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24/08/2014

Je te donnerai les clefs du Royaume (Mt 16,19) 21ème dimanche



Je te donnerai les clefs du Royaume des cieux : tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux. (Mt 16,19)
Je ne sais pas si pour vous ces propos sont clairs, mais pour moi, ils demeurent une énigme. Bien sûr, je connais comme vous l’interprétation pétrinienne du verset, papiste pour dire les choses plus communément et de façon assez péjorative. Mais il fallu des siècles pour que l’évêque de Rome comprenne ces mots comme lui étant destinés et les confisque pour fonder son pouvoir. Ma question, mon étonnement, mon embarras portent sur le sens que Jésus a bien pu donner à de ses propos.
Ils semblent s’éclairer si on les place dans un contexte de fin des temps, d’apocalypse. La tension entre le ciel et la terre, l’usage du futur, l’expression clefs du royaume, tout cela nous y invite. Aussi, Pierre reçoit-il un rôle eschatologique. L’iconographie le montre, mais ne nous explique encore rien.
Que veulent dire lier et délier ? Comment quelque chose de lier dans l’histoire pourrait-il le demeurer dans le Royaume ? Quelle est la mission de Pierre de lier et délier ? On peut sans doute dire, quelle est la mission de l’Eglise pour lier et délier, puisque Pierre ici, ne semble faire qu’un avec l’Eglise de Jésus, son Eglise. L’Eglise n’existe pas, c’est toujours l’Eglise de Jésus, ecclesiam suam. L’Eglise, dès lors qu’elle ne serait pas liée à Jésus, ne serait plus l’Eglise.
Tiens ! Qu’est-ce que je viens de dire ? L’Eglise est attachée à Jésus ou n’est pas. Si ce qui était déjà ou d’abord attaché, ou ce qui devrait l’être, c’était l’Eglise. Ainsi, Pierre et l’Eglise attacheraient ou non l’Eglise à Jésus, et cela durerait jusque dans le Royaume. Mais alors, la promesse eschatologique ne parle pas du pouvoir de l’Eglise sur les autres, mais de sa fidélité à elle, comme étant ou non du Christ, comme étant ou non elle-même.
Pierre n’est pas un vis-à-vis de l’Eglise, mais il la représente, la condense. Chaque fois que la communauté des Douze, pour prendre une autre expression eschatologique, celle du peuple de Dieu rassemblé, lie ou délie, elle se lie ou se délie de son Seigneur.
Ainsi, Pierre, l’Eglise, se lie bien sûr aux Juifs qui ont reconnu Jésus, comme Pierre-même, et se détache des autres. Ainsi, Pierre, l’Eglise, se lie aux païens qui reconnaissent Jésus et secoue de ses sandales la poussière ramassée chez ceux qui ne veulent rien entendre de Jésus. Question d’amour et de liberté, tout à la fois, se lier et se délier, s’attacher et être libre.
Vous direz peut-être que délier, c’est ce que fait Jésus dans les miracles d’exorcisme. Et la version johannique va dans ce sens. Délier, c’est libérer de ce qui attache au mal. On comprend alors que toutes les victoires des disciples de Jésus, de son Eglise, pour détacher ceux qui sont la proie du mal et les en délier, délivrer, cela ait un sens non seulement pour aujourd’hui, mais aussi dans la logique du dernier jour. Une victoire de la liberté du Royaume est expression de la résurrection de Jésus, et vaut aujourd’hui et demain.
Mais qui l’Eglise pourrait-elle bien lier, puisque Jésus semble lui-même n’avoir attaché personne, pas même ses ennemis, qui eux, l’ont attaché ?
Notre texte liturgique tel qu’il est coupé ne permet pas de répondre. Mais nous aurons la réponse la semaine prochaine. Nous l’avons déjà cependant ; c’est elle-même qui se délie de Jésus, qui est l’Eglise et non son Eglise, lorsque ses pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celle des hommes : Passe derrière-moi, Satan !
Jésus s’en remet à son Eglise. Il va disparaître, parce qu’il comprend qu’il va être tué, que tout cela finira mal. Il faut que son Eglise soit construite sur le roc, qu’elle ne s’effondre pas à la moindre bourrasque, comme ceux qui écoutent la parole sans la mettre en pratique. Jésus s’en remet à la confiance qu’il a en ses disciples, Jésus se lie à eux jusqu’à l’extrême. Ce qu’ils feront aura sens dans le Royaume. Ce que fera l’Eglise a sens pour le Royaume. Qu’elle soit liée à son Seigneur et délie les enchaînés, qu’elle écoute la parole et la mette en pratique. Elle aura permis que l’on construise sa vie sur du solide.





-En cette fête de saint Barthélémy, nous te prions pour ton Eglise, Seigneur. Que les chrétiens des différentes confessions cherchent sans relâche la paix entre eux et entre tous les hommes. Nous sommes perdus, délie-nous de la haine !
-Nous te prions, Seigneur, pour notre monde qui continue de se déchirer. Chaque jour, c’est comme si l’on découvrait un degré supérieur dans l’horreur dont nous sommes capables… Nous sommes perdus, attache-nous à toi !
-Nous te prions pour les malades, ceux qui souffrent et n’en peuvent plus. Viens les sauver, détache-les de ce qui les entrave dans leur désir de vivre !
-Demain, la fête de saint Louis nous donne l’occasion de prier pour notre paroisse en cette année du 800ème anniversaire de sa naissance. Donne-nous, Seigneur, de reprendre nos activités ordinaires dans la fidélité à notre vocation. Viens nous sauver, nous lier à toi pour toujours !

20/11/2011

Charte du Royaume (Christ-roi)


