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23/11/2012

Le Christ-roi, une fête pour s'accuser de nos travestissements de la vérité évangélique


Quelle drôle d’idée cette fête du Christ roi ! Elle n’a pas cent ans : c’est Pie XI qui l’institua en 1925, dans un contexte où il s’agissait de redire la vérité de la doctrine chrétienne par rapport à une société qui contestait toujours plus qu’elle dût lui être soumise. Si le Christ est roi, les nations et les individus doivent être assujettis à l’institution que le Christ a suscitée.
Il va de soi que cette théologie-politique, cette manipulation liturgico-politique, ne fonctionna que pour ceux qui déjà étaient persuadés de la légitimité d’un ordre catholique. Elle ne changea rien à la sécularisation, à l’autonomisation par rapport à l’Eglise romaine de la société et de ses mœurs.
La réforme liturgique de Paul VI transforma quelque peu le titre de la fête. Le Christ n’était plus roi, mais roi de l’univers. Sa seigneurie était ainsi dégagée du champ trop exclusivement politique ; elle prenait un tour plus spirituel, ce qui veut tout et rien dire. Si le spirituel n’a pas d’efficacité dans le concret du temps et de l’histoire, dans les institutions et les comportements, il est fumisterie. Seigneurie sur les âmes ou les cœurs, seigneurie sur la création qu’une préoccupation écologique réinvestit, seigneurie sur les peuples indépendamment des structures politiques, invitant chacun à se reconnaître membre d’un même royaume où règne la paix, voilà la fête sauvée.
Ce faisant, on se ressource à la fontaine des Ecritures. Le Royaume de Dieu n’y est pas affaire politique au point que l’Ancien Testament est lu de façon allégorique. Les paraboles de Jésus qui empruntent la figure de la royauté ne parlent jamais de pouvoir ou d’organisation de la société. Par exemple, dans l’évangile de Matthieu, le royaume est abondance et fécondité avec la graine de moutarde, la moisson ou le filet de pèche ; efficacité transformatrice avec le levain ; préférence sans comparaison possible avec le trésor et la perle fine. Le royaume est justice et pardon avec les paraboles du jugement, lorsque la dette écrase et empêche de vivre, lorsqu’il faut embaucher des ouvriers même à la onzième et dernière heure, lorsqu’il faut ouvrir la vie de Dieu à tous les peuples, lorsque la vie est une noce auxquels tous sont invités et que les vierges attendent, lorsque le service du plus petit est rencontre avec le Seigneur.
Ce royaume est la présence même de celui qui vient. Il est là, tout proche, au milieu de nous. Il est ce qui advient lorsque Jésus passe.
Dans l’évangile de Jean que nous venons de lire (Jn 18,33-37), Jésus se garde bien de revendiquer la royauté. Alors tu es roi ? demande Pilate. C’est toi qui le dis, rétorque Jésus, comme s’il s’agissait de ne pas se mouiller avec des mots si curieux, avec des prétentions piégées. Il vaut mieux éviter d’entrer dans une logique de pouvoir, surtout quand on est serviteur et témoin : je suis venu pour rendre témoignage à la vérité. Arrêtons de nous payer de mots, celui qui a le pouvoir ne peut être serviteur. Exercer le pouvoir comme un service pourrait bien n’être qu’un sophisme, cruelle hypocrisie, tromperie mensongère. Il faut sans doute que le Pape n’ait plus de pouvoir temporel pour que l’on commence à imaginer qu’il puisse être serviteur. Reconnaissez que ne saute pas aux yeux qu’il soit serviteur des serviteurs. Il en va de même du curé d’une paroisse, encore qu’il lui arrive de n’avoir aucun pouvoir lorsque tout est décidé et jugé sans lui, quand il est le concierge du bâtiment paroissial, devant faire en sorte que les clés soient à disposition, éteignant les lumières, réparant les fuites d’eaux, rangeant la garderie et faisant le ménage, portant au rebut des années de déchets savamment conservés, etc.
Bref, Jésus invite à ne pas vouloir de ce pouvoir, parce que l’on n’en est jamais totalement libre, et que l’on mentirait forcément à se dire serviteur.
C’est une chose curieuse de notre foi. La radicalité de l’annonce du royaume que nous continuons à pratiquer, nous ne cessons de la travestir. N’appelez personne du nom de Père, n’appelez personne du nom de maître. Le Christ ne se dit pas roi. Nous appelons les uns père, les autres monseigneur, d’autres encore excellence ou éminence, nous disons le Christ roi. Et nous arrivons de surcroît à justifier tout cela !
La voix de l’évangile résiste et n’a pour l’heure pas été totalement éteinte et c’est encore nous qui la portons. Faut-il qu’il y ait l’Esprit saint ! Toutes les religions chrétiennes et chacun d’entre nous sommes, avec le pouvoir, avec l’argent aussi, entrés en contradiction avec nous-mêmes, et nous sommes avec nos Eglises contraints de nous entendre accuser, de nous accuser nous-mêmes. Est-ce la force de l’Esprit, est-ce le génie de l’Occident de n’avoir jamais totalement réduit au silence cette accusation, cette force critique ?
C’est assurément la force aussi de toutes les réformes dans l’Eglise. La critique des richesses, mais aussi la critique que je viens de porter de tous les pouvoirs, y compris ecclésiaux, nous apparaît-elle exagérée au point d’être scandaleusement fausse ? Que l’on pense ne serait-ce qu’à François d’Assise... La fête du Christ roi de l’univers pourrait n’être validement célébrée qu’à faire entendre l’accusation de nos contradictions et trahisons de l’évangile et nous mener à la conversion… enfin.

17/11/2012

Vivement la fin du monde ! (33ème dimanche)


Il est un certain nombre d’entre nous qu’excitent les prophéties de fin du monde. On vient ainsi d’apprendre que l’accès au Pic de Bugarach serait interdit afin d’éviter les mouvements de foule et de panique le 21 décembre prochain.
Je ne sais qui sont ces gens que le préfet de l’Aude voit venir en foule. La première fois que j’en entendu parler de cette fin du monde – car il y en a d’autres régulièrement annoncées ‑ c’était il y a trois ans à Madagascar. Comme si la crédulité des plus pauvres était captée. Des badigeons de science recouvrent mal l’escroquerie ; le calendrier Maya donne au tout une couleur ésotérique qui appâte ceux qui ne peuvent plus rien espérer de la vie. Sorte de loterie universelle sans ticket payant, la fin du monde fait rêver ceux pour qui la vie est un cauchemar.
On peut hausser les épaules et mépriser tour cela, reste qu’en pensant la fin, on essaie de comprendre le sens de l’aujourd’hui. Si l’histoire humaine à un sens, alors son point d’aboutissement renseigne sur la signification du point où nous sommes actuellement, et la trajectoire entre ce jour et le dernier permet d’orienter sa propre marche.
Personne n’a vécu la fin du monde, comme personne n’assistait au premier jour de la création. Pour parler du début comme de la fin, la description est impossible. Le langage scientifique répond à d’autres questions et fort peu le comprennent. Hier comme aujourd’hui, on a alors recours au mythe. On raconte une histoire à laquelle on n’a pas assisté, on décrit ce que personne n’a pas vu.
Dans les Ecritures, le cosmos est convoqué, dans un cas comme dans l’autre, séparation du jour et de la nuit, du ciel et de la terre, de la lumière du soleil et de celle des étoles. Ce travail d’organisation des éléments qui fait reculer le chaos est la façon dont l’auteur biblique se représente l’origine. Pas étonnant qu’un de ses successeurs, à envisager la fin des temps, démonte son récit, la lune et les étoles chutent, le ciel et la terre sont de nouveau confondus dans des cataclysmes, déluges et raz de marée qui font disparaître la terre ferme sur laquelle nous avions construit nos abris.
Si tout cela n’est que mythe, On devrait pouvoir s’en passer ? Pas si simple. Car s’il est possible de penser que le monde a toujours existé et existera sans fin, cela aussi, nous ne savons le dire aussi que par le mythe. La parole de la raison est toujours un gain sur la fantaisie mythique, mais jamais elle n’existe sans elle, jamais elle ne la fait taire, au mieux peut-elle la canaliser.
Et de fait, si avec la fin du monde nous essayons de dire le sens de l’existence, alors, le mythe est convoqué dès lors que nous posons les questions de l’origine et du but, origine et destinée de la vie, du mal, de l’espérance.
L’observation de la nature enseigne un renouvèlement salutaire, une régénération annuelle fructueuse. S’il pouvait en aller ainsi dans nos vies ! Si l’on pouvait recommencer comme au printemps, de nouveau voir poindre le tendre bourgeon du figuier qui annonce des fruits aux connotations depuis si longtemps érotiques.
Le discours chrétien, le mythe chrétien en appelle à un autre, certes comme nous, mais à un autre tout de même, pour la régénération que nous fait espérer l’horreur de ce monde. Comme un fils d’homme. Le salut n’est pas notre œuvre. Il vient d’ailleurs, d’un autre, et cependant, c’est de ce monde, de cette humanité qu’il provient.
Inutile d’aller au Pic de Bugarach. Impossible de fuir. Il faut surtout demeurer ici et maintenant dans ce monde pour guetter la nouveauté du figuier, pour voir arriver ce Fils d’homme, pour attendre ce fils d’homme. Du coup, la fin n’est pas pour demain ni après demain, ni pour le 21 décembre. Elle est déjà là. C’est déjà maintenant la fin, et ce depuis deux milles ans. Ainsi s’ouvre la lettre aux Hébreux : « Après avoir, à maintes reprises et sous maintes formes, parlé jadis aux Pères par les prophètes, Dieu, en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils, qu'il a établi héritier de toutes choses. »
Inutile, insensé de fuir. Puisqu’il y a longtemps que nous savons que c’est la fin du monde, ou si nous venons de l’apprendre, il n’y a qu’une chose à faire, se hâter de changer de vie. S’il ne reste qu’un mois à vivre, ou quelques heures, il n’y a qu’une chose à faire, aimer. Arrêtons toute querelle, réconcilions-nous séance tenante, rejetons racisme et toute forme d’exclusion.
la fin du monde serait finalement une bonne nouvelle, si elle nous convainquait qu’il suffit d’aimer.

