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23/11/2013

La lutte contre le mal passe par le service, mais personne n'en veut. (Christ Roi de l'univers)

La France ne va pas bien. Son président est au plus bas dans les sondages et l’on se prend à rêver de nouveau à l’homme providentiel. C’est déjà ainsi que s’était construit le mythe qui avait conduit Nicolas Sarkozy à la présidence. Vue d’Espagne, est-ce si sûr que la France ne va pas bien ? Vue de Madagascar ?  Même vue d’Allemagne où un SMIG décent est seulement à l’ordre du jour des projets de la nouvelle coalition…
Mais qu’avons-nous à rêver à l’homme providentiel ? Qu’avons-nous à confondre gouvernement et populaire voire populisme ? Ne serions-nous pas coupables à attendre le coup de baguette magique ? Pour nombre d’entre nous, pouvait-on lire cette semaine, le loto et autres jeux de hasard apparaissent comme la seule solution pour s’en sortir.
Ces superstitions profanes, qui coûtent le sacrifice de quelques euros, mais peuvent rendre dépendant et ruiner, ouvrent une autre voie quand tout est disqualifié et que le vrai Dieu n’a plus la cote. Ceci dit, faire du vrai Dieu l’homme providentiel, pas sûr que cela marche mieux !
Si les présidents, de droite comme de gauche, sont incapables de protéger leurs concitoyens, voire les plient à leur service ou à ceux du grand capital, n’aurions-nous pas des raisons de vouloir un autre régime politique, une autre royauté, enfin juste et bonne ?
La fête du Christ roi de l’univers est récente. Elle date de 1925, quelques années après la première guerre mondiale et ses millions de morts. Elle date du traumatisme causé par l’installation du pouvoir soviétique, athée, en Russie. Le monde s’est écroulé. Il n’y a pas d’homme providentiel et l’on recourt à Jésus lui-même. Contre un monde qui se laïcise, on dirait qui se sécularise et se déchristianise, et pas seulement sous l’effet du communisme, il faut en appeler au souverain roi.
Après le concile que la fête devient celle du Christ-roi de l’univers. Le sens trop exclusivement politique est estompé pour souligner principalement la seigneurie de Jésus sur la création, dans l’esprit de notre seconde lecture (Col 1,12-20).
Mais est-ce une raison pour voir en Jésus l’homme providentiel ? Comment apparaît le roi de l’univers ? Rien des succès fulgurants et magiques. Rien de triomphal. L’évangile choisi n’est pas celui de l’entrée à Jérusalem. Pire qu’un roi montant un ânon, c’est un crucifié que la liturgie désigne roi de l’univers.
On se moque de nous. Nous sommes refaits. La France n’ira pas mieux, ni le monde si on en appelle à un condamné. Est-ce à dire qu’il faut déthéologiser le politique et que la fête de ce jour n’est que spirituelle, que la royauté de Jésus et sa providence ne sont que spirituelles, c’est-à-dire finalement, non repérables, non efficaces, pas vraiment vraies ?
Surtout pas. Il y a dans le principe d’incarnation (n’oublions pas que la fête a été instaurée pour le 1600ème anniversaire du concile de Nicée) quelque chose qui interdit à la foi de se réfugier dans le spirituel. Si la royauté de Jésus a un sens, si l’encyclique de Pie XI n’est pas qu’idéologique, ce n’est pas une spiritualisation qui les sauvera, mais leur insertion dans ce monde, monde des conflits et des haines, du refus de Dieu et des exclusions.
Le roi que nous présente l’évangile est précisément confronté à la haine et à l’exclusion, y compris au nom de la religion, de la foi. Jésus roi est condamné, serviteur défiguré. La royauté de Jésus, le royaume que nous appelons chaque fois que nous récitons le Notre Père, que ton règne vienne, n’est pas le royaume providentiel, celui de la réussite et du succès, celui qui nous tire magiquement de la mouise.
La royauté de Jésus est la nôtre. Parce que le roi trône avec nous, fût-ce sur une croix, ce que nous vivons d’injustices, de haines, de violences et d’exclusions ne parvient pas à effacer notre nom du cœur de Dieu. Car c’est aujourd’hui même, le paradis auquel il nous convie, ainsi que le dit le texte, non demain après la mort, mais aujourd’hui.
Que nous fait de mourir dignes, de vivre dignement mais écrasés par la violence, si c’est pour mourir ? Pas grand-chose, je l’accorde. Si ce n’est… Si ce n’est que le vermisseau que nous sommes, enhardi par l’amour qu’il reçoit de Dieu même, ose penser que ce monde a une autre vocation que le cortège du mal. Ce n’est pas l’homme providentiel qu’il faut attendre comme Godot, c’est notre condition de serviteur qu’il faut relever pour faire reculer le mal. La lutte contre le mal passe par le service.
Le service est la seule force capable de changer le monde. Personne n’y croit, personne n'accepte de se faire serviteur. C’est bien pour cela que la fête de ce jour n’a plus rien de conservateur et d’anti-démocratique, mais qu’elle est toute entière révolutionnaire, de la révolution de l’évangile.

16/11/2013

Pour que l'Eglise ne soit pas une secte (33ème dimanche C)

Qu’est-ce que la fin des temps ? L’évangile de ce jour parle-t-il de demain ou d’aujourd’hui ? A moins qu’il ne s’agisse d’hier, car il y a belle lurette qu’il ne reste pas pierre sur pierre du temple de Jérusalem. Les musulmans ont même construit deux mosquées à sa place et ne subsiste qu’un mur de soutènement.
Si l’on ne sait pas de quoi parle le texte, comment le comprendrions-nous ? Si la fin des temps, c’est demain, en quoi le texte est-il utile ? Seuls ceux qui vivront ce moment, à supposer qu’il existe un jour, seront heureux de trouver un mode d’emploi, un guide pour agir à cette heure. Mais voilà que depuis la rédaction de l’évangile, des générations de chrétiens ont lu ces pages sans vivre la fin des temps. Est-ce à dire qu’ils n’avaient rien à entendre en ces versets ? Vraisemblablement, nous non plus ne verrons pas la fin du monde. Serait-ce à dire que nous n’avons rien à attendre de ce texte ? Alors, il faut arrêter ici le commentaire.
Bref, la seule solution pour lire le texte est de décider, même si c’est surprenant, que la fin des temps, c’est maintenant. C’est parce que c’est maintenant la fin des temps, que nous pouvons écouter avec profit cette page d’évangile.
Dire que notre temps est temps de la fin, fin des temps, qu’est-ce que cela signifie ? La fin des temps n’est manifestement pas un autre temps, par exemple après la mort, la mort de tous, mais ce temps-ci où la mort rode et doit être affrontée. N’est-ce pas ce que décrit le texte ?
On se dressera nation contre nation, royaume contre royaume. Il y aura de grands tremblements de terre, et çà et là des épidémies de peste et des famines ; des faits terrifiants surviendront, et de grands signes dans le ciel. Mais avant tout cela, on portera la main sur vous et l'on vous persécutera ; on vous livrera aux synagogues, on vous jettera en prison, on vous fera comparaître devant des rois et des gouverneurs, à cause de mon Nom. Vous serez livrés même par vos parents, vos frères, votre famille et vos amis, et ils feront mettre à mort certains d'entre vous. Vous serez détestés de tous, à cause de mon Nom.
Comprendre ce que nous vivons comme fin des temps a des conséquences dont le texte se fait mode d’emploi. Nous ne sommes nullement abandonnés en ces temps s’ils sont les derniers. Le texte nous dit que faire.
La première chose qui nous est dite c’est de ne pas croire les charlatans. Prenez garde de ne pas vous laisser égarer, car beaucoup viendront sous mon nom en disant : 'C'est moi', ou encore : 'Le moment est tout proche.' Ne marchez pas derrière eux ! Ces charlatans sont peut-être les sectes, et l’on sait les ravages qu’elles font. Plus les gens sont pauvres et paumés, plus elles en profitent, et les vedettes internationales qui sont adaptes ne font que faire croire en la respectabilité de ces officines. Habituées à la une des magazines people, elles sont la devanture encore, en l’occurrence, celle des sectes.
Mais s’agit-il seulement de nous prémunir contre les sectes ? Que les évangiles aient pensé à cela est curieux. C’est plutôt une invitation pour les disciples de Jésus à ne pas se transformer en secte. Cela signifie que les gens paumés, c’est notre boulot de les accueillir, de les soulager, mais sans aucune arrière pensée, du genre se les agréger. Nous somme ici encore les témoins de la gratuité. Nous sommes au service au nom de Jésus, pas pour agréger à Jésus. Si annonce de Jésus il y a, ce sera de telle sorte que la gratuité du service n’y soit jamais sacrifiée.
Une autre caractéristique des sectes c’est la prétention à avoir la solution, les solutions. Nous ne pouvons faire croire que nous avons les solutions. Quand les gens crèvent, comme Mère Téresa, on leur tient la main, on ne fait pas croire au miracle. Parmi ceux qui sont venus sous son nom et qui ont dit, c’est moi, ou le moment est tout proche, qui ont créé des mouvements ou congrégations, plusieurs ont été convaincus d’infamies. Cela n’est-il pas curieux ? Certains ont abusé jusqu’à Jean-Paul II.
Notre Eglise n’est peut-être pas en grande forme. C’est surtout le moment de ne pas croire ceux qui viennent sous le nom de Jésus et de ne pas suivre ceux qui disent que c’est le moment.
Le mode d’emploi qu’est l’évangile de ce jour invite à persévérer. Voilà qui n’est pas une valeur , la persévérance, dans un monde de l’éphémère. Traverser les obstacles, les crises, et même la mort, et se tenir là où nous avons dit que nous serions, même si c’est la mort qui se présente. Mettez-vous dans la tête que vous n'avez pas à vous soucier de votre défense. Moi-même, je vous inspirerai un langage et une sagesse à laquelle tous vos adversaires ne pourront opposer ni résistance ni contradiction. Persévérer dans nos devoirs, dans nos solidarités, dans nos lieux. Il n’y a semble-t-il pas d’autre choix.
L’herbe est toujours plus verte à côté, tant que l’on n’a pas franchi la barrière. Le changement de pré n’est souvent enthousiasmant qu’un court instant. Ensuite, l’herbe apparaît plus verte dans un autre champ, à côté. C’est par votre persévérance que vous obtiendrez la vie.