Que ton règne vienne. C’est notre prière, si souvent répétée. Mais le règne en question n’est pas l’affaire d’un roi, mais celle de Dieu. Israël n’a jamais beaucoup aimé l’institution monarchique. Elle lui apparaît comme un crime de lèse-divinité (1 S 8,4 ss.), un abandon de Dieu.
Jésus fait tout pour que l’on ne fasse pas de lui un roi. Il s’enfuit (Jn 6,15) et lorsqu’enfin on le dit roi, c’est sur la croix qu’on l’intronise (Lc 23,37-38). Est-il d’ailleurs roi ou messie ? Les termes semblent assez interchangeables si le roi est celui qui a reçu l’onction, c’est-à-dire le messie. « En tant que crucifié, ce Jésus est le Christ, le roi. Pour lui, être crucifié, c’est être roi » (J. Ratzinger, La foi chrétienne hier et aujourd’hui, Paris 1969, p. 135)
Le Règne de Dieu n’est pas la royauté ou le royaume, ni un statut ni un état. C’est l’acte de Dieu, autrement dit Dieu lui-même. « Que ton règne vienne » ne signifie rien d’autre, avec le respect dû à celui dont on ne prononce pas le nom « Viens ». Et il est le toujours venant, celui qui n’arrête pas de venir à la rencontre des hommes, ainsi que le montre par exemple la parabole des ouvriers de la dernière heure ; à toute heure du jour, il sort et ne cesse de sortir pour aller à la rencontre de ceux dont personne ne voulait.
Ce règne, Dieu lui-même en tant qu’il agit, en tant qu’il vit, c’est ce que l’on appelle aussi la Trinité. Et si nous prions pour que le règne vienne, nous prions pour que la vie trinitaire, l’amour du Père et du Fils et de l’Esprit devienne la charte, la constitution des relations humaines. Ceci n’a évidemment aucun sens politique. Nous n’avons pas la naïveté de penser qu’une théocratie serait plus humaine que les autres systèmes politiques. Elle est sans doute plus dangereuse que beaucoup, si elle n’accepte aucune régulation ; qu’est-ce qui pourrait en effet réguler le pouvoir divin ? Toute régulation d’un tel pouvoir ne serait-elle pas ipso facto sacrilège.
Mais ce dont il s’agit est autre chose. Que les relations humaines soient régies par l’amour même dont Dieu vit, par l’amour même qui est la vie de Dieu, par l’amour même qui est Dieu.
Alors on comprend pourquoi l’évangile de Mt 25 exprime parfaitement ce qu’il en est de notre prière pour que son règne vienne. « Et ils s’étonnaient et lui demandaient : “Seigneur, quand t’avons-nous donc vu souffrant ?” … Et il leur répondit : “En vérité, je vous le dis, ce que vous avez fait ou ce que vous n’avez pas fait au moindre d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait ou ne l’avez pas fait”. »
L’amour du frère est vie divine, vie trinitaire, qu’on le sache ou non, ainsi que le dit la parabole, ou plutôt que l’on sache ou non qui l’on aime ou n’aime pas lorsque l’on aime ou n’aime pas l’un de ces petits qui sont les siens. Rien n’oblige à reconnaître dans le frère l’un de ces petits qui sont les siens. Cela ne rajoute ni n’ôte rien à l’amour du frère. Ce qui ajoute ou ôte, c’est que nous ayons aimé ou non.
Dieu est aimé, Dieu est honoré, le règne de Dieu est accueilli, explicitement ou non, dès lors que le frère est aimé, et prioritairement, dès que le pauvre et le souffrant est soulagé, secouru. Seuls des serviteurs de leurs frères peuvent être les hommes et les femmes de ce règne. Il n’y a de règne, d’amour, de Trinité que dans le service. Le Christ l’a ainsi vécu qui s’est débrouillé à régner en servant, qui s’est débrouillé à inventer un pouvoir sans puissance. Le roi est serviteur et des hommes et de son père à qui il remet sa royauté.

05/11/2011

Désir, quand tu ne nous tiens pas... Mt 25, 1-13 (32ème dimanche)

Que vous en semble. Ces jeunes filles avisées qui ne partagent pas leur huile, ce n’est guère charitable. Ce n’est pas très chrétien, si j’ose dire ! Et l’époux inflexible rend plus odieux encore ce refus de partager.
La contradiction avec l’attitude évangélique ne s’arrête pas là. Que les jeunes filles non prévoyantes arrivent en retard, n’empêche tout de même pas d’ouvrir la porte, surtout que l’époux leur répond, qu’il est là, juste de l’autre côté de la porte. Il pourrait se montrer quelque peu tolérant ; il pourrait pardonner si ce retard l’a offensé.
En quelques lignes, notre parabole, texte évangélique, prend le contre-pied d’attitudes évangéliques, le partage, l’amour du frère, le pardon. Comment cela est-il possible ? Si nous ne posons pas cette question, nous risquons de réduire la parabole à une platitude morale voire moralisatrice : la prévoyance serait la clé de la réussite.
Revenons donc à notre question. Pourquoi les jeunes filles ne partagent-elles pas leur huile ? Qu’est-ce que cette huile que l’on ne peut pas partager ? Quelle est cette huile que les marchands peuvent vendre mais qui ne se partage pas ?
L’huile dont il s’agit est celle qui permet de veiller. C’est la lampe dans la nuit. C’est ce qui permet d’attendre. C’est ce qui réchauffe peut-être aussi un peu, pensons à la petite fille aux allumettes. Voilà deux mille ans que Jésus est venu et le royaume de justice qu’il a annoncé n’est toujours pas là. Voilà deux mille ans d’attente, deux mille ans de veille ! Deux mille ans qu’il fait froid, que l’injustice et la non-fraternité nous glacent. Nous aussi, nous avons besoin d’huile.
Mais comment faire provision de cette huile ? Comment trouver ce qui permettra de veiller ? Non pas en veillant, au ralenti, à moitié éteint comme un écran de veille, non pas en attendant. Mais en s’activant, en faisant commerce avec les autres, en allant chez les marchants pour affaires. L’huile ne s’achète pas un lieu, une boutique. Les jeunes filles prévoyantes n’ont pas l’air boutiquières ! L’huile s’achète dans les affaires du monde par des filles qui n’ont pas les deux pieds dans le même sabot. C’est en explorant le monde, en découvrant les gens que nous aurons encore envie de les connaître mieux et plus nombreux.
Enfin où même cette huile ? Vers une salle de noce. Vers un lieu de fête, vers un lieu qui laisse présager la fécondité, la joie des corps, la jouissance. Entendons bien les mots, ce sont ceux de l’éros, de l’érotique.
Tout est dit pour que l’huile soit identifiée. C’est le désir. Il ne se partage pas ; on ne se le procure qu’à s’engager dans le commerce des activités, la rencontre des autres ; il est la clé de la fête et de la jouissance. Il est la clé de la salle des noces. Le désir ne s’accroît qu’à désirer toujours. Quant à l’époux, il n’est pas de ceux qui refuseraient qu’entrent dans la joie de la fête toutes celles qui viennent l’épouser. S’il n’ouvre pas la porte, n’est-ce pas parce ‑ contrairement à ce qu’elles disent ‑ elles n’ont aucune envie de se donner à lui, aucun désir de jouir de sa présence. Comment pourraient-elles d’un seul coup apprendre à désirer ?
Ainsi donc, notre parabole enseigne que la clé du Royaume, la clé de la vie avec Dieu, c’est le désir. Si vous êtes mesquins avec le désir, vous n’aurez jamais assez d’huile pour tenir dans la foi. Et il risque d’en falloir de l’huile ! Il y a deux mille ans que nous attendons le retour de Jésus, et rien n’indique que ce sera pour demain, même si rien de l’interdit non plus.
C’est cela notre foi, une histoire de désir. Non pas des trucs qu’il faudrait savoir, apprendre au caté ou ailleurs. La foi chrétienne n’est pas une gnose ou une idéologie. Non pas des trucs qu’il faudrait faire. La foi chrétienne n’est pas une morale, quand bien même elle puisse en être la source ou en provenir. Non pas un héritage familial ou culturel. La foi chrétienne n’est pas la religion d’un clan, une identité de milieu.
Qu’en est-il de notre attachement à Dieu ? Pourquoi sommes-nous croyants ? Comment nous présentons-nous, à nous-mêmes, ce qu’est notre foi ? Est-ce l’aventure amoureuse, la quête de l’aimé qui la dit au mieux ? Le psaume pourrait nous souffler quelques mots en attendant de relire une autre histoire de désir nuptial, le Cantique des cantiques : Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube, mon âme a soif de toi, après toi languit ma chair, terre aride, altérée sans eau. Je t’ai contemplé au sanctuaire, ton amour vaut mieux que la vie, tu seras la louange de mes lèvres.
La foi creuse en nous le désir de ce qui toujours nous manque. Car qui dit désir dit manque, soif. La vie avec Dieu n’est pas tant ce qui nous comble, ce qui bouche le trou de notre manque, de nos frustrations, ce qui nous consolerait de toutes nos frustrations. Elle nous met en attente, en veille ‑ non en sommeil ! Elle développe en nous la capacité à désirer, bien loin des vielles filles ‑ ou des vieux garçons frustrés ‑ auxquelles ressemblent finalement les jeunes filles non prévoyantes. La folie n’est pas dans le désir, mais dans son absence, dans le renoncement à le cultiver.
Les chrétiens ne sont pas ceux qui savent qui est Dieu, pas plus mus qu’émus, qui le com-prendraient, mais ceux qui le cherchent, dès l’aube… et la nuit.