31/10/2012

La Toussaint : Quand le Golgotha devient Mont des Béatitudes


Tous s’accorderont à reconnaître que la sainteté n’est pas l’affaire de l’homme. Bien que tous soient par vocation destinés à la sainteté, bien que l’on affirme la vocation universelle à la sainteté, force est de reconnaître qu’aux hommes, c’est impossible.
Les disciples « restèrent interdits à l'excès et se disaient les uns aux autres : "Et qui peut être sauvé ?" Fixant sur eux son regard, Jésus dit : "Pour les hommes, impossible" » (Mc 10, 26-27)
Le salut, ce n’est pas pour nous. Nous ne sommes pas capables de nous procurer le salut, nous ne sommes pas capables d’être saints, et tous ceux qui promettent le grand soir, tous ceux que l’on tient pour des hommes providentiels, ne sont que des imposteurs qui profitent de notre propre esclavage. Nous voulons croire à la baguette magique, nous voulons croire à la réussite. Jésus est on ne peut plus clair ; Pour les hommes, impossible.
Nous fêtons tous les saints de nos familles, nous canonisons sans doute à bon compte ceux qui nous ont précédés. Plût à Dieu que l’Eglise soit aussi généreuse dans la reconnaissance de la sainteté des vivants que dans celle des morts ! S’ils sont saint ceux qui nous précèdent, que ne reconnaît-on pas cette même sainteté à nous qui vivons bon an mal an la même chose qu’eux, de l’échec de nos amours jusqu’au racisme ordinaire, de nos refus de partager jusqu’à nos mesquineries narcissiques.
Socrate aimait aller aux enterrements. Ecoutez les éloges funèbres, aujourd’hui comme hier : Tous ceux qui meurent sont les meilleurs types du monde. On comprend que cela aille si mal s’il ne reste que les plus mauvais. Il suffit que quelqu’un meure pour qu’il devienne excellent homme ou femme d’exception. Nous fêtons tous les saints de nos familles, qui pourtant, tout comme nous, ont été de piètres disciples, voire de fieffés coquins quand ce n’est pas de bons ou moins bons païens ! Comment les dire saints sans tomber dans le ridicule déjà dénoncé par Socrate ?
Quelle image avons-nous de la sainteté pour ainsi la conférer ou la reconnaître à ceux pour lesquels, dès demain, nous prierons, nos défunts ?
La sainteté serait-elle l’indice d’une vie réussie malgré tout, malgré les vicissitudes, nos petitesses, les aléas d’une existence souvent mise en danger par le mal, celui dont nous sommes responsables, ou celui que nous subissons, des autres ou des événements ? Réussir sa vie, dans la foi – je n’ose même pas parler de la réussite scolaire ou professionnelle, affective ou familiale ‑, ne signifierait que cela, parvenir à la sainteté. Mais pour les hommes, impossible. Pas plus de salut, de sainteté que de réussite. Impossible.
Nous sommes des hommes et des femmes cassés, du moins partiellement. Où aller ? La suite du Christ jusqu’au Golgotha est notre chemin. Nous n’allons pas au Mont du Crâne, au calvaire, parce qu’il couronnerait le consentement à l’échec. Sous prétexte que nous sommes les disciples de l’homme qui a échoué, Jésus, nous devrions nous contenter de l’échec. Non. C’est une justification mortifère, une complaisance dans le rebut et la dépréciation de soi, encore bien narcissique. N’importe cependant pas davantage la réussite. Ainsi parle le Monde, et l’Eglise. Il faudrait réussir sa vie. Non, tout cela est mondain, au plus mauvais sens du terme.
Nous suivons la route du Golgotha ni par goût de l’échec, ni par renoncement à la réussite. Nous prenons la route du Golgotha pour renvoyer dos-à-dos, dans l’insignifiance, l’échec et la réussite. Nous prenons la route du Golgotha parce que c’est la route de celui que nous aimons et voulons suivre. Mieux, avec tant d’hommes et de femmes, d’enfants, nous sommes sur la route du Golgotha. Pour nous comme pour tous ceux à qui la mort est promise, sans rémission, dans les minutes qui viennent, à l’hôpital, dans les guerres, à cause de la famine, il n’y a pas d’issue, mais le Mont du Crâne. Mais ce n’est surtout pas le moment de changer de route, puisque le Christ nous y rejoint. Ne désertons le lieu où il nous rejoint.
C’est là que résonne la Bonne Nouvelle de la vocation universelle à la sainteté. Pour les hommes, impossible ; mais non pour Dieu, car tout est possible pour Dieu. Cette route qui grimpe sans issue, la nôtre, il l’a faite sienne pour que le Golgotha soit un Sinaï, un Carmel, un Mont des Béatitudes !
Nous sommes heureux parce que dans l’évidence de l’impossibilité pour les hommes, le possible de Dieu ouvre une brèche. Cela reste impossible pour l’homme, à moins qu’il ne l’accueille. Et si nous fêtons tous les saints, tous les hommes comme saints, c’est que nous célébrons la sanctification qu’ils ont reçu et que nous recevons aussi de notre Dieu.

27/10/2012

Pourquoi les chrétiens n'ont-ils pas de prêtres ? (30ème dimanche B)


La Lettre aux Hébreux exprime la nouveauté chrétienne en la comparant aux coutumes juives, spécialement celles qui concernent le culte. Il s’agit d’une réinterprétation du Premier Testament par le Second. La vie de Jésus permet, d’après les premiers chrétiens, de comprendre comme une prophétie, toute l’histoire du peuple de la première alliance et, en retour, cette histoire offre les mots, les images, les coutumes pour dire la nouveauté de l’alliance scellée en Jésus, qui n’a pas de mots, de figures ni de coutumes propres.
Ce qui est curieux, c’est que le culte n’est pas la partie la plus importante du judaïsme, ou du moins, qu’à l’époque de Jésus, l’institution cultuelle n’est qu’une manière de vivre la foi, assez contestée par toutes sortes de courants dont celui de Jésus lui-même. Ainsi, pas une fois on ne voit Jésus participer au culte sacrificiel. Il transforme le temple en synagogue, si l’on peut dire. Jésus vient certes au temple, notamment pour le grand pèlerinage pascal, mais il n’offre aucun sacrifice, pire il en chasse changeurs et marchands de colombes. Le comble, c’est qu’on le voit payer l’impôt à César mais pas participer à la vie du temple. S’il admire l’offrande de la veuve, lui-même ne fait qu’une chose au temple, enseigner.
Plus qu’un prolongement de la vie d’Israël, la vie chrétienne se comprend comme une rupture. Et ce n’est pas seulement quant à Israël que les premiers chrétiens ont refait le pas en arrière de Jésus, mais aussi quant aux Nations, les Grecs notamment. Ainsi, à aucun endroit dans le Nouveau Testament n’y a de prêtres chez les chrétiens. Chez les Hébreux, il y a un grand prêtre et des prêtres, et d’autres membres encore de l’institution sacerdotale c’est-à-dire de l’institution du temple, comme les lévites. Hiereus et archihiereus, prêtres et grand-prêtre ‑ qu’il faudrait plutôt traduire avec la racine de sacerdoce si la langue française le permettait, en espagnol sacerdotes et sumo sacerdote ‑ ne sont pas utilisés pour désigner des chrétiens. Parmi bien d’autres services de la communauté, il y a chez les premiers chrétiens celui d’ancien, fort peu cultuel. On les appelle les presbuteroi, ce qui donne notre mot de prêtre.
Pareillement, les premiers édifices chrétiens ne sont pas des temples mais les basiliques, bâtiments civils et non religieux, sans espaces réservés, sacrés, parce que dans l’assemblée chrétienne, le temple, c’est l’assemblée, c’est elle qui est sacrée (Cf. 1 Th 3, 17), parce que dans l’Eglise, tous sont égaux, même si tous n’ont pas le même rôle.
Ainsi, l’Epître aux Hébreux paraît-elle curieuse à recourir au vocabulaire sacerdotal, d’autant que c’est pour en justifier la fin. Le culte n’est plus histoire de sacrifices. Le culte n’est plus histoire d’échanges avec Dieu, le culte c’est la vie menée avec Dieu. Il n’y a plus de culte au sens premier, mais seulement un culte spirituel, ou un culte selon le logos (Rm 12, 1).
A dire vrai, ce n’est une nouveauté ; les prophètes n’ont cessé de dire cela. Ainsi s’exprime par exemple Jérémie : « Je n'ai rien dit ni prescrit à vos pères, quand je les fis sortir du pays d'Égypte, concernant l'holocauste et le sacrifice. Mais voici ce que je leur ai ordonné : Écoutez ma voix, alors je serai votre Dieu et vous serez mon peuple. Suivez en tout la voie que je vous prescris pour votre bonheur. » (Jr 7,22-23) Et Paul de dire que c’est en annonçant l’évangile qu’il rend à Dieu le culte spirituel (Cf. Rm 1, 21).
Le culte comme moyen de commercer avec la divinité est vain (Cf. Mt 15,9). C’est Dieu qui s’est définitivement approché de nous en Jésus. C’est lui qui se fait proche et nous n’avons plus à penser devoir le fléchir. Il est déjà totalement tourné vers nous. Et si l’on veut continuer à parler de culte, d’offrande à Dieu, un seul est capable de l’offrir et l’a fait une fois pour toutes. Si jamais culte il y a, c’est celui de Jésus. En ce sens, comme le dit l’extrait de la Lettre aux Hébreux que nous avons lu (He 5, 1-6), il est, lui, le seul grand-prêtre.
Son sacerdoce est d’un genre nouveau. Il n’est ni héréditaire ‑ il n’y a pas de familles sacerdotales ‑, ni corporatif, transmissible par une imposition des mains ou quoi que ce soit du même genre. A l’image de Melkisedek, prêtre et roi de justice et de paix, homme sans ascendance qui offrit du pain et du vin à Abraham (Cf. Gn 14, 18 et He 7,3). Jésus est unique, éternel, avec lequel il serait bien dangereux d’avoir quelque commerce si lui-même ne s’était pas offert pour nous.
Ainsi, nous autres chrétiens, nous en avons fini avec les sacrifices, petits arrangements avec Dieu. Nous en avons fini avec le culte, geste plus ou moins magique. Nous reconnaissons que nous n’avons pas même la force de lever les mains au ciel, si du moins, le Père n’envoyait ses deux mains, le Fils et l’Esprit, pour tenir nos mains levées vers lui.
Il n’y a plus qu’une prière, celle de Jésus. Prier, pour nous, n’est pas notre affaire sinon à nous disposer à entrer dans la prière de Jésus. Il n’a plus de voix, alors nous lui prêtons la nôtre. Il n’a plus de corps en dehors de nous qui sommes son corps. C’est par nous que Jésus continue à tourner l’humanité vers Dieu, comme grand-prêtre. Je n’ai pas à faire ma prière mais à entrer dans la prière de Jésus en son corps, l’humanité dont l’Eglise est comme le sacrement. Prier, c’est consentir à ne plus rien offrir de nous-mêmes pour entrer dans l’offrande du Fils.

