L’aujourd’hui de la parole fait entendre que nous sommes
uns, un corps, y compris dans les divisions et les guerres, qu’en filant la
métaphore de Paul on dirait maladie, cancer, souffrance. L’aujourd’hui de la
parole aide à voir ce que nous sommes ensemble et comment l’être sainement,
autrement dit dans la concorde et la paix.
La complémentarité des membres dénonce qui veut tout faire
ou ne veut pas de l’autre, dans l’Eglise, la famille, la société. Un Etat qui compte
sur les corps intermédiaires a plus de chances de parvenir à la justice. La
synodalité de l’Eglise offre la possibilité pour chacun de tenir sa place dans
l’assemblée de façon complémentaire. L’attention portée à chacun en famille est
un pain dont personne ne peut se passer sans risquer la mort.
Nos existences sont le fruit du service que chacun rend à l’autre.
Il n’y a pas de corps social, ecclésial, familial, etc., ni partant d’individu,
sans le service rendu dans la complémentarité, le soin du corps. La justice, la
santé du corps, passe par le service.
Une toile de Simon Vouet ‑ la cène, dit-on ‑
montre dans la partie supérieure un coin de table autour duquel se pressent les
uns et les autres. Jésus est devant le pain et le vin que l’on devine à peine.
Le peintre nous place en bas, très en-dessous de la table, que l’on voit depuis
le sol. C’est curieux de peindre la cène pour qu’on la voie si mal !
Il faut ouvrir les yeux sur la toile, comme on ne ferme pas
les yeux sur chacun des membres du corps. Voir le plus humble et même le moins
décent. Voir celui qui est agenouillé, au sol. Une aiguière, un panier avancé
par un serviteur. C’est depuis le service que l’on voit le pain et le vin. Paul
articule dans les chapitres 11 à 13 de sa lettre le dernier repas de Jésus, la « diversité
des services ou ministères », la complémentarité dans le corps et la
charité.
On détourne le regard des membres que l’on ne veut pas voir,
et on ne les voit pas. Ceux qui les servent sont invibilisés aussi. Pensons à
tant de bénévoles d’association, banque alimentaire, soutien scolaire, défense
des travailleurs, visiteurs de prison, et tant d’autres, que la Nation ignore
alors qu’elle leur doit tant. Le serviteur ne peut pas se montrer, crier qu’il
est là. Pourtant, c’est par lui que l’on devine le pain et le vin.
Le peintre force à la conversion du regard comme l’enseignement
de Paul. Une histoire de corps qui va de Jésus, au pain en passant par la
communauté humaine. Ces trois corps sont inextricablement liés et qui néglige l’un
ne peut s’occuper des autres, quoi qu’il en pense. Il est une place, une seule,
qui ouvre le regard sur la complémentarité des corps du Christ, ou mieux, sur l’unique
corps du Christ qui se montre en cet homme, dans le pain, dans la communauté, et
Vouet la désigne, en bon lecteur de Paul, le service. N’est blanc dans la toile,
outre la nappe, que l’habit de Jésus et les linges des serviteurs.
Service, esclavage même, lavement des pieds, corps du Christ.
« Les parties du corps qui paraissent les plus délicates sont
indispensables. Et celles qui passent pour moins honorables sont elles que nous
traitons avec plus d’honneur ; celles qui sont moins décentes, nous les
traitons plus décemment. »
Nous le savons tous, le monde, l’Eglise, nos vies, ne vont
pas fort, vont très mal, mais nous ne pigeons pas, nous ne voulons pas voir,
conversion du regard, conversion du missionnaire. « Si un seul membre
souffre, tous les membres partagent sa souffrance. » C’est notre santé,
notre bonheur qui passe par la place du service de sorte que « si un
membre est à l’honneur, tous partagent sa joie. » Jouer perso est un non-sens.
L’aujourd’hui de la parole est mission de service : « L’Esprit
du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il
m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur
libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les
opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur. » Pour la
libération, il faut ouvrir les yeux, changer de regard, voir le corps. « C’est
aujourd’hui que se réalise cette parole de l’Ecriture que nous venons d’entendre. »