31/10/2011

Le culte des saints (Toussaint)

Qu’est-ce que le culte des saints ? Quel sens cela a-t-il de s’adresser aux saints ? N’est-il pas curieux, alors que nous pouvons, unis à Jésus, nous tenir devant Dieu pour présenter notre prière, que nous préférions nous adresser aux saints, à commencer par Marie ? Ne sommes-nous pas en pleine superstition, bien loin en tout cas de l’orthodoxie catholique, lorsque l’on recourt à Saint Antoine de Padoue pour retrouver quelque chose, à Saint Jude ou Sainte Rita, patrons des causes désespérées, etc. ?
N’y t-il pas idéologie dans la béatification de certains et non pas d’autres, de Jean XXIII comme de Pie IX ? La béatification de Jean-Paul II, si rapide, ne participe-t-elle pas à l’autocélébration de l’Eglise, au moment même où cette Eglise est toujours plus marginalisée ? Le Pape de la visibilité ne devient-il pas le porte drapeau d’une affirmation de l’identité catholique, du moins de l’identité de la génération Jean-Paul II précisément ? Ne doit pas au contraire penser que l'identité, l'image, le devenir ne sont pas ce qui importe pour celle qui est la servante du Seigneur, c’est-à-dire de ces petits qui sont les siens ? Et je ne parle pas des questions financières qui font que certaines causes sont introduites et d’autres ne le sont pas, faute de moyens ? Qu’a-t-on besoin ou intérêt à béatifier un Pape de plus, alors que tant d’humbles croyants dont personne ne parle jamais ont accueilli en leur vie, souvent difficile, le même Esprit de sainteté ?
Que penser de ces miracles nécessaires, sauf en cas de martyre, à la béatification ou à la canonisation ? Qui pourra établir que c’est Jean-Paul II qui a guéri Sr Marie-Simon-Pierre ? Que la médecine ne sache expliquer ce qui s’est passé ne prouve pas que le surnaturel soit en jeu. Et si le surnaturel l’était, qu’est-ce qui permettrait de savoir que le défunt Pape est responsable de ce miracle ?
Reconnaissons que le culte des saints et le processus qui mène à la gloire des autels a de quoi susciter notre interrogation quand ce n’est pas notre scepticisme. Le dernier concile a essayé de mettre un peu d’ordre dans les fêtes des saints qui avaient fini, par leur nombre, à obscurcir et à relativiser le cœur de la foi, la célébration de la mort et de la résurrection de Jésus. On lit dans la constitution sur la liturgie (§ 104) :
« L’Église a introduit dans le cycle annuel les mémoires des martyrs et des autres saints qui, élevés à la perfection par la grâce multiforme de Dieu et ayant déjà obtenu possession du salut éternel, chantent à Dieu dans le ciel une louange parfaite et intercèdent pour nous. Dans les anniversaires des saints, l’Église proclame le mystère pascal en ces saints qui ont souffert avec le Christ et sont glorifiés avec lui, et elle propose aux fidèles leurs exemples qui les attirent tous au Père par le Christ, et par leurs mérites elle implore les bienfaits de Dieu. »
Le culte des saints, est-il dit, vise à proclamer le mystère pascal. Les saints ont effectivement, comme tous les baptisés, mais souvent de façon exemplaire, laissé transparaître en leur vie le passage du Seigneur, sa Pâque, en laquelle ils ont été entraînés. Autrement dit, si le culte des saints a un sens, c’est d’abord la puissance de la résurrection de Jésus. La concentration christologique du culte des saints ne peut que relativiser ce dernier et c’est bien ainsi que ce culte est possible, qu’il a sens dans la foi.
Il n’en va pas autrement pour Marie elle-même. Le dernier concile n’a pas souhaité lui consacrer un texte propre malgré les multiples requêtes en ce sens. Il a choisi de parler de Marie pour conclure la constitution dogmatique sur l’Eglise, affirmant ainsi que Marie est le modèle des croyants, à l’image de l’Eglise qui ne cesse de chanter le magnificat. Cela se comprend bien si l’on se souvient de ce qui est dit à propos du peuple de Dieu dont chacun des membres est appelé par Dieu à la sainteté. La vocation universelle à la sainteté est précisément la convocation de tous à partager la vie de Jésus, à être associé à sa Pâque.
La frénésie avec laquelle Jean-Paul a déclaré saints et bienheureux tant d’hommes et de femmes est l’indice de l’universalité de la vocation à la sainteté. Le nombre relativise l’extraordinaire de la sainteté. La sainteté est le quotidien des chrétiens, pour autant qu’ils se laissent habiter par l’Esprit. N’est donc pas en cause la perfection de la vie, mais la disponibilité de tant d’hommes et de femmes à se laisser convertir, à se laisser sauver, à se laisser transfigurer par le seul Saint.
Le culte des saints dit le cœur de la foi, la divinisation, l’illumination baptismale. La vocation de l’homme, c’est la vie divine ; et la gloire de Dieu, c’est l’homme vivant.
Si jamais vous voulez en outre trouver quelque chose d’original dans le culte des saints, alors revenons aux prétendus miracles nécessaires à l’élévation sur les autels. Dans un monde autonome où les lois de la nature ne sauraient être violées par le maître de toutes choses lui-même, est affirmée la communion de l’Eglise du ciel et de celle de la terre, la communion des saints, peuple immense de ceux qui cherchent Dieu, depuis Abel le juste jusqu’au dernier né des fils des hommes. Notre vie est déjà vie éternelle ; ce que nous appelons vie après la mort, et dont nous ne savons rien, ne peut pas être une projection revancharde et pleine de ressentiment dans un autre monde. C’est au contraire l’anticipation déjà présente de ce que la sainteté de Dieu réalise en ceux qu’elle a transfigurés.
Les saints sont des amis, des grands frères qui nous racontent comment ils ont tenté de laisser le Christ passer en leur vie. Ce faisant, ils nous aident à accueillir ce passage en nous du Saint qui sanctifie.

