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19/11/2020

Dieu n'est pas où on l'imagine Mt 25, 31-46 (Le Christ roi)

La parabole dite du jugement dernier (Mt 25, 31-46) est construite sur l’incognito. « Quand nous est-il arrivé de te voir ? » Si d’aventure on rencontre le Seigneur, on ne le reconnaît pas. Dans la parabole, ceux qui l’ont croisé ne l’ont pas su. Personne ne reconnaît le roi. Il a manifestement l’habitude de sortir incognito. Ce n’est pas une habitude, c’est sa manière d’être. Jésus passe incognito. Il est « l’incognito du Père » comme dit Bonhoeffer.

Et c’est bien notre expérience, on ne rencontre pas le Seigneur Jésus au coin de la rue, ni même à l’église, dans les sacrements ou dans le repli de sa chambre Au mieux, peut-on ruser avec l’incognito, et la parabole indique comment : il faut aller là où il se trouve ! Vous pardonnerez cette lapalissade, mais il semble que nous ne l’ayons pas entendue.

Une stratégie déjoue l’incognito. A défaut de le voir, sa présence est assurée dans le service des affamés, assoiffés, étrangers, sans vêtements, malades ou prisonniers. La liste n’est pas exhaustive ; elle indique la présence du Seigneur, les pauvres. Ce n’est pas qu’une question d’argent, mais d’exclusion sociale, hors des relations sociales, comme la prison et la maladie, comme l’impossibilité d’aimer, comme tous ceux qui sont piétinés par les autres, les enfants violentés.

Les pauvres n’existent pas aux yeux du monde, ils sont incognito, ils ne sont rien, quantité négligeable, comme l’homme des douleurs, le serviteur souffrant. Et « Dieu a choisi ce qui n'est pas, pour réduire à rien ce qui est. » (1 Co 1, 28)

Si nous savons où et comment rencontrer le Seigneur, nous ne savons jamais quand on l’a rencontré. Les maîtres mettent en garde : On ne sait jamais si on a bien prié, si l’on s’est effectivement tenu en présence de Dieu. La rencontre avec le Seigneur ne peut que nous échapper. Il n’est pas à disposition. C’est une affaire de dépossession. Non pas garder sa vie, et ses idées sur Dieu, mais se défaire de tout pour être libre de le recevoir comme il est, pour le laisser libre de nous rencontrer, comme il veut.

Dire cela dans la situation de suspension des cultes apparaît d’une actualité saisissante. Faudra-t-il dire qu’il faut circuler, que le Seigneur n’est pas là où on le cherche ? La tradition prophétique (Jr 7, 4) pourrait nous y pousser. Imaginer voir le Seigneur sans être au service des pauvres est une tromperie que la parabole illustre manifestement.

Nous sommes conduits à remettre en cause non l’être de Dieu, mais ce que nous pensons qu’il est. Dire son indisponibilité ne signifie pas qu’il serait en voyage, occupé, qu’il faudrait crier plus fort, ainsi que raille Elie. C’est insister sur la nécessité où nous sommes, si nous prétendons le quêter, de renoncer à tout ce que nous savons de lui pour le laisser être ce qu’il veut, de renoncer à ce qui compte, aux yeux du monde, au profit de ce qui n’est pas, les pauvres. Dieu n’est pas ce qu’on imagine. Dieu n’est pas où on l’imagine.

De Dieu on peut faire une idole ; du vrai Dieu on peut se servir, autrement dit, se faire une idole. Relisons le premier testament. La manne ne peut pas être conservée ; elle n’existe qu’à se renouveler chaque matin. Lorsque l’on part en guerre, le bataillon galvanisé par la présence du Seigneur, c’est la déroute et les Philistins se saisissent de l’arche. Le peuple la livre aux païens – sacrilège ! ‑ le peuple s’en sert comme les païens – sacrilège !

