si pour Dieu, le salut est possible, c’est qu’il est pour tous, comme son dessein ; même un publicain ou un mendiant aveugle y ont droit, même les enfants, alors non-sujets de droit comme les esclaves, y ont droit. Mieux, les enfants sont le type-même des destinataires de la vie à jamais, « le royaume appartient à ceux qui leur sont semblables ».

C’est que la vie, cela se reçoit. Prendre la vie, c’est tuer. La vie est don ou n’est pas. Jusqu’à présent, jamais personne ne s’est donné à lui-même sa vie et, à gagner sa vie, on la perd. Juste à la fin du chapitre précédent le nôtre, nous lisions : « Qui cherchera à conserver sa vie la perdra et qui la perdra la sauvegardera. »

N’est-ce pas ce qui arrive, prophétiquement, dès le chapitre trois de la Genèse. La femme prit du fruit de l’arbre et en mangea avec son mari. Et ils connurent qu'ils étaient nus, fragilité et mort. Ils ont pris la vie et en sont, évidemment, morts. Alors que le tout dernier livre des Ecritures nous dit tranquillement, comme une évidence, que le fruit n’est nullement interdit, qu’est heureux celui qui aura part à ce fruit. « Au vainqueur, je ferai manger de l’arbre de vie placé dans le Paradis de Dieu. » Au tout dernier chapitre, la Jérusalem céleste, autrement dit le salut, est décrite : « Au milieu de la place de part et d’autre du fleuve, il y a des arbres de vie qui fructifient douze fois, une fois chaque mois ; et leurs feuilles peuvent guérir les païens. De malédiction, il n’y en aura plus ; le trône de Dieu et de l’Agneau sera dressé dans la ville, et les serviteurs de Dieu l’adoreront ; ils verront sa face, et son nom sera sur leurs fronts. De nuit, il n’y en aura plus ; ils se passeront de lampe ou de soleil pour s’éclairer, car le Seigneur Dieu répandra sur eux sa lumière, et ils régneront pour les siècles des siècles. » Vie éternelle, vie à jamais.

On comprend ce qu’est la prière avec ce chapitre 18, disposition pour la vie. Demander sans cesse non pour fléchir un juge inique. Dieu n’est tout de même pas un fonctionnaire tatillon qui refuserait la demande parce le formulaire serait mal rempli ! Demander sans cesse pour accueillir ce que Dieu de toujours, à jamais, donne. « Jésus disait à ses disciples une parabole sur la nécessité pour eux de toujours prier sans se décourager. » 

« Notre Seigneur et notre Dieu veut non pas que lui soit manifestée notre volonté ‑ qu’il ne peut ignorer ‑ mais que s’exerce dans les prières notre désir, pour que nous puissions accueillir ce qu’il s’apprête à donner. Car ce don est grand et nous sommes petits et étroits à le recevoir. [...] Désirez sans relâche la vie bienheureuse, qui ne peut être qu’éternelle, de celui qui seul peut la donner. […] Des mots nous sont donc nécessaires à nous, pour nous rappeler et mettre sous notre regard ce que nous devons demander, non point ‑ n’allons pas le croire ‑ pour instruire ou fléchir le Seigneur. » (Augustin, Lettre à Proba)

Demander sans se décourager, pour s’apprêter à recevoir, et désapprendre à prendre.