29/10/2011

Paroles d'hommes ou parole de Dieu ? (31ème dimanche)

« Quand vous avez reçu de notre bouche la parole de Dieu, vous l’avez accueillie pour ce qu’elle est réellement : non pas une parole d’hommes, mais la parole de Dieu qui est à l’œuvre en vous, les croyants. » (1 Th 2,13)
Cette opposition entre parole d’hommes et parole de Dieu pose de nombreuses questions. Radicalisée, elle n’est pas très catholique, c’est le moins que l’on puisse dire. Jamais en christianisme l’humain et le divin ne s’opposent, s’il est vrai que Dieu en son Fils s’est fait cela-même que nous sommes pour que nous soyons, selon son dessein, par l’Esprit, cela même qu’est le fils. A chaque offertoire, nous le redisons : « Comme cette eau se mêle au vin pour le sacrement de l’alliance, puissions-nous être unis à la divinité de celui qui a pris notre humanité. »
L’évangile de Jean en confessant que le Verbe s’est fait chair ne saurait permettre que l’on opposât parole de Dieu et parole d’homme, puisque cet homme Jésus est la parole de Dieu.
Reste que répondre ainsi n’honore ni le texte paulinien, ni les questions qui demeurent : Comment une parole de Dieu peut-elle résonner dans le monde des hommes ? A-t-elle un statut spécial qui permettrait qu’on ne les confondît pas ? D’autres religions prétendent aussi avoir recueilli la parole de Dieu ; y-a-t-il une différence entre par exemple le Coran et les Ecritures judéo-chrétiennes en ce qui concerne leur prétention à être parole de Dieu ? Parole de Dieu peut-il alors s’entendre au pluriel ? Et en effet, le psaume ne dit-il pas : Dieu a dit une chose, deux choses que j’ai entendues.
Les descriptions des sciences religieuses ou de l’anthropologie ne sauraient prendre en compte une quelconque révélation quand bien même elles doivent rapporter ce qui est prétendu être révélation. Mais elles ne voient que des textes, oraux ou écrits, les aléas de leur production, leur histoire, leur usage et les pratiques qu’ils suscitent. L’origine humaine de ces textes ne permet pas de répondre à nos questions théologiques. Elle empêche même parfois qu’on les pose tant la genèse des textes rend superflue la quête d’autres motifs.
Pour le théologien, pour le chrétien, la parole de Dieu n’est pas un texte. Certes le texte en constitue un élément, mais ce texte est toujours lu en Eglise, c’est-à-dire dans le temple spirituel que nous formons, dont la pierre angulaire est Jésus et les fondations les apôtres. Ces textes portent la parole de Dieu, ils ne la sont pas au sens où elle s’y réduirait.
Le dialogue liturgique de l’acclamation de l’évangile est révélateur à cet égard. Levant le livre, le ministre invite : Acclamons la parole de Dieu. Il s’adresse à l’assemblée sans laquelle il semble ne pouvoir acclamer, voir cette parole. Mais la parole n’est pas le texte lu, sans quoi l’assemblée répondrait, oui, acclamons ce texte, vénérons ce livre. La réponse est prière : louange à toi Seigneur Jésus. Si la lex orandi est lex credendi, alors la parole de Dieu n’est pas ces textes quand bien même le texte lui est indispensable.
Le dialogue liturgique ne relève pas du discours descriptif, comme deux et deux font quatre, le chat est sur le paillasson. Il se fait prière communautaire qui engage et met en relation un peuple avec son Dieu, un peuple de croyants.
Il faut tout cela pour que Dieu parle ; un texte qui n’est pas sa parole et sans lequel cependant sa parole ne saurait advenir, une communauté qui prie et écoute. Sans rejeter nullement la matérialité textuelle, sans donc rejeter l’origine humaine des textes, la parole de Dieu est de-chosifiée. Elle est ce qui advient quand ces textes humains sont lus dans le souffle qui anime l’assemblée des croyants unanimes dans la prière. Plus les textes sont regardés comme production humaine, plus ils font signe vers un ailleurs qui échappe à la pesanteur.
Mais ce n’est pas tout, car cette parole n’est pas un oracle hermétique, qui d’un certain point de vue serait la seule parole à attester de l’étrangèreté de la parole divine. Cette parole, vieille de mille et mille années est interprétée de sorte qu’elle fasse sens aujourd’hui. On n’imagine pas une parole de Dieu qui ne serait pas d’actualité, qui serait passée, dépassée. La parole de Dieu est toujours au présent, présente et présence. Elle est présent quand bien même c’est après coup que l’on y entend autre chose qu’une parole humaine.
Est-ce à dire que c’est la réception qui fait de cette parole une parole de Dieu, que ce serait notre écoute qui lui confèrerait d’être parole de Dieu ? L’humain confèrerait alors la divinité, ce qui ne se peut.
Ces textes sont parole de Dieu parce que nous y entendons la voix sans voix, le récit sans mot qui depuis les origines appelle le monde à la vie. Nous répondons à une parole inouïe si ce n’est dans la trace de son absence que désigne notre réponse. Si nous parlons, c’est qu’on nous a parlé. Si nous répondons, c’est qu’on nous a appelés. Ce que nous nommons Ecritures est la réponse humaine, trop humaine parfois, sublime souvent, à l’inaudible de la parole de Dieu. Ce sont comme dit Michel de Certeau des variations suscitées par le « Suis-moi » qui depuis la fondation nous monde nous appelle à la lumière de la vie.
La parole de Dieu est le silence, non du mutisme, mais de la saturation d’une parole qui n’est autre que Dieu lui-même qui s’offre et est recueilli dans la réponse orante de l’humanité croyante.

