Qu’est-ce que la mission aujourd’hui ? La question se
doit d’être posée alors que les disciples de Jésus sont de moins en moins
nombreux dans nos pays, et que la déchristianisation guette aussi les pays du
Sud qui aujourd’hui, par leur démographie, continuent à faire croître le nombre
de chrétiens dans le monde.
Les causes de la déchristianisation sont multiples. J’en note
quatre qui me paraissent jouer plus que les autres. Premièrement la liberté de
conscience et la liberté religieuse : plus rien n’oblige à croire.
Deuxièmement, le recul de la misère économique et de la violence guerrière. Après
plus de soixante-dix ans sans guerre sur le territoire national, plus de deux
générations, même si la pauvreté demeure élevée dans nos pays ‑ 14% de la
population en France ‑, et que le sentiment de précarité augmente, on a moins
besoin de crier vers Dieu. Troisièmement, le ciment social qui, peut-être, fait
défaut n’est plus la religion. Le monde est régi par des lois scientifiques, y
compris en économie, du moins le pense-t-on, ; ce qui ne sert à rien n’a
aucun intérêt. Quatrièmement, l’Eglise est d’une part ouvertement contestée et
accusée, à juste titre, et d’autre part elle est objet de ressentiment. La
crise des abus sexuels, qui ne concerne pas que l’Eglise, le manifeste
éloquemment.
Beaucoup vivent la déchristianisation comme une catastrophe, du
moins parmi les chrétiens ou les anciens chrétiens. Cela ne les empêche pas d’avoir
un rapport très distant avec la vie chrétienne. J’entendais un monsieur se
plaindre du « grand remplacement » par les musulmans, thèse, soit dit
en passant, d’extrême droite dont on s’étonne qu’elle soit reprise par des
disciples de Jésus. Avant de se plaindre du soi-disant remplacement, ce
monsieur ne devrait-il pas contraindre ses enfants et petits-enfants à
fréquenter les églises ?
La religion est assimilée au merveilleux, ainsi l’émerveillement
des enfants à Noël, et la nostalgie des adultes pour cet émerveillement. Ce
serait cela la foi. Ce serait cela qu’il faudrait perpétuer. Parler de la mort
de Jésus, c’est plus compliqué. On attend de la religion qu’elle fasse rêver…
alors même qu’on l’accuse de surfer sur l’illusion au point que même les
chrétiens savent rarement répondre aux remises en cause de l’existence
historique de Jésus.
Sombre tableau ? Pas sûr. La déchristianisation est une chance
pour l’évangile. Il en ressort dans sa pauvreté provocante, dans sa vertu critique
désarmante. L’Eglise ne gagnera plus de parts de marché par la force du
prestige. Elle n’aurait jamais dû jouer cette partie !
L’évangile de ce jour (Lc 21, 5-19) le dit explicitement. Le
merveilleux et la puissance n’ont rien à voir avec l’évangile. La beauté des
temples ou des églises, les prophètes qui disent venir au nom de Jésus et
remplissent les mouvements sectaires y compris au sein de l’Eglise catholique – et
quelques décennies plus tard, ils se retrouvent devant les tribunaux –,
rien de tout cela n’a à voir avec l’évangile. « Ne marchez pas derrière
eux ! » Et l’évangile décrit avec une précision de reportage ce que
nous voyons : dérèglement climatique, catastrophes apocalyptiques, guerres
et même l’oppression des chrétiens, 4 300 en 2018, surtout en Afrique,
continent de la supposée relève pour l’Eglise !
La mission qui nous incombe est premièrement de consentir à un
retour à l’évangile, l’évangile dans sa pauvreté et sa radicalité. Rien, pas de
fioritures, pas de merveilleux ni de rêve pour le faire avaler. La crèche est une
prédication de la mise au tombeau. Si l’évangile n’est pas crédible, n’est-ce
pas, finalement, qu’il ne change pas grand-chose dans nos vies ?
La mission nous convoque deuxièmement à l’hospitalité de Jésus, à
sa commensalité. Nous sommes avec lui engagés en vue de la fraternité. La lutte
pour la dignité de toute personne humaine, expression de l’amour que nous avons les uns pour les autres, est l’unique manière
de faire signe vers Dieu. C’est à cela que sont reconnus les disciples. (Jn 13, 35)
La mission ne vise pas à faire de toutes les nations des disciples,
mais à ce que, en tout lieu, des disciples soient ferments du royaume,
fraternité née de la paternité de Dieu. Le ferment ne garde sa vertu que si les
disciples sont attachés à Jésus comme le
sarment au cep (Jn 15). La mission troisièmement nous oblige à une conversion
jamais achevée. Comment l’écoute de Jésus nous tourne-t-elle vers le Père ?
C’est-à-dire ‑ les illusions n’ayant plus d’avenir ‑ comment Jésus nous
tourne-t-il vers les autres, dans la communauté qui nous engendre ‑ on n’est
pas chrétien tout seul, et le baptême, le nom de chrétien aussi, nous les avons
reçus des autres ‑ vers les autres auxquels nous devons faire signe.
Le modèle de la vie religieuse, y compris sous sa forme monastique,
s’impose à la mission. Si des sympathisants de la foi ont toute leur place dans
l’Eglise, et si les chrétiens ont une place dans la société, c’est par la prise
au sérieux du baptême, à la racine, radicalement.