Défendre la vérité de la foi est souvent le plus sûr moyen de la piétiner, parce que ce que nous défendons, c’est ce que nous pensons de Dieu, et Dieu n’est jamais ce que nous pensons. Il n’a d’ailleurs nul besoin d’être défendu ! Jésus est mort de ce que ses coreligionnaires pensaient de Dieu. Dieu n’est pas ce que nous croyons essentiel, un savoir, une théorie, un catéchisme, une vérité transcendante. Lui juge essentiel de servir les pauvres. Pour le trouver, il faut aller là où il se tient, là où il sert.

Il y a peu d’invitations à l’adoration, au culte et même à la prière dans l’évangile. En tout cas, elles sont moins nombreuses et insistantes que la convocation au service des petits. Pour Jésus aussi le plus court chemin de soi à soi passe par autrui, et autrui le plus anonyme, le plus incognito. « Etrange condition de ce dieu qui semble n’acquérir un Moi que par la grâce de ces petits ou de ces « moindres » qui n’existent pas » (S. Breton) et lui offrent leur visage où il se laisse deviner en transparence.

12/11/2020

Le mérite ou l'amour, la bourse ou la vie Mt 25, 14-30 (33ème dimanche)

La parabole des talents (Mt 25, 14-30) est généralement comprise comme une invitation à faire fructifier les dons que nous avons gratuitement reçus de Dieu ou de la nature. Tes talents ne t’ont rien coûté, tu te dois de rendre en les mettant généreusement à profit.

Une telle lecture, pour commune qu’elle soit, est problématique. Qu’en est-il de l’idéologie qui la sous-tend ? La morale du devoir sur laquelle elle repose est-elle légitime ? Que signifie la gratuité d’un don qu’il faudrait rendre ? C’est le chameau, répond Nietzsche, qui porte, et fait du « tu dois » sa devise… à en crever.

Plus grave. Comprendre la parabole comme une injonction à faire fructifier ses talents, c’est n’avoir pas lu le texte ou se refuser à le lire. Il n’y a pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. La liturgie aussi est assourdissante avec une version écourtée et trafiquée du texte !

On remarquera que le troisième serviteur adresse au maître des paroles insultantes, le traitant de voleur. On remarquera que c’est celui qui a le moins de capacités qui est jeté dans les ténèbres extérieures. Se débarrasserait-on des inadaptés à la logique du profit ?

On remarquera qu’à aucun moment le maître a commandé de faire fructifier les talents. C’est une initiative dont la responsabilité revient aux deux premiers serviteurs. Le troisième ne la conteste pas. Certes, la parabole n’interdit pas de penser que c’est ce qu’attend le maître. Elle tend même ainsi un piège au lecteur. Le maître récompenserait les serviteurs qui l’ont bien récompensé, canonisation de la doctrine de la rétribution.

La doctrine du mérite et de la rétribution, c’est que les coupables doivent payer, enfermés en prison ; les autres, nous bien sûr, devons être récompensés d’être des gens si bien ! Cette doctrine nous refile, diaboliquement, une image de Dieu qui empêche qu’il s’agisse d’amour. Basta de la sensiblerie, importent les comptes à régler.

La parabole raconte la catastrophe de la doctrine de la rétribution. Si vous pensez que le maître vous considère selon vos mérites, ce que vous avez fait et que vous prenez grand soin de compter, les capacités qu’il vous a lui-même données, c’est foutu ! Vous ne pourrez que haïr et Dieu et les frères. Haïr les frères parce que vous serez convaincus de toujours faire mieux, ne pourrez que les regarder, eux qui font si peu ou si mal. Tous les jours, nous vivons cela. C’est totalement infantile, compter, toujours, ce que j’ai fait et pas l’autre. Etonnons-nous d’avoir une foi infantile. Haïr Dieu parce que l’idée que vous vous en faites est une insulte. Ce que dit le troisième serviteur pour se justifier est ce que tous pensent. Dieu est exigeant jusqu’au vol, sans mansuétude ! Le contraire de l’évangile, quelle catastrophe !