22/10/2011

Journée missionnaire mondiale

Qu’est-ce que la Mission aujourd’hui ? La Mission au loin est-elle annonce de l’évangile ou aide au développement ? De nombreux pays de Mission ont des Eglises autonomes. Les pays où l’évangile est presque complètement absent sont principalement ceux où l’Islam s’impose ; dans ce contexte, l’annonce de l’évangile est-elle possible ? Les pays anciennement évangélisés sont assurément terres de mission au point que des prêtres des pays du Sud viennent participer à l’organisation et à la vie des Eglises notamment européennes. La distinction entre pays de mission et pays évangélisés est-elle encore sensée ?
Le dialogue interreligieux, dont nous célébrerons jeudi prochain les 25 ans d’un de ces événements constitutifs ‑ la rencontre d’Assise en 1986 ‑ n’est-il pas incompatible avec la mission ? Si on dialogue avec les religions, si on les reconnaît dans leur valeur non seulement humaine, mais plus encore comme chemins vers le salut, peut-on encore souhaiter que leurs adeptes se convertissent au Christ ? N’y aurait-il pas contradiction entre dialogue interreligieux et évangélisation ?
Faut-il voir dans le difficile accouchement du décret conciliaire sur la Mission lointaine un indice de la crise que traversent depuis plus de cinquante ans la théologie de la mission et le travail missionnaire ?
Ainsi, quelques questions qui illustrent la crise de la Mission, le fait que nous ne sachions plus bien ce qu’elle est. Pourtant, concrètement, la mission se poursuit. Il y a des missionnaires qui quittent encore leur pays pour annoncer l’évangile ou soutenir de jeunes Eglises. Il y a des missionnaires issus des Eglises non occidentales, sud-américains, africains, de l’Inde, par exemple. La mission ne concerne pas que les prêtres ou religieux et religieuses, mais aussi des laïcs. Dans nos pays, nombreux sont ceux qui ont pris conscience de leur responsabilité missionnaire et l’exercent tout près de chez eux.
On perçoit alors que dialogue et annonce de l’évangile ne s’opposent pas, au contraire, puisque c’est dans le dialogue, dans le climat de fraternité et de confiance, que nous pouvons parler du Christ à nos voisins, collègues de travail, famille. S’agit-il de les convaincre ? S’agit-il de les convertir, les faire changer d’avis ? Les questions sont plus que mal posées dans la mesure où la conversion est bien plus qu’un changement d’opinion, mais un renouvellement de la vie, un accueil de la sainteté de Dieu.
Nous apprécions et respectons ceux avec lesquels nous parlons de notre foi et qui ne la partagent pas. Nous leur présentons notre ami et nous savons qu’il n’y a pas de raison qu’il ne devienne pas aussi leur ami. Nous croyons même que le Dieu qui s’est fait ami des hommes, philanthrope, les aime déjà. N’est-ce pas aussi ce que dit l’évangile de ce jour à travers l’unique commandement de l’amour ?
Mais en cette journée missionnaire mondiale, c’est de la mission au loin qu’il faut surtout parler. Je le ferai à partir de mon expérience malgache au risque de regarder les choses par le petit trou de la lorgnette. Enseigner ponctuellement dans un séminaire ne donne pas une vision globale, loin s’en faut. Je ne croise pour ainsi dire jamais les laïcs. La barrière de la langue m’empêche de vraiment rencontrer les gens. Je ne me trouve pas en un lieu de première annonce. Dans un séminaire, normalement, les chrétiens ne sont plus des néophytes. Qui dit séminaire suppose une Eglise déjà suffisamment constituée pour que de futurs prêtres puissent en être issus.
Je rencontre en effet des chrétiens, tout comme nous. C’est alors la richesse de l’interculturel, de la diversité, parfois extrême, qui souligne fondamentalement notre égalité, notre appartenance au même Seigneur, à la même humanité. Ce sont des personnes auxquels il n’est pas possible de ne pas s’attacher. Dans les débats théologiques, rien de substantiellement différent de ce que j’ai pu vivre comme formateur de séminaire en France, mais la distance change notre regard, nous décentre de préoccupations trop hexagonales ou européocentriques. C’est ce qui m’enthousiasme le plus, la liberté et la joie de l’approfondissement de la foi par ces jeunes hommes, leur souci de la pastorale, de l’évangile, et l’amour de leurs compatriotes. Tous savent l’urgence du développent d’autant que nombreux sont ceux qui sont issus de la précarité.
Je rencontre une théologie spontanée, marquée certes par la culture traditionnelle, pas encore vraiment transformée par l’évangile ‑ mais quelle culture l’est ? ‑ et aussi par le bouleversement de la mondialisation qui touche surtout les jeunes. La crise de la foi que nous connaissons en Occident touche aussi les jeunes des pays du Sud via cette mondialisation. Et ils sont beaucoup moins bien équipés que nous pour apprendre à être chrétiens dans un monde globalisé. L’Occident fait rêver autant qu’il est rejeté. Se posent pour les séminaristes, ce qui n’est guère le cas pour les générations qui précèdent, les questions de l’utilité de croire, de la nuit de la foi, du sens de la prière, etc.
Je rencontre aussi la théologie des missionnaires. L’Eglise malgache est née avec une théologie d’avant Vatican II et il était trop tôt, indépendamment de telle ou telle personne, pour recevoir le dernier concile. Ce n’était pas prioritaire. Bien sûr, on a profité de la liturgie en langue moderne, mais les séminaristes n’ont encore que peu changé de conception de l’Eglise, de vision de Dieu, souvent d’ailleurs assez proche de celle du paganisme commun.
Je vois aussi la force, le dynamisme, la promesse de la jeunesse. Ce ne sont pas les communautés chrétiennes qui sont jeunes, mais tout le pays. La moitié de la population aurait moins de 17 ans, ce qui est un défi qui a de quoi effrayer avant que l’on ne s’en réjouisse à voir une assemblée liturgique ! Au séminaire, le dynamisme a de quoi nous rendre jaloux. Peut-être peut-on se demander si la déstructuration politique (qui entraîne une corruption toujours plus grande) ne fragilise pas aussi le séminaire.
Il est clair que les problèmes de développement, qui sont des problèmes de gouvernement, de démocratie, maintiennent la grande majorité dans une assez grande précarité. L’évangélisation plus que chez nous encore passent par le partage et l’aide humanitaire. Mais qui seront les cadres de cette aide dans le pays ? Qui, dans les associations internationales, connaît suffisamment le pays pour que l’aide soit véritable ?
Je ne veux pas laisser une impression de catastrophe, parce que ce n’est pas ce que l’on voit, même si c’est ce que l’on ne peut que penser dès lors que l’on s’interroge sur les possibilités de s’en sortir. Mais il reste que ce n’est pas ce que l’on voit, parce que ce que l’on voit, c’est la vie. Un séminariste m’écrivait dernièrement depuis la ville où il fait un stage : « A Tuléar, il n'y a pas de problème. Cela ne signifie pas que tout va bien, mais, vous savez qu'au cœur veillant rien d'impossible. » Reste à se demander comment le cœur demeure vaillant avec la corruption et de trop nombreuses situations désespérées. Cela, ce séminariste le sait bien, mais il ne l’écrit pas. Pudiquement, il se contente de dire que pas de problème ne veut pas dire que tout va bien.

14/10/2011

Rendez à César ce qui est à César (29ème dimanche)

