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24/11/2017

Où être sûr de trouver Jésus ? (Christ Roi)


Nous lisons les derniers versets de l’évangile de Matthieu (Mt 25, 31-46) avant la passion et la résurrection. Immédiatement après ces lignes, c’est la pâque de Jésus, il est livré, tué, remis à la responsabilité des disciples qui tous l’abandonnent, à part quelques femmes au pied de la croix. La montée à Jérusalem est sur le point de s’achever au Golgotha. Quelles sont les dernières paroles de Jésus comme homme libre ?
Ce ne sont pas les chefs des Juifs et les Romains qui font disparaître Jésus. C’est lui qui s’efface et disparaît derrière les frères. Le testament de Jésus n’est pas l’invitation à ce qu’on le vénère, on pense à lui, fasse retentir son nom à la face des nations, mais que l’on vénère et pense à ceux que l’on rejette, à ceux que l’on ne veut pas voir.
Dans la logique de la prophétie d’Isaïe, Jésus prend la place du serviteur, méprisé, compté pour rien. Il a compris, par le prophète, que si le salut doit arriver à l’humanité, c’est par un homme à qui la dignité humaine est refusée, il a compris que si les hommes peuvent espérer être délivrés du mal – le péché bien sûr, mais aussi la souffrance et la mort ­– c’est parce que l’un d’entre eux, innocent, dont l’humanité est niée par tous, est révélé comme celui en qui Dieu se manifeste, est relevé parce que Dieu se manifeste pour lui.
C’est que la puissance, la toute-puissance est le contraire même de Dieu, empêche de rencontrer Dieu, et désigne l’idole. Et l’Eglise a fait et fait adorer l’idole… Demandez à des enfants ce qu’est un héros. Ce sera de l’ordre de superman, aux pouvoirs extraordinaires, qui se bat contre ses ennemis et les écrase par la force. C’est sans doute aussi ce que les adultes ont en tête. Sans quoi, les films et jeux à la superman ne trouveraient pas de public, sans quoi, les nations qui se rêvent puissantes, ne joueraient pas à Zorro, comme lors de la guerre du Golfe, comme lorsque l’on chasse Kadhafi de Lybie. On croit qu’à traquer le salaud, on sauvera le monde. Pour l’heure, les résultats ne sont pas plus probants en Lybie et en Irak qu’en Syrie, où ces mêmes nations se sont faites complices assez hypocrites d’un tyran qui n’a rien à envier aux autres.
La toute-puissance de Dieu, c’est justement de se ranger à côté de ceux qui ne valent rien, des laissés pour compte. Que Dieu, le très haut, au plus haut des cieux, habitent avec ceux qui n’ont plus figure humaine, voilà sa toute-puissance. Et il en faut à Jésus de la puissance pour ne pas retenir le rang qui l’égalait à Dieu. Et il nous en faut de la puissance pour déserter la puissance ou ce que nous nous imaginons être notre force. « Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort. »
Voilà la royauté de Jésus. Est-ce bien le Dieu que vous êtes venus adorer ce matin ? Sinon, il est encore temps de partir. Mais si oui, où sont les pauvres ? Pourquoi sont-ils à la porte de l’Eglise ? Oui, je sais, c’est facile. Cela n’en demeure pas moins vrai. : ils ne sont pas ici ; comment Jésus y serait-il ?
Alors que nos valeurs chrétiennes sont de moins en moins partagées, c’est du moins le refrain de nombre d’entre nous, s’agit-il d’affirmer Jésus, de défendre l’identité chrétienne, l’identité culturelle ? Le Cardinal Vingt-Trois, peu suspect d’être un catho de gauche, s’exprimait ainsi récemment : « L’essentiel, ce n’est pas l’étendard, mais la manière dont se comportent les chrétiens ». Si nous devons refaire chrétiens nos frères, ce sera par notre manière de vivre. Qu’a-t-elle de fondamentalement différente de celle de tous ceux de notre milieu qui ne partagent pas la foi ? Ne témoignons-nous pas davantage de notre appartenance à un milieu et une classe sociale que de Jésus ?
Il est possible d’avoir l’impression d’avoir passé sa vie entière avec Jésus, être allé à la messe tous les dimanches depuis tout petit, avoir envoyé ses enfants au caté, à l’aumônerie, avoir défendu la culture chrétienne, et ne s’être jamais trouvé avec Jésus au point qu’il ne nous connaisse pas, au point que nous ne le reconnaissons pas, alors que nous méditons sa parole. Nous ne pouvons pas dire que nous ne savons pas. C’est très explicite, sans détour, pas besoin d’être exégète, théologien ou spécialiste. Chaque fois que nous l’avons fait, ou pas, à l’un de ces petits qui sont les siens, c’est à lui que nous l’avons fait ou pas.
Jésus disparaît derrière ceux à qui l’humanité est déniée. La parabole le dit quatre fois tant nous n’entendons pas. On ne sait jamais quand on vit avec Jésus. Sauf à secourir ceux que nous voyons « avoir faim, avoir soif, être nu, étranger, malade ou en prison ». (Ce n’est pas moi qui parle toujours de migrants et des étrangers. C’est l’évangile ! C’est le Christ-roi !) On est sûr de savoir où vivre avec Jésus, dans le service de ceux que nous voyons « avoir faim, avoir soif, être nu, étranger, malade ou en prison ».