Traduction de Jean-François Garneau
What is mission today? The question must be raised anew more
insistently than ever, given that the followers of Jesus are less and
less numerous in our countries, and that de-Christianization is also
watching the countries of the South which today, by their demography,
continue to grow the number of Christians in the world.
De-Christianization causes are numerous. I mention four of them of the
top of the list, since my belief is that they play a bigger role than
most others.
First of all freedom of conscience and religious freedom: nothing forces us to believe anymore.
Second, the decline of economic misery and warlike violence. After more
than seventy years without war on the national territory (France) –more
than two generations--, and even if poverty remains high in our
countries --14% of the population in France—and though the “feeling” of
insecurity increases, we feel less of a need to cry to God out of the
depths of our misery.
Thirdly, the social cement –which is
perhaps lacking, but that’s another question-- is no longer to be made
out of religion. The world is governed by scientific laws, including in
economics –or, at least, so it is thought; what is useless has no
interest (and religion is thought of as useless).
Fourthly, the
Church is on the one hand, openly challenged and rightly accused and, on
the other hand, is an object of resentment. The crisis of sexual abuse,
which does not concern only the Church, manifests this state of affairs
very eloquently.
Many are experiencing de-Christianization as a
catastrophe, at least among Christians or FORMER Christians. This does
not prevent them from having a very distant relationship with the
Christian life. I heard a gentleman voicing the theory of the "great
replacement" by Muslims, a thesis, incidentally, coined by the extreme
right –which makes it astonishing that it should be taken up by
self-proclaimed disciples of Jesus (or people pretending to speak on
their behalf). Yet before complaining about this so-called
“replacement”, should this gentleman not force his children and
grandchildren to attend church, and practice the very religion he does
not wish to see replaced?
Religion is likened to the marvelous
–the wonder of children at Christmas--, and the nostalgia of adults for
this wonder (the so-called Max Weber theory about the “disenchantment of
the world”, which GK Chesterton also developed in a more literary than
sociological tone). That capacity to believe in magic (or so these
people believe) is what faith is about. “That” is what religion is meant
to perpetuate. To speak of the death of Jesus, for them, is more
complicated (better speak of his resurrection and turn it into a magic
trick meant to refute incredulity –and therefore reinforce a magical
view of religion). Religion is expected to make people dream ... often
by the very same people who will then accuse it of surfing on the
illusion that even Christians rarely know how to answer the questions
addressed to them about the historical existence of Jesus.
Am I
painting too dark a picture of our predicament? Not sure! One thing is
sure, however, and it is that de-Christianization presents us with a
great opportunity for the Gospel itself to be heard anew (as opposed to
all those centuries of cultural sediments. It survives the
de-Christianization process in its provocative poverty, in its disarming
critical virtue. The Church will no longer gain market share by the
force of prestige. She should never have played this part!
Today's Gospel (Lk 21: 5-19) says so explicitly. Wonder (magic) and
power have nothing to do with the Gospel. The beauty of the temples or
of the churches, the prophets who say they come in the name of Jesus,
fill sectarian movements holier than everybody else (including within
the Catholic Church), only to end up in court, decades later: None of
this has anything to do with the Gospel. "Do not walk behind them! What
the Gospel does describe, however, and with great precision reporting is
what we can see all around us with our naked eyes: climate change,
apocalyptic disasters, wars and even the oppression of Christians (4,300
killed in 2018 alone, especially in Africa, the continent of the
supposed future growth of the Church)!
Our mission, in these
circumstances, is to agree first to a return to the Gospel, the Gospel
in its poverty and its radicality. Nothing –no frills, no wonder and no
dream to sweeten the pill and make it easier to swallow. The manger is a
preaching of the burial of Christ and what His death is meant to
signify (that He be food for our animality). After all, if the Gospel is
not credible, is it not, primarily because it does not change much in
our lives?
The mission invites us secondly to the sort of
hospitality that Jesus displays, to his commensality. We must be, with
him, committed to fraternity building. The fight for the dignity of
every human person, an expression of the love we have for one another,
is the only way to draw attention to what God is. This is what the
disciples are recognized for (John 13:35).
The mission (make
disciples of all nations –Mt 28: 19) does not aim to make that all
nations be disciples of Christ, it calls upon those called to ensure
that, in every place (and from every place), there should be disciples
of Christ who will act as ferments of the kingdom within those
communities (nations), creating thus a fraternity born out our
recognition of God (and only God) as our real Father, Dominus and Lord.
That capacity to ferment nations (and to be the salt of the earth) will
keep its fermenting virtue only if the disciples are attached to Jesus
as the branches to the vine (Jn 15). The mission forces us therefore,
and thirdly, to a never completed conversion towards the Father (God is
Love) by listening to Jesus.
But how can listening to Jesus
turns us towards the Father --that is to say (given that the illusions
of our Christian past have been shown to be devoid of a future): How can
listening to the Gospel turn sus towards one another, in the sort of
community that can engender us as sons and daughters of the Father (for
we are not Christians alone, and our baptism, as well as our very name
of “Christian”, we have all received them from others) so that we all
can be a sign to the others, outside of our midst (in all nations) to
whom we must be a sign.
The model of the religious life,
including in its monastic form, imposes itself on our mission. If
sympathizers of faith have their place in the Church, and if Christians
have a place in society, it is by taking baptism seriously, at its root,
i.e.: radically.