A Dieu ce qui est à Dieu, à César, ce qui est à César. Il importe de ne pas tout mélanger. Dieu n’est pas à mettre à toutes les sauces.
Une première distinction se fait entre Dieu et la nature. Il n’y a aucune démesure à explorer la nature ; on ne commet aucun sacrilège à enquêter scientifiquement. Certes, la science moderne a eu un peu de mal à exister face à la foi. Mais ce n’est pas tant la science qui posait problème, dans l’affaire Galilée par exemple, que les conséquences quant à la vision du monde. Depuis, le concile Vatican II a reconnu une saine autonomie des réalités terrestres. Dieu n’intervient pas en science, il n’intervient pas dans ce qui relève de l’observable, du réitérable, du mathématisable.
Si nous sommes d’accord sur le principe, pas sûr que nous le soyons toujours dans le détail. Car si l’action de Dieu dans le monde n’est pas repérable, observable, cela ne signifie-t-il pas que Dieu n’agit pas dans le monde ?
Une deuxième distinction se fait entre Dieu et la politique. Le proverbe de Jésus s’y réfère explicitement. On ne peut mélanger Dieu et César, les religions et l’Etat. Il a fallu du temps pour en venir là. La mort du roi en 1793 est peut-être un crime, mais pas un sacrilège. La loi de 1905 alors perçue comme discriminatoire par les catholiques n’est plus aujourd’hui remise en cause dans son principe. Le dernier concile reconnaît aussi la juste autonomie des sociétés dans leur fonctionnement.
Une troisième distinction doit être avancée, entre Dieu et la religion. On pourrait traduire ainsi le proverbe de Jésus : Rendez à Dieu ce qui est à Dieu et au Pape ce qui est au Pape. Je vois que l’on pourrait résister d’avantage. Et pourtant, c’est bien sous ce régime que nous vivons. La contestation de l’autorité religieuse n’est plus un sacrilège. Lequel d’entre vous n’a jamais contesté son curé ? (Certes, il est toujours plus facile de respecter l’autorité du Pape que celle de son curé, les questions paroissiales étant tellement hors de prise du Pape que l’on ne craint pas trop qu’il s’y immisce. On est déjà un peu moins prompt à défendre l’autorité des évêques lorsqu’ils sont trop à gauche, comme dans les années 80, ou trop à droite comme aujourd’hui.)
En outre, peut-on parler d’autorité religieuse ? Celui d’entre vous qui veut être votre le premier devra être le serviteur et l’esclave de tous. C’est Jésus lui-même qui sort la foi de la religion, contestant l’institution du temple, les sacrifices et le sacerdoce.
Parce que le culte véritable, c’est le service du frère, parce que la louange véritable rendue à Dieu, c’est l’amour du frère, le religieux est lui-même renversé par l’évangile. Ou du moins, il en est distingué et laissé à d’autres. Les premiers chrétiens le savaient bien qui n’ont pas cherché à s’organiser sur un modèle religieux. Pourquoi, par exemple, retenir, encore au IVe siècle le plan basilical, c’est-à-dire profane, pour les églises, et non le plan des temples religieux ? Le christianisme ne se comprend pas comme une religion, ou du moins, ne peut s’exprimer dans les cadres religieux classiques, comme la séparation entre les prêtres et les autres, entre le pur et l’impur, la sainteté et le reste. Dans la basilique, tous peuvent entrer et s’installer et il n’y a pas de séparation entre les espaces donc entre les personnes. La basilique exprime l’égalité du nouveau peuple de Dieu, à la différence des religions.
Ces trois distinctions, naturelle, politique et religieuse, sont les plus évidentes au cours des siècles. On devrait aussi évoquer la morale car l’on ne saurait faire de Dieu l’adjuvant de l’éducation, par exemple. Rendez à Dieu ce qui est à Dieu et aux parents ce qui est aux parents. Que les parents ne se prennent pas pour Dieu ou, ce qui revient au même, ne se servent pas de l’autorité de Dieu pour pallier leur carence d’autorité. Qui a lu Sartres ou vu les films d’Almodovar connaît les dégâts de la confusion.
Et cependant, le proverbe de Jésus ne convient pas. Car si l’on ne peut pas mélanger Dieu et César, on ne peut non plus les séparer, les opposer. J’aurais plutôt dû parler de refus de mélanger que de distinction entre Dieu et la nature, Dieu et l’Etat, la religion et la morale.
On entend sans cesse dire, et même parmi les chrétiens, que la religion est affaire privée et qu’elle ne concerne donc pas la vie sociale, publique. Mais enfin, si la vie chrétienne ne permet pas de changer le monde, si la vie chrétienne n’est pas affaire ecclésiale mais seulement personnelle ou privée, elle n’a pas de sens. Elle est au mieux une coquetterie, au pire une névrose ou un substitut identitaire d’autant plus dangereux qu’il est irrationnel.
L’évangile a quelque chose à dire et du sens de nos recherches scientifiques, de notre curiosité quant à la nature, et de la vie en société notamment à travers ses institutions politiques, et de la religion, et de l’éducation. Jamais l’évangile n’est hors jeu et ne peut être cantonné dans une sacristie. Ainsi donc, on ne saurait rendre à Dieu ce qui est à Dieu et à César ce qui est à César. Ce serait bâillonner l’évangile, empêcher la bonne nouvelle de féconder nos vies. Et c’est précisément ce que les laïcistes concèdent, que la religion soit affaire privée : elle ne pourrait exister qu’à ne pas se montrer.
Alors que penser ? Contradiction ? Non bien sûr. Sans mélange ne signifie pas avec distinction au sens de séparation étanche. Sans distinction ne signifie pas inversement confusément. Il faut dire ensemble sans division ni séparation, sans mélange ni confusion. Les quatre termes sont ceux que le concile de Chalcédoine en 451 utilisait pour parler des deux natures de Jésus. Il est homme et Dieu sans division ni séparation, sans mélange ni confusion.
Quoi d’étonnant à ce que notre manière de vivre l’évangile dans le monde soit modelée sur l’identité même de Jésus, lui, la Bonne Nouvelle pour notre temps ?

Is 1 45,1-6 ; Th 1,1-5 ; Mt 22, 15-21

Seigneur, donne à ton Eglise le courage de la mission. Qu'elle soit prête à se renouveler au contact de ceux qui, par son annonce, découvrent l'évangile.
Seigneur, donne aux peuples de la terre le courage de la différence. Qu'ils soient prêts à respecter en leur sein les différentes religions. Que personne ne prenne prétexte de ces différences pour exclure ou mépriser qui que ce soit.
Seigneur, donne à nos sociétés déchristianisées le courage de s'interroger, de rester curieuses de tout ce qui fait l'homme, y compris sa quête religieuse et spirituelle. Que la séparation des Eglises et de l'Etat, que la laïcité, ne soient pas le prétexte à l'ignorance de l'évangile.
Seigneur, donne aux membres de notre communauté le courage de la mission. Que nous soyons prêts à annoncer le bonne nouvelle, non par une campagne de pub, mais comme le secret partagé d'un amour.