20/10/2012

Nouvelle évangélisation « Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi ! » (Journée missionnaire mondiale. 29ème dimanche du temps)


Quel rapport entre l’évangile de ce jour (Mc 10, 35-45) sur le pouvoir et la mission ? Non seulement cela ne saute pas aux yeux, mais il n’y a pas de raison pour qu’il en y ait. La lecture continue de l’évangile ne tient nul compte de la semaine missionnaire mondiale.
Et pourtant, il n’y a pas besoin de réfléchir beaucoup pour voir le rapport entre mission ou évangélisation et pouvoir, qui plus est au moment ou l’on parle de nouvelle évangélisation. Il est par exemple évident qu’évangélisation et colonisation sont liées. Certes, les raccourcis calomniateurs doivent être rejetés car l’évangélisation n’a pas toujours soutenu les colons ni les colons les missionnaires, et les Africains membres de notre communauté, ici, et ceux que j’aime à Madagascar, et les très nombreux chrétiens des pays du Sud, sont avec nous et comme nous, des chrétiens adultes, engagés dans la foi et la mission, quoi qu’il en soit des enjeux géopolitiques ou culturelles.
Jusqu’à la déclaration sur la liberté de Vatican II, en 1965, la doctrine catholique énonçait que la vérité avait tous les droits et l’erreur aucun. C’était la thèse qu’un évident pragmatisme obligeait de tempérer : notamment dans les pays où elle ne pouvait pas compter sur l’appui du pouvoir civil, l’Eglise catholique qui enseigne la vérité tolérait que l’on puisse ne pas contraindre à la conversion. A bien des égards, l’Etat confessionnel et catholique demeurait l’idéal, fût-ce comme en Espagne avec le national catholicisme.
Aujourd’hui on est au contraire choqué que la liberté religieuse ne soit pas reconnue, notamment par certains pays musulmans. Mais il n’est pas certain que le discours de l’Eglise ait substantiellement changé, nonobstant l’acceptation, bon an mal an, de la séparation des Eglises et des Etats. Assurément l’Eglise a un lien spécifique avec la vérité. Elle ne peut ni tromper ni se tromper lorsqu’elle annonce l’évangile de la vie, Jésus. C’est ce que l’on appelle l’infaillibilité. Mais cela ne signifie pas qu’elle ne se trompe pas, qu’elle n’ait jamais fait d’erreur ni n’en fasse pas aujourd’hui.
Sans compter que l’on peut avoir tort dans sa manière d’avoir raison. « Du point de vue chrétien, la conscience du caractère exorbitant de la conviction que Jésus-Christ est l'unique Médiateur et Sauveur de toute l'humanité doit nous rendre particulièrement humble et modeste. N'oublions jamais que nous pouvons avoir tort dans notre manière même de prétendre avoir raison. » (B. Sesboüé, Hors de l’Eglise point de salut, p. 301)
La mission, ici dans nos pays anciennement chrétiens comme dans les pays d’évangélisation encore récente, requiert évidemment que nous continuions à confesser la vérité de Jésus pour la vie de tout l’homme et de tous les hommes. Mais elle requiert tout autant d’être requalifiée. Parler de nouvelle évangélisation c’est précisément recadrer l’attitude missionnaire, c’est engager une conversion de l’évangélisateur, et sûrement pas dénoncer « le tsunami de la sécularisation » et un monde qui se ferme à la vérité. Parler de nouvelle évangélisation c’est tenter de n’avoir pas tort dans notre manière d’avoir raison.
Notre Eglise est encore mondaine lorsqu’elle veut imposer la vérité et combattre l’erreur. Si elle veut défendre la vérité, elle ne peut qu’en être esclave. L’esclavage ne confère aucun pouvoir, ne nous payons pas de mot. De surcroît, il ne s’agit pas d’une stratégie pour faire oublier les ignominies de l’Eglise et notamment de certains de ses ministres. Il s’agit uniquement d’être un tantinet converti soi-même pour inviter les autres à la conversion.
« Ceux que l'on regarde comme chefs des nations païennes commandent en maîtres ; les grands leur font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. Celui qui veut devenir grand sera votre serviteur. Celui qui veut être le premier sera l'esclave de tous. »
Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. Ce n’est pas si souvent que les propos de Jésus sont ainsi péremptoires. Annoncer l’évangile, partir en mission, être missionnaire, être catéchistes, animateurs d’aumônerie, prêtres ou que sais-je, oblige à inventer d’autres manières que celles qui nous viennent spontanément à l’esprit, celles de l’efficacité, de l’influence, du lobbying, bref les manières des puissants de ce monde.
Que veut dire être l’esclave de tous ? Cela passe sans doute par la charité et le secours auprès de tous ceux qui en ont besoin. Mais cela signifie aussi un rapport original, peut-être nouveau à la vérité, de la nouveauté même de l’évangile, de la bonne nouvelle. Nous ne sommes pas attachés à Jésus comme les tenants d’une doctrine, d’une idéologie. Nous tenons à Jésus qui s’est fait serviteur, esclave. « Le fils de l’homme n’est pas venu pour être servi mais pour servir » Sa mission n’a jamais eu recours à une quelconque autorité si ce n’est celle de l’amour, si ce n’est celle qui refuse qu’on le fasse roi.
N’importe pas en effet de réussir sa vie, expression des gens de ce monde et des puissants. Que veut dire d’ailleurs dire réussir sa vie quand on n’a rien pour vivre, quand on est promis à une mort prochaine, quand celui que l’on aimait nous a quittés ? Il faut avoir suffisamment d’argent pour dire que l’argent ne fait pas le bonheur, suffisamment de santé pour penser que le bonheur est ailleurs ! Qu’est-ce que réussir sa vie à Madagascar quand on appartient au 90% de la population qui vit avec moins d’un euro par jour et dont la moyenne d’âge est de moins de quinze ans, que le pays s’enfonce dans la corruption et l’insécurité ?
Annoncer l’évangile, être missionnaire, c’est renoncer à tout cela, même à ce que nous pouvons légitiment trouver de meilleur pour réussir sa vie S’il ne s’agissait que d’abandonner ce qui est le pire, « les païens n’en font-ils pas autant ? » La mission c’est la fidélité à Jésus et la proposition de la foi, quoi qu’il arrive, sans autre attente de résultat que d’avoir aimé ce monde à l’image de Jésus.



Seigneur, nous te prions pour le synode sur la nouvelle évangélisation qui entame sa dernière semaine de travail. Que les évêques et le Pape, tout comme nous, entendent la parole de Jésus : « Ceux que l'on regarde comme chefs commandent en maîtres ; parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. »

Seigneur, nous te prions pour nos communautés chrétiennes qui ont l’impression de manquer de prêtres. Qu’elles sachent se remettre en question et changer leurs habitudes. Qu’elles mesurent combien elles sont encore riches en comparaison avec presque toutes les autres Eglises. Qu’elles soient accueillantes aux ministres qui leurs sont envoyés pour que d’autres acceptent à leur tour de se mettre à leur service.

Seigneur, nous te prions pour les Eglises du Sud, en particulier dans les pays qui n’en finissent pas de chercher la paix. Que la présence des chrétiens, esclaves de leurs frères au nom du Christ, soit un ferment de justice.

Seigneur, nous te prions pour le monde qui ne connaît pas Dieu, pour tous ceux pour qui le mot Dieu signifie l’aliénation et l’oppression. Que notre vie les aide à découvrir le visage de ton Fils, esclave au service de tous, témoin de ton amour infini.

12/10/2012

11 octobre 1962 - 11 octobre 2012. Cinquantième anniversaire de l'ouverture du concile Vatican II


Le 11 octobre 1962 s’ouvrait le concile Vatican II. Les évêques du monde entier étaient invités, soit environ 2500 qui sont retrouvés pendant quatre sessions de deux mois, accompagnés d’experts en théologie, en présence d’invités, notamment des représentants des autres confessions chrétiennes.
Fêter ce cinquantenaire, personne dans l’Eglise ne devrait pouvoir y échapper tant l’événement a d’importance pour l’Eglise du XXème siècle. Mais il est des manières de commémorer un événement qui n’ont d’autre but, ou du moins d’autre conséquence que de mieux s’en démarquer. Il ne faudrait pas que ce cinquantenaire ne soit qu’un enterrement fût-il de première classe.
Ainsi, ne saurait convenir même une commémoration qui serait informative ou érudite, aussi nécessaire que soit la connaissance de l’événement. Si nous nous tournons vers ce passé récent de notre Eglise, c’est parce que nous pouvons y puiser pour aujourd’hui des éléments pour nous repérer dans la vie, ce que les deux derniers Papes ont appelé une boussole pour notre temps.
Parler de boussole, c’est sous-entendre qu’il n’est pas évident de trouver son chemin, qu’une analyse de la situation est nécessaire pour s’orienter et que, comme un nord qui permet de se repérer, le concile indique non pas la route à suivre – on irait tous au pôle nord ! ‑, mais comment orienter la carte de ce monde, de notre vie, de notre foi, pour continuer notre marche sur les chemins de l’évangile.
Etre disciple de Jésus, c’est être en route, c’est un chemin. Lui-même s’est dit chemin, et les premiers chrétiens s’appelaient entre eux disciples de la Voie. Lorsque le monde change, lorsque l’on en est à une rupture de civilisation, certains pleurent et agitent le spectre d’une apocalypse. D’autres trouvent des moyens nouveaux, de nouvelles cartes de la société et de la culture. Reste à les orienter, et le concile est la boussole pour l’Eglise. Nous n’avons rien à craindre. Jean-Paul II citait l’évangile dès les premiers mots de son pontificat ; N’ayez pas peur ! Il n’y a pas de place pour la peur dès lors que nous sommes les disciples de Jésus. C’est le Satan qui effraie !
Mais depuis ce cri à la loggia de St Pierre, l’Eglise a peur, et peut-être le même Jean-Paul II n’y est-il pas pour rien. Les spécialistes s’accordent par exemple à reconnaître que le très officiel catéchisme de l’Eglise catholique, publié il y a vingt ans, en rabat par rapport au concile. Certains prétendent que le concile nous aurait menés à la situation de sécularisation qui est la nôtre. On peut à coup sûr affirmer que sans ce concile, l’Eglise ne serait plus qu’une secte défiant le monde, extrémiste, à l’image de ce que donnent à voir les intégristes de toutes les religions.
Que signifie alors se servir du concile comme d’une boussole ? Assurément, nous ne trouverons pas avec une boussole un chemin tout tracé, un carnet de voyage qui nous indiquerait les sites sûrs et ceux qui sont mal fréquentés. La boussole ne dispense pas de s’aventurer pour explorer soi-même et découvrir son chemin.
Il est difficile et risqué de résumer en une phrase, une thèse, ce que fut l’événement conciliaire. On pourrait cependant dire que le concile a pressenti ce que représente pour l’Eglise le pluralisme culturel. Avec la prise en compte des cultures non occidentales ‑ Inde et Chine en Extrême-Orient mais aussi Vietnam et Cambodge, Islam, civilisations premières que l’on ne veut plus considérer comme des primitifs barbares, le monde de 1962 déjà, celui de 2012 encore plus, n’est plus une affaire occidentale. Cela commençait à se voir, symboliquement, par la présence d’évêques autochtones. Cela se dessinait avec les bouleversements des décolonisations. Cela se comprenait intellectuellement comme une rupture de civilisation.
Si l’Eglise a un avenir, ce n’est ni dans un régionalisme, ni dans une volonté de construire une chrétienté universelle, mondialisation version chrétienne, mais c’est dans un dialogue engagé avec tous pour la construction d’un monde plus humain, c’est-à-dire fraternel. Les disciples de Jésus font de cette fraternité non seulement une métaphore, mais l’annonce comme une bonne nouvelle de la paternité aimante de Dieu.
Ne plus se prendre pour le centre du monde, ne plus croire l’évangile unique chemin d’humanisation ne remet pas en cause l’universalité de la mission de Jésus que l’Eglise veut servir. Mais cela conduit à une nouvelle manière d’évangéliser. L’Eglise se fait conversation, comme le dira Paul VI, elle doit cesser de condamner, non par complaisance béate, mais pour aimer ce monde à l’image du Père qui a tant aimé le monde. Le jugement n’appartient pas à l’Eglise mais la lutte contre toutes les formes de violences et d’injustices. La nouvelle évangélisation devrait permettre de penser la place de l’évangile dans un monde qui n’est plus chrétien, parce qu’il ne l’a jamais été, contrairement à ce qu’on voulait penser, parce qu’il ne le sera plus, contrairement à ce à quoi rêvent certains prélats aujourd’hui. La sécularisation est notre monde, y compris dans les pays du Sud. Que signifie y vivre l’évangile, y vivre de l’évangile ?
Assurément le concile ne s’est pas exprimé ainsi, mais sa plus grande nouveauté réside sans doute dans la prise de conscience d’un changement de civilisation et c’est par cette prise de conscience, celle de la fin de la chrétienté, qu’il doit nous servir de boussole aujourd’hui. La façon dont Jésus a vécu sa relation au Père, laquelle détermine sa relation à ses frères, doit être notre chemin. C’est le chemin du serviteur qui renonce au pouvoir, à la prétention de détenir la vérité et se fait le champion de la charité.