09/11/2013

"Qu'y a-t-il d'écrit ? Comment lis-tu ?" (32ème dimanche C)

Je retiens de ce drôle d’évangile (Lc 20,27-38) la manière dont Jésus se sert des Ecritures, alors que nous venons de remettre le livre des Ecritures aux enfants de CE2. Comment lire les Ecritures ? Peut-on leur faire dire n’importe quoi, ainsi que cette histoire de veuve aux sept maris ? Faut-il les prendre au pied de la lettre ? Quelle marge d’interprétation est-elle nécessaire et suffisante ?
On accordera que les Ecritures ne sont pas la parole de Dieu au sens où Dieu aurait lui-même dicté ces textes. Juifs et chrétiens ont toujours pensé que si ces textes sont parole de Dieu, ce n’est pas que Dieu aurait ainsi parlé. Le concile Vatican II reconnaît aux écrivains sacrés un vrai statut d’auteurs, et non un rôle de scribes auxquels Dieu dicterait son message.
Et heureusement qu’il en est ainsi. Cela permet de prendre quelques distances par rapport à la violence biblique, aux coutumes tombées en désuétude, aux croyances invalidées par une purification de la foi. Le texte biblique a une histoire. Il ne fait pas que conter l’histoire de Dieu avec son peuple ; il est lui-même le produit d’époques, de cultures, de conceptions qu’il faut savoir comprendre comme celles d’un moment.
En outre, si l’écrivain sacré n’était qu’un scribe du téléphone divin, un ventriloque du bon Dieu, il manquerait quelque chose de fondamental à notre compréhension des Ecritures. Elles ne sont parole de Dieu qu’à être le récit d’un peuple. La révélation faite à Abraham ou à Ezéchiel, c’est leur affaire, à supposer qu’elles aient existé. Quand Dieu parle, même s’il s’adresse à chacun par son nom, c’est à son peuple qu’il livre les paroles de vie. Vous serez mon peuple et moi, je serai votre Dieu.
Mais alors comment Dieu parle-t-il ? Quelle est sa parole ? Nous devrions sans doute plutôt dire que les Ecritures sont la réponse que les hommes adressent au Dieu qui leur parle, la réaction des hommes à cette parole. Nous n’avons pas sous les yeux la parole de Dieu, mais ce qu’elle a provoqué. La parole divine ne se lit pas directement, comme si l’on pouvait voir Dieu en direct, face à face. La parole divine se lit comme une intrigue policière ou une recherche scientifique. Si les hommes ont ainsi écrit, qu’est-ce que Dieu a bien pu leur dire ? La parole de Dieu ne peut que se deviner, se chercher, dans la réponse des hommes qui prennent son interpellation au sérieux.
Si l’homme comme dans le psaume de ce jour crie à l’injustice, crie l’injustice à son Dieu, ce qu’il avait entendu de son Dieu n’était-il pas une parole qui déclarait que la justice est la vocation de l’homme, ce à quoi Dieu lui-même l’appelle ? Nous découvrons ce que Dieu dit dans le cri que nous poussons vers lui. Nous l’entendons, de dos, dans la prière que nous lui adressons, le récit que nous racontons de notre vie avec lui, la loi que nous nous devons de respecter, la parabole et proverbe plein de sagesse.
C’est très important cette affaire, cette impossibilité de faire parler Dieu en direct. C’est la mortification de l’idolâtrie, c’est l’interdit de la confiscation d’une parole de Dieu. Si Dieu a dit et que l’on n’a qu’à répéter, vous imaginez tous ceux qui vont faire parler Dieu, qui vont parler au nom de Dieu. Rien de plus dangereux. Déjà parler en son propre nom c’est difficile. Vous n’avez qu’à penser à ce qui se passe quand vous donnez votre parole, à un ami, à un conjoint. Comme c’est compliqué la parole. Alors, si nous nous mêlons d’être les fonctionnaires des oracles divins, c’en est fini pour nous, et surtout pour Dieu !
Ainsi, quand nous lisons les Ecritures, nous n’entendons pas des messages de Dieu, mais devons chercher ce que Dieu a bien pu dire au cœur de son peuple pour que le peuple ainsi écrive pareille histoire. Les Ecritures obligent à poser des questions, à multiplier les interrogations pour entendre ce qui sera vraiment une parole de vie. Reconnaissons que parfois, nous nous servons des Ecritures comme des paroles de mort.
C’est pourquoi, en recevant le livre des Ecritures, comme les CE2 ce matin, comme nous chaque fois que nous ouvrons la Bible, pour lire il faut interroger, et si possible interroger en Eglise, en communauté. Les Ecritures nous obligent à être curieux, à ce qu’avec les autres, on s’interroge. Plus nous poserons les questions, dans le silence de la prière et le partage de la parole, plus nous aurons entendrons une parole du Dieu qui fait vivre.

02/11/2013

Bonne nouvelle pour les riches (31ème dimanche C)

Nous continuons notre lecture des béatitudes lucaniennes, pas vraiment interrompue par la fête de la toussaint et les béatitudes de Matthieu. Dimanche dernier je concluais par un « bienheureux pécheur qui a trouvé son sauveur », commentant la parabole du pharisien et du publicain au temple.
Ce dimanche, il faut entendre de nouveau cette béatitude, bienheureux Zachée (Lc 19,1-10), bienheureux ceux qui sont perdus, bienheureux ceux pour qui le Seigneur est venu : le fils de l’homme est venu chercher et sauver ceux qui sont perdus. Puisqu’il faut le répéter, Zachée n’est pas bienheureux de mal faire, mais son péché est ce qui lui interdit de se prendre pour quelqu’un de bien. Sa petitesse morale qui l’oblige à monter dans les arbres comme un singe l’ouvre à un salut. Il est riche, il a de quoi se croire important. Le voilà qui se reconnaît petit, c’est sa chance.
Dans cet évangile, les riches ne sont pas dénoncés, comme si souvent. On ne parle pas non plus de ceux qui sont vertueux ou se croient tels. Voilà l’évangile, la bonne nouvelle, adressée aux riches. Jésus ne voit que Zachée au milieu de cette foule si nombreuse. Le livre de la sagesse aide à entendre, l’évangile : tu n'as de répulsion envers aucune de tes œuvres, car tu n'aurais pas créé un être en ayant de la haine envers lui.
Aujourd’hui, il me faut demeurer chez toi. Aujourd’hui le salut est entré dans cette maison. Luc emploie plus que d’autres cet aujourd’hui. Aujourd’hui vous est né un sauveur est-il dit aux bergers. Aujourd’hui cette parole de l’Ecriture s’accomplie pour vous. Aujourd’hui, demain et le jour suivant, je dois poursuivre ma route, répond Jésus à ceux qui l’encouragent à se faire plus discret alors qu’arrive le moment de l’affrontement. Le coq ne chantera pas aujourd’hui, que tu ne m’aies renié par trois fois. Aujourd’hui, avec moi, tu seras en paradis. Et la liste n’est pas exhaustive.
Jésus est au milieu des siens, le fils de l’homme est au milieu des hommes et c’est aujourd’hui. L’indication n’est pas chronologique mais théologique. Dieu est l’aujourd’hui de l’humanité, depuis toujours, et cela est manifesté aux bergers lors de la naissance de Jésus comme au larron lors de sa mort. Cela est déclaré par deux fois à Zachée. L’aujourd’hui de Dieu semble se voir davantage chez les pécheurs et les exclus, chez les malades guéris et aussi pour Pierre et son reniement. Aujourd’hui chez un riche mais un riche qui monte dans un arbre plutôt qu’à acheter ou revendiquer une première place. En laissant les pauvres au premier rang, Zachée a déjà changé de vie.
L’aujourd’hui de Dieu est une urgence pour qui est perdu. Sans doute aussi pour les autres, mais l’évangile du jour n’en parle pas. Pensons à l’enfance et son impatience ; c’est quand qu’on arrive ? C’est quand Noël ? Le temps est trop long pour l’enfant et il faut que se hâte d’arriver l’aujourd’hui. Zachée a attendu de trop.
Cet aujourd’hui est synonyme du salut qui s’y manifeste. L’aujourd’hui de Dieu c’est le salut. Car quand Dieu s’avance, que ferait-il d’autre que de donner sa vie, de redonner la vie, aujourd’hui, encore et toujours, de sauver ? Demanderons-nous ce qu’est le salut? C’est Dieu lui-même, donné à l’homme pour qu’il ait la vie en abondance.
Chez qui Dieu est-il accueilli ? Qui lui donne de libérer des capacités de générosité insoupçonnées, quadruple des capacités à faire le mal ? C’est aujourd’hui que nous sommes sauvés, et non pas seulement après la mort. Le salut décuple nos capacités à être vivants avec et pour les autres. Le salut est-il entré dans nos maisons ? Que sont nos capacité de vivre, d’être vivants, de vivre avec et pour les autres ? Nous savons bien que cela n’a pas forcément à voir avec la générosité. On peut être très généreux et être mort, on peut être généreux pour libérer sa conscience, et tant mieux pour ceux qui en profitent. Mais il n’est pas question ici de conscience, seulement de vie. Il s’agit d’être vivant, de recevoir l’ouverture exponentielle à la vie.
Au lieu même de notre enfermement, de nos impossibilités, de nos impasses, de la richesse de Zachée, une richesse qui est son impasse, Jésus ouvre ce qui est fermé. Bonne nouvelle pour les riches... Comme Zachée, à multiplier leurs dons, ils auront bientôt tout donné. Il y a une issue dans l’impossible, porte étroite peut-être, mais porte tout de même. C’est exactement les béatitudes, heureux ceux qui pleurent, heureux ceux qui souffrent, parce qu’une issue dans l’impossible est ouverte. Par sa mort, Jésus ouvre un passage dans la mort. La rencontre avec Zachée en est l’annonce.

30/10/2013

Sainteté, vie avec Christ, résurrection, vie éternelle, service des frères (Toussaint 2013)

Nous fêtons tous les saints. Nous fêtons la victoire sur la mort et le mal acquise par le Christ. Jésus restaure en tout homme l’image de son Dieu selon laquelle tous avaient été créés. A la fin du temps, le rappel du commencement mythique annonce la vocation de l’homme : ni la mort ni le mal ne sont son destin.
Affirmation de foi que l’on peut certes apprendre et dans l’habitude de laquelle on peut vivre de sorte qu’elle devient une évidence. Certains d’entre nous sont cependant troublés. Alors que tant de ceux qu’ils aiment considèrent cette affirmation comme fadaises, eux-mêmes ne savent plus ce qu’ils croient. Ce n’est pas qu’ils manquent de foi ; ce n’est pas qu’ils sont contaminés par l’athéisme contemporain. Ils sont seulement conviés à rendre compte de l’espérance censée les habiter autrement qu’en affirmant. Il leur faut trouver des mots qui rendent pensable l’annonce de la victoire sur la mort et le mal, qui rendent compréhensible une célébration comme celle de la fête de tous les saints.
On dit que nombre de chrétiens, y compris parmi les pratiquants réguliers, ne croient pas en la résurrection. Il n’est d’ailleurs pas certain que ceux qui disent y croire confessent la foi de l’Eglise. L’ébranlement que constitue la contestation ou l’ignorance par la société du cœur de la foi nous oblige à nous interroger. Que disons-nous lorsque nous confessons la résurrection ? Que disons-nous lorsque nous célébrons tous les saints ?
Il faut dire d’abord que l’on ne sait pas grand-chose d’une vie après la mort, si c’est cela que désigne la résurrection. Nombre de nos discours ont été démontés comme subterfuge pour échapper à la perte irrévocable de ceux que nous aimions, pour nous consoler, ou comme moyen de coercition. La peur d’une damnation éternelle vaudrait mieux que tous les gendarmes moraux ! Il faut reconnaître que même les plus subtiles en théologie n’ont pas été toujours très bien inspirés, ainsi saint Thomas d’Aquin qui pensait que les corps célestes étaient sphériques, car la sphère est le volume parfait. Il est vrai que son légendaire tour de taille lui donnait déjà un air de ressuscité !
Il me semble que nous nous devons à une ascèse du discours lorsque nous parlons de la vie après la mort. Nous n’en savons rien et les Ecritures recourent systématiquement à un discours codé lorsqu’elles se hasardent à en dire quelque chose. C’est le genre apocalyptique, c’est le genre parabolique, par exemple.
Sommes-nous alors réduits au silence ? Je ne le crois évidemment pas. Le point de départ de la confession de foi en la résurrection des morts, c’est-à-dire à la sainteté des élus, réside dans la vie présente, ici et maintenant. C’est parce que, aujourd’hui, nous prétendons vivre en amitié avec Dieu, qu’une vie après la mort est possible.
Vous me direz, il n’est pas plus aisé de montrer le sens de que ce que nous prétendons vivre avec le Christ aujourd’hui que celui d’une vie après la mort. Ce n’est cependant pas certain. Certes, comme le dit la lettre aux Romains que nous lisons ces jours en semaine, nous croyons en espérance. Et si jamais la modalité de l’espérance était remplacée par une certitude du genre deux et deux font quatre, nous serions sans doute en dehors d’un acte de foi. Certes, rien ne garantit que ce que nous prétendons être l’amitié avec le Christ n’est pas une illusion. Et nous ne pourrons jamais complètement écarter, du point de vue de la connaissance, ce risque car l’on ne justifie pas la vie avec le Christ, puisque c’est elle qui justifie tout, et notre vie, et ce monde, et la résurrection, et la sainteté.
Mais tout de même, notre expérience de foi n’est-elle pas qu’il est vivant celui devant qui nous nous tenons, ainsi que le disait déjà le prophète Elie ? Et si nous avons la grâce de l’avoir entendu, bien sûr sans qu’il y ait de parole dans ce récit, ni de voix qui s’entende, si nous avons eu la grâce de l’avoir entendu nous appeler ses amis, alors ce que nous vivons aujourd’hui avec lui est déjà vie éternelle, est déjà résurrection. Vous êtes ressuscités avec le Christ. Si déjà une vie divine est possible, alors pensez bien que la mort n’y changera pas grand-chose ! Voilà ce que nous pouvons affirmer de la vie éternelle, de la sainteté des élus. Si nous vivons déjà avec le Christ, qu’est-ce qui pourra nous séparer de son amour ? Rien, pas même la mort !
On nous objectera, et l’on n’a pas besoin que l’on nous objecte, nous sommes assez grands pour le remarquer nous-mêmes, que cette vie ici et maintenant elle aussi peut être subterfuge ou illusion. Mais peu nous importe car cette résurrection qui nous fait rechercher les réalités d’en-haut trouve son ancrage dans la réalité de l’existence humaine, dans le service des frères. Imaginons un instant que l’amitié du Christ soit illusion, la sainteté née dans le service du frère sera toujours cela de gagné pour rendre un peu de dignité à tout homme, pour le saluer, pour le sauver de l’oubli. Mais si en plus, si ce service était le chemin par lequel nous entendons effectivement le Christ nous déclarer ses amis, alors, oui, nous sommes déjà ressuscités avec le Christ, alors chercher les réalités d’en-haut c’est servir le frère, alors la sainteté est déjà le lot de tous ceux qui se font prochains de leurs frères, qu’ils connaissent ou non le Seigneur de gloire.