Même en ayant pitié du troisième serviteur (nous avons acquis des réflexes de défense des petits, au moins rhétoriquement), rares sont ceux qui sursautent et comprennent les propos de ce serviteur sont une insultante accusation de vol. C’est terrible !

Avec Dieu, le mérite est ce qu’il y a de pire. Avec Dieu, la gratuité, si l’on ose l’oxymore, est ce qui compte. Il en va toujours ainsi en amour, avec les enfants, le conjoint, les amis ? C’est pour cela que nous nous sommes « des serviteurs inutiles » ; ça n’a rien à voir avec l’humilité, c’est juste qu’avec Dieu, si ce n’est pas une question d’amour, tout est faux. « Je ne suis pas digne de te recevoir ». Ce n’est pas une question de misérabilisme. C’est juste une question de choix, de conversion, le mérite ou l’amour, la bourse ou la vie.

Hier comme aujourd’hui, on se crispe sur le fait que Dieu aime les pécheurs et mange avec eux. L’Eglise écarte certains, divorcés remariés, homosexuels en couple (mais rien sur les pédocriminels ni les racistes et ceux qui font du fric sur le dos des autres ; ils peuvent tous communier). La prédication de miséricorde de François est rejetée à la hauteur de nos fausses lectures de la parabole.

Le Dieu de la miséricorde, nous ne l’aimons guère, quoi que nous disions, parce qu’il accueille tout le monde. Mais voilà précisément la bonne nouvelle. Franchement, si nous étions jugés au mérite, qui passerait la barre ?

05/11/2020

Les dix vierges, quelle drôle d'histoire ! Mt 25, 1-13 (32ème dimanche)

L’année liturgique touche à sa fin. Plus que trois dimanches et nous entrerons en Avent. La lecture de l’évangile de Matthieu se termine par les paraboles du chapitre 25, les dix vierges, les talents et le jugement dernier.

La parabole des vierges nous résiste. Qu’est-ce que ces femmes qui refusent de partager ? Pourquoi ne pouvaient-elles prendre chacune une compagne par la main ? Une lampe ne pouvait-elle pas éclairer la route pour deux ? Pourquoi l’époux ne pourrait-il rouvrir la porte ? Pourquoi, la porte fermée, l’époux ne sait pas reconnaître celles qui lui étaient promises ? Enfin, et non le moindre : qu’est donc cet époux qui se marie avec dix vierges ?

Il sera sage de ne pas répondre à ces questions. Si le récit n’est pas plus précis, c’est qu’il ne le juge pas nécessaire. Plutôt que de le compléter et d’ouvrir des pistes qu’il ne prend pas le temps d’instruire, laissons-nous provoquer par cette drôle d’histoire.

Ce qui est clair, c’est que certaines ont tout prévu, que le récit considère positivement, alors que d’autres, dites sottes, folles, n’ont pas pensé à ce qui importe.

Est également clair que le type de rencontres auquel ces femmes se préparent a l’importance d’un jour de noces. On n’arrive pas trop tard à son mariage, on ne rate pas l’heure de son mariage. Qui découvre le jour de son mariage qu’il n’a pas sa robe ou son costume et doit filer chez le marchand, faisant attendre et son conjoint et les invités ? On n’a jamais vu cela. Et c’est pire encore, car il ne manque pas d’huile, mais les cinq folles n’en prennent pas. Elles le font exprès ?

Les noces sont un rendez-vous qui jamais ne se rate ; il décide de la vie, rendez-vous des rendez-vous d’amour. Il ne s’agit pas de quelques minutes de retard, mais du moment ou d’un moment décisif de l’existence, il s’agit de l’existence.

