A la manière d'un dialogue platonicien, sur le sens de la critique de et dans l'Eglise.
L’un : Oui
j'aime la fête du Christ roi, en tant qu'elle nous tourne résolument vers
l'essentiel, entendu d'un point de vue eschatologique. C'est mon côté oriental
et donc cosmologique.
L’autre : C'est
exactement le problème de la théologie orientale, ignorer les répercutions
sociopolitiques de la confession chrétienne !
L’un :
Certes mais elle nous libère du solipsisme parfaitement
moderne et angoissant, quelque chose de plus fort que l'égocentrisme, cette tendance
à se regarder en permanence.
L’autre : Il
suffit de suivre Jésus, il ne parle jamais de lui mais est toujours au service
des autres. Le christocentrisme est service. C'est juste ce que l'institution
de cette fête me paraît oublier voire nier.
L’un :
je pense que Pie XI a davantage en tête les dangers
des idéologies naissantes.
L’autre : C'est
évident, mais comment s'y prend-il ? En pensant que l'Eglise échappe évidemment
à ces dérives. Pour ce faire, il condamne et la condamnation est-elle autre
chose que le témoin d'une idéologie aussi abjecte que les autres ?
L’un : Que
fais-tu alors en condamnant aussi sévèrement l'institution (ce que je peux aussi partager)
mais surtout en dénonçant jusqu'à la possibilité de vivre une vraie relation au
Christ en dehors de toute remise en question ?
L’autre : Comment
pourrait-il y avoir une suite du Christ en dehors d’une remise en question ?
« Vois ! cet enfant doit
amener la chute et le relèvement d'un grand nombre en Israël ; il doit être un
signe en butte à la contradiction ».
Primo je mets en évidence la
contradiction, deuzio, ce n’est pas
seulement celle de l'institution mais la nôtre. Cette contradiction est notre
lot. Nous devons à la fois vivre en institution ‑ comment faire autrement ? ‑ et critiquer ce que cette institution, comme toute, ne peut que
travestir de la vérité qu'elle porte.
L’un : Mais alors
que faisons-nous en attendant que toute contradiction soit purifiée en nous ? On nie, on rejette, on explose, on survole ?
L’autre : L'institution
ne peut vivre qu'à être critiquée, ou alors elle tue.
On ne purifiera pas
cette contradiction. Nous sommes de cette institution et nous l'aimons. C'est
parce que nous l'aimons que nous sommes critiques à son égard.
L’un : Je crois
que la critique est résolument moderne et elle fait peser sur le sujet une de
ces nombreuses angoisses que repère Tillich.
L’autre : Tu
rigoles. La critique, moderne ? Il
paraît que c'est pour cela que Socrate est mort. Peut-être aussi Jésus. Ou
alors tu appelles moderne ce génie de l'Occident qui traverse tous les âges et
les lieux, à savoir la critique des sociétés traditionnelles, disons de l'argument d'autorité, quelle qu'en soit la forme, politique, religieuse, idéologique, etc.
L’un : J'entends
que la critique est émanation du sujet pensant à partir de lui-même, en ce
sens, moderne. Je pense qu'il y a une fatigue de vouloir être tout autant qu'une
fatigue de mettre son être en procès en le confrontant à toutes ses
contradictions.
L’autre : Non,
ce n'est pas suffisant. La critique n'est pas le fait du sujet moderne. Chez
Platon elle est l’expression de l’obéissance au Logos. Ce n'est pas une
histoire d'individus. Quant à la fatigue de la critique, elle n'est audible que pour ceux qui ont le ventre arrondi, repus qu'ils sont. Leurs frères crient et meurent. Et je ne crois pas que l'on puisse se taire.
L’un : Alors
dans ce sens oui, mais tu ne nieras pas que ce n'est pas la critique que nous
vivons aujourd'hui. Il y a surtout le luxe d'une critique à la manière des bobos. Ça demeure
fondamentalement moi-même face à moi.
L’autre : Attention au jugement sur la critique qui est portée contre l'Eglise. Elle est parfois aussi une critique justifiée, raisonnée, mais notre Eglise ne veut rien
entendre, défendant son terrain plutôt que de servir son Seigneur, au risque du
martyre. Elle est comme moi, cette Eglise, avec sa tiédeur. Mais ce n'est pas
parce que je suis pécheur que je ne dois pas dénoncer et mon péché et le sien.