Se tient en ce moment à Rome un synode des évêques sur la nouvelle évangélisation. Que l’Esprit saint guident le Pape et les évêques sur un chemin audacieux d’om toute peur est bannie. L’annonce de l’évangile est un témoignage, ce qui se dit en grec un martyre. Il n’y aura pas de nouvelle évangélisation sans le recours à la faiblesse et l’abandon par l’Eglise de toute forme de puissances.
Se tenait à Rome, il y a tout juste cinquante ans le second concile du Vatican. Que nous tous, chrétiens, prenions le temps de connaître un peu plus ce concile dont Jean-Paul disait qu’il avait été « la grande grâce dont l'Église a bénéficié au vingtième siècle: il nous offre une boussole fiable pour nous orienter sur le chemin du siècle qui commence. »
Ils sont nombreux dans notre monde ceux qui ne voient pas l’intérêt de croire, ceux qui voient plutôt l’intérêt de ne pas croire. Que notre suite du Christ suscite l’étonnement.
« Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur. » Que la vie de tous soit le corps de notre prière.

06/10/2012

Il n'est pas bon que l'homme soit seul (27ème dimanche B)


Il n’est pas bon que l’homme soit seul.
Ainsi commence le récit de la création de la femme. La solitude de l’homme semble un raté que Dieu veut corriger. Un homme sans l’autre, ce n’est pas un homme achevé, un homme terminé, un homme vraiment créé. Un homme n’est pleinement lui-même qu’à être avec un autre, l’identité de l’homme se trouve dans l’altérité.
Cette contradiction, du moins apparemment, se dit aussi par le manque. Un homme, ça manque. Il n’est pas bon que l’homme soit seul. Autant ce manque n’est pas bon, autant il permet de dire la nécessité de l’autre, autant il appelle l’altérité.
La femme manifeste que l’homme manque, elle est l’indice de ce qu’il ne peut pas se suffire. Dans la chair, par la création de la femme, l’homme se révèle manquant, et ce n’est pas bon. Entendons-nous. Ce qui n’est pas bon, c’est la tristesse d’être seul, la tristesse d’une vie seule quand on est fait pour l’autre, cette solitude comme solipsisme. Evidemment, ce n’est pas la création comme ouverture à, cette capacité constitutive à l’autre.
La femme manifeste cette altérité. Elle n’est pas en elle-même et par elle-même l’autre. Parce que l’autre pour l’homme, c’est d’abord Dieu. Mais comment dire l’altérité de Dieu si l’on n’a pas une idée de ce que signifie la vie avec l’autre, différent, ce que signifie l’altérité ?
L’homme par la femme se comprend comme incomplet alors qu’apparemment il a tout pour vivre. L’homme par le manque découvre qu’un autre, comme la femme, mais autrement qu’elle, le fait vivre. La femme est pour l’homme l’indice ou la parabole d’un manque d’abord anonyme, qui peut se convertir en ce qu’il est, l’appel à vivre avec Dieu.
Et lorsque des célibataires à cause du Royaume se présentent dans la communauté, ils crient qu’il n’est pas bon que l’homme soit seul en provocant l’homme et la femme qui se sont trouvés : Ne croyez pas que parce que vous êtes deux, plus rien ne vous manque ! Ne croyez pas qu’à être un couple vous avez obturé le manque ! Votre manque, comme celui de tous, est béant, vous manquez de Dieu. Sans parler que dans nombre de couples, on rate complètement la cible, on manque l'autre, on n’arrive pas à être autre l’un pour l’autre.
Il faut sans doute ces célibataires parce que le manque de Dieu, pour constitutif de l’homme qu’il soit, peut cependant être totalement ignoré. On peut très bien vivre sans Dieu. Nous le voyons auprès de nombre de ceux qui nous entourent. Nos enfants, nos frères et sœurs ne sont pas forcément chrétiens. Ils vivent pas plus mal que nous. Nous-mêmes vivons aussi sans Dieu.
L’altérité qui nous constitue, d’abord celle de Dieu, Dieu lui-même nous en dédouane en quelque manière, ou du moins il nous l’offre, il refuse de nous l’imposer, et pour cela se retire, se rendant non-nécessaire. Si la femme est créée de ce qu’il n’est pas bon que l’homme soit seul, c’est pour dire Dieu. La femme est le premier sacrement de Dieu. Ainsi parle, me semble-t-il, le livre de la Genèse.
Mais le discours est machiste. Certes il dit l’égalité de l’homme et de la femme : pour le coup, c’est l’os de mes os et la chair de ma chair ! Mais il dit aussi la priorité de l’homme. C’est lui qui vient évidemment en premier et la femme est présentée seulement comme une aide qui lui soit accordée. J’imagine que nous sursautons un peu à entendre cela. Pourquoi faudrait-il que l’homme vienne en premier ? Peut-on dire la femme comme une aide pour l’homme ? N’est-elle pas par elle-même ?
Nous apprenons aujourd’hui le sens qu’il y a à dire que l’homme est une aide pour la femme ; l’homme qui est créé en premier est aussi bien un homme qu’une femme, pour lesquels il n’est pas bon d’être seuls, afin de découvrir l’altérité de Dieu. L’homme et la femme sont l’un pour l’autre parabole de Dieu. N'est-ce pas le sens du sacrement de mariage ? La fécondité de leur union ne fait que renforcer cette parabole.
Mais point besoin d’être marié pour découvrir en l’autre de l’autre sexe ce qui manque à mon humanité. Plus encore, la différence sexuelle n’est pas la seule, ni même peut-être la première à dire, en parabole, l’altérité de Dieu. Et nous en faisons tous l’expérience. C’est par l’amitié aussi que l’on déclare qu’il n’est pas bon que l’homme soit seul. Le sexe, masculin féminin, est pour sûr le chiffre, un chiffre de l’altérité. Mais la différence des couleurs de peau l’est tout autant. Et d’autres différences encore, moindres peut-être, nous convoquent à l’altérité, celle des cultures, des niveaux de vie, des milieux sociaux professionnels, des idéologies. Dans notre Eglise, il y a des différences dont on n’ose pas parler tant elles risquent de mettre le feu, disons pour faire court, entre les cathos de gauches, les nouvelles communautés religieuses, les tradis…
Un nouveau fait de société fait poser une autre question, question de société, question de l’Eglise de France. Quoi que l’on en pense, on accepte que les homosexuels soient visibles, ils ne sont plus obligés de se cacher. Nombre de pays condamnent comme un délit l’homophobie. Je ne veux pas aborder la question de l’union de deux personnes de même sexe. Je me demande juste si pour les bien-pensants que nous sommes, partisans invétérés et spontanés de l’hétérosexualité, l’homosexuel ne pourrait-il pas, ne devrait-il pas, exprimer une radicalité de l’altérité ?
Il n’est pas bon que l’homme soit seul. Nous sommes convoqués à la rencontre de l’autre, des autres.

15/09/2012

Pour ne pas mentir à confesser Jésus (24ème dimanche)