Curieusement, le texte ne parle pas d’amour. Aviez-vous remarqué ? Mais il parle d’attente. Faut-il penser que le principe actif de la parabole réside dans cette substitution ? Certains penseraient-ils qu’attendre Dieu, c’est autre chose que de l’aimer ? Aimer Dieu, être chrétien, c’est précisément l’attendre. Les vierges folles aimaient-elles l’époux ; elles ne l’attendent pas, leur flamme est éteinte, et ce n’est pas l’huile des autres qui rallumera le feu de l’amour.

Avec Dieu, sommes-nous à aimer, et puisqu’il tarde, à attendre, ou bien, y a-t-il plus important dans l’existence que d’attendre celui qui pourrait ne jamais venir ? Attendre ainsi serait-il insensé, absurde, comme d’attendre Godot ? Ce qui se passe entre nous et Dieu, et ce d’autant plus qu’il tarde, est-ce une histoire d’amour et donc de manque, ou bien des devoirs, des règles, une morale qui nous cassent les pieds et nous gavent ? Pour échapper à ce manque, avons-nous appris à vivre sans huile ‑ inutile dès lors d’en prendre ‑ nous remplissant le ventre de l’esprit de maintes certitudes, ce que les anciens appelaient des idoles ? Est-ce insouciance de notre part ?

Ce qui fait problème d’après le texte, c’est que l’on puisse ne pas prendre d’huile, ne pas voir que nous sommes en manque. C’est pourquoi les discours de la présence, présence réelle, m’effraient. Il existe une mainmise sur le pain de l’eucharistie aussi. L’eucharistie ne bouche pas le trou du manque de Dieu, Dieu ne comble pas par une présence. Dieu ne nous gave pas. Sa place reste marquée comme un grand vide, une blessure.

Ces cinq folles ne seraient pas vierges, déjà offertes ; elles ont trouvé une présence sans attendre, disponible, ici et maintenant, sans délai. Parthenos signifie aussi jeune fille. Et c’est bien la jeunesse en nous que Dieu vient épouser, non nos jeunes années, mais nos vies dans toute la force de ce qu’elles promettent et à quoi elles sont promises, ouvertes, possibles.

Attendre Dieu parce que nous l’aimons, c’est ce que nous vivons plus évidemment encore alors que nous sommes privés du rassemblement dominical de la fraternité, alors que nous ne pouvons pas visiter ceux que nous aimons, alors que la fraternité humaine est blessée par une série d’attentats. S’il y a quelque chose que l’on ne peut pas rater, ce n’est pas de façon obvie un moment, mais l’attitude de toute une vie, chaque instant, la force même ténue de tout instant. Dieu épouse notre vie en ses possibilités, il s’enamoure de nos possibilités de vie. Cette force de vie est l’huile qui brille dans la nuit et éclaire notre route.

31/10/2020

Persévérer dans l'existence... jusqu'au bout (Commémoration de tous les défunts)

Les textes retenus (Ap 14, 13 - Lc 12, 35-40) veulent nous préparer à la mort, à l’heure de la mort. Ainsi la béatitude de l’Apocalypse, « heureux les morts qui meurent dans le Seigneur ».

Faut-il entendre ce souci de l’heure de la mort, comme si l’état d’esprit dernier avait plus d’importance que tout ce qui aura été vécu pendant des décennies. Et combien auront la possibilité et la force de vivre leur mort consciemment, de la regarder en face les prendre ?

Il y a dans la pensée chrétienne une sorte d’apprivoisement de la mort. François parle de « notre sœur la mort corporelle » qui lui donne de bénir le Seigneur. Assurés que le défunt n’est pas anéanti par la mort, il se pourrait qu’au long des siècles, et encore aujourd’hui, certains d’entre nous ne ressentent pas, ou professent ne pas ressentir, l’horreur de la mort.

Mais s’il est vrai que pour être habités par l’Esprit, il faut être de chair, que pour être disciples du Père qui est aux cieux, il faut avoir les pieds sur terre, préoccupés de la vie des frères, plutôt que de s’échapper dans des théories fumeuses, fussent-elles religieuses, je me demande si la foi ne nous fait pas un impératif de nous révolter contre la mort.

