Avec les attentats des 7 au 9 janvier, on s’est remis à
parler de laïcité et d’enseignement du fait religieux à l’école ; on veut
même encourager la recherche en islamologie.
Certains pensent qu’il n’y a pas assez de laïcité en
France : la religion sera toujours un poison contre lequel il faut lutter
et se protéger en la confinant dans le seul espace privé, lui déniant toute
pertinence dans l’espace public. Ce laïcisme-là, qui exclut, est un intégrisme.
Ses présupposés sont fallacieux. Si les religions sont source de violence,
elles ont été et sont source de paix, de culture et d’humanisation d’autant
qu’avant l’émergence des Etats modernes, on ne peut pas parler des religions
comme d’entités contre-distinguées des sociétés.
Or, si la loi de 1905 ‑ qui n’est pas l’inventrice de
la laïcité ! – en son article 2, « ne reconnaît ni ne
subventionne aucun culte », cela ne peut pas signifier qu’elle devrait les
ignorer. Plus encore, l’article premier (aux deux sens du mot) énonce, dans la
foulée de la déclaration universelle des droits de l’homme de 1789 :
« La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre
exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans
l’intérêt de l’ordre public. » La loi garantit premièrement la légalité
des religions au nom de la liberté de conscience et deuxièmement leur existence
publique (puisqu’elle vise l’exercice des cultes). La loi s’assure que la
liberté de conscience et d’expression n’entrave pas l’ordre public. A bon
entendeur !
Il n’y a pas que les intégristes de la laïcité qui ignorent
ou veulent ignorer le fait religieux. Cela fait plus de quinze ans que Régis
Debray avait été chargé par Lionel Jospin et Jack Lang d’un rapport à ce sujet.
Pourquoi se réveiller maintenant ? Avant les enfants et les jeunes, ce
sont les professeurs et les adultes, qu’ils appartiennent ou non à une
religion, qui ont besoin d’un enseignement sur les religions !
Nous sommes à un moment passionnant, et explosif, de
l’humanité. Le pluralisme culturel et religieux avec lequel la mondialisation
nous met en contact nous oblige à découvrir l’autre, les autres. Pas seulement
dans les livres, avec des récits composés par des gens comme nous, pas
seulement pour quelques voyageurs, mais pour tous et en direct avec tous.
Un des défis de ce siècle, d’une façon nouvelle, c’est le
vivre ensemble, non en communautés régionales ou nationales, où l’on se
rassemble dans de soi-disant unités naturelles et indépendantes, mais le vivre
ensemble avec des diversités souvent contraires voire contradictoires, à
l’échelle du village planétaire. Ce qui a rassemblé dans les rues de France
plus de 3 millions de personnes les 10 et 11 janvier, ce n’est pas d’être
français plutôt que musulmans, catholiques ou juifs. C’est d’être voisins dans
le même village planétaire, ce qu’a manifesté la présence de près d’un tiers
des chefs d’Etat du monde, place de la République, et que le gouvernement
Etats-unien a regretté de comprendre trop tard.
De l’écologie et l’immigration jusqu’au partage des
richesses, plus rien, en vue de la paix, n’est « de chez nous ». A
moins que « chez nous » désigne la maison commune de plus de six
milliards de personnes et non la propriété de quelques uns seulement (les 1%
qui possèdent autant que les autres 99% et
les Occidentaux qui en connaissent un rayon en matière de mainmise sur la planète,
avec des formes toujours nouvelles de colonisation).
« Chez nous » il y a des gens religieux et
d’autres non, il y a des gens qui connaissent la laïcité et d’autres non. Que
les catholiques, avec les derniers papes, se fassent les défenseurs de la
laïcité ne peut faire oublier qu’ils l’ont majoritairement et violemment
combattue. La séparation du religieux et du politique est une des possibilités,
voire des conditions, du vivre ensemble dans la diversité. Il faut, hier comme
aujourd’hui, l’arracher de haute lutte contre les religions, y compris au
catholicisme, évidemment à l’Islam.
La laïcité est une manière de dénoncer les pouvoirs (politiques,
économiques, religieux, etc.) dans leur volonté de dominer ; l’idolâtrie
n’est pas que religieuse ! Les pouvoirs doivent être contrôlés pour ne pas
être tyranniques. C’est l’engagement citoyen et responsable auquel nous ne
pouvons échapper si ce n’est à être coupables, dans les sociétés et dans les
religions. Quant à Jésus, il a indiqué un chemin pour une humanité fraternelle,
celui du service.