26/10/2013

Le péché, chemin de sainteté (30ème dimanche C).

Avec une telle parabole en noir et blanc, opposant le bien et le mal, il est bien difficile de ne pas se croire immédiatement du bon côté. Qui d’entre nous revendiquerait d’être le pharisien ? Qui pourrait écouter sans se sentir agressé un propos qui le rangerait du côté du pharisien ? Quand on voudrait que l’évangile nous conforte, voilà qu’il nous en met plein la figure.
Le prédicateur devra-t-il pour ne déplaire à personne faire croire que tous sont publicains ? Pas certain qu’il se fasse mieux entendre. Car ces publicains de l’évangile sont ceux que l’on appelle aujourd’hui les salauds, l’exact opposé de una muy buena persona ! De sorte que l’on est soit quelqu’un de bien mais empli de la conscience de soi jusqu’à l’écœurement, soit quelqu’un de malhonnête que son humilité rachète.
Du coup, ce n’est pas une parabole en noir et blanc, c’est une parabole en noir et noir. Personne pour racheter l’autre. Comment voulez-vous que le prédicateur se fasse des amis ? Comment Jésus peut-il attirer à lui avec de tels propos ? Nous mesurons le politiquement incorrect de ses paraboles.
C’est que dans ces textes, un chemin est fermé, est dénoncé comme impossible de façon appuyée. L’homme ne fait pas sa sainteté. L’homme ne peut être un juste. Seule la contagion du Saint rend saint, autrement dit, seul le service du frère rend saint puisque c’est à aimer le frère que l’on vit dans la proximité du seul et trois fois saint.
Pour les hommes c’est impossible. Et le pharisien est pire que le publicain, non que son crime soit à la hauteur de la trahison, de l’amour de l’argent ou du sexe du publicain, mais que le pharisien s’accommode de la vilenie ordinaire au point de l’ignorer. Il se pense homme de bien. Ce mensonge est son crime, son hypocrisie sa perte. Il est incapable de tout secours. Il n’a rien à demander, rien à recevoir puisqu’il peut tout, puisqu’il peut de lui-même être saint, parfait.
Le publicain n’est pas plus humble que l’autre, ou du moins nous n’en savons rien. Il est seulement dans l’incapacité de tricher avec sa tricherie. Elle est telle qu’il ne peut la cacher ni l’ignorer. Sa forfaiture saute aux yeux, on ne voit qu’elle. Heureux est-il, non d’être un salaud, mais d’être contraint à attendre d’un autre la justice, sa justification, la vie.
Serait-ce que cette parabole nous oblige à nous reconnaître misérables pour croire en Dieu ? Nietzsche aurait-il raison à dénoncer la religion du petit homme ? Mais si Nietzsche a raison, c’en est fini de l’évangile. Car jamais on ne montrera la grandeur de Dieu à diminuer l’homme, car le dieu du petit homme n’est pas digne d’être Dieu. Le Dieu qui est digne d’être cru est celui dont les fidèles n’ont pas besoin tant ils ont de ressources pour vivre bien, bonnement, sans lui. Il est le Dieu d’hommes et de femmes capables de tout, pour le meilleur et pour le pire, nous le voyons bien ; capables de tout sauf de se donner ce qu’ils ne peuvent que recevoir.
On a inventé à la fin du Moyen-âge une expression qui voulait rendre compte de la grandeur de Dieu. Ce monde est tellement bien, bien fait, qu’il faut le comprendre etsi Deus non daretur, comme si Dieu n’existait pas. La gloire du créateur, c’est d’être ignoré !
C’est incroyable. C’est incroyable du moins tant que l’on reste dans la logique de l’utilité, des préséances, des hiérarchies. Mais si l’on entre dans la logique de l’amour, alors tout change. La gloire, la joie des parents ne réside-t-elle pas dans le fait que leurs enfants n’aient plus besoin d’eux ?
Notre publicain cependant fait encore un pas. Il n’est pas le publicain, mais celui le publicain qui va au temple pour prier. Et nous sommes invités à le suivre. Notre publicain se reconnaît en dette. Assurément le péché est un chemin de la reconnaissance de dette. Le publicain ne nous oblige pas à le suivre dans sa mauvaise vie, même si notre péché est chemin de sainteté, pour peu que nous le regardions en fasse et ne nous croyions pas blanc comme neige, tel le pharisien. Oui, notre péché chemin de sainteté. C’est du saint Paul, là où le péché s’est multiplié, la grâce a surabondé.
Il est certes d’autres chemins que celui du péché pour apprendre l’être en dette, par exemple celui de l’action de grâce. Et nous le savons bien nous qui venons faire eucharistie chaque dimanche. La gratuité, l’inutilité de notre Dieu que cependant nous continuons à chérir en est un autre. Nous vivons d’être en dette et la réside notre joie. Le publicain nous indique le chemin de l’être en dette. Notre bonheur est de tout recevoir. Comment pourrions-nous alors ne pas compter sur le Seigneur ? Mais que celui d’entre nous qui n’a jamais péché se bouche les oreilles et que les autres écoutent la béatitude. Bienheureux pécheur qui a trouvé son sauveur. Non pas bienheureux d’avoir fait le mal, mais bienheureux parce que, pécheurs, nous demeurons aimés

12/10/2013

Tous sont guéris, un seul fait eucharistie (28ème dimanche C)

Voilà un évangile eucharistique (Lc 17,11-19). Le mot n’est malheureusement pas traduit dans notre version, mais il est en toute lettre dans le texte. On lit au verset 16 : Il se jeta la face contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce, en l’eucharistiant.
Bien qu’il n’y ait nulle trace de pain ni de vin, de présence réelle ni de tabernacle, le récit est une catéchèse eucharistique. C’est que l’eucharistie n’est pas ce rite hypertrophié qu’on en fait parfois. Elle est l’action de grâce, le remerciement de l’homme rendu à la vie, débarrassé de sa lèpre.
Le récit de la guérison met en scène une réinsertion dans la société de ceux qu’on a exclus pour ne pas risquer la contagion d’une maladie aussi terrible qu’incurable. Ils ne sont déjà plus de ce monde, les lépreux, tant que la médecine n’a pas trouvé comment les soigner. Ils vivent comme des morts, dans les tombeaux de la société, dans ses poubelles.
Qu’il s’agisse dans l’évangile de lèpre, comme dans la conversion de saint François d’Assise, signifie bien d’avantage que s’il l’on avait parlé d’une autre maladie. Ces hommes, ces dix hommes, ne reçoivent pas la guérison, mais sont rendus à la vie, sont ressuscités. Ces dix lépreux expriment la multitude qui reçoit la vie, non de sa naissance du sein d’une mère, mais de la renaissance, celle de l’homme nouveau. Eucharistie et résurrection vont toujours de pair. Don de la vie et action de grâce pour ce don, pour la vie ; action de grâce qui donne de pouvoir vivre de ce qui fait vivre plus consciemment.
C’est que la vie nouvelle ne se voit pas tant que cela. Tous ne la connaissent pas même si tous en sont les destinataires et les bénéficiaires. La vie paraît tellement due, évidente, destinée de l’homme, que l’on s’aperçoit de sa gratuité lorsqu’elle manque. Mais lorsqu’elle est là, on peut ne pas la voir. La vie nouvelle est grâce, gratuité, sans raison. Or, hier comme aujourd’hui, tout ce qui n’a pas de prix, tout ce qui ne coûte rien, ne compte pas.
Drôle d’expression d’ailleurs, que ce ça n’a pas de prix. On veut justement dire que c’est de l’ordre de la démesure, de ce qui échappe à la mesure. La vie de l’homme n’a pas de prix, la vie de l’homme non pas comme produit biologique, mais comme existence devant l’autre, devant Dieu. Et voilà ce dont tous, les dix, il n’en manque pas un, voilà ce dont tous, la multitude, sont les bénéficiaires. Sang versé pour la multitude, sang versé pour tous, qu’il n’en déplaise à ceux qui imaginent que Jésus aurait écarté quelques uns de son don !
Que faire à recevoir cette vie ? Que faire comme hommes nouveaux ? Rien, pensent certains. Tout cela n’est que dû. Ou plutôt, ils ne pensent pas qu’il y ait quelque chose à faire tant la vie est due. Un seul revient. Drôle de type, un étranger, un schismatique, un hérétique, un juif pas tout à fait juif, un type venu d’ailleurs. Non seulement il errait dans les tombeaux de la société, mais encore il n’était pas de cette société, marginalisation au carré.
Cela doit demeurer une curiosité l’action de grâce, l’eucharistie. Recevoir la vie comme un don, la vie nouvelle, et non la réclamer comme un dû, voilà qui étonne hier comme aujourd’hui. Tous ne font pas eucharistie, mais un seul. Tous, la multitude a été guérie.
Et notons que ce pour quoi ce samaritain fait eucharistie, notons que l’eucharistisation de Jésus si j’ose transcrire littéralement, n’est pas un morceau de pain et en droit un peu de vin qui en pratique n’est jamais distribué. Nous ne rendons pas grâce pour le pain et le vin. Nous ne faisons pas d’action de grâce après la communion comme si ce que Dieu nous avait donné c’était ce pain et ce vin ! Ce qu’il donne, c’est la vie. Et nous rendons grâce en venant encore nourrir cette vie, en recevant encore, en mangeant le pain et buvant le vin.
La gratuité de l’eucharistie, de l’action de grâce, répond à celle du don par Dieu de la vie. Un seul revient, tous, la multitude est guérie.
Le Seigneur n’est pas caché dans le tabernacle. La présence réelle n’est pas autre chose que l’Esprit, invoqué sur les oblats et sur l’assemblée, qui donne la vie, qui ressuscite, qui donne son souffle, divin, à l’homme nouveau. Et lorsque nous mangeons ce pain et buvons à cette coupe, nous donnons chair, matière, au don par Dieu de sa vie. Le don de Dieu ne se voit pas. Le sacrement, signe visible et efficace le rend visible.
Catéchèse eucharistique que ce récit de la guérison des dix lépreux. Invitation à ouvrir les yeux non sur les espèces consacrées, mais sur ce qu’elles désignent. Le sage indique la lune et l’imbécile regarde le doigt. Il ne faudrait pas que nous soyons les imbéciles de l’eucharistie à regarder l’hostie et à ne pas voir le don de Dieu, à réduire le don de Dieu à une hostie !


