L’évangile de l’aveugle-né (Jn 9) se présente comme un
procès. Répétition générale de la Passion, encore que l’évangile de la
résurrection de Lazare, deux chapitres plus loin, constitue une autre
répétition générale.
Depuis les premières lignes de l’évangile, le procès est
ouvert. Il est venu chez les siens, et
les siens ne l’ont pas reçu. Impossible de reprendre tous les chapitres. Je
souligne seulement le suivant, le chapitre deux, avec l’expulsion des marchands
du temple. On a l’impression que c’est Jésus qui a commencé, comme disent les
enfants pour se disculper de la bagarre dans laquelle ils sont surpris.
Les évangiles synoptiques placent l’épisode des marchands juste
avant le procès, comme si c’était ce qui enfin avait permis d’arrêter Jésus. Il
est allé trop loin en s’attaquant à l’institution du temple, au culte. Jean
déplace l’événement et ouvre avec lui son évangile ; oui, tout cet
évangile est composé par un unique procès, celui de Jésus, celui du monde qui
est déjà jugé comme dit le chapitre trois. Répétition générale donc, avec notre
chapitre 9.
On l’entendra dimanche prochain, la discussion lors de la
résurrection de Lazare porte sur le mal et la mort. Si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort, disent, chacune à
son tour, les deux sœurs. Aujourd’hui la discussion porte notamment sur le rôle
de la religion dans le procès. C’est une chose incroyable, mais pourtant
incontestable, ceux qui jugent et suppriment Jésus le font pour des raisons
théologiques, ou du moins religieuses. Au nom du bien, au nom de Dieu, ils ont
commis un crime, et ce ne sont pas seulement quelques Juifs du premier siècle.
C’est ainsi avec les religions et tous les dogmes.
Jésus et ceux que Jean appellent les Juifs et les
synoptiques, scribes, docteurs de la loi et pharisiens se font face. Le langage
est celui de l’aveuglement. Certains prétendent voir qui ne voient pas et l’aveugle
lui, est clairvoyant. Cet aveugle-né n’importe finalement que très peu. Il
permet de mettre en porte-à-faux les uns face à l’autre, les Juifs et Jésus.
Comment se peut-il que l’on ait des yeux et ne voit pas, des
oreilles et n’entende pas ? Pire, des yeux pour ne pas voir, des oreilles
pour ne pas entendre. C’est une vieille histoire dénoncée par les prophètes et
que les quatre évangiles reprennent. Pour Jean, c’est au chapitre douze, juste
avant que ne s’ouvre les derniers jours d’un condamné !
Les coutumes, les habitudes, les rites, les savoirs, tout
cela tient une place considérable dans la religion. Ne pas faire comme il faut
risque de rendre vain le rite, voire de retourner son bénéfice en malédiction.
Pour nous autres catholiques, le dogme en arrive parfois à prendre une place
telle qu’il n’est plus au service de la foi, mais ce qu’il faut croire. Et
malheur à vous si vous ne formulez pas le dogme comme la coutume, y compris si
c’est pour mieux l’expliquer. Le dogme, la vérité religieuse devient une idole
à laquelle on sacrifie et offre son lot de victimes. Plus la divinité est
irreprésentable, plus l’idolâtrie dogmatique guète, plus le pharisaïsme se
développe.
Mieux vaut la référence au Catéchisme de l’Eglise Catholique
que la réflexion et l’interrogation sur le sens de ce que nous affirmons. Nous
finissons par employer des mots qui ne font plus sens mais tiennent seulement
les uns par les autres. On parle de la grâce de Dieu, de la vocation, mais
concrètement, qu’est-ce que cela veut dire que Dieu donne, ou que Dieu appelle
et parle. Là, il n’y a plus personne pour rendre compte, seulement des perroquets
aux plumages souvent ternes qui répètent à l’envi.
C’est vrai chez les païens, c’est vrai pour les religions
premières, c’est vrai pour le christianisme, l’Islam et le judaïsme, la
conviction de savoir le vrai, parce que l’on est initié, parce que l’on est
pratiquant du rite, empêche de voir le sens de ce que l’on croit. L’évangile est
bâillonné. On ne va tout de même pas prendre au sérieux sa puissance de
libération ! On finirait tous gauchistes, et les gauchistes ne croient pas
en Dieu, c’est bien connu.
Une heure d’adoration, me disait un prêtre il y a quelques
jours, deux heures au service des plus pauvres, sans quoi, c’est de la
foutaise. Regardez Jésus, il ne supporte pas de retarder, le temps d’un sabbat,
la libération d’un malade. Jésus est au-dessus des règles parce que les règles sont
pour les hommes et non l’inverse. Jésus n’est pas venu pour que nous soyons ses
disciples, pour que tous les hommes soient chrétiens. Jésus, ainsi que le dit l’évangile
de Jean, est venu pour que les hommes
aient la vie, et qu’ils l’aient en abondance.
Alors, il ne nous reste pour éviter le jugement, le procès
qui serait le nôtre, autant qu’il serait notre propre condamnation de Jésus,
alors il nous reste qu’à consentir à la réalité. Nous ne voyons pas. Nous
sommes aveugles ou mal voyants. Voilà au moins notre clairvoyance. Nous ne
savons finalement que si peu de notre Dieu. Pourquoi faudrait-il être déroutés
s’il s’agit seulement de dénoncer tout ce qui manque à Dieu dans ce que nous
confessons et vivons ? Pourquoi ne pas reconnaître comme Paul que nous
voyons flou, comme dans un miroir antique. Rien n’assure nos propos sur Dieu, y
compris ceux des religions. Seul l’amour
est digne de foi.
Ouvre mes yeux Seigneur
aux merveilles de ton amour. Je suis l’aveugle sur le chemin ; guéris-moi,
je veux te voir.