Nous sommes inexcusables de notre trahison de l'évangile et du Seigneur. Nous
serons crédibles, et l'Eglise avec nous, à reconnaître que nous ne vivons pas
ce que nous disons et ne disons pas toujours ce que dit notre Maître.
L’un : Certes et
je suis le premier à opérer une sorte de grand écart inconfortable mais pour
autant la critique me poserait en permanence dans une introspection malsaine
ou/et fatigante. C’est en cela que j'entends la critique comme ego-centrée.
L’autre : La
critique est fondamentale et sans limite. Reste cependant une chose qui
l'arrête, mais nous sommes dans une autre logique, et c'est sans doute le
chemin de la paix et du décentrement, l'amour. L'amour chasse la crainte (1 Jn 4, 18) C'est la miséricorde de
Dieu, c'est déjà celle du frère. Mais cela ne m'appartient pas. C'est pour cela
qu'il s'agit d'une autre logique et qu’il n’y a pas de solipsisme.
On n'est pas dans le
développement personnel, on est dans la rencontre qui convertit. Seule
l'altérité nous fait vivre. Y compris l’Eglise. Tant qu’elle se pense comme un
tout, qu'elle se prend pour son Seigneur sous prétexte de tenir sa place (in persona Christi), ignorant ceux qui ne pensent
pas comme elle, elle fait fausse route.
L’un : La
miséricorde est effectivement le chemin et c'est pour cela qu'à l'angoisse de
la modernité, j'ai choisi la paix des médiévaux.
L’autre : Détrompe-toi.
La paix n'est pas médiévale. Regarde la peur de l'an mille, regarde la peur de
la grande peste et les crucifix de Grünewald, regarde la peur de l'enfer, etc.
Détrompe-toi, regarde la critique médiévale des institutions, ne serait-ce que
saint François. Quelle audace et quelle force critique d'oser prétendre avoir
entendu dire « rebâtis mon Eglise » et d'aller dire cela au Pape ! On
pourrait multiplier les exemples
Et il se pourrait que
nos modernes cherchent la tranquillité. C'est du moins la critique de Nietzsche
contre le petit homme.
Les modernes sont des
hommes détestables. Mais pas pour les raisons que tu dis, exactement pour le
contraire. Qui, des modernes, lit Nietzsche et Foucault ? Qui des modernes
supportent la critique. En ce sens, et contrairement à ce qu’elle dit et ce qu’on
dit d’elle, l’Eglise est très moderne. Elle s’est mondanisée sur ce coup là
encore.
L’un : Je pense
davantage à la figure du moine qui prête sa voix à une Parole qui le dépasse et
sur laquelle il se refuse une quelconque prise, c'est là une paix et ce n'est
pas une tranquillité. Il sait pour autant qu'il n'est pas digne de cette Parole
mais il la laisse résonner dans la liturgie de l'Eglise, il consent à la
grandeur sans se laisser gagner à la naïveté béate.
L’autre : Si tu
veux, mais il ne s'agit ni d'être moderne, ni d'être médiéval, mais
intempestif, inactuel, libre..
J'ai rencontre le
Père Martelet cette semaine. Il redisait combien nous sommes des Jean-Baptiste,
à tendre le doigt vers celui que nous désirons désigner. Mais nous sommes
encore vieil homme, notre Eglise est aussi une vielle femme. Alors les
rhumatismes déformants nous prennent. Notre doigt se recourbe. Nous voulions
montrer le Sauveur et c'est nous que nous montrons !
L’un : Je suis
d'accord qu'il ne faut être ni médiéval ni moderne mais je reste convaincu
(d'où mon gout pour l'ecclésiologie) qu'il y a une attitude de sortie de crise
à s'inscrire dans une dimension ecclésiale qui soit véritablement cosmologique
au sens où elle inscrit le sujet dans une dimension beaucoup plus libre que
l'égo-centrisme que je dénonce à travers ma dénonciation des modernes. Quant au
Père Martelet, c'est une belle image mais sommes-nous là pour désigner le
Christ ou laisser le Christ nous désigner comme porteur de sa promesse ?
"Le Seigneur fit pour moi des merveilles, saint est son Nom"
L’autre : Les
disciples sont assurément là pour prendre la place du Baptiste. Cela ne fait
pas que, comme tous, ils sont désignés par Jésus comme sauvés. Mais comme
témoins, nous ne sommes pas là pour parler de nous.
L’un : Oui, il faut les deux.