05/10/2013

"Augmente en nous la foi." Et puis quoi encore ? (27ème dimanche C)

Augmente en nous la foi (Lc 17,5-10) Quelle demande ! La foi se quantifie-t-elle, peut-on l’avoir plus ou moins ? Faut-il en faire une possession, un truc qu’on se procure comme n’importe quel bien de consommation ? Augmente en nous la foi. Quelle demande incongrue ! Quel blasphème ! Quel sacrilège ! On se croit bon, bon élève, à demander que le Seigneur augmente en nous la foi, mais on est l’hypocrite, le marchand du temple, qui transforme le plus sacré, la prière et la foi, en mercantilisme.
Pour preuve la réponse de Jésus. « La foi, si vous en aviez gros comme une graine de moutarde, vous diriez au grand arbre que voici : 'Déracine-toi et va te planter dans la mer', et il vous obéirait. » A Rio, sur la plage de Copocabana, trois millions de personnes, un pape, des centaines d’évêques, des milliers de prêtres et de religieuses. Ils auraient bien été incapables d’envoyer un arbre dans la mer ! Tout ce monde, ce beau monde, n’aurait-il pas la foi même comme une graine de moutarde ?
Demande que Jésus traite avec miséricorde, répondant par une boutade. Est-il possible d’avoir moins de foi qu’une graine de moutarde ? Moins signifierait rien !
Demandez-vous d’aimer plus vos enfants ou parents ? Que signifierait aimer plus son conjoint ? Machine à culpabilisation, soupçon de n’en faire jamais assez, évidence prétendue qu’on pourrait en faire toujours plus. Méfions-nous de ne pas en faire trop ! Nous formulerions des demandes blasphématoires. Mieux vaut un mot d’esprit pour remettre les choses en place : « La foi, si vous en aviez gros comme une graine de moutarde, vous diriez au grand arbre que voici : 'Déracine-toi et va te planter dans la mer', et il vous obéirait. »
Si la foi est un attachement à Jésus, pouvons-nous lui être attachés plus ou moins ?
Evidemment, si la foi c’est croire des trucs, le catéchisme, on peut y adhérer plus ou moins. On peut même y adhérer sans y croire, comme Maurras ! Certaines choses vont bien : on croit en un être supérieur qui est à l’origine de tout. Il faut bien qu’il y ait quelque chose ! Il faut bien avoir un peu d’espoir, alors, oui, après la mort, nous retrouverons ceux que nous avons aimés, alors non, ils ne sont pas vraiment morts, ils continuent à vivre, à nous habiter, voire à habiter à côté, juste à côté, de l’autre côté du chemin.
Mais la foi, ce n’est pas, fondamentalement, une histoire de trucs auxquels il faudrait adhérer, Les sept dons de l’Esprit, la virginité de Marie, la marche sur les eaux, etc. Non, la foi c’est la suite de l’ami, la poursuite du frère, ou peut-être mieux encore, le consentement à se laisser poursuivre par celui qui nous saisit.
Vous consentez ou non ? Y a-t-il en matière de relation du plus ou du moins ? Je t’aime un peu, beaucoup, à la folie, passionnément, pas du tout. Comptine crypto-érotique qui met en scène le désir, excite mais qui ne parle pas de la relation. Une nouvelle fois, que signifierait que j’aime mon père un peu plus ou un peu moins ? Un peu plus que quoi, un peu moins que qui ? C’est plutôt une autre chanson, ouvertement dragueuse qui est dans le vrai : tu veux ou tu veux pas ?
Le catholicisme est un système culturel et social, et l’on peut y tenir plus ou moins. Mais la foi n’est pas le catholicisme. Il faudra même sans doute que meure le catholicisme pour que la foi soit mieux comprise. Et la crise de l’Eglise me semble être exactement cela. Nous sommes les contemporains de l’agonie du christianisme. Et c’est tant mieux ! Et le vieux pape précédent ne s’en remettait pas. Oui, avec le mariage pour tous, avec l’euthanasie et l’IVG, avec la recherche embryonnaire, avec le capitalisme triomphant meurt la régulation chrétienne de la société. Un monde ancien s’en est allé. Un monde nouveau germe déjà, a déjà bien bourgeonné, ne le voyez-vous pas ?
Et que se passe-t-il dans ce monde ? Se pose notamment, la question de la foi. Elle ne se pose peut-être pas en priorité. Car ce sont les désespoirs des hommes qui doivent nous préoccuper d’abord, comme cette semaine à Lampedusa. Mais puisqu’aimer ce monde, aimer le frère, c’est suivre Jésus, alors, la question de la foi se pose aussi dès l’abord. Tu consens ou non ? Tu veux ou tu veux pas ?
Et nous qui prétendons explicitement avoir consenti, qu’aurons-nous ? Question encore plus blasphématoire et sacrilège que Jésus ne laisse pas le temps de poser, répondant par avance. Y a-t-il récompense à aimer notre conjoint et nos enfants ? Comme si ce n’était pas déjà joie parfaite d’aimer. Faut-il que nous n’ayons rien compris à la foi pour demander ou penser demander ce qu’il y aura pour nous. « Quand vous aurez fait tout ce que Dieu vous a commandé, dites-vous : 'Nous sommes des serviteurs quelconques : nous n'avons fait que notre devoir.' » Le Seigneur n’est pas ingrat. Il nous demande juste d’ouvrir sur les yeux de la chance que c’est de se savoir aimé par lui, d’avoir la foi. Qui ne voudrait pas être aimé ?


28/09/2013

Faire main basse sur l'évangile (26ème dimanche C)

Le catholicisme a perdu la classe ouvrière, disait-on. Le catholicisme occidental voit ses effectifs s’effondrer avec l’accroissement de la richesse. Et c’est vrai partout dans le monde, plus on est aisé, moins on est croyant. Ce n’est pas pour rien si la majorité des chrétiens se trouve aujourd’hui dans l’hémisphère sud. Un riche et le pauvre Lazare…
Inversement, les communautés qui demeurent dans les pays riches sont plutôt constituées de gens aisés. Nos communautés ne sont évidemment pas monolithes, mais force est de constater que leur sociogramme ne coïncide pas avec celui de la société. Les riches auraient-ils fait main basse sur l’Eglise ? Les propos de François, pape venu de l’hémisphère sud, pourraient le laisser entendre. Un riche et le pauvre Lazare…
Il ne s’agit pas de culpabiliser ou de faire la leçon. En s’interrogeant sur une évidence, aussi désagréable soit-elle, il s’agit seulement de ne pas passer à côté de l’évangile. L’évangile est provoquant, intempestif et, si nous ne voulons pas l’entendre, pouvons-nous encore nous dire disciples de Jésus ?
Il s’agit tellement peu de faire la leçon qu’il faut commencer par recevoir une leçon. Nos communautés chrétiennes sont généreuses. Elles ont entendu que le pauvre Lazare est le frère dont nous sommes responsables. Combien de milliards d’euros nos communautés occidentales donnent-elles chaque année en dehors de l’impôt ou des structures étatiques et obligatoires qui régissent la solidarité et le partage ?
Nos communautés riches font d’ores et déjà du partage une dimension importante de leur vie. Mais alors, la parabole aura-t-elle encore quelque chose à nous apprendre ? Pourquoi l’écouter encore si nous avons intégré sa leçon, si nous sommes exemplaires et qu’à bien des égards, les chrétiens sont des prophètes du partage dans ce monde ? On ne va pas faire la liste des ONG catho qui viennent au secours des plus pauvres. En cette année de quatre centième anniversaire de l’œuvre saint Louis, nous pouvons nous réjouir d’avoir reçu en héritage une institution qui fait du don le centre de ses actions, qui, au nom de l’évangile, vient en aide à ceux qui en ont besoin à hauteur d’au moins 250 000 euros par an !
Le riche et le pauvre Lazare… Pourquoi cet antagonisme évangélique entre richesse et évangile ?
Le riche est celui qui fait main basse sur tout ce qu’il veut. C’est celui qui possède. Sans doute légalement, il a acheté, ou du moins se faisant croire que sous prétexte qu’il a de l’argent il peut tout se permettre, acheter ce qu’il veut, les esclaves d’aujourd’hui, le travail des enfants, etc. On est dans la loi, dans la morale, on peut sans que rien ne soit dit, mettre la main sur tout ce qu’on veut et participer à l’exploitation des plus pauvres. C’est ainsi que nos pays ont colonisé ceux que nous disons aujourd’hui pays pauvres, c’est ainsi que l’on peut comprendre qu’en cette période de crise, les plus riches, certains d’entre nous sans doute, ce sont enrichis encore, alors que les plus pauvres le sont davantage.
Les riches, nous, allons jusqu’à faire main basse sur l’Eglise. Et là se noue l’antagonisme, de façon non pas plus grave, mais plus terrible. Au nom de l’évangile, on tue l’évangile. En défendant l’évangile, nous les riches, nous l’annulons. Et François dénonce le scandale. La saillie de la semaine : « On ne connaît pas Jésus en première classe. » Certains applaudissent, d’autres sont gênés, mais n’osent trop rien dire. Les évêques en ont pris plein la mitre, mais qu’en est-il de nous tous qui sommes aisés ? Faudra-t-il comme saint François tout donner, tout abandonner ? Un copain me confiait il y a quelques temps qu’avec 6000 euros par mois à deux salaires avec deux enfants, ils n’avaient pas l’impression d’être riches…
Les riches font main basse sur l’Eglise non seulement en versant ou pas le denier de l’Eglise. C’est une manière comme une autre de prendre le pouvoir sur les prédications. Les riches font main basse sur l’Eglise en occupant l’espace. Les pauvres, ici comme ailleurs, ont droits aux marges. Les riches font main basse sur l’Eglise parce qu’ils ont réussi à se faire les défenseurs de l’évangile. Ils sont du bon côté même s’ils se moquent dans les faits de tout ce chapitre de Luc qui crie l’opposition entre richesse et évangile.
Comme ces paroles sont dures ! Qui pourra les entendre ? Un riche et le pauvre Lazare… Je ne sais pas que dire de plus. Je sais bien que je suis du côté des riches. Est-ce une raison pour ne pas entendre l’intempestif, la violence de l’évangile ? Ce n’est pas parce que nous ne savons pas que faire, ne savons pas changer nos vies et le monde qu’il faudrait ne pas entendre l’évangile et sa violence provocatrice. Un riche et le pauvre Lazare…

14/09/2013

" C'était mon fils et je l'aimais" (24ème dimanche C)