C’est fini. Plus jamais nous ne verrons son visage. Et quand viendra notre tour, je comprends que l’on résiste, que l’on ait peur, que l’on soit affligé, transi de tristesse. Est-ce que, du coup, affronter la mort est héroïque, de sorte que la rhétorique l’est aussi ; on parle de mort heureuse, de mort glorieuse ?

Ainsi fait-on pour Jésus. Pourtant, ce n’est pas sa mort qui nous sauve, mais sa vie… jusqu’au dernier souffle. Il aurait beaucoup renié de ce qu’il a vécu à se dérober. Sa fidélité, c’est ce qui a précédé…jusqu’au bout. Que l’heure de notre mort soit la fidélité à ce que nous aurons été de meilleur et la contrition pour tout ce que nous aurons charrié de mal.

Alors, être prêt, ce n’est pas la sérénité dernière, mais persévérer tout au long de l’existence, dès la naissance, dans le rejet du mal, de tout ce qui nous détruit et détruit les autres ; c’est vivre de l’amour qu’est Dieu. La lampe allumée, lumière de l’amour. La ceinture aux reins qui nous retient du mal.

Cette heure dernière, à laquelle on peut sans doute finir par consentir, sans cesser de se révolter, de résister, au nom de la vie, n’a de sens que comme métonymie. L’heure de notre mort c’est toute la vie, soumise à la contingence, à la vulnérabilité, à la fin.

Comment cette heure serait-elle heureuse, autrement que par insouciance je-m-enfoutiste ou illusion superstitieuse ? On n’a pas vu Jésus se réjouir de sa mort : chic ou ouf, c’est fini ! Il y eut le jardin de l’agonie et le cri d’abandon que rapportent Marc et Matthieu.

Si lui, et nous à sa suite, pouvons espérer que tout ne sombre pas dans le néant, ce n’est pas pour nous réconforter. Un réconfort fondé sur une illusion, c’est du vent. Si lui, et nous à sa suite, disons que la vie, jusqu’à l’heure de la mort, est naissance, enfantement, c’est que l’amour dont Dieu le premier nous aime ne peut pas être rompu. Parce que Dieu est amour… ou alors Dieu n’est pas Dieu. Si Dieu nous aime, alors rien, pas même la mort ne peut nous séparer de lui, ni de tous ceux qu’il aime avec nous. Un peu de vie dans le Seigneur laisse espérer possible de mourir dans le Seigneur pour vivre renés de la mort avec Jésus.

30/10/2020

La sainteté en deux mots (Toussaint)

Qu’est-ce que la sainteté ? Si l’on faisait une histoire des réponses à cette question au cours des siècles, il est vraisemblable que nos évidences tomberaient. Dimanche dernier, nous avons entendu les deux seuls commandements (Mt 22, 34-40) qui n’en sont qu’un. Parce que c’est encore tout frais à notre oreille, parce que la parole est donnée à Jésus pour une forme de concentré, de synthèse de la foi, je propose de reprendre ces versets. « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. Voilà le grand, le premier commandement. Et le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. De ces deux commandements dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes. »

L’amour de Dieu, l’affirmer est premier, on doit l’affirmer en premier. Parce que Dieu, le premier, nous aime (1 Jn 4, 10). Parce que Dieu est amour (1 Jn 4, 8. 16). Parce qu’en dehors de l’amour, il n’est rien qui ne puisse dire Dieu. « Le mot Amour dit à la fois la plénitude et la désappropriation, l’une incluant l’autre et réciproquement. La plénitude regarde l’être même de Dieu et toutes les richesses du créé. La désappropriation regarde l’impossibilité pour qui que ce soit, même Dieu et sans doute Dieu d’abord, de garder pour soi quelque propriété que ce soit. » (G. Lafont, Le Catholicisme autrement, p. 151)

C’est parce que Dieu est amour et plénitude, c’est-à-dire désappropriation, jusqu’à la mort et la mort sur une croix, qu’un commandement de l’aimer est possible. Comment pourrait-on être sommé d’aimer autrement qu’à être violé, sans la désappropriation de celui auquel notre existence devrait répondre, de celui à l’amour duquel notre amour est réponse ?