01/10/2011

La mort du fils (Mt 21, 33-43). 27ème dimanche

L’attitude du maître de la vigne est incroyable. Il ne comprend vraiment rien. Tous ses émissaires se font massacrer, et lui, continue à les envoyer au casse pipe. Que se passera-t-il une fois que le fils lui aussi sera exécuté ? Ira-t-il lui-même au devant de la violence ? Qu’est-ce qui arrêtera la violence ? Qu’est-ce qui mettra un terme à la longue liste des victimes ? Faudra-t-il que tous y passent ?
Rien dans l’attitude du maître de la vigne ne laisse imaginer qu’il pourrait changer d’avis. Il pourrait abandonner son bien. Non, il veut le récupérer coûte que coûte, tous les siens devraient-ils être supprimés. Et c’est ce qui arrive. La parabole est interrompue lorsqu’il n’y a plus personne à envoyer. Jésus se tourne alors vers ses interlocuteurs et leur demande leur avis.
Plusieurs solutions seraient possibles. Par exemple, celles déjà évoquées, que le maître lui-même se déplace, ou bien qu’il abandonne son bien. Une autre solution est avancée dont on doit bien saisir sa force de rupture par rapport à l’histoire. Ces misérables, il les fera périr misérablement.
D’un certain point de vue, c’est la seule solution, la solution qui s’impose. Qu’on mette fin à la violence qui tue. Mais c’est trop court ; cela ne fait que rajouter des victimes. Outre les émissaires, voilà aussi que les ouvriers sont liquidés. C’est la solution qui vient spontanément à l’esprit, au point qu’à l’entendre, elle semble cohérente, elle semble s’imposer. En tuant les agresseurs, on supprime l’agression. C’est en fait la solution la plus incongrue, compte-tenu de la parabole. La prétendue solution contre l’hécatombe ne fait que la prolonger ; elle ne peut empêcher que la liste des victimes s’allonge.
Fatalité du mal. Cela ne s’arrêtera donc jamais ? L’histoire se déplace d’une affaire de péché, de faute des ouvriers, ceux qui donnent son nom au texte ‑ parabole des vignerons homicides ‑ à l’histoire du mal. Délivre-nous du mal, disons-nous dans le Pater. C’est de cela qu’il s’agit. Le maître de la vigne n’est pas un entêté aveuglé qui n’a rien à faire de la vie de ses émissaires ou de son fils. Il n’est pas non plus tellement attaché à son bien qu’il pourrait sacrifier tout le monde. Il est contraint, pris dans les rets du mal. Celui qui pourrait paraître libre, comme maître, est en fait prisonnier, voire esclave. Le maître de la vigne ne peut échapper au mal, et la solution que proposent les interlocuteurs de Jésus le confirme, C’est encore le mal qui s’impose. On n’en sortira jamais.
La solution proposée est la seule possible, non parce que la punition et la vengeance seraient la norme, mais parce qu’elle constate l’impuissance radicale quant au mal. Le mal étend son règne. A peine a-t-on ici soulagé ou guéri qu’ailleurs s’ouvre un nouveau front. Appelez cela le péché originel si vous voulez. Cela ne chance pas grand-chose si ce qu’il s’agit de nommer, c’est l’implacable empire du mal.
De là à dire que Dieu est mis en échec par le mal, il n’y a qu’un pas. Dieu lui-même n’échappe pas à la confrontation, à la lutte à mort contre le mal. Lorsqu’Augustin définit le mal comme un manque d’être, il dit la lutte à mort de Dieu avec ce qui n’est pas un concurrent, un dieu rival, force du mal, mais ce qui, bien que néant, ravage tout, néant qui néantise, néant qui détruit.
Dans ces conditions, l’envoi du Fils n’est sensé que parce que le mal pourrait-être vaincu, c’est-à-dire, déjà, stoppé, interrompu comme tornade contagieuse. Le mal est vaincu s’il n’y a plus de victime. Et les interlocuteurs de Jésus ne peuvent pas l’imaginer. Le pouvons-nous ? Pouvons-nous penser un monde où il n’y aurait plus de victime. Le conditionnel s’impose. On ne sait interroger : pouvons-nous penser un monde où il n’y a pas de victime ? Les interlocuteurs de Jésus ne sont pas d’abord des gens fermés au pardon au point de s’en exclure eux-mêmes. Ils pourraient n’être que comme nous, incapables de penser la victoire sur le mal. La parabole raconterait alors l’histoire de nos stratégies pour refuser l’accueil du pardon. Et elles sont nombreuses.
Mais il y a plus, plus que nos imaginations, plus que nous n’osons demander. Qui donc est le fils pour que sa mort, non seulement assurée, mais effective au point d’être racontée non seulement par une parabole mais par l’histoire du Dieu homme, soit le dernier acte du mal ? Qui donc est Dieu pour que le mal soit définitivement vaincu ? Un Dieu ou qui que ce soit peut-il vaincre le mal ? Et à quelle condition ?
Pour que la fin du mal ne soit pas déchaînement de mal, encore, pour que la fin du mal ne soit pas encore un mal, l’amour, la source de l’amour peut-il se soumettre au mal au point de le faire disparaître ? Comme si, le mal se saisissant de l’amour même, de la source toujours nouvelle de l’amour, celui-ci s’en trouvait comme rempli de celui qui s’y soumet, disparaissant comme néant qui néantise, ne laissant plus que Dieu être tout en tous. Propos que l’on ne sait raconter que de façon mythique ou parabolique.
Ainsi donc une parabole, dans sa fragilité de fiction, limitée au règne du comme si. A défaut d’accomplir la promesse du psaume, elle la maintient ouverte, vivante. Et il y aurait déjà pour les disciples grande urgence à raconter l’histoire pour qu’encore la promesse puisse être entendue. L’utilisation de la pierre rejetée n’est pas vengeance ; il s’agirait d’un mal de plus. La pierre rejetée manquait depuis l’origine à l’édifice et annonçait sa ruine. Si Dieu lui-même vient offrir définitivement la vie qu’il est, la Jérusalem nouvelle est éternelle. On se demande juste pourquoi il a fallu tout ce temps au maître de la vigne pour comprendre que seul l’envoi du fils pouvait arrêter le déchaînement de violence, fût-ce au prix du sang. Espérance improbable proclamée par un fils, un vrai cette fois.
Is 5, 1-7 ; Ph 4, 6-9 ; Mt 21-33-43

24/09/2011

Seuls des pécheurs peuvent témoigner de l'évangile (Mt 21, 28-32). 26ème dimanche