L’évangile de Luc est parfois appelé évangile de la miséricorde. Le chapitre quinze que nous venons de lire avec ses trois paraboles mais aussi plusieurs traits spécifiques comme le pardon au « bon » larron, explique cette dénomination. L’opposition suscitée par l’attitude de Jésus, par sa manière d’être d’amour et de pardon, n’en est que plus violente. Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux ! »
Peut-on tout pardonner ? Peut-on frayer avec les salauds d’hier et d’aujourd’hui ? Un drôle de type, avec un fils sans doute un peu rangé des voitures depuis quelques années, mais qui avait un casier chargé, a dit à l’occasion de l’assassinat de ce fils à Marseille la semaine passée : C’était mon fils et je l’aimais.
Les pharisiens et les scribes de la presse, de ses lecteurs, qui n’allaient pas pleurer sur un règlement de compte dans le milieu, nous donc, en avons eu pour notre grade. Leçon d’évangile, non qu’il faille canoniser ce père, leçon de vie, dictée par ses seules entrailles : C’était mon fils et je l’aimais.
Entrailles, c’est l’étymologie du mot miséricorde. Etre pris aux trippes, mieux, car ce n’est pas l’estomac dont il s’agit, mais de la matrice, des entrailles maternelles qui ont porté tous les enfants du monde et qui se révoltent, blessées à mort par la mort de leurs fruits.
Une semaine avant, à Aranjuez, un tableau de la mort d’Absalon. Et devant ce fils suspendu dans les branches d’un arbre, résonne le cri du père, David, qui apprend la nouvelle de la mort de son traite de fils, de celui qui était décidé à le tuer pour prendre sa place. Absalon, mon fils, mon fils, Absalon. C’était son fils, et il l’aimait.
C’était dimanche sur France culture, devant Eichmann en sa prison ou Saddam Hussein sortant hirsute de son trou à rats, devant l’homme à terre, même bourreau, peut-on tirer, faire feu, ignorer, ne pas être pris aux entrailles ? Pourtant, cette semaine encore, des rebelles syriens se sont vengés sans jugement aucun en exécutant leurs prisonniers de guerre. Pourtant nous sommes ou avons été jaloux d’un frère ou une sœur pardonné, pourtant nous sommes intraitables avec les salauds. Que l’on partage son repas avec eux nous révulsent.
Les paraboles du chapitre quinze, la confession d’un père orphelin de son fils et la lamentation de David nous empêchent de parler comme nous le faisons, scandalisés par l’injustice de la réhabilitation des pécheurs, ce qui nous semble l’injustice de la réhabilitation des pécheurs. Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux ! »
Dieu aime, comme un père, inconditionnellement. Il n’y a aucune condition à l’amour de Dieu. Contrairement à ce que nous racontons souvent, au caté ou ailleurs. Si tu es sage, si tu fais des sacrifices, si tu agis bien, le Seigneur sera ton appui. Même les psaumes disent cela. C’est mon fils et je l’aime dit Dieu. Tu es mon fils, ma fille, et je t’aime dit Dieu. Or le Seigneur ignore le conditionnel. Voilà un temps qui ne s’enseigne pas dans les écoles du paradis, ou alors seulement pour rêver : si les hommes étaient comme leur père, amour et vérité se rencontreraient, justice et paix s’embrasseraient.
Ce qui rend non seulement acceptable mais indispensable cette inconditionnalité divine, ce n’est pas que même des hommes en soient capables, comme ce marseillais, comme David. C’est que nous sommes des salauds. Il ne s’agit pas de misérabilisme, de coulpe battue pour s’humilier et ainsi se croire humble.
L’inconditionnalité de l’amour du Père nous révèle à nous-mêmes tels que nous sommes, non pour nous écraser, mais au contraire pour nous relever, nous ressusciter. Evangile de résurrection que ce chapitre. L’inconditionnalité de l’amour est bonne nouvelle, est l’évangile. Nous voulons accueillir cet amour inconditionnel pour nous-mêmes alors nous ne pouvons qu’y consentir en faveur de tous. Comment pourrais-je réclamer que les publicains et les pécheurs soient laissés à leur vilénie si je veux être relevé de la mienne ?
C’est seulement cela, si l’on ose dire, la vie éternelle. Etre cherché, retrouvé, relevé par l’amour inconditionnel. Pour accomplir le dessein de l’amour du Père, le fils nous aima jusqu’à l’extrême. Et nous sommes vivants. Relevé, c’est ainsi qu’on dit ressuscité en grec.
Nos paraboles parlent effectivement de résurrection. C’était mon fils et je l’aimais. En disant cela, le père écrasé par la douleur relève son fils de son mal et interdit toute condamnation facile et posthume. Saluant son fils, il en sauve la mémoire. Le père de la parabole ne fait pas autre chose. Son amour est salut, relèvement, ce que l’on appelle résurrection. Mon fils que voilà était mort et il est revenu à la vie. Et pour que nous entendions bien la bonne nouvelle de la résurrection, parce que nous ne ouvons espérer la vie pour nous sans la vouloir pour les frères, même détestés, l’évangile répète : ton frère était mort et il est revenu à la vie.

07/09/2013

Le savoir de la foi (23ème dimanche du temps C)

L’extrait du livre de la Sagesse (9,13-18) que nous avons entendu expose une théorie de la connaissance. Qu’est-ce que l’homme peut savoir de Dieu, alors que déjà il ne comprend pas grand-chose au monde qui l’entoure ? Que peut-il savoir sans Dieu qui lui envoie la sagesse ? Ce qu’il y a de droit dans la connaissance de l’homme, c’est ce qui vient de Dieu, ce qui est conforme à la sagesse divine.
Je ne conteste pas la limitation de notre connaissance. Ce que nous savons chacun est si peu par rapport à ce que nous savons ensemble, et ce savoir de l’humanité est fort peu, aussi impressionnant soit-il, par rapport à ce que nous ignorons encore.
Je ne conteste pas non plus le mouvement descendant de la connaissance. Ne dit-on pas : une idée m’est venue. Cette idée, qui est bien de moi, c’est comme si elle m’était venue d’ailleurs. Rien de mieux que le mythe pour exprimer ce statut paradoxal de la connaissance. On trouve cela chez Platon qui ne renierait rien des versets du livre de la Sagesse. Reste juste à dire ce que cela veut dire. Si on avait eu recours au mythe c’est justement parce que l’on ne savait pas rendre compte de ce qu’est la connaissance, mienne et cependant transcendante.
Je ne conteste pas enfin que la justesse de la connaissance puisse s’exprimer comme conformité avec un modèle, et pourquoi avec le savoir divin. Mais qu’est-ce que le plan de Dieu sinon une expression mythologique ou pour le moins anthropomorphique ? (J’exprimerais cependant des réserves, car la compréhension du vrai comme adéquation entre le dire et le réel a du plomb dans l’aile. Est-elle valide en dehors de ce qui est vérifiable et mathématisable ? La vérité d’un amour n’est pas affaire d’adéquation, mais d’engagement dans une manière, toujours située, perspective, de se comprendre et de comprendre le monde.)
Certains imaginent que leur amour est vrai puisqu’il est conforme au plan divin, que c’est Dieu qui les a fait se rencontrer, ou entrer au séminaire, mais là justement réside la difficulté. Comment savoir ce que Dieu pense ?
Oui, d’accord avec le livre de la Sagesse, je ne pourrais rien savoir de Dieu si Dieu ne s’était fait connaître. Mais concrètement, comment se fait-il connaître ? D’accord avec le livre de la Sagesse, Dieu a quelque chose à voir avec la vérité, y compris celle de nos existences, si fragiles et historiques. Mais comment ? Le discours biblique n’est pas une épistémologie, une théorie de la connaissance, et le lire ainsi, c’est le trahir, lui faire dire autre chose que ce qu’il vise.
Depuis le XVIe siècle, la tarte à la crème de la théologie, la solution passe-partout, c’est la révélation. Or jamais dans l’histoire de la pensée chrétienne, la révélation n’avait désigné un contenu, un message sur ce que Dieu pense. La révélation est l’acte d’un Dieu qui donne, qui se donne. Dans la foulée des Modernes, nous autres, surtout les techniciens et les ingénieurs, avons tendance à penser la vie selon un modèle scientifique, et nous nous enfuyons dans l’irrationnel dès qu’il s’agit de parler des sentiments, de la philosophie ou de la foi. A la fois nous prétendons voir l’action de Dieu dans notre vie comme on voit quelqu’un dans la rue, à la fois, si l’on nous demande de nous justifier, nous répondons, c’est le mystère. Le fait que nombre des prêtres aujourd’hui aient fait des études d ingénieurs, loin des humanités, leur ferme les portes de la théologie sauf s’ils font un véritable effort pour penser autrement. Ne faisons du premier degré du mythe la réalité de Dieu ! Nous serions comme des enfants qui croient au père Noël ! Mise à part le fait que Dieu se donne, nous ne savons rien de Dieu et la révélation est une non réponse. Ou alors elle est mythologie, dans ce cas mensongère, qui dissimule notre ignorance et fait croire que l’on sait.
Mais Dieu n’envoie pas des messages par un téléphone céleste ! L’évangile le dit, c’est à l’homme de s’asseoir et de réfléchir pour savoir ce qu’il peut engager, construction d’une tour, déclaration de guerre ou accord de paix. Que l’on ne croie pas que la foi donne des réponses là où la connaissance humaine fait défaut. La foi bouche-trou n’est pas la foi, comme l’écrivait Bonhoeffer. Laissons aux pentecôtistes de tout poil ce sinistre privilège de communiquer avec le divin. Leurs sectes font des ravages, aux Etats Unis et surtout dans les pays pauvres. Et nous autres catholiques, méfions-nous de ne pas être contaminés. Je vois tant d’entre nous qui manifestent leurs différences d’avec les protestants, mais quand il s’agit d’évangélisation, sont comme les baptistes ou les évangélistes, fondamentalistes, non certes des Ecritures, mais du catéchisme de l’Eglise catholique !
Pour nous, la volonté de Dieu, n’est pas une affaire de divination, de message divin, ni même de prière ou discernement. Qui peut parler au nom de Dieu ? Lorsque l’Eglise s’y est essayée, elle a écrit les pages les plus sombres de son histoire. Nous sommes invités à beaucoup plus de modestie. La folie des grandeurs est source des pires violences. Nous ne savons de Dieu que ce que la trace de son absence inscrit en nous, un immense désir amoureux. Nous ne savons de Dieu que ce que nos propos et toute notre vie, compris comme des réponses, laissent deviner d’un appel inaccessible, évanescent. Ce n’est pas rien, mais ce n’est pas une révélation au sens de messages et encore moins un catéchisme ! D’ailleurs s’il y a un catéchisme, c’est bien que les prétendus messages de Dieu ne sont pas si clairs !
L’évangile de ce jour (Lc 14,25-33) nous donne une clef pour la connaissance. Celui d'entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple. Vous me direz, ce genre de clefs mène au fanatisme et fait que l’on tue père et mère sous prétexte de préférer le Christ. Mais on aura mal lu. Car si l’on renonce à tout ce qui nous appartient, on renonce aussi, et d’abord, à ce que l’on croit savoir de Dieu. Le chemin de la connaissance de Dieu, c’est le consentement à ne plus rien savoir, ou plutôt à savoir que tout ce que nous disons de Dieu, ce n’est pas ça, pas ça, pas ça, jamais ça.
C’est étonnamment le même chemin que celui du chercheur, de l’amoureux et du chrétien. Ce n’est jamais cela ; c’est pour cela qu’ils continuent à avancer dans la nuit de l’ignorance, éclairés seulement pas ce qui de cette quête est à l’origine, insaisissable, qui se laisse deviner seulement dans le fait qu’elle nous a mis en route sur le chemin de la connaissance et de la vie.

31/08/2013

Le monde à l'envers (22ème dimanche C)