Avec le chapitre 8 de l’évangile de Marc, un tournant se prend. Après une première partie de découverte ou de présentation de Jésus, dont seuls les esprits mauvais révèlent l’identité, la tension monte dans l’opposition à Jésus alors que ses proches sont de plus en plus associés à son intimité. Pendant toute cette première partie, Jésus commande que l’on ne dise rien de qui il est, cultivant le secret messianique.
La confession de foi de Césarée (Mc 8,27-35) puis la transfiguration sont des épisodes charnière sur le chemin de la reconnaissance de Jésus. Les indices semés dans la première partie de l’évangile sont rassemblés de sorte que les disciples de Jésus puissent trouver quelques forces aux moments difficiles. Et encore n’y parviendront-ils pas, laissant mourir leur maître seul sur la croix. Il faudra un païen, un étranger, un occupant, un pourri notoire, pour confesser, en voyant comment Jésus avait expiré, que vraiment cet homme était le fils de Dieu.
C’est qu’il ne suffit pas de dire qui est Jésus pour tomber juste ! La preuve, les esprits impurs et mauvais dans la première partie de l’évangile, la preuve, le reniement de Pierre, non pas seulement à la passion mais dès sa confession de foi, comme nous venons de l’entendre. « Passe derrière-moi Satan, tes pensées ne sont pas celles de Dieu. »
Nommer Jésus, comme tout homme d’ailleurs, est autre chose que décliner son identité, lire un registre d’état civil ou une carté d’identité. On se moque de savoir qui est Jésus si c’est pour savoir qu’il est né un 25 décembre ‑ ce qui n’est d’ailleurs pas sa date de naissance ‑ ou qu’il est le fils de Marie. On se moque de Jésus en croyant le connaître par sa date de naissance et le nom de sa mère.
Dire qui est Jésus, c’est le suivre. Pour dire qui est Jésus, il n’y a qu’une solution, le suivre. Et c’est bien parce que Pierre n’est pas prêt à suivre Jésus, jusqu’à la mort, qu’il ne peut qu’être traité de Satan dont les pensées ne sont pas celles de Dieu.
Mais que Pierre ne soit pas ici l’antihéros dont nous nous détournerions, offusqués, pour mieux nous disculper. D’une part nous pourrions interroger celui que nous appelons le successeur de Pierre. Plus nous le portons aux nues, plus nous devrions nous souvenir que l’apôtre qui le premier a confessé Jésus est celui qui s’est fait renvoyer dans les cordes : « passe derrière-moi Satan, tes pensées ne sont pas celles de Dieu ». Mais assez de temps perdu à juger et de Pierre et de celui que l’on appelle son successeur. C’est de nous qu’il s’agit.
Que disons-nous de Jésus ? Pour nous qui est-il ? C’est-à-dire comment, jusqu’où, quand, sommes-nous prêts à le suivre ? Ce peuple m’honore des lèvres mais son cœur est loin de moi. (Is 29,13) La question vaut pour nous, parents qui voulons transmettre la foi à nos enfants, pour nous prêtres et catéchistes qui prétendons faire découvrir aux enfants et aux jeunes qui est Jésus. Certes, nous ne pourrons jamais être à la hauteur de l’évangile que nous voulons annoncer. Certes, nous serons toujours en porte-à-faux en nous disant disciples de Jésus.
Mais pour que ce porte-à-faux ne soit pas mensonge, perversion, il nous faut pour Pierre, pour son successeur, pour nous-mêmes, nous dire ce que nous sommes, à la fois disciples qui confessons et pécheurs à côté de la plaque. Les disciples de Jésus sont (aussi) des traîtres et des menteurs. A ne pas le dire sans cesse, non par goût de la déchéance ou de l’auto-flagellation, mais comme condition de la vérité de notre foi, nous trompons et Jésus et les frères.
L’horreur de la religion, c’est que ce qu’elle recèle de meilleur, elle le pervertit à la hauteur de sa grandeur, pour devenir une tyrannie intolérante, violente, deshumanisante. Les évènements de cette semaine le montre une énième fois avec un film méprisant et des manifestations meurtrières. « Plus une cause est grande, dit un héros de Malraux, plus elle offre un grand asile à l’hypocrisie et au mensonge… »
Ainsi, dire que nous sommes disciples de Jésus, moins encore, seulement prononcer son nom, nous accuse comme esprits mauvais ou impurs, comme Satan, quand notre dévoilement de l’identité de Jésus n’est pas l’engagement à sa suive de pécheurs. La confession de Jésus ne peut se faire dans l’engouement délirant d’une légèreté mondaine, mais dans le trouble, hésitant, soufflé par l’Esprit comme une brise légère, de la reconnaissance de notre manque, de ce que ce n’est pas nous qui l’avons choisis, mais que c’est lui qui nous a choisis, aimés, le premier. La suite du Christ n’est pas notre affaire mais la sienne ; soit nous nous laissions conduire, soit, voulant maîtriser même l’aventure de la foi, nous sommes des fous furieux et dangereux.
La témérité est de mise dans le martyre seulement. Le reste du temps, il faut seulement suivre, venir après, derrière Jésus. Viendra le temps de dire à qui nous le demanderait, nos enfants, nos amis, nos collègues de travail, pourquoi nous vivons ainsi en suivant, qui nous suivons à vivre ainsi.

07/09/2012

Faire reculer le mal c'est annoncer l'évangile (23ème dimanche)


Encore un miracle ! On a l’impression que les miracles représentent le plus gros des évangiles tant on nous en raconte. Certes, chaque évangile synoptique en rapporte pas mal, répétant grandement les deux autres ; et si l’on n’est pas attentif aux détails de chaque récit, on n’en perçoit pas la nouveauté, on a l’impression d’une accumulation. La répartition liturgique amplifie cette impression en ne donnant à lire qu’une seule fois par an des textes qui nous paraissent plus importants comme la passion, certaines grandes paraboles et les récits des apparitions du ressuscité, alors qu’elle fait revenir les mêmes miracles comme multipliés par trois.
On finit pas se demander ce qu’il y a de nouveau à dire sur ces récits de miracles, entendus des dizaines de fois. Pouvons-nous en comprendre quelque chose ? Peuvent-ils encore nous apprendre quelque chose ? A chaque nouvelle lecture ? La question se pose d’autant plus que le miracle ne fait plus partie de notre pratique de la foi, de la vie quotidienne avec Jésus, ou alors de manière tellement exceptionnelle qu’elle entre en contradiction avec la fréquence des miracles évangéliques qui paraissent bien banals.
Pour tenter d’ouvrir le texte du miracle de ce jour (Mc 7,31-37), arrêtons-nous aux détails, refusant une lecture par les sommets qui se contente de parler de la guérison d’un sourd muet. On pourrait même affirmer que ce miracle ne raconte absolument pas la guérison d’un sourd-muet.
De quoi s’agit-il ? De beaucoup d’autres choses, dont la guérison du sourd n’est que la parabole. Et chacun sait que ce dont parle la parabole n’est pas ce dont il s’agit, mais le moyen de désigner autre chose qu’il faut savoir entendre. Il ne suffit pas en effet d’avoir des oreilles. Il n’y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, et c’est peut-être pour ne pas entendre, pour ne pas nous convertir, que nous pourrions nous contenter d’un bref résumé : guérison d’un sourd-muet. Ainsi donc, que celui qui a des oreilles pour entendre, entende ! Cessons d’être sourds. C’est peut-être de notre guérison qu’il en va.
De quoi s’agit-il alors ? La guérison du sourd et du muet est un des signes messianiques, un des signes de la présence du messie, un des signes de ce que le salut de Dieu se déploie. Le texte de la première lecture est un exemple parmi tant d’autres de ce que la guérison des aveugles, des sourds, des muets, des boiteux annonce la venue de l’envoyé de Dieu, c’est-à-dire, annonce la libération du mal.
Dans la guérison du sourd-muet se joue le rejet, l’expulsion du mal. La thaumaturgie évangélique est toujours un exorcisme, que soit présenté ou non l’esprit du mal. La guérison est toujours libération du mal, parce que la maladie est la parabole de notre possession. Nous sommes sous l’emprise du mal ‑ du moins nous le sommes aussi ‑ qu’il s’agisse de notre péché, du mal que nous commettons, mais aussi du mal que nous subissons, la souffrance, l’injustice, la mort.
Alors regardons les détails de cette guérison. Il s’agit en fait d’une création. Certes, l’on peut soigner avec de la boue, mais lorsque le créateur donna vie à l’homme, c’est avec de la glaise qu’il le façonna. Il fallut ouvrir le côté de l’Adam pour que la femme permît à l’homme de parler, pour qu’Eve, la vivante, la mère de tous les vivants, apparût. C’est lorsqu’il la voit que, pour la première fois, nous entendons le son de la voix de l’Adam. Déjà il fallait ouvrir l’homme pour qu’il parle. Le don de la femme est repris par le commandement : Effata, ouvre-toi ! La rencontre de l’autre – quel que soit son sexe d’ailleurs ‑ nous fait parler, nous ouvre à la source de la parole qui s’efface derrière sa créature.
Mais à quoi bon guérir ce sourd muet si vient l’interdiction de parler ? « Alors Jésus leur recommanda de n’en rien dire à personne. » N’importe pas, précisément, de fanfaronner sur le miracle qui appâte le chaland. N’importe pas même de faire connaître le nom de Jésus ; on pourrait se méprendre sur son compte. Hier, c’était pour le faire roi, aujourd’hui, c’est par dégoût de tout ce qui a été fait de criminel en son nom. N’importe qu’une chose, l’annonce d’une création sans cesse renouvelée, d’un salut pour l’homme, de la vie, paradisiaque, pour l’homme. Importe au créateur sauveur lui-même la vie de sa créature, la victoire sur le mal. La gloire de Dieu n’est pas que l’on parle de lui ; c’est l’homme vivant.
La venue de Jésus au milieu de nous, la présence du messie au milieu de son peuple est une recréation, une création toujours nouvelle, toujours renouvelée, est la vie de l’homme. Si le mal recule, il y a indice de la présence salvifique du créateur. Faire reculer le mal, c’est annoncer la présence salvifique du créateur. A défaut de faire des miracles – nous ne sommes pas le créateur – nous pouvons annoncer son évangile, la bonne nouvelle, en faisant reculer le mal. Si la gloire de Dieu c’est l’homme vivant, en libérant autant que faire se peut l’homme du mal, nous chantons la gloire de Dieu.

01/09/2012

L'atavisme hypocrite des religions (22ème dimanche)


C’est sale, c’est caca, c’est impur. Expressions du rejet, du dégoût, apprises dès le plus jeune âge et que les religions transmettent. Les tabous alimentaires, les règles de pureté et les rituels de purification ne se distinguent pas des impératifs hygiéniques. Si les préceptes religieux ont aussi un sens second, ce n’est jamais par opposition aux exigences de l’hygiène mais au contraire par leur sacralisation.
Ainsi se définissent un jeu de catégories parmi lesquelles : pur-impur, sacré-profane, tabou-permis, péché-purification, tache ou souillure-propreté ou bain rituel. On ne sort jamais de l’espace organisé par ces quelques axes. Il y a de l’archaïque en chaque nouvelle existence ; à l’ère de la modernité la plus grande demeure une répartition bipolaire de l’existence, spatiale, mais tout autant morale.
Au pays de Candy, il y a des méchants et des gentils. Ainsi pense le petit d’homme. Ceux qui ne sont pas comme lui, qu’ils le contraignent ou soient différents ne peuvent qu’être les méchants. La crise de l’adolescence exacerbe la dichotomie. Le monde est en noir et blanc et, confronté à la nécessité de faire des compromis, y compris parce que l’on perçoit que l’on n’est pas soi-même tout entier du côté du bien, on crie à la compromission pour mieux se dédouaner. Le sens de la justice si implacable se mue rapidement en intolérance.
C’est que justement, le monde n’est pas en noir et blanc, que l’intelligence humaine, pour le pire, certes, mais aussi pour le meilleur, connaît la concession, la demi-mesure, la justice non pas d’égalité mais de proportion. Aussi performante qu’elle soit, la logique informatique qui ne connaît que le zéro et le un ‑ le courant passe ou ne passe pas ‑ ne permet pas de construire un monde humain, tel qu’il peut s’exprimer dans l’amour de ceux qui ont raté, dans l’art qui cherche à dire, à laisser advenir, ce qui est, avant même que de juger.
Certains textes des Ecritures paraissent naïfs à distinguer deux chemins. Soit vous mettez en pratique les commandements et vous vivrez, soit vous ne le faites pas et vous mourrez. Ou encore, il y a le large chemin de la perdition et le chemin escarpé, la porte étroite du salut. Certains textes devraient nous paraître naïfs dans leur opposition bipolaire. Il n’y a pas d’un côté les croyants, et de l’autre les idolâtres, païens ou athées. Il n’y a pas d’un côté les saints et vertueux et de l’autre la massa damnata.
(Souvent les oppositions bipolaires des Ecritures doivent être comprises non dans une logique exclusive, mais comme l’expression d’une totalité. Ainsi, le jour et la nuit ne désignent pas deux moments de la journée, mais la totalité de la journée , les bons et les méchants ne désignent pas les deux seuls groupes de personnes, bien clairement distinguées et opposées, mais la totalité de l’humanité.)
Le texte d’évangile de ce jour (Mc 7,1-23) vient briser l’évidence de la bipolarité morale, rituelle et religieuse. Le pur et l’impur ne sont pas affaire de spatialisation selon les coordonnées de l’extérieur et de l’intérieur. C’est l’intention qui qualifie l’acte, de sorte que l’on pourra souvent dire qu’il n’y a pas de bien ou de mal en soi, qu’il n’y a pas d’actes intrinsèquement pervers ; une action est définie moralement par l’intention qui la porte.
Est introduit dans prétendue objectivité extérieure et extrinséciste du bien et du mal, le sens de l’action humaine. Ce qui pousse Jésus à faire exploser le cadre du pur et de l’impur, du sacré et du profane, c’est, au moins dans notre texte, l’hypocrisie religieuse, ce que l’on appelle le pharisaïsme, la tartufferie. Le religieux sacralise l’objectivité d’un pur et d’un impur basée sur la spatialisation, un intérieur et un extérieur, un espace sacré et un espace profane avec ces propres lois, par exemple l’économie ou la vie privée. Or ce religieux doit être converti, évangélisé sous peine de mensonge qui s’exprime comme hypocrisie, pharisaïsme.
C’est qu’avec Jésus s’évanouit le sacré et le profane, le pur et l’impur, car l’homme, icône du Dieu à l’image duquel il a été créé, est appelé à la sainteté. Avec l’homme, tout est profane, au sens où il n’y a plus de lieux réservés, sacrés ; Il est possible de prier dans sur un tas d’immondices, autant que dans une église, une maison de personnes âgées dont la vie s’achève dans la faiblesse, une maternité qui voit tant de bébés venir au jour. Mais on peut, on doit aussi dire que tout est sacré, ou plutôt, tout est destiné à la sainteté de l’homme. Rien, pas même le péché, n’échappe au mouvement de la vocation de l’homme qui consiste à tout ramener à Dieu.
Seul l’évangile, semble-t-il, désacralise toute chose, annonçant un Dieu qui n’est pas séparé de l’homme, mais un Dieu qui se fait homme pour que l’homme soit Dieu. Si l’on ne peut certes pas confondre Dieu et l’homme, on ne saurait pas non plus les distinguer, les séparer, les opposer.
Evangéliser le sacré c’est sans cesse faire reculer l’archaïque du sacré en nous pour reconnaître que ce monde, que l’homme, vit très bien sans Dieu, qu’il est autonome, et en même temps, que le monde et l’homme existent en recevant la sainteté du créateur et sauveur. Evangéliser le sacré c’est faire de chaque action une liturgie, un service à la gloire de Dieu, qu’il s’agisse du culte bien sûr, mais aussi du travail, du repos, des amours et des arts, et par-dessus tout du service du frère.