17/11/2017

Entre dans la joie de ton maître (La parabole des talents) 33ème dimanche


On fait de notre parabole (Mt 25, 14-30) une leçon de morale : nous avons reçu des talents, des dons que nous devons faire fructifier. C’est particulièrement évident avec la lecture brève. Cela réduit, premièrement l’évangile à un code de bonne conduite. Comme si nous lisions l’évangile pour y trouver des règles de savoir-vivre ! Pas un mot sur Dieu ou les frères ! Nous avons reçu des talents, des dons que nous devons faire fructifier.
Plus grave encore et deuxièmement, cette morale dit le contraire de la parabole. Autrement dit, on fait dire à l’évangile le contraire de l’évangile tout en certifiant que c’est l’évangile. Nous disons parole de Dieu, ce qui est son contraire. Nous ne faisons que canoniser notre morale trop courte, sans doute pour ne pas entendre la nouveauté évangélique.
La parabole, en effet, avec le troisième serviteur, met en crise le mérite et le système de récompense, ou de punition. Nulle part n’est dit dans le texte ce que les serviteurs doivent faire des talents. Le maître les a remis et confiés, dit notre traduction. Ce n’est pas exact. « Il leur transmit sa fortune (comme un héritage). À l’un il donna cinq talents, deux à un autre, un seul à un troisième, à chacun selon ses capacités. » S’agit-il d’un dépôt avec une charge, ou bien d’un don ? Il est curieux qu’en affaires si importantes, rien ne soit dit d’un contrat ou de directives. C’est sans doute qu’il n’y a pas de contrat, mais un don.
Cela n’a rien de très étonnant si le maître représente Dieu. Eh bien oui, Dieu donne ! Je m’étonne que nous pensions spontanément que Dieu puisse demander des comptes, « régler ses comptes » dit même le texte – et nous n’avons pas sursauter ‑, attendre de nous un retour sur investissement. Quelle image avons-nous de Dieu ? Dieu donne, Dieu se donne. C’est le cœur de notre foi. Il ne demande rien : « Je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance. » Et il n’y a pas de contrepartie. C’est même ce qui fait la différence de notre foi d’avec toutes les religions. Ce n’est pas nous qui donnons à Dieu, c’est Dieu qui donne, c’est Dieu qui s’offre. Comment se fait-il que nous revenions sans cesse à un Dieu qui attendrait que nous lui donnions, rendions, rendions des comptes ?
Ce sont les deux premiers serviteurs qui racontent qu’ils ont fait fructifier les biens. Et la félicitation du maître nous fait croire qu’il y a récompense. Puisque ce maître est Dieu, nous mettons en place une théologie du mérite. Les performants sont récompensés, les autres châtiés. Le problème, en outre, c’est que celui qui a le moins de capacités, selon les propres mots du texte est puni. C’est juste le contraire de l’évangile, l’amour préférentiel des pauvres, le pardon accordés aux pécheurs, Jésus venu pour les pécheurs et non les justes.