Mettre le monde à l’envers, ou plutôt, montrer que le monde marche sur la tête. Que le premier se fasse dernier est sans doute une hyperbole, une exagération que les deux petites paraboles évangéliques du chapitre 14 de Luc mettent en scène. Il ne s’agit pas d’humilité, ou du moins il s’agit de bien plus, de plus important au point qu’à parler d’humilité, sous prétexte justement d’humilité, on obstrue le sens, on triche, on ment, pour ne pas entendre cette chose à laquelle personne ne veut véritablement croire, même si beaucoup le savent : ce monde marche sur la tête.
Faut-il des exemples ?  Les paraboles nous en fournissent comme un creux. Tout homme est fondamentalement égal à l’autre, même si les circonstances de sa naissance ou de sa culture le contestent. Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits, dit la déclaration des droits de l’homme de 1789. Ce n’est pas assez. Car ce n’est pas dans les droits seulement qu’il en est ainsi, mais de droit.
Or cette égalité, nous la bafouons sans cesse. Qu’entre ici l’Ambassadeur ou notre mendiant aux pieds nus, lequel aura notre considération ? Oui, je sais, j’exagère. Mais ne venons-nous pas d’entendre : quand tu donnes un festin, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles ? L’évangile, et Jésus, sont politiques !
L’évangile n’est pas condamnation de ce monde. Ce n’est pas possible s’il est vrai que Dieu a tant aimé ce monde. Mais assurément, ce monde que nous sommes invités à aimer comme Dieu lui-même l’aime, nous devons le regarder comme il est, non pas chez le voisin, mais chez nous, à l’envers. Il est bien facile de dénoncer le renversement, le pervertissement du monde, paille dans l’œil du frère quand on ne voit pas la poutre dans le nôtre.
Alors pas de fausse humilité qui nous fait être discret mais une révolution y compris politique. Pas de vertu qui nous fait nous absenter des lieux d’injustices ou y prospérer anonymement, mais un retournement de nos propres manières de penser, dans nos familles, dans nos sociétés, pour la planète, dans l’Eglise.
Alors que l’année commence, il serait déplacé que le prédicateur propose un examen de conscience, accusateur, qui le mettrait d’ailleurs dans une posture impossible, celle de dénoncer avec la poutre de son œil la paille dans l’œil de son auditoire. Mais qu’au moins, il puisse faire résonner dans nos cœurs plus encore que dans cette nef, la parole de Jésus : remettons le monde dans le bon sens, non la chose la mieux partagée, car ce bon sens là est souvent celui de la loi du plus fort ; remettons le monde dans le bon sens, dans le mouvement même de l’évangile, exposé par Luc dès le chapitre premier : il renverse les puissants de leur trône, il élève les humbles, il comble de bien les affamés, renvoie les riches les mains vides, il relève son serviteur.
Nous savons d’ailleurs que nous avons été nous-mêmes élevés quand nous avons été obligés de reconnaître notre petitesse, ou que nous avons consenti à notre faiblesse.
L’appel de Jésus à prendre la dernière place est indispensable plus encore pour qui prétend savoir et dénoncer que le monde va à l’envers, sens dessus dessous. Nous nous ferions dénonciateurs de ce monde en usant de la puissance comme le monde ? Voilà le suprême orgueil, la suprême violence de l’abus de pouvoir, à l’opposé de l’humilité que nous voulions lire dans nos textes. Si Dieu a jamais dénoncé ce monde, quand Dieu condamne un monde au service des puissants, il ne le fait jamais, contrairement à ce que montre par exemple le Jugement dernier de Michel Ange, par la puissance mondaine et violence ou les médisances assassines qui condamnent et humilient. Sa manière de dire définitivement non au mal, à la violence, à la loi de la jungle, du plus fort, de l’argent, des honneurs ‑ car il a effectivement prononcé le non définitif ‑­ c’est de prendre la dernière place.
N’est-ce pas lui, le premier qui se fait dernier, le maître qui se fait esclave ? Comment serions-nous ses disciples à agir autrement ? Comment le reconnaîtrions-nous à ne pas fréquenter des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles, puisqu’il a pris place parmi eux ?
Nous l’avons bien compris, s’il s’agit d’argent, il s’agit au moins autant de reconnaissance de l’autre. Nous l’avons bien compris, s’il s’agit de dernière place, c’est pour interdire aux disciples de se faire donneurs de leçons. Prononcer un non radical en face du mal ne fait pas que nous n’aimons pas ce monde comme il est ni que nous en serions les juges. C’est même de l’aimer comme il est qui nous fait prononcer le non radical au mal. Mais ce non n’est sensé, ce non a un sens, le bon, que dans la bouche de l’esclave. Renversement des valeurs, diraient Nietzsche ! Non pas cependant pour le misérabilisme, le racorni, le rétréci, ni même l’humilité. C’est plutôt l’amour seul au pouvoir, révolution même dans l’Eglise, c’est-à-dire, un seul chemin de vie, celui du service.

24/08/2013

Peut-on être saint et roi ? Peut-on être chrétien dans le monde d'aujourd'hui ? (Fête de saint Louis)

1 R 3,11-14  -  1 Co 2,1-10  -  Mt 5,38-48

Lorsqu’Henry de Saureulx, en 1613, rédigea son l’acte de fondation de l’œuvre qu’il voulait créer au service des pauvres, il la mit sous le patronage de saint Louis, roi de France. Ainsi depuis 400 ans, ce qui allait devenir, à côté de l’hôpital et du collège, une paroisse porte le nom de saint Louis, fêté le 25 août, le jour de sa mort en 1270, aux portes de Tunis.
En quoi Louis peut-il être pour aujourd’hui un modèle de sainteté, un saint patron ? L’homme qui partit deux fois en croisade peut-il être invoqué comme un frère qui indique par sa vie un chemin pour suivre le Christ ? Il est évident que ce qui nous révulse aujourd’hui, l’idée d’une guerre sainte, n’avait pas le même sens pour les contemporains. Et l’on ne peut comprendre que l’on fait œuvre de justice à faire la guerre au nom de Dieu. Déjà au treizième siècle, les croisades sont critiquées. Plusieurs décennies avant le départ de Louis pour l’Orient, saint François d’Assise avait rencontré pacifiquement le sultan ; et les contemporains de Louis, dans un pays qui s’était enrichi, n’avaient plus envie de laisser leur terre peut-être pour toujours à l’abandon, préférant assurer la direction de leur exploitation et l’administration des affaires civiles.
Pour une dynastie médiévale, la canonisation de l’un des siens n’est pas sans intérêt, et l’on avait déjà essayé de faire reconnaître la sainteté de Philippe Auguste, le grand-père de Louis. Il fallut attendre presque trente ans pour qu’en 1297 Boniface VIII reconnaisse la sainteté de Louis, non sans qu’il ait quelques avantages dans cette affaire, tant étaient difficiles les relations avec le roi de France du moment, Philippe le Bel, petit fils du saint.
On peut retenir au moins trois véritables raisons de reconnaître en Louis un authentique disciple du Christ, son amour de la croix, sa promotion de la justice, sa volonté d’être saint.
Le culte des reliques n’est plus vraiment à notre goût. Lorsque Louis achète la couronne d’épines, relique de la passion, et fait construire la sainte chapelle comme écrin pour la recevoir, il exprime, comme en d’autres occasion, un véritable attachement à Jésus, roi d’humilité, à son humanité que ses souffrances rendent plus attachant encore. Pour accueillir la couronne du roi pauvre et bafoué, le roi s’humilie et vit comme son Seigneur. Les courtisans lui reprochent son excès d’ascèse, non seulement personnelle, mais imposée au royaume à travers l’interdiction des jeux et de la prostitution. Le roi sa fait pèlerin en terre sainte comme en son pays, à marcher nu-pieds derrière le Christ. « Je n'ai rien voulu savoir parmi vous, sinon Jésus Christ, et Jésus Christ crucifié. » Non seulement c’est le cœur de la foi qui est ainsi médité mais l’on se prend à rêver que les puissants de ce monde, les gens riches, nous pour partie, consentent à vivre dans un peu de frugalité pour un peu plus de justice. Louis donnait lui-même à manger aux pauvres, aux lépreux, comedor social de l’époque, imitant François d’Assise, époux de Dame pauvreté. Il est connu pour ses larges aumônes, ce que l’on appelle aujourd’hui le partage.
Son sens de la justice passe surtout pas des ordonnances qui organisent le royaume et luttent contre la corruption des institutions. Il faut que le pauvre comme le riche soit traité correctement, on ne pourra condamner personne sans qu’il y ait procès, on reconnaîtra toujours la présomption d’innocence. En ce qui concerne ses relations avec l’empereur et le pape, Louis essaiera d’avoir le même sens de la justice, invitant à la concorde, ne jetant jamais d’huile sur le feu. « Donne à qui te demande, ne te détourne pas de qui veut t’emprunter. […] Moi je vous dis, aimez-vos ennemis. »
Louis qui juge, image de Dieu souverain juge, cherche d’abord à faire correctement son métier de roi. On peut penser qu’il se serait bien fait mendiant, de l’ordre de Dominique ou François, Mais que sont ces velléités, et nos retraites spirituelles et séjour en monastère, si notre manière de tenir nos responsabilités ou notre incurie laissent proliférer l’injustice ?
Certes, Louis vit comme un moine, aime réciter l’office, pratique le jeûne et l’aumône. C’est que la sainteté n’est pas réservée aux gens de religion. Louis est convaincu que lui aussi peut et doit suivre Jésus, être disciple. Une sainteté, peut-être pas encore pour tous, mais qui est déjà arrachée au monopole des clercs et religieuses. Il est possible dans ce monde, quelles soient nos responsabilités, par exemple celles d’un roi du treizième siècle, d’être disciples de Jésus, de l’aimer, de le chercher, de le servir dans les frères à commencer les plus pauvres.

16/08/2013

Un feu sur la terre. Quel feu ? (20ème dimanche du temps)

Apporter un feu sur la terre. Image de la violence ? On sait que la paix est une force qui ébranle même le puissant. Que peuvent faire Hérode et Pilate devant celui qui n’ouvre pas la bouche, enfant ou brebis conduite à l’abattoir ? Ils tueront, sans doute, encore, toujours. Mais leur pouvoir est fissuré. Un peu comme en Egypte. On a beau de ne pas être du côté des Frères Musulmans, le bain de sang de ces jours, a sapé le pouvoir de ceux qui les combattent.
Apporter le feu sur la terre. Image d’une brûlure. Et c’est de celle-là qu’il faut parler. Quel feu nous as brûlés, demandent les disciples après le partage du pain. Quel feu a brûlé Jésus pour qu’il quitte Nazareth et les siens, se fasse nomade et cherche dans le visage de l’homme perdu à retrouver la flamme qui le dévore ?
Apportez le feu sur la terre. Brûlure sans laquelle sans doute, il n’est point de disciple, au mieux de gens religieux ou des admirateurs de Jésus.
Mais quel est-il ce feu ? Peut-il se décrire comme une expérience ? Un récit de conversion est-il possible ? Si l’on pense aux témoignages que l’on vend à tour de bras et qui sauvent l’édition religieuse, on se trompe. Nous sommes en pleine mondanité, indécence qui se répand et se donne en spectacle sous prétexte de prouver que Dieu existe. La belle affaire !
Si l’on veut parler d’expérience, d’expérience de la brûlure, il faut en déterminer le cadre pour s’assurer de ne pas la trahir. Les disciples d’Emmaüs se sont interrogés, Luc eut la pudeur de ne pas livrer de réponse. Nous ne savons rien de ce que Jésus a vécu dans la brûlure qui le constituait, qui le consumait. Il nous faudra suivre leur manière.
Est-il une expérience, plus commune, qui pourrait fausser nos roues, pour que nous ne soyons pas victimes des boulevards des poncifs et essayions de saisir l’embranchement qui nous a conduits jusqu’ici ? Oui, celle de notre naissance. Cela nous est arrivé, nous constitue, nous est propre, et dont pourtant nous ne pouvons rien dire. Et ce qui nous a brûlés le cœur au carrefour des Ecritures ressemble est une naissance, qui nous échoit et nous constitue, qui nous fait advenir comme disciples.
« “Je suis né”, au double sens du passé et du passif, ou plutôt : “il y eut naissance” : la naissance est d’abord cet événement qui m’échoit impersonnellement, avant même que je ne puisse en assumer la charge en première personne. » (C. Romano) Evénement qui n’est pas dans le monde, qui n’est pas du monde, mais ouvre un monde ; évènement que je ne puis narrer mais qui donne de raconter le monde.
Celui qui a été brûlé, Jésus, et ceux qu’il a touchés, adviennent dans l’événement d’un monde nouveau. Le prophète l’avait annoncé : « voici que je fais du neuf, déjà il pointe, ne la reconnaissez-vous pas ? » (Is 43,19) Il ne s’agit pas d’un monde dans lequel il y a du neuf : désormais il serait croyant, qu’en sait-il ? Il s’agit d’un renversement du monde, ou plutôt de la substitution d’un nouveau monde, et certains le reconnaissent. Vivre non comme décidant de ce que l’on devient, croyant ou non, mais brûlé, advenant soi-même.
De même qu’il est impossible de raconter sa naissance, on ne raconte pas sa brûlure. Tout ce qu’on raconte ne risque pas d’être cela et est mensonge à le prétendre. On ne l’a jamais su autrement que comme une trace, cela a bien dû m’arriver. La brûlure a rendu un monde possible, mieux, en elle advient la possibilité de vivre nouvellement, venu trop tard, c’est-à-dire appelé et non appelant, répondant et non interrogeant ou demandant. « Quand l’événement s’est “produit”, il est déjà trop tard, nous ne sommes jamais contemporains de son effectuation, nous ne pouvons en faire l’épreuve que quand elle a déjà eu lieu et c’est pourquoi l’événement en son événementialité n’advient que selon le secret de sa latence. » (Romano)
La brûlure souvent est effacée. Où Jésus a-t-il trouvé de s’en souvenir ? Il semble que sa force ait été de raviver le feu, de souhaiter que ce feu brûle, dans la rencontre avec ceux que l’on oublie. Et si les pèlerins d’Emmaüs ressassent leur peine, cela ne suffit pas à ce qu’ils se souviennent. Ils ont oublié Jésus et ne pensent qu’à leur douleur. Lorsque Jésus leur donne de faire mémoire, de ne plus oublier le frère mort, son martyre, alors de nouveau le feu prend, le cœur tout brûlant. « L’événement est “sans pourquoi” » (Romano). Certes, il y a des causes à la naissance, mais aucune de ces causes ne rend compte du fait que j’adviens au monde, qu’un monde s’ouvre à moi.
Nous ne savons rien de ce qui nous a menés ici ce matin encore. On pourra parler de causes, mais elles échouent à dire ce qui nous fait disciples. La brûlure n’est pas la cause de notre conversion. Elle est sans pourquoi, comme l’amour. « Et si l’on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu’en répondant : parce que c’était lui, parce que c’était moi. » (cité par Romano) Une brûlure, insaisissable par définition, l’événement qui nous est advenu, où nous sommes advenus comme disciples, nous sommes venus raviver ce feu à la rencontre des frères, au partage du pain comme à Emmaüs.
Apporter le feu sur la terre, on comprend que ce soit le désir de Jésus.