19/08/2012

El que come este pan vivirá para siempre (Vigésimo domingo)


¿ Cómo la carne de Jesus puede alimentarnos ? ¿ Que contestaría cada uno de nosotros ? Sin duda, diríamos que el sacramento es un alimento espiritual. ¿ Pero cómo tal alimento podría hacer que no múresenos ? ¿ Se trataría también de una vida espiritual ? ¿ Porque entonces compararlo con el maná ?
Si todo esto es espiritual ¿ por qué hablar con unas imágenes tan carnales, comer la carne, beber la sangre ? Si todo esto es espiritual, cómo esto tendría sentido para nuestra vida de cada día, tan carnal ?
Otra pregunta : ¿ cómo las palabras de Jesus podrían señalar el sacramento mientras que todavía, en esta época, no se sabe lo que es un sacramento, mientras que el texto posiblemente no se refiera al pan eucarístico, sino a la palabra de Jesús ?
Ultima pregunta : ¿ A quién conocemos que no hubiera muerto de manera que podamos decir que nunca muere, habiendo comido la carne del hijo del hombre ?
En efecto, el hombre no vive de pan sólo sino de lo que sale de la boca del Señor. Claro, la interpretación del texto debe ser espiritual. Entonces, no podemos substituir un pan por otro, el maná por el pan eucarístico. El pan que da la vida es la palabra de Jesus, mejor, la vida de Jesus, es decir Jesus mismo. No se trata aquí de eucaristía.
Un hombre que hace vivir, otra manera de decir, mas concretamente, que da su carne como comida y su sangre como bebida ¿ qué es ? Lo sabemos todos. Cada uno de nosotros conoce a tal o tal que le hace vivir, le da esperanza en la vida, le muestra su amor, la conduce sobre el camino de la estima a sí mismo.
Sabemos todos que sin los demás, no podríamos vivir, porque vivir no es sólo asunto biológico sino asunto de relación también. Y las relaciones no son cosas espirituales, son cosas muy carnales. Ofrecer la posibilitad de las relaciones es dar vida. Y así hace Jesus.
Pero no basta esta explicación. Jesus no sólo da la vida, sino su vida. Dar la vida es un nacimiento. Dar su vida significa la muerte. Desde el nacimiento hasta la muerte se da Jesus. La muerte de Jesus no tiene propiedades extraordinarias, las de un sacrificio por ejemplo, ofrenda expiatoria. Basta con la teología según la cual la muerte del Hijo sería necesaria para parar la ira del Padre.
La muerte de Jesus significa la fidelidad de toda su vida. Dando su vida, muere. Por su fidelidad con nosotros, por su fidelidad con su Padre, por su fidelidad con su propia palabra, Jesus continúa dando su vida hasta la muerte. Esta relación de fidelidad con nosotros y con su Padre, es decir su persona misma, nos la da, y hace nos hace vivir.
¿ Cómo decir esto, siglos después de su muerte ? ¿ Cómo vivir de esto, siglos después de su muerte ? La comida y la bebida son las parábolas de esta donación. Así, quien come su carne y bebe su sangre no muere, tiene vida, porque recibe la vida de Jesus. No se trata de una comida mágica o un alimento sacramental, se trata de la vida misma de Jesus, claro muerto desde dos mil años, pero continuando darnos su vida, continuando darse a nosotros.
Si queremos hablar de la eucaristía, diremos que es un sacramento, es decir lo que ocurre como signo. La eucaristía es el alimento como signo de que Jesus no deja de darse para que el mundo viva. La eucaristía significa la ofrenda de Jesus de su vida para la vida del mundo. Es la ofrenda como signo de esta ofrenda. Es el alimento que hace vivir como signo. Es de manera secunda, derivada, el alimento que hace vivir, es decir Jesus mismo, el que es el pan de la vida, el pan verdadero.
Lo comemos y morimos. ¿ Cómo Jesus puede afirmar que el que come este pan vivirá para siempre ? Con Jesus la vida no viene antes de la muerte sino al contrario la muerte viene antes de la vida. Comer este pan es salir de la muerte y ya salimos de ella si es la verdad, como lo dice el prefacio, que en esta existencia cotidiana, la vida eterna ya es empezada, que “todavía peregrinos en este mundo, no sólo experimentamos las pruebas cotidianas del amor de Dios, sino que poseemos ya en prenda la vida futura”.


28/07/2012

La multiplication des pains (17ème dimanche)


La multiplication des pains est un des rares épisodes à être raconté par les quatre évangiles. On pourrait en conséquence penser qu’il s’agit assez certainement d’un événement repérable historiquement, un miracle qui s’est effectivement passé. Mais après avoir entendu la première lecture (2 R 4,42-44), on a l’impression que le texte de l’évangile est un copier-coller du livre des Rois.
Vous avez repéré les éléments qui reviennent d’un texte à l’autre : des gens nombreux qui ont faim, l’invitation d’Elisée ou Jésus à leurs disciples de nourrir la foule, l’expression de l’impossibilité, le don de quelques pains, le fait de manger et les nombreux restes. Le récit évangélique semble n’être qu’une variation sur un thème connu.
On voudrait discréditer l’évangile que l’on ne s’y prendrait pas autrement, à faire connaître ces quelques versets du Premier Testament. Au contraire ! Le Nouveau Testament ne saurait être écrit sans le Premier, ne saurait être compris autrement que comme prophétie, du moins dès lors qu’on le lit dans la suite de Jésus.
Que font donc les évangélistes à ainsi lire le livre des Rois comme une prophétie ? Ils trouvent des mots, comme des pierres dans une carrière, pour parler de Jésus. La grande question des évangiles, n’est-ce pas l’identité de Jésus. Comment comprendre cet homme qui est le salut de Dieu ? Enfin un homme dont la parole nourrit ! Enfin un homme qui parle sans répéter les pseudos évidences que tous répètent ! Enfin un homme qui apporte la bonne nouvelle tant attendue, celle du salut.
Il nous faut encore noter que l’épisode des pains d’Elisée est lui-même un remake. Il rappelle la rencontre d’Elie avec la veuve de Sarepta, Le même genre de petit proverbe soulignant l’efficacité de la parole du Seigneur est repris dans un contexte de famine : car ainsi parle le Seigneur : On mangera, et il en restera. Car ainsi parle le Seigneur, Dieu d'Israël : Jarre de farine ne s’épuisera, cruche d’huile ne se videra (1 R 17,10).
Jésus via Elisée est présenté comme le nouvel Elie, celui qui doit venir, celui qui échappe à la mort, enlevé par un char de feu ou tiré du gouffre du tombeau.
A travers les trois histoires, est désignée la parole de Dieu dans son efficacité nourrissante. Ce qui nourrit c’est la force de cette parole selon laquelle la jarre de farine ne se vide pas, selon laquelle on mangera et il en restera, parole qui rassasie et permet encore de remplir douze corbeilles, autant que de tribus en Israël, le peuple tout entier est rassasié, autant que de mois dans l’année, chaque jour on sera rassasié.
Reste à savoir comment cette parole nourrit. Pouvons-nous dire qu’une parole fasse vivre et permette d’échapper à la famine ? Il est évident que l’homme ne vit pas de pain seulement. On crève à ne jamais entendre personne nous dire je t’aime. Et la parole de Dieu ne dit que cela. Dieu a dit une chose, quand bien même nous en entendons beaucoup. Dieu nous a dit je t’aime, et c’est notre vie, notre joie. Et il y a de quoi ramasser douze corbeilles de ce pain. Ces quelques syllabes, je t’aime, sont l’abondance même, la source inépuisable et prodigue.
Si nous venons partager le pain c’est uniquement pour entendre ce je t’aime et nous en repaître toujours. Venir écouter ensemble la parole, c’est partager un pain surabondant, c’est répondre à ce je t’aime qui nous engage à reconnaître en tout homme un compagnon. Le pain ne me nourrit qu’en étant partagé parce qu’alors j’entends le je t’aime qui fait vivre. Dans la fraction du partage est livrée la parole qui fait sourdre la vie.

