Le texte du livre de la Sagesse qui sert de première lecture
(Sg 1,13-15 ; 2,23-24) est terriblement chimistré, comme on dit à Lyon, bricolé,
bidouillé, falsifié. Trois versets pris du chapitre premier, et deux du
deuxième, un contexte totalement occulté, produisent un sens assez différent de
ce qu’on peut lire dans les Ecritures, le lien entre l’impie et la mort.
Autorisons-nous cependant de cette création liturgique pour
interroger notre foi. Je nous soupçonne de n’être pas vraiment convertis, je
vois si souvent en nos discours plus que des traces de paganisme et d’animisme,
ces vieilles religions que l’homme civilisé juge de haut, pensant s’en être
débarrassé, sans ce rendre compte qu’il en est un adepte assidu.
Dieu a rappelé à lui
notre frère, lit-on souvent dans les faire-part de décès. Et l’on me
rapportait avec admiration, ce propos d’une maman qui perdait son fils de 33
ans ; Seigneur, tu me l’as donné, je
te le rends. Même la prière eucharistique 3, dans son communicantes pour les défunts, dit : « Souviens-toi de celui
que tu as appelé auprès de toi. » L’original latin est pire : « Rappelle-toi
de ton serviteur que tu as rappelé à toi depuis ce monde. »
Comment cela ? Dieu ferait mourir ? La mort s’expliquerait
pas le fait que Dieu rappelle à lui tel ou tel ? Notre texte dit
explicitement autre chose. « Dieu a créé l’homme pour l’incorruptibilité, il
a fait de lui une image de sa propre identité. C’est par la jalousie du diable que
la mort est entrée dans le monde. » Je ne suis pas certain que l’appel au
diable soit satisfaisant, mais il est clair que Dieu n’a pas créé la mort, et
encore moins rappelle à lui en faisant mourir. Il a créé l’homme à son image,
pour l’immortalité, l’incorruptibilité. La mort dans le monde, c’est le mal.
Non, Dieu ne rappelle personne à lui, si cela veut dire que
telle personne est décédée parce Dieu l’a rappelée à lui. Que Dieu rappelle a du
sens ‑ et quel sens ! ‑ si l’on entend : Dieu rappelle à
lui notre frère en le tirant de la mort ; Dieu le rappelle de la mort. La
où la mort a fait son œuvre, Dieu défait la mort. Il ne laisse pas son ami voir la corruption, selon le psaume déjà
utilisé en ce sens par les Actes des Apôtres.
Oui, Dieu nous rappelle à lui de la mort et non par la mort.
« Dieu a créé l’homme pour l’incorruptibilité, il a fait de lui une image
de sa propre identité. » « Dieu n’a pas fait la mort, il ne se
réjouit pas de voir mourir les êtres vivants. Il les a tous créés pour qu’ils
subsistent ; ce qui naît dans le monde est porteur de vie : on n’y
trouve pas de poison qui fasse mourir. La puissance de la mort ne règne pas sur
la terre, car la justice est immortelle. »
Voilà de quoi convertir notre paganisme, cette conception
religieuse de l’humanité en concurrence avec Dieu, cette conception d’un dieu
tyran qui a droit de vie et de mort sur les hommes, cette conception de la religion
comme un marchandage pour amadouer la divinité, se la concilier, se la rendre
favorable. Mais Dieu est pour l’homme. « Si Dieu est pour nous, qui sera
contre nous ? » s’écrit Paul. Dieu n’est pas le tyran mais le
serviteur : « le fils de l’homme est venu non pour être servi mais pour
servir et donner sa vie en rançon pour la multitude. » Et si rançon il y
a, ce n’est pas pour Dieu. C’est lui qui paie !
Et notre animisme ? La pire illustration je la trouve
dans nombre d’homélies de funérailles. On se retrouvera, dit le prédicateur, pour
soulager la douleur de ceux qui sont dans le deuil, quitte à faire de la foi
une vaste fumisterie, une illusion. Oui, nous vivons avec nos morts, surtout
quand on vieillit. Au fur et à mesure que l’on prend de l’âge, notre univers se
peuple de défunts, ceux que nous avons connus, aimés.
Nous vivons avec eux. Certes, nous ne leur donnons pas à
boire à chaque bouteille que nous ouvrons, mais ils sont souvent plus vivants
pour nous que Dieu lui-même. Il faudrait que l’on prouvât l’existence de Dieu,
mais que les esprits des morts attestent de leur vie est une évidence guère
interrogée !
Qu’en est-il de la vie après la mort ? Nous n’en savons
rien. Méfions-nous des illusions. Que la vie avec Dieu soit plus forte que la
mort, nous l’affirmons dans la résurrection de Jésus qui est notre
résurrection. De là à imaginer qu’on se retrouve dans l’autre monde, c’est
autre chose. Qu’est-ce qu’un homme transformé, comme dit Paul, que sont les
hommes transformés ? Que sont les hommes à l’image du Dieu immortel ?
A quoi ressemblent-ils ? Loin de notre individualisme anthropologique, c’est
toute la création qui est récapitulée, et l’humanité en un seul corps,
transformée.
Décidément, nous ne sommes pas encore chrétiens !
- Loué sois-tu, Mon
Seigneur, pour sœur notre mère la terre. Alors que François vient de
publier une encyclique sur la vie humaine dans la maison commune de la
création ; donne-nous de ne pas fouler au pied ton œuvre et d’être
solidaire de tous les hommes que tu nous a donnés pour frères.
- Loué sois-tu, mon
Seigneur, pour ceux qui pardonnent par amour pour toi ; qui supportent
épreuves et maladies : heureux s’ils conservent la paix car par toi, le
Très-Haut, ils seront couronnés. Alors que le terrorisme a frappé encore en
Isère, en Tunisie, au Koweït, donne-nous de construire la maison commune où il
fait bon vivre.
- Loué sois-tu, mon
Seigneur, pour notre sœur la Mort corporelle à qui nul homme vivant ne peut
échapper. Donne-nous de vivre en ta présence aujourd’hui et demain. Protège
ceux qui vont mourir et que tu rappelleras à ta vie.
- Très haut, tout puissant et bon
Seigneur, à toi louange, gloire, honneur, et toute bénédiction ; à toi seul ils conviennent, ô
Très-Haut, et nul homme n’est digne de te nommer. Que notre communauté ne cesse de chanter ta louange.