14/08/2013

On ne parle pas de Marie mais de résurrection (Assomption)

Lorsqu’on lit l’apôtre Paul, le plus ancien auteur chrétien dont nous ayons des écrits, et qu’on le compare avec les évangiles, on constate des différences importantes. C’est certes le style propre à chaque auteur, mais surtout la manière de présenter Jésus. Chez Paul, à la différence des évangiles, on ne voit pas Jésus sur les routes, à la rencontre des gens.
Certains accusateurs du christianisme font de Paul son inventeur contre Jésus. De fait Jésus n’a rien inventé, surtout pas une nouvelle religion. Mais Paul n’a rien inventé non plus, il s’est compris comme disciple, serviteur, esclave de Jésus.
Qu’est-ce que les communautés fondées par Paul connaissaient du Jésus que nous livrent les évangiles ? Faut-il penser que la prédication de Paul était différente de vive voix et dans ses lettres ? Cela semble curieux. Il y aurait donc un évangile de Paul ‑ c’est une de ses expressions – qui ne raconterait pas grand-chose de la vie de Jésus.
Que dit cet évangile ? Son point de départ semble les questions que se posent ses destinataires sur la vie, leur attente de la justice, leur déception de vie commune en famille comme dans la cité, leur désir de servir un Dieu qui permette de ne pas recourber ce monde à ce que les puissants en manipulent. Le point de départ, ce sont aussi les questions qu’il pose lui-même, les questions que l’on ne se pose pas, par confort et sommeil dogmatique, comme on dira plus tard, à cause des chrétiens installés, contre cet évangile.
Paul, c’est l’expérience du péché. Rendez-vous compte. Au nom de Dieu il a persécuté, mené à la mort. Faire de Dieu la cause du mal, n’est-ce pas le péché le plus terrible ? Non seulement criminel, mais criminel pour faire le bien, entraînant Dieu dans le mal, tuant ainsi Dieu lui-même. Y aura-t-il une délivrance, une rémission, un salut ? Si c’est l’observation de la loi qui a conduit à pareil mal, seule la gratuité de l’amour qui disqualifie la loi, non par anarchisme, mais parce qu’elle est toujours trop étroite, a la force de nous relever, de nous ressusciter.
Et comment l’amour nous aura-t-il ainsi relevés ? Par la destruction de l’injustice, par la destruction d’un homme qui dans l’histoire représente et rassemble toutes les justes bafoués. Un juste parmi les justes, peut-être le seul juste véritable, à été tué pour sa justice. A dire vrai, lorsque ce juste parlait de justice, il parlait de Dieu : cherchez d’abord le royaume et sa justice, et tout le reste vous sera donné de surcroît. Jésus a été tué à cause de Dieu. Les religions tuent pour faire le bien, qu’elles soient théistes ou athées. Le plus grand crime, c’est de tuer Dieu au nom de Dieu, ce que l’on continue à faire lorsque l’on transforme l’évangile en force d’oppression. 
Qui donc est cet homme qui conforme sa vie à la justice de Dieu, qui engage sa vie pour défendre la cause de Dieu ? Qui osera défendre la cause de Dieu, non par la force des armes, mais par la faiblesse et l’acceptation du mépris ? Qui osera défendre le Dieu tout-puissant des religions en s’identifiant au paria ? Le seul qui fit de Dieu l’amour seul, la gratuité seule, renversant par le fait-même, tout ce qu’on avait toujours pensé de Dieu, tout ce que l’on pense toujours de Dieu. Il disperse les superbes, renverse les puissants de leur trône, renvoie les riches les mains vides.
Voilà l’évangile de Paul. Dans ces conditions, il ne semble pas utile de parler de Marie. Son prénom n’apparaît pas dans ses lettres, et l’on ne trouve qu’une allusion dans les Galates. Dans ces conditions, point de miracles ni de paraboles, point ou presque aucune parole rapportée. Seulement la présentation de cette chose extraordinaire : cherchant à vivre malgré l’injustice que nous commettons si nous sommes comme Paul, ou que nous subissons, si nous sommes comme ceux auxquels Jésus s’est identifié, malgré le fait que nous ne fassions pas le bien que nous souhaitions mais le mal que nous ne souhaitons pas, malgré le fait que les promesses d’une vie heureuse paraissent tromperie, nous pouvons être saisis par celui qui relève, nous pouvons être bouleversés par la lumière qui enfin éclaire nos ténèbres.
Et si la fête de ce jour à un sens, c’est bien celui-là, que semble accréditer notre seconde lecture. On ne parle pas de Marie mais de l’aventure de la foi qui est libération. On ne parle pas de Marie mais de la résurrection, et s’il faut parler de Marie, ce que la dévotion semble imposer plus que les Ecritures, ce sera comme une de celles qui ont reçu la puissance de vie et d’amour du Dieu de la grâce, de la gratuité, une des vivantes, ressuscitée.
Il aime. Pour rien, seulement parce qu’il nous aime. Il relève les humbles, et d’abord les persécutés pour la justice ; il comble de bien les affamés. Imaginez-vous un Dieu qui se penche sur son humble servante ? Non seulement sa grandeur le lui interdit, mais en plus, ce n’est pas pour appuyer et s’allier à un roi puissant, image de sa gloire, qu’il se courberait. C’est pour une servante et une femme ! Comment mieux dire, et pas seulement dans le contexte de la domination masculine de l’Antiquité, que Dieu est du côté du dernier, et que c’est cette position, qui donne à ce petit, au bout de l’agonie injuste, de reprendre souffle, de se réveiller, de ressusciter.

10/08/2013

Abraham le croyant. Il partit sans savoir où il allait. (19ème dimanche)

Relisons le premier verset du chapitre 11 de l’épître aux Hébreux : la foi est le moyen de posséder déjà ce qu'on espère, et de connaître des réalités qu'on ne voit pas. La traduction en est un vrai casse-tête tant les mots employés ont plusieurs sens, parfois contraires, tant l’on y mêle le plus concret, pragmatique, et le moins saisissable, espéré et invisible. C’est sans doute cela qu’il faut comprendre, ce rapprochement détonnant, un oxymore. Ainsi je propose de traduire : La foi est ce qui donne un aspect aux choses espérées, elle est un indice de ce qui est invisible.
Il ne s’agit pas de comprendre que par la foi, nous saurions des choses que les non-croyants ne connaîtraient pas. Au contraire, il s’agit de maintenir invisible ce qui s’indique dans ou par la foi. Il est hors de question de faire disparaître la dimension de l’insaisissable car ce ne serait plus la foi, mais une réalité illusoire, ce que l’on appelle une idole ; ce serait prendre ses désirs pour la réalité.
Si vous pensez que la foi vous donne des preuves de ce qui est invisible, il se pourrait que vous ne soyez guère croyant, pas même un doux rêveur, car les rêveurs ne cherchent pas les preuves, mais au mieux un excentrique faiseur de théories, au pire un dangereux idéologue. Il n’y a pas de preuve de la foi malgré ce que certains continuent à écrire. On ne démontrera pas l’existence de Dieu, et contrairement à ce qu’on l’on pense parfois, jamais cela n’a été fait, ni par Anselme, ni par Thomas. Il y a au mieux des arguments, c’est-à-dire des indices qui rendent pensable l’invisible, qui rendent compréhensibles ce que nous croyons.
Comment pourrions-nous penser l’invisible ? Il faut bien tâcher de le montrer. Mais si nous le rendons visible, alors ce n’est plus l’invisible, ce n’est plus ce dont nous voulons parler.
La foi est définie par ce premier verset du chapitre par une énigme. La formule pose plus de questions qu’elle n’en résout. Et le reste du chapitre, prend des exemples, des pragmata, qui vont illustrer que l’invisible, contrairement aux apparences, n’est pas rien. L’invisible fait quitter son pays à Abraham, il féconde le sein de Sarah. Comme le dit le verset 3, ce qui est visible provient de ce qui n’apparaît pas. Autrement dit, ce qui est visible est parabole d’autre chose. Ce qui est visible a certes un sens, mais sert aussi d’index, d’indice, de poteau indicateur vers ce qui ne se peut voir.
On peut vivre dans ce monde, et on le doit sans doute, comme si ce monde avait en lui-même son explication. Et c’est ainsi que fonctionnent les sciences. Le visible y cache ce qui n’est pas encore visible, mais le sera un jour ou l’autre. On peut aussi vivre dans ce monde en en faisant un indice, une parabole de l’invisible. C’est cela la foi. Non que Dieu expliquerait le monde, comme si Dieu n’était qu’une solution scientifique, fût-elle la meilleure. Quelle horreur ! Mais l’invisible ouvre une manière d’habiter le monde. Croire, c’est répondre, être répondant, y compris du frère.
Pour le croyant, le monde est parabole de l’invisible. Plaire à Dieu, c’est le chercher, ainsi que le dit le verset 6, et non le trouver au sens où une fois qu’il aurait été trouvé, il n’y aurait plus à le chercher. Plaire à Dieu, c’est le chercher. Abraham partit sans savoir où il allait.
Et de fait, que savons-nous de Dieu ? Ce que Jésus nous en a dit ? Certes, mais qu’en savait-il lui-même, si l’on veut bien considérer comme mythologique et fort peu fidèle à la foi, l’hypothèse d’un Jésus, Verbe incarné, qui aurait déjà connu ce qu’il était et ce qui allait lui arriver. Jésus lui-même est le croyant, le témoin fidèle comme l’appel par trois fois l’Apocalypse, le témoin croyant.
Ainsi que savons-nous de Dieu ? Plus nous sommes fidèles, croyants, plus nous savons que tout ce que nous savons n’est pas cela, que Dieu est toujours autre. C’est le non-croyant qui sait qui est Dieu. Et le sachant, il a bien raison de ne pas y croire. D’une part il ne sert à rien de croire ce que l’on sait, d’autre part, ce que l’on saurait de Dieu serait incroyable, tant cela raterait Dieu. Il ne faut pas tant dire que Dieu est le tout-autre, que Dieu ce n’est jamais ça.
Deux manières de vivre. Celle fondée sur nos certitudes par lesquelles nous prétendons maîtriser toutes choses, et le sens de l’existence, et le sens de la sexualité et de la famille, etc. Mais alors, nous savons où nous allons, et quoique nous disions, le cas échéant, nous ne sommes pas comme Abraham, car il partit sans savoir où il allait. Nous ne sommes pas comme Jésus, nous ne sommes pas croyants, pas témoins de l’invisible.
Autre manière de vivre, celle qui fait confiance à ce qui advient, s’aventure vers l’inconnu d’un pays, comme si ce que nous faisions de notre vie n’était pas notre projet mais la réponse à un appel bienveillant, aimant. C’est encore ce que dit l’épître : Grâce à la foi, Abraham obéit à l'appel de Dieu […] : il partit sans savoir où il allait.