20/07/2012

Qui a envie d'être pris pour un mouton ? (16ème dimanche)


Depuis Rabelais et son Panurge au moins, la culture moderne nous a appris à ne guère apprécier d’être traités de brebis. Cela ne nous rend sans doute que difficilement accessible le texte d’évangile (Mc 6,30-34) de ce jour. Que Jésus garde sa pitié ! Que nous fait qu’il soit ému de nous voir comme des brebis sans berger alors que nous avons pour idéal d’être libres ? Que nous fait son émoi si c’est pour nous vouloir brebis ou moutons ?
Le premier Testament (Jr 23,1-6) a largement conscience que les pasteurs du troupeau sont des mercenaires qui profitent des brebis et leur mangent la laine sur le dos. Alors Dieu lui-même se fait le pasteur de son peuple. Je rassemblerai moi-même le reste de mes brebis. Et le psaume de répondre : Le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien ; sur des prés d’herbe fraiche il me fait reposer.
Les bergers sont ici une métaphore désignant les responsables politiques mais aussi religieux. Mais le pastorat du Seigneur est de nouveau vite délégué : Je leur donnerai des pasteurs qui les conduiront. […] Je donnerai à David un Germe juste : il régnera en vrai roi, il agira avec intelligence, il exercera dans le pays le droit et la justice.
David est le roi pasteur, et son successeur, Jésus, plus encore. Que craindre donc ? Mais voilà, nous ne voulons plus de politiques qui décident pour nous. Et une des graves crises de l’Eglise aujourd’hui réside dans la crise d’autorité vis-à-vis des pasteurs. L’expression qui a perdu au passage son sens métaphorique est devenue technique. On ne veut pas plus de l’autorité des responsables ecclésiastiques. Ceux qui ne contestent pas l’autorité du Pape, c’est souvent parce que, si éloignée, elle ne les gêne guère.
Mais eux aussi ont perdu le sens de l’autorité. Car comme les autres, ils contestent l’autorité du curé, et même celle de l’évêque, dès lors surtout qu’ils ne pensent pas comme lui. Regardez les lefebvristes. On ne fait pas plus modernes. Qui oserait contester le Pape et les évêques comme ils le font ? Faut-ils qu’ils soient bien modernes !
Laissons là la question des bergers. Est-il possible de penser notre humanité perdue sous prétexte que le chemin ne serait pas tracé d’avance ? S’estime-t-elle perdue notre humanité sous prétexte que plus personne ne décide pour elle du chemin ? Que la route soit à inventer est justement ce qui la motive, la tire vers l’avant, la fait progresser. Que la route ne soit pas décidée est l’expression de sa dignité. Sans berger, nous ne sommes pas perdus. Nous ne connaissons peut-être pas le terme. Mais cela ne signifie nul égarement.
C’était plutôt la croyance en un sens établi, une vérité valable toujours et partout, et pour tous, qui était l’erreur, l’errance. La vérité aujourd’hui se décline aux milles reflets de ses possibles. Nous ne l’avons pas davantage abandonnée que nous serions abandonnés et perdus. Nous voulons lui être fidèles dans sa richesse.
Comment entendre, dans ce contexte, dans le contexte qui est le nôtre, que l’on parle de pasteurs, que Jésus soit ému aux entrailles, bouleversé, à voir les foules comme des brebis sans berger ? Ne fallait-il pas mettre en évidence le changement de contexte pour se prémunir des contre-sens ?
Connaissez-vous un pasteur qui soit brebis, mieux encore, agneau ? Connaissez-vous un roi qui soit serviteur, mieux encore, esclave ? Connaissez-vous un dieu qui soit homme, mieux encore, mort ignominieusement ? Si un tel pasteur, roi ou dieu existait, il est à parier que personne n’y croirait, que de suite on le remettrait sur son trône, que de suite, on lui offrirait des sacrifices. Il faut un pasteur, un roi, un dieu qui refuse d’être tout cela pour que nous soyons débarrassés, non pas de lui, mais de nos bassesses à le charger de nos problèmes, à nous en faire de nouveau les esclaves. La superbe parabole des arbres, aux livres des Juges (chap 9), doit être relue.
Il faut que dieu se retire, que dieu disparaisse. Et c’est ce que nous vivons. Alors un tel pasteur qui ne risque pas de conduire des brebis ou des moutons, libère le peuple. Car il est vrai aussi que notre humanité est perdue. Mais non pas de n’avoir point de pasteur. Seulement d’user du pouvoir pour humilier le faible et s’autodétruire.
Il faut un agneau qui se fasse tuer pour porter le péché du monde. La liberté de l’homme et celle de Dieu, contre d’abord l’idée que l’homme s’en fait lui-même, croissent en même proportion. L’homme n’est jamais aussi libre que lorsqu’il s’abandonne au dieu qui a lui-même renoncé à sa divinité. Le Christ Jésus, qui était dans la condition de Dieu, ne retient pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur.

Seul un tel Dieu est effectivement pris aux entrailles de nous voir nous perdre, non de n’avoir pas de berger, mais de nous tuer. Seul un tel Dieu peut être pasteur parce qu’il est agneau, roi parce qu’il est esclave.

14/07/2012

Aimés dès avant la création du monde (15ème dimanche)


L’épitre aux Ephésiens est un texte que l’on date des années 75 de notre ère. Paul est mort depuis une dizaine d’années. La datation est certes discutée, mais on s’accorde aujourd’hui pour faire de la lettre un texte de tradition paulinienne, mais non de la main de Paul, pas même écrit de son vivant.
Sa thématique demeure fort proche des textes de Paul, c’est incontestable. Mais elle est aussi proche des épîtres pastorales, de la fin du premier siècle, assurément non pauliniennes. On peut voir cela par exemple en étudiant le vocabulaire et les propos quant aux ministères.
Le texte que nous venons d’entendre ouvre l’épitre après les versets de salutation (Ep 1,3-10). Il s’agit d’une hymne, d’un chant de bénédiction. Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus, le Christ
Certains ont voulu dater encore plus tardivement l’épitre à cause de cette hymne et de la théologie qu’elle contient. Pourtant, il faut en convenir, cette théologie est antique, peut-être plus ancienne que l’épitre elle-même si l’hymne a été reprise d’un usage liturgique. Qu’est-ce qui étonne dans cette hymne ? L’affirmation de l’existence du Fils dès avant la création du monde.
Pour nous qui avons trop peu le sens de l’histoire, en particulier le sens de l’histoire de la dogmatique chrétienne ‑ comme si les chrétiens avaient toujours cru de la même manière depuis la mort et la résurrection de Jésus, comme si le catéchisme que nous avons appris était sorti tout droit de la prédication de Jésus ‑ pour nous donc, que Jésus soit dit de toute éternité celui qui réalise le dessein du Père, n’a rien d’étonnant, sans que cela fasse forcément sens pour nous !
Mais si nous nous mettons dans la peau des hommes du premier siècle, ceux qui ont rencontré Jésus, ceux qui dans les décennies qui suivirent en entendirent parler, Jésus, c’est l’évidence même, est un homme. Que peut-on rencontrer sur les routes de Palestine d’autre que des hommes ? Surtout pas un dieu.
Au quatrième siècle les conciles diront de Jésus qu’il est vrai homme et vrai Dieu. Notre profession de foi, dite de Nicée Constantinople, en porte la trace. Mais nous avons fini par oublier l’humanité de Jésus au profit de sa seule divinité, à l’inverse de ce que beaucoup ne pouvaient que faire durant les premières décennies chrétiennes, voir un homme et avoir du mal à soupçonner qu’il s’agît d’un dieu.
L’hymne que nous avons lu affirme, dès les années 70, de façon assez claire, sans qu’il faille attendre le quatrième siècle, la préexistence de Jésus à sa vie humaine. D’où vient cette tradition ? Comment a-t-elle été possible ? On peut penser à l’importance de textes du premier testament, par exemple du livre de la Sagesse ou des Proverbes. Mais c’est un fait, Jésus, l’homme de Palestine, est ici chanté comme celui en qui le Père nous a choisis pour la vie.
A la source de la profession de foi s’exprime ce qui fait aujourd’hui le cœur de la foi, et que le quatrième siècle a solennellement défini. Plutôt que de conjecturer des influences scripturaires ou culturelles, le texte lui-même indique les raisons de cette christologie, peut-être pas première, mais très primitive. Et ces indications valent encore pour la théologie aujourd’hui, devraient encore valoir pour notre compréhension de la foi.
Ce qui est dit de Jésus est concomitant, peut-être même est commandé par la bonne nouvelle de salut nous concernant. Ce texte, si l’on peut dire, avant d’être christologique est sotériologique. Pour ces premières générations de chrétiens, parler de Jésus ce n’est pas tenir un discours indépendant de ce qui nous concernerait, mais c’est articuler sur ce que l’évangile dit de ce Jésus, le dessein éternel de Dieu, notre bonheur, dont nous avons connaissance par Jésus.
Dès avant la création du monde, Dieu nous a choisis, Dieu nous a aimés. Dès avant la création du monde, nous sommes prédestinés à sa vie, à vivre avec lui, à vivre de lui. De toujours à toujours, le dessein de Dieu est l’adoption filiale de tous les hommes. Ce dessein d’amour nous est connu, plus encore est inscrit dans le fils. Je cite : En lui,  il nous a choisis avant la création du monde, pour que nous soyons, dans l'amour, saints et irréprochables sous son regard. Il nous a d'avance destinés à devenir pour lui des fils par Jésus Christ.
Si pardon des péchés il y a, il n’est pas à l’origine du dessein divin. C’est comme une conséquence semble-t-il que l’on évoque le pardon. D’abord, il y a un projet d’amour que rien n’arrête pas même le péché. Le Fils ne débarque pas dans l’histoire des hommes à cause du péché. Elle n’est pas heureuse la faute qui nous aurait valu un tel rédempteur, car quoi qu’il en soit de cette faute, le projet d’adoption filiale lui est antérieur. Avec ou sans la faute, la vie divine qui nous est promise est l’origine même de la création et de l’amour éternel du Fils par le Père. L’engendrement éternel du Fils est le projet d’adoption de l’humanité. Voilà l’évangile de ce jour. Voilà l’évangile de notre baptême.
Ce projet de vie, de don de vie, est déjà réalisé. Déjà l’Esprit de Dieu nous habite et c’est par lui que nous respirons, que nous sommes gorge vivante, comme dit le récit de la création. Je cite une dernière fois : Dans le Christ, vous aussi, vous avez écouté la parole de vérité, la Bonne Nouvelle de votre salut ; en lui, devenus des croyants, vous avez reçu la marque de l’Esprit Saint. Et l’Esprit que Dieu avait promis, c'est la première avance qu’il nous a faite sur l’héritage dont nous prendrons possession au jour de la délivrance finale, à la louange de sa gloire.