Le problème, si j’ose dire, c’est que l’on ne sait pas si l’on aime Dieu, comment on l’aime. Ou plutôt si, on l’aime d’une seule manière, en aimant comme il aime, plénitude, tout ce que nous sommes, et désappropriation. En aimant le frère que nous voyons (1 Jn 4, 20), dans une désappropriation que la parabole du samaritain permet de formuler, sur un air kantien, « agis de telle sorte que tout homme puisse trouver en toi un prochain. »

Pour aimer Dieu seulement, il faut aimer son Fils dans l’Esprit, mais ce n’est pas assez dire. Pour aimer Dieu seulement, il faut aimer tout homme. Et cela signifie précisément, nous désapproprier de tout ce que nous sommes, permettre à l’autre de nous trouver disponibles, de trouver en nous le prochain dont il a besoin.

Voilà, tout est dit de la sainteté, même si l’on peut dire bien d’autres choses. La sainteté c’est la plénitude et la désappropriation, être pleinement, richement, avec extravagance et excès même, non pas pour donner, mais pour se laisser prendre, se laisser dépouiller, être désapproprié. Jésus nous en a ouvert le chemin.

« L’image en est Jésus crucifié, nu, souffrant, dépouillé, et à ce moment même invoquant le Père dans l’Esprit. « Père, entre tes mains, je remets mon esprit. » C’est à ce moment, sur la Croix, que nous est révélé le Mystère de la Sainte Trinité : immense circulation, admirable échange. Mais nous est manifesté aussi le Mystère de l’homme, créé et comblé par Dieu, invité à répondre en se donnant lui-même moyennant un symbole d’obéissance. » (G. Lafont, pp. 151-152. Je ne reprendrais ni la graphie ni tous les termes à mon compte, mais le mouvement, assurément.)

Passer derrière, prendre sa croix, renoncer à soi, être insulté, persécuté. Ces expressions de la théologie ascétique et de l'évangile sonnent de façon inadmissible après les attentats terroristes. Gardons-nous d'oublier le don premier, la plénitude qui se désapproprie. Pour nous la plénitude n’existe aussi que comme désappropriation, et réciproquement. C’est cela la sainteté pour Dieu et pour nous (Lv 19, 2).

On n’offre pas en con-sacrant, en faisant du sacré. On ne rend pas sur ce que l’on a prélevé pour vivre. Il ne s’agit nullement d’un sacrifice mais de plénitude qui n’existe que comme désappropriation, pour Dieu et pour tous. La sainteté, c’est divin ; et nous sommes invités à la partager, immense circulation, admirable échange. Laisser l’autre trouver en moi un prochain, ainsi les parents pour leurs enfants, ainsi les enfants pour leurs parents devenus dépendants, ainsi, ceux qui s’aiment. Ils font ce qu’est Dieu. Ils sont ce qu’est Dieu, saint.

 

 

 

« Soyez saint car moi, le Seigneur, je suis saint. »
Seigneur, tu rassembles en ton Eglise tous ceux que tu sanctifies par le baptême dans ta mort et ta résurrection. Souviens-toi de tous les saints.

Seigneur, tu meurs et assures le malfaiteur qui pend au gibet qu’il vivra avec toi. Tous ceux qui détruisent les frères par la violence des armes, de l’économie, de la corruption, des inégalités, des abus de pouvoir, que ton amour les désarme et les renverse. Souviens-toi de toutes les victimes.

Seigneur, alors que le confinement nous prive des relations familiales, amicales, sociales, alors que les difficultés économiques touchent certains très directement, alors que nos libertés sont limitées, donne-nous de demeurer saints car tu es saint. Souviens-toi de nous, vigilants dans la prière et le service des frères.