20/07/2013

Quel serviteur es-tu ? Marthe et Marie (Lc 10,38-42) 16ème dimanche

L’évangile de Marthe et Marie (10, 38-42) fait immédiatement suite à celui du bon samaritain (10,25-37). L’éloge du service à l’extrême est suivi par une invitation à la contemplation. Ainsi lit-on ces deux textes, au point d’être gêné par la relativisation du service de Marthe. Comment dire qu’il est mieux de rester assis à écouter le Seigneur qu’à faire le service ? Tant que le modèle du chrétien demeure le moine puis le prêtre pensé comme un religieux, tout va bien. Mais dès lors que l’on se met à penser que la sainteté est pour tous, y compris les plus nombreux, ceux qui sont actifs, au travail, au service des autres, l’évangile de Marthe et Marie passe mal. Il passe d’autant plus mal que l’on adore la parabole du bon samaritain, prétendument consacrée à l’amour du prochain.
Nous pourrions prendre le temps d’analyser ce ressentiment contre Marie que même le compliment du Seigneur n’arrive pas vraiment à nous rendre sympathique, à la différence de Marthe que nous trouvons injustement traitée. Il faudrait s’interroger sur ce qui nous empêche de comprendre le texte. On voit bien que dans un catholicisme qui ne croit pas en Dieu ‑ si, cela existe, par exemple chez Maurras ‑ même s’il va à la messe tous les dimanches, même s’il est évêque ou grand prédicateur, en dehors du faire, on ne sait pas bien ce que c’est que croire. Même la prière est un faire, une activité, comme l’adoration eucharistique. Il faut, c’est bien connu, faire sa prière !
Nous devrions être arrêtés dans notre compréhension de la foi par ce texte qui nous résiste. Voilà au moins une occasion pour l’évangile de nous convertir. Le texte résiste à nos tentatives d’annexion, d’Anschluss, de confiscation. Ecoutons-le plutôt qu’à nous faire maîtres du texte, maîtres du Maître !
Il est évident qu’il y a un problème avec Marthe. C’est elle qui est présentée comme la maîtresse de maison. C’est elle qui accueille Jésus, c’est elle qui parle, c’est elle qui prépare le repas. Marie est dans l’ombre, elle est seulement la sœur de Marthe. Mais enfin, connaissez-vous une maîtresse de maison qui ne viendrait pas faire la conversation et s’enfermerait dans sa cuisine, plutôt qu’à y laisser travailler son personnel ou sa sœur, si effacée, si seconde, si soumise ? Incohérence : la femme maîtresse joue un rôle qui ne lui va pas.
Et rien d’étonnant que cela n’aille pas. On ne peut inviter quelqu’un chez soi et le laisser seul pendant qu’on est ailleurs. Marthe, sous prétexte de servir Jésus, a trouvé la manière de ne pas l’écouter. C’est exactement notre Eglise. C’est exactement le problème du pharisaïsme, c’est exactement l’évangile du bon samaritain. Sous prétexte de servir Dieu, on évite de rencontrer Dieu. Sous prétexte de croire en Dieu, on refuse de se laisser saisir par lui, on ne lui abandonne rien, surtout pas ses certitudes. Traverser la route ou s’afférer dans la cuisine et l’on ne voit pas celui qu’il faut soigner ou accueillir.
Il existe une manière d’être chrétien sans le Christ, jusque dans notre Eglise. Il me semble que François dénonce cela, c’est bien que ça doit exister. Ces chrétiens sans le Christ ne savent sans doute pas qu’ils ne croient pas. Regarder Marthe, elle ne voit pas que le problème vient d’elle et non des multiples occupations et de sa sœur qui ne fait rien. On fait tout, on fait tout comme il faut, mais on se garde bien d’être rencontré par le Christ. J’ai tout fait, j’étouffais, et Marthe crève sans voir qu’elle est sa propre meurtrière ! Et l’Eglise crève sans voir qu’elle est sa propre meurtrière, trop certaine de faire bien, de tout bien faire. La faute est au monde, évidemment mauvais !
J’en étais là de ma lecture de ce texte jusqu’à il y a quelques semaines, lors d’une rencontre caté avec des CM1. Nous lisons le texte. Passionnant, comme toujours, de lire les Ecritures avec d’autres, enfants ou moins jeunes, voire très âgés. Du nouveau sort encore. Je demande à ce que l’on décrive la scène. Que fait Marthe ? Que fait Marie ? Et là, bon sang mais c’est bien sûr, l’évidence. La servante dans ce texte, c’est Marie. Qui donc s’assied aux pieds du maître, si ce n’est la servante ?
Marie n’est pas la contemplative, sous entendu celle qui ne fait rien et profite du Seigneur pour ne pas se remuer. Elle est la véritable servante. Nous avons déjà remarqué que d’elle on ne parle que dans l’ombre de sa sœur, qu’elle, on ne l’entend pas parler.
Aussi, si l’on veut lire cet évangile du point de vue du service, il faut bien reconnaître que Marthe qui prétend servir commande, y compris au Seigneur ! « Dis à ma sœur ». Elle lui fait la leçon ; « Cela ne te fait rien… » Elle est imbue d’elle-même sous des dehors de générosité. Elle est vraiment détestable, cette Marthe. Notre Eglise qui sait, qui fait la leçon, qui apprend au Seigneur lui-même ce qu’il faudrait faire... Elle confisque son petit pouvoir, caporal chef, au lieu d'être au service !
Quel serviteur es-tu ? Le donneur de leçon qui commande même au Maître ? Celui qui annonce la grandeur du Maître mais l’ignore et s’enferme dans ses activités pour surtout ne pas l’entendre ? Le disciple accepte de tout perdre pour être avec son Dieu. Ce qu’il faut est unique. Peut-être ne mangeront-ils pas, mais l’homme ne vit pas que de pain… Inefficace, Marie, figure de l’Eglise, comme dans tout l’évangile, celui de Luc en particulier, a saisi que ce qu’il faut est unique : l’attachement amoureux au Seigneur, à ses pieds, pour les laver de ses larmes, pauvres pieds, pieds des pauvres, pour les essuyer de ces cheveux, pieds de l’amant.

13/07/2013

Le bon samaritain (Lc 10,25-37) 15ème dimanche

La parabole du bon samaritain (Lc 10,25-37) est en général interprétée comme une fable de La Fontaine, avec une morale, bien nommée, une leçon pour guider le comportement, que la règle d’or formule : fais à autrui ce que tu voudrais qu’il fasse pour toi. Kant a mis en évidence la limite de cette formulation qui risque de définir notre agir de façon trop intéressée : je donne pour que me soit donné. Il préférait les autres formulations de l’impératif catégorique, ce qui s’impose à nous, absolument, sans aucune concession ni condition : Agis de telle sorte que la maxime qui préside à ton action puisse être érigée en loi universelle.
L’évangile ne contesterait pas la critique de Kant, et si nous lisions correctement, nous n’aurions pas pu retrouver en la parabole la règle d’or. L’évangile est plus radical. Si l’on veut tirer une morale de la parabole, elle s’exprime ainsi : Agis de telle sorte que tout homme trouve en toi un prochain. On ignore ici la réciprocité, et Lévinas pourrait être convoqué. Il s’agit de l’autre, que je ne choisis pas. Mauvaise question, attrape benêt à la Le Pen : qui est mon prochain ? Evidemment, je préfère ma sœur à ma cousine et ma cousine à ma voisine. C’est aussi populiste que raciste, aussi pervers qu’obvie. Non, tu ne décides pas qui est ton prochain. Non, tu ne choisis pas ton prochain, tu ne poses même pas la question qui est ton prochain, tu te débrouilles à faire en sorte que tout homme puisse trouver en toi un prochain.
C’est déjà pas mal, cette première correction de notre lecture spontanée, limite perverse, il est vrai soufflée par la question du légiste. Encore un qui cherche la règle, ce qu’il faut faire, y compris et peut-être d’abord dans la religion, pour être en règle même avec Dieu, surtout avec Dieu, encore un qui ignore tout de la gratuité, et donc de Dieu, puisque Dieu est grâce. En Dieu, tout homme peut trouver un prochain. Dieu aime sans condition, contrairement à ce qu’on entend dans les homélies, où l’on dit que Dieu nous aime à condition que nous nous repentions, que nous fassions ceci ou cela, etc. Je l’ai encore entendu cette semaine dans une bonne paroisse parisienne ! Ces prêtres ne croient pas en Dieu, même convaincus qu'ils soient du contraire. La piété leur fait croire qu'à être très pratiquants, ils sont très croyants. Est-ce pour rien si ce sont gens du culte et prêtres qui passent outre pour n'être pas le prochain de l'homme tombé aux mains des bandits ?
Nous avons lu jusque là la parabole en choisissant le meilleur costume, le costume flatteur, qui nous va si bien au teint, celui du samaritain. Mais nous pourrions aussi prendre les guenilles de celui qui agonise. Personnage numéro deux de la parabole. Il ne parle pas, il ne dit rien, mais tout tourne autour de lui. Si nous sommes celui qui meurt, alors qui donc est le samaritain, l’étranger, celui qui vient d’ailleurs, celui qui descend ? Pour toutes les paraboles, une seule question sert de clé : Vous voulez savoir qui est Dieu ? Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho…
L’extravagance de la générosité, son excès, aurait dû nous mener sur la piste de Dieu. Mais comme nous pensons mal de Dieu, comme nous pensons Dieu comme le surmoi, alors, nous ne pouvons le voir derrière tant de générosité. Cela ne nous choquait pas de nous y voir dans ce samaritain, nous nous y voyions même très bien, alors qu’honnêtement, un peu de générosité, pourquoi pas, mais à ce point !
Alors la parabole n’est plus une histoire morale, une règle du comportement, débrouille toi à faire que tout homme puisse trouver en toi un prochain, mais une leçon théologique : vous voulez savoir qui est Dieu ? Il est celui qui relève de la mort, il est celui qui sauve, offre le salut, ne serait-ce qu’en n’ignorant pas celui que personne ne salue.
Que nous soyons agonisants ne saute pas aux yeux, dites-vous ? Ou bien encore, faut-il pour être chrétien cultiver le sentiment de la faute, le misérabilisme ? Faut-il pour croire rabaisser l’homme à celui qui agonise dans un fossé ? Evidemment non. Et si l’on veut dire la grandeur de Dieu, il faut partir de la grandeur de l’homme. Mais ici, il s’agit d’autre chose. Il s’agit du mal et de la mort, de la violence et de l’injustice. Un homme jeté au fossé, laissé pour mort. Qui en a soin ? Et si, jamais dans notre vie, nous avons été jeté agonisant au fossé, si jamais, nous n’avons cherché un sauveur, c’est sans doute que nous sommes de ceux qui sont les bourreaux de leurs frères, ou du moins, de ceux qui n’ont jamais compatis devant l’innocent torturé, l’enfant qui meurt de faim, la femme violée.
Une bonne part de la littérature patristique, et jusqu’aux vitraux de Chartres, comprennent le samaritain comme Jésus qui descend du ciel pour donner la vie. Avec l'huile des sacrements et le vin de l'eucharistie, il prend soin des ses frères. Parabole du salut.
Mais il faut se demander une nouvelle fois si nous ne nous sommes pas trompés dans l’attribution des costumes. Celui qui meurt dans un fossé, abandonné de tous, homme de douleur devant qui on se voile la face, on détourne le visage tant il n’a plus figure humaine, qui serait-ce si ce n’est le Jésus du prophète Isaïe ?
Alors c’est Jésus qui gît au fossé comme il pend au gibet, maudit, au milieu des criminels. Qui sera le samaritain de Jésus ? Qui viendra essuyer son visage et recueillir le sang qui coule de ses plaies ? Notre humanité, notre Eglise, notre communauté, comme François à Lampedusa, viendront-elles pleurer les disparus que l’on oublie, pour les saluer, ne pas les oublier précisément, les relever de l’oubli de la mort, les sauver, même morts.
Vous ignorez tout de ce Jésus qui souffre ? Relevez le frère, vous relèverez Jésus. S’il est défiguré, pas étonnant que vous ne puissiez le reconnaître. Relevez le frère, et vous relèverez Jésus que vous le sachiez ou non. Et, saisissant la chair de celui qui a pris la vôtre, vous serez vous aussi relevés, dans un admirable échange que nombre de peintres a enseigné, lorsque l’on ne sait plus à méditer leur toile qui est Jésus du samaritain ou de l’agonisant, qui est l’homme agonisant, de Jésus ou du samaritain.