Plutôt que d’enlever du texte ce qui nous gêne, quitte à faire dire à l’évangile le contraire de l’évangile, il convient de regarder exactement où réside le problème. Réécoutons le boniment, il faudrait dire le « maliment » du dernier serviteur. « Seigneur, je savais que tu es un homme dur : tu moissonnes là où tu n’as pas semé, tu ramasses là où tu n’as pas répandu le grain. J’ai eu peur, et je suis allé cacher ton talent dans la terre. Le voici. Tu as ce qui t’appartient. »
Le serviteur insulte le maître, le traite de voleur ! Celui qui récole où il n’a pas semé, n’est-ce pas un voleur ? Pire, il lui rend le talent, pourtant donné, et s’estime quitte : « tu as ce qui t’appartient », nous sommes quittes, je n’ai plus rien à voir avec toi. Etonnez-vous que cela ne se passe pas très bien ! Et nous qui nous faisions spontanément défenseur de ce pauvre type chassé alors qu’il avait moins de capacités que les autres !
Que vient faire ici la chute, la condamnation ? N’est-elle pas, elle plus que le reste, contraire à l’évangile ? Assurément. Mais nous avons ce que nous voulions. Si nous cherchons une théologie du mérite, de la récompense, cela ne pourra que mal finir, parce que nous ne méritons pas grand-chose en matière d’amour des frères et de service de Dieu. La théologie du mérite se fracasse contre cette implacable conclusion, contraire à tout l’évangile. Il nous faut impérativement passer à une théologie de la grâce, du don de Dieu, du don gratuit de Dieu. La conclusion n’est pas ce que pense Jésus, mais la conséquence logique de ce que nous pensons. Ce n’est pas la conclusion qu’il faut rejeter, comme le fait la lecture courte, mais, à la suite de Jésus, la théologie du mérite et de la récompense, la conception du Dieu qui punit.
Reprenons l’histoire. Le maître part au loin et longtemps ; Dieu qui nous laisse bien seuls, comme nous l’expérimentons. Chacun mène sa vie comme il peut. Certains font des affaires. Certains ne font pas grand-chose, ou du moins pas grand-chose qui ait du sens aux yeux des autres. Certains sont meilleurs que les autres. Le maître revient. Et voilà la rencontre avec le maître : « Seigneur, comme nous sommes heureux que tu sois revenu. Comme tu nous as manqué. Je sais que tu es un homme bon. Tu sèmes pour nous récoltions, pour que nous ayons la vie en abondance. Tu es généreux, tu te donnes. Tu nous avais donné des talents, un peu de toi. Durant ta si longue absence, il nous a rappelé ta présence. Mais maintenant que tu es là, il ne vaut plus rien. Tu es là, et c’est la joie. » Avant même que le maître n’ait répondu quoi que ce soit, les serviteurs sont entrés dans la joie de leur maître !

10/11/2017

La vie spirituelle (32ème dimanche)