06/07/2012

Une écharde dans la chair (14ème dim. du temps)


J’ai dans ma chair une écharde. (2 Co 12,7-10) Que n’a-t-on pas fait dire à cette confession ! Les interprétations à connotation sexuelle se sont multipliées. Paul aurait eut un appétit sexuel insatiable. Mais soyons sérieux, si Paul n’a rien d’autre à se reprocher que sa fringale sexuelle, il n’y a pas de quoi parler d’une écharde dans la chair, tout juste une démangeaison, une irritation superficielle de la peau !
Faut-il être obsédé par le sexe et la pureté pour imaginer d’un homme dont rien ne nous est rapporté par ailleurs sur son goût pour les femmes, les hommes ou l’onanisme, qu’il était soumis à une véritable torture. Les interprètes parlent davantage d’eux-mêmes que de Paul. L’obsession de la pureté sexuelle tourne à la dépravation ! Les saintes-nitouches cachent trop souvent des pervers.
Si nous devons imaginer ce qu’est cette écharde, il faut aller dans une autre direction, celle de la culpabilité, celle que par exemple Dostoïevski a explorée. De quoi donc se sentir indélébilement coupable ? Du viol d’un enfant ? D’un viol ? Voyez que je n’écarte pas le sexe a priori. Pour Paul, il n’y a pas besoin d’aller loin pour comprendre. C’est le crime, la délation, l’arrestation d’innocents, leur meurtre.
Comment être en paix avec sa conscience quand on a livré des innocents à la prison voire à la mort, et que, de surcroît, on se pose depuis comme défenseur de la foi de ceux que l’on a persécutés. Je ne prétends pas à la reconstitution historique. Je ne sais rien de cette écharde dont parle Paul. Je sais que ce que nous en comprenons parle davantage de nous qui cherchons à comprendre. Je nous vois avec nos propres culpabilités, les fautes que nous regrettons vraiment, dont nous avons encore honte, toujours honte, dont nous n’arrivons pas à nous défaire, qui nous font nous détester.
Nous avons-nous aussi peut-être une écharde dans la chair, c’est-à-dire au plus profond de notre être, ce que nous appellerions aujourd’hui la conscience. Il faut, je le redis, relire Dostoïevski, Crime et châtiment, Les frères Karamazov, L’Idiot, etc. Bonnes lectures d’été. L’écharde dans la chair, c’est notre histoire avec le mal, notre pacte avec le mal, ce poids sur la conscience. Même le vocabulaire de la conscience demeure matériel et sensible, un poids dit-on.
Mais le texte de Paul ne s’arrête pas sur cette écharde. Il ne la nomme même pas, d’où les supputations les plus folles. Cette écharde est l’occasion d’un évangile, d’une bonne nouvelle. Et si nous aussi nous sommes de ceux que la faute rattrape, ce que l’on appelle la culpabilité, alors, il y a un évangile pour nous. Non pas la magie d’un coup d’éponge. L’écharde est dans la chair, comme l’œil d’Abel qui était dans la tombe et regardait Caïn : malgré la demande d’en être débarrassé, elle demeure. Elle ne peut être ôtée, et tel n’est pas ce qui importe.
Un évangile est annoncé : Ma grâce te suffit. Evangile si bref que nous ne l’avons sans doute pas entendu, qu’il faut le répéter, Ma grâce te suffit, où lui donner des variations, telle celle de Bernanos. « Il est plus facile que l’on croit de se haïr. La grâce est de s’oublier. Mais si tout orgueil était mort en nous, la grâce des grâces serait de s’aimer humblement soi-même, comme n’importe lequel des membres souffrants de Jésus-Christ. »
Cette écharde nous mène jusqu’à la détestation de nous-mêmes, la mésestime de soi. C’est alors notre orgueil qui mène encore la danse. Car aussi grosse que soit l’écharde, aussi profondément fichée en la chair, s’en occuper c’est se préoccuper de soi. L’évangile de la grâce annonce une libération. Non pas le laxisme, une fois encore l’écharde n’a pas disparu, mais la possibilité quand ce n’est pas le devoir d’avancer. Ma grâce te suffit, s’aimer comme n’importe lequel des membres souffrants de Jésus-Christ.
S’il s’agit de mésestime de soi, de haine de soi, l’écharde n’est pas que faute mais aussi culpabilité non coupable, de celle que ressent la victime d’une agression, je pense aux rescapés de la Shoah, aux victimes des pédophiles et des viols. Nulle faute et pourtant l’horreur de soi, le dégoût de soi qui ne trouve à s’exprimer que dans la faute, dans l’endossement de la faute. Jésus a bien pris sur lui nos péchés, agnus Dei qui tollit pecata mundi. La victime peut porter mortellement la faute de son bourreau.
Alors il faut continuer à lire Paul. Lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort. Pareil propos n’est accessible, n’est compréhensible que par celui qui est rongé par le remords de son crime ou miné par le crime dont il a été victime. Les autres n’y entendent rien. C’est comme aux béatitudes, on ne peut rien entendre si l’on est content de soi et du monde. Bêtement content oserais-je dire, me laissant aller à quelque ressentiment que je sais pourtant vain, coupable et mortifère, qui signe encore mon refus de conversion. Heureux ceux qui pleurent. Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice. Heureux serez-vous si l’on dit toute sorte de mal contre vous à cause de moi.
Oui, c’est cela l’évangile des béatitudes. Ma grâce te suffit.


Que l’Eglise du Seigneur soutienne ceux qui sont les plus faibles, victimes des haines et de l’oppression, de la guerre et de la maladie.

Que la communauté humaine s’organise sans ressentiment pour que les plus faibles soient accompagnés, aidés. Nous pourrons dénoncer l’assistanat lorsque nous aurons expressément lavés les pieds des plus pauvres.

Que notre communauté permette à chacun de se présenter tel qu’il est, notamment avec ses faiblesses. Que n’importe pas l’image qu’il faut donner de soi, mais la vérité de notre vie.

30/06/2012

Dieu n'a pas fait la mort (13ème dimanche)

Il faut faire reculer la mort, il est urgent de faire reculer la mort. Elle est l’ennemie de Dieu, contraire à son dessein, sa plus grande ou dernière ennemie si l’on en croit Paul ; « le dernier ennemi détruit, c'est la Mort » (1 Co 15,24).
Il faut faire reculer la mort qui non seulement afflige l’homme mais encore rend impossible la confession d’un Créateur amoureux de sa création. L’affliction, Jésus la connut, pleurant la mort de son ami Lazare, suant sang et eau à l’approche de sa propre mort. Quant à l’échec de la création, quant à l’impossibilité d’un Dieu bon tant que la mort persiste, c’est ce que reconnaît par exemple saint Thomas d’Aquin, mais aussi le bon sens le mieux partagé. Si le mal existe, et il existe, Dieu n’existe pas.
« De deux contraires, si l’un est infini, l’autre est totalement aboli. Or, quand on prononce le mot Dieu, on l’entend d’un bien infini. Donc, si Dieu existait, il n’y aurait plus de mal. Or l’on trouve du mal dans le monde. Donc Dieu n’existe pas. »
Peut-on glisser, quasi subrepticement de la mort au mal ? La mort est l’expression hyperbolique du mal. Elle rassemble toutes les formes de maux et les porte à leur paroxysme, qu’il s’agisse du mal subi ou commis, du déchaînement de la nature ou de la haine, du mal moral ou du mal sans responsable.
Faire reculer la mort, c’est faire reculer le mal. Et il n’y a pas une minute à perdre ainsi que le raconte l’évangile de ce jour (Mc 5,21-43), ainsi que le rapporte tout l’évangile, particulièrement celui de Marc. On dirait que dans la Palestine que Jésus traverse, il n’y a que des malades, des envoûtés, des morts. A lire les journaux, il se pourrait que l’on ait pour aujourd’hui la même impression. La liste de s’arrête jamais des amis dont on apprend la maladie ou un pépin, des pays en guerre, de l’injustice et de la faim dans le monde.
Le passage de Jésus dans ce monde peut-il comme hier faire reculer la mort et le mal ? Telle serait notre foi si du moins elle n’en restait à une histoire ancienne. La femme qui saigne depuis douze ans, la fillette morte à 12 ans, deux totalités enchâssées l’une dans l’autre pour dire l’éternité de la mort, hier, aujourd’hui.
Si la réplique chrétienne, si la réplique de Jésus au mal et à la mort n’est que pour demain, quand nous serons morts, lorsqu’il n’y aura plus rien, elle ne vaut rien. La vie éternelle, c’est maintenant ou bien ce n’est que le rien d’un fantasme, l’illusion d’un autre monde pour ne pas exiger de ce monde-ci les promesses dont il recèle. Dieu n’a pas fait l’homme pour la mort. « Dieu n'a pas fait la mort, il ne se réjouit pas de voir mourir les êtres vivants. Il a créé toutes choses pour qu'elles subsistent. […] Dieu a créé l'homme pour une existence impérissable, il a fait de lui une image de ce qu'il est en lui-même. » C’était notre première lecture (Si 1,13. 2, 23).
Je dis réplique au mal et non réponse. Parce que répondre, ce serait dialoguer, ou au moins raisonner. Or le mal est sans raison et en chercher l’explication serait lui donner raison, ce qui ne doit surtout pas se faire. Le mal a toujours tort. Tout ce qui tue a toujours tort. « Dieu n’a pas fait la mort. »
Que faire alors ? Quelle a été la réplique de Jésus ? Il est passé, n’a pas détourné sa face divine de l’horreur, son cœur d’homme de l’inhumain. Il a traversé, et dans l’urgence, il a soulagé, guéri, rendu la vie. Il y a urgence de répliquer, de faire reculer le mal en s’engageant décidément contre lui comme nous l’avons promis au jour de notre baptême. Rejetez-vous le mal et le péché et ce qui y conduit ? Le rejeter c’est le dénoncer, sans cesse, crier avec les victimes pour dire non, relever les manches pour tenter d’endiguer le mal si l’on ne peut pas le faire reculer.
Les techniques et la médecine diront certains sont plus efficaces que Jésus pour faire reculer la mort. A supposer que la technique ne soit pas aussi force de destruction de l’homme, elle est effectivement à notre service et c’est par elle aussi que nous retroussons nos manches pour faire reculer la mort. Mais la vaincre est une autre affaire. Nous le savons par exemple lorsqu’il n’y a plus rien à faire pour tel malade si ce n’est à être là pour lui tenir la main alors que s’avance l’inconnu du grand passage.
Si la mort est le dernier ennemi c’est que, bien que, nous le croyons, vaincue par Jésus, son empire demeure. La victoire de Jésus n’est crédible que par notre engagement contre la mort, contre le mal. Rejeter le mal, le dénoncer, l’endiguer et compatir n’est pas qu’une histoire de morale, de recherche du bien. C’est une profession de foi. C’est ce qui peut laisser Dieu exister.




Seigneur, nous te prions pour que l’Eglise se tienne toujours aux côtés de ceux qui luttent contre la mort et l’injustice, contre le mal et la violence, afin qu’ils trouvent en elle la maison familiale où ils viennent refaire leur force, auberge du Bon Samaritain ou d’Emmaüs.

Seigneur, nous te prions pour ceux qui souffrent et crèvent, en Syrie, au Nigéria, au Mali, en tant d’autres endroits encore. Qu’ils sachent trouver en toi et dans leurs frères le réconfort et la paix.

Seigneur, nous te prions pour ceux qui partent en vacances. Qu’ils emploient ces jours de repos à travailler à leur humanisation et à celle de ceux qu’ils rencontreront. Nous te prions aussi pour ceux qui n’auront pas de vacances, parce qu’ils n’ont pas de travail, parce qu’ils n’en ont pas les moyens.