Qu’en est-il de notre vie spirituelle ? Que pensons-nous de la vie spirituelle ? Est-elle réservée à quelques moment privilégiés, temps forts, retraites faites il y a plus ou moins longtemps, ou plus ou moins régulièrement ? S’agit-il de réciter des prières, de faire sa prière ? Chaque jour ou de temps en temps ?
Comme nombre de mots dans la foi, « vie spirituelle » est une expression cache-misère qui dissimule autant notre pudeur que notre ignorance, un de ces mots devenus techniques et que l’on a coupés de leur source, la fontaine du sens.
La vie spirituelle, avant toute chose, c’est la vie dans l’Esprit. C’est la vie de ceux qui acceptent de livrer leur vie à la force de Dieu, au doigt de Dieu, au don de Dieu, l’Esprit saint. Ce n’est donc pas un temps de prière, une retraite ou le souci de la vertu de religion et de la pratique de l’oraison. La vie spirituelle, c’est toute la vie des chrétiens.
Arrêtons de compartimenter les choses. Il aurait les moments pour Dieu et les moments où il faut bien penser à autre chose ! Si Dieu habite la chair, ce n’est pas pour être relégué dans quelques tranches horaires de notre emploi du temps, mais pour prendre possession de nos vies, en être « le Seigneur et le Maître ».
Comment vivre dans la force de l’Esprit, comment abandonner la vie selon la chair, dirait Paul ? Non en désertant la chair, ainsi qu’on le pense trop souvent de façon exclusiviste et païenne, mais en soumettant notre corps, notre vie tout entière, notre vie dans ce qu’elle a de soutien, ce qui la porte, à l’Esprit. Nous désirons depuis notre baptême être avec les frères et pour l’humanité les pierres vivantes du temple de Dieu en ce monde.
Cela ne change rien à nos vies, et n’allons surtout pas penser que nous aurions changé nos vies en y organisant un temps de prière ! Que serait une vie dans l’Esprit qui n’aurait pas besoin pour se dire et se vivre de la moindre mention des frères ? Serions-nous ainsi quittes avec Dieu ? Nos vies sont celles de tout homme et femme qui tâche de vivre dignement, avec et pour les autres, dans des institutions justes.
Mais nous choisissons que la vie ne soit pas seulement celle qui va de la naissance à la mort. Nous croyons que cette vie-là est parabole d’une autre vie, est support d’une autre vie, déjà commencée, qui va de la mort à la vie. Nous ne marchons pas vers la mort, quoi qu’il en soit des apparences et évidences, mais vers la vie, non pas demain après la mort, mais maintenant. Notre mort est derrière nous puisque nous vivons selon l’Esprit, c’est has-been la mort dans la vie spirituelle. Nous sommes citoyens des cieux, non que nous désertions ce monde, mais nous voulons y vivre déjà selon l’Esprit, c’est-à-dire avec Jésus.
C’est exactement cela que je lis dans l’évangile de ce jour (Mt 25, 1-13). L’attente de la vie transformée, l’attente des noces est longue. L’époux tarde. Comme tous les autres, nous vivons sans Dieu, parce que Dieu se fait attendre. Relisez les Ecritures, vous verrez, c’est un thème constant, sans doute beaucoup plus que celui de sa présence. Mais comme le vide de Dieu, cela ne se vend pas, surtout sous couvert de religion, on nous gave, nous nous goinfrons d’une présence, évidemment idolâtrique. On compense !
Qu’est-ce qui manque en nous que nous ne voulons pas voir parce que manquer nous est impossible ? Dieu. Et voilà pourquoi ces jeunes filles attendent, la lampe à la main. Il manque Dieu, parce que nous savons bien que tout ce que nous appelons dieu n’est pas Dieu, et que c’est quelqu’un d’autre que nous attendons.
Ce qui est curieux dans cette parabole, comme souvent, c’est qu’il manque l’épouse. Encore une absence ! Le roi lui aussi attend. Il faut du temps pour que l’humanité puisse épouser son Dieu. Il faut du temps pour qu’ils s’accoutument l’un à l’autre, dirait Irénée de Lyon.
Est-ce pour un moment seulement, cette nuit de la foi, cette absence de Dieu ? D’après la parabole, préparez-vous, il faut prévoir les réserves d’huile. Voilà la vie dans l’Esprit, veiller, dormir, mais être prêts, attendre celui qui manque. Certains n’attendent rien ; et il ne s’agit pas des athées. Il s’agit aussi de chrétiens, à la vie spirituelle parfois si exemplaire, prières, oraisons, retraites (encore une fois, la vie spirituelle se dirait sans les frères). Des trucs à faire pour remplir le trou de l’absence, la béance du manque. Qui n’a pas faim ne pourra pas être rassasié, qui ne manque pas ne pourra être comblé. Ce serait dommage d’ignorer le manque ou de le remplir par des ersatz, même, surtout, religieux !
Quant à « la prière chrétienne, elle est avant tout la prière de toute la famille humaine que le Christ rassemble. A cette prière, chacun participe, mais elle est le propre du corps tout entier qui exprime la voix de l’épouse aimée du Christ, les désirs et les souhaits de tout le peuple chrétien, les suppliques et demandes pour les nécessités de tous les hommes. » (Paul VI, Laudis Canticum, 1970)