Ce genre de paraboles est délicat à manier. On peut fonder dessus un antijudaïsme chrétien en mettant dans l’habit de celui qui dit et ne fait pas le peuple d’Israël. Jésus lui-même, même si tout Israël ne peut être réduit aux scribes et aux pharisiens de l’époque, parle de ces derniers comme de « ceux qui disent et ne font pas » (Mt 22,3).
N’est-il pas en effet facile de penser que le peuple de la première alliance a dit sa fidélité à son Dieu, mais n’a pas observé les commandements au point de faire rater l’alliance ? La théologie de la substitution qui a eu cours dans l’Eglise, selon laquelle le nouveau peuple de Dieu remplace l’ancien, l’Eglise la synagogue, s’appuie sur pareille conception. Or le nouveau peuple de Dieu, ce n’est pas l’Eglise, même si l’Eglise en est le sacrement. Le nouveau peuple de Dieu, c’est le peuple immense de ceux qui cherchent Dieu, et rien ne dit qu’Israël en est exclu. Les promesses de Dieu sont sans repentance, comme le dit Paul, précisément à ce propos (Rm 11,29.)
Mais alors, si ce n’est pas le peuple d’Israël qui dit et ne fait pas, qui est-ce ? Ne serait-ce pas l’Eglise elle-même ? Les crimes qu’elle a commis au cours des siècles manifestent assez qu’elle dit et ne fait pas, qu’elle dit et fait le contraire. Notre Eglise se dit préoccupée par l’unité et tend la main aux intégristes comme à aucune autre communauté schismatique ou hérétique. Si l’on déroulait le même tapis rouge pour les anglicans, les luthériens ou les orthodoxes de Constantinople, l’unité ne serait-elle pas déjà retrouvée ? Si l’on déroulait le même tapis pour ceux qui partent sur la pointe des pieds, sans faire de bruit, divorcés remariés, prêtres qui n’en peuvent plus du célibat, etc. nos communautés ne seraient-elles pas moins amputées ?
L’évangile que nous annonçons nous dénonce tous. Nous sommes tous des disciples infidèles. Et nous n’allons tout de même pas réduire cet évangile à la taille de nos capacités ! Nous sommes condamnés à dire et ne pas faire.
Augustin avertissait déjà, précisément dans le contexte d’un débat avec des chrétiens schismatiques : « Beaucoup de ceux qui paraissent dehors sont dedans, et beaucoup de ceux qui paraissent dedans sont dehors » (De baptismo V, xxvii, 38)
Puisque les contextes historiques, dont on voit bien qu’ils pourraient illustrer la parabole, ne parviennent pas à en rendre un sens satisfaisant, revenons au texte.
Il n’est pas aussi symétrique qu’il paraît, avec d’un côté celui qui dit et ne fait pas, de l’autre, celui qui fait et ne dit pas. On a un peu de mal en effet à voir en quoi les prostituées et les publicains feraient même s’ils disent d’abord qu’ils ne feront pas. De la parabole à la conclusion qu’en tire Jésus, il y a une sorte de distorsion. Il n’y a pas, contrairement à ce que suggère une lecture trop rapide de la parabole, deux types étanches de comportements symétriques.
Qui, chez les pécheurs comme chez ceux qui apparaissent comme obéissants à la voix du Père, qui fait ? Personne, ni les prostituées, ni les interlocuteurs de Jésus, ceux à qui il dit « vous », ceux que le texte ne nomme pas, et pour cause, mais que l’on aurait envie d’appeler les justes. Or il n’y a pas de justes. Que celui d’entre nous qui n’a jamais péché se lève. Que celui d’entre nous qui est fidèle à l’évangile se lève. Voilà pourquoi ce mot de juste n’est pas employé, voilà pourquoi la parabole n’est pas symétrique.
Il n’y a pas d’un côté ceux qui disent et ne font pas et de l’autre ceux qui font quoiqu’ils disent. Il y a ceux qui font croire qu’ils font et ne font pas, et de l’autre ceux qui font croire qu’ils ne font pas et font cependant, du moins parfois, car évidemment tous les pécheurs et prostituées ne sont pas toujours à écouter la voix du Père. Autrement dit, il n’y a que des gens qui ne font pas.
La parabole, comme d’habitude, par son exagération ou sa distorsion, oblige à dépasser nos petites logiques, les fait exploser, trop étroites qu’elles sont. Ceux qui sont du côté des prostituées et des publicains, ne font pas forcément mieux que les autres (indépendamment du jugement contemporain qu’il faut porter sur la prostitution). Mais eux, savent bien qu’ils ne peuvent pas la ramener, eux savent bien qu’ils ne risquent pas de se dire justes. Le feraient-ils que l’on ne se laisserait pas prendre. On risque en revanche de se méprendre en voyant celui qui paraît obéir à la voix du Père. Lui, on risque de le prendre pour juste. Lui, c’est-à-dire, un de ceux à qui Jésus s’adresse en disant « vous », sans doute nous, donc.
Notre Eglise, comme le peuple de la première alliance, ne peuvent être témoin de la sainteté de Dieu, qu’à dire leur inadéquation, leur inaptitude à en parler, à en témoigner. Et voilà pourquoi les Ecritures racontent non pas l’histoire d’un héros, le peuple Juif, mais l’histoire d’un peuple pécheur, à la nuque raide, qui dans son péché, ne trompe personne et peut ainsi témoigner en vérité. Notre Eglise ne peut être crédible en donneuse de leçon. Paul vi le disait, le monde contemporain a plus besoin de témoin que de maître, non qu’il se fiait ou se réfugiait dans les sentiments contre la raison, la tyrannie des sentiments séducteurs contre la froideur de l’austère raison. Mais le témoin porte le trésor dans des poteries sans valeur, pour être sûr que l’on ne s’intéresse pas à la poterie (Cf 2 Co 4,7). Assez des héros, ceux qu’on appelle aujourd’hui des témoins.
N’en concluons pas que notre parabole invite à l’humilité ou à la cohérence de l’existence, faire ce qu’on dit. Elle invite à la vérité. A quelle condition parler de la sainteté ? Pécheurs que nous sommes, n’en sommes-nous pas forcément de faux-témoins ? Mais si nous ne parlons pas, qui le fera ? Qui dira la sainteté de Dieu ? Nous ne sommes pas à la hauteur, nous ne faisons pas ce que nous disons, et c’est justement ceux-là que Dieu a choisis ; la preuve, les publicains et les prostituées nous précèdent dans le Royaume.
Textes : Ez 18, 25-28 ; Ph, 2, 1-11 ; Mt 21, 28-32

17/09/2011

N'ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mon fric ? - Mt 20,1-16 (25ème dimanche)

N’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mon fric ? Réplique hautaine, méprisante, arrogante, égoïste. Qu’un enfant réponde ainsi, et il est à peu près certain qu’il sera puni. Non, nous n’avons pas le droit de faire ce que nous voulons de notre fric. L’argent, gagné ou reçu, est un élément d’un échange. Si nous étions seuls, nous n’aurions pas d’argent, ou du moins, il n’aurait aucune valeur. L’argent n’a de sens que parce qu’il y a des autres. (On pourrait rappeler que le vocabulaire de l’argent et celui de la foi est en partie commun : crédit, fiduciaire, dépôt, don, obligation, dette.)
Nous ne pouvons pas nous comprendre comme des individus autonomes. Nous sommes embarqués dans une même barque, celle de l’humanité. Nous sommes responsables les uns des autres. Qui d’ailleurs oserait dire publiquement : N’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mon fric ? Le bling-bling n’a pas tardé à se retourner contre ceux qui, se la jouant décomplexés, ont méprisé leurs semblables.
Or, dans la parabole que nous venons d’entendre, cette phrase est mise sur la bouche du maître de la vigne, de Dieu. C’est Dieu qui dit : n’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mon argent ? On se demande même pourquoi personne ne sursaute à entendre cela. Soit nous n’écoutons pas l’évangile que nous proclamons, soit nous ne sommes finalement pas choqué par le scandale du riche qui claque son fric, soit, sous prétexte qu’il s’agirait de Dieu, évidemment, il ne pourrait rien faire de mal quoi que dise le texte.
Nous édulcorons l’évangile pour entendre seulement ce qui nous plaît, une petite morale que nous ne mettons d’ailleurs pas en œuvre, comme celle d’une justice salariale ; l’évangile est relégué au rang d’histoire enfantine, insipide et cependant vénérée, bref discréditée comme histoire sérieuse.
La question est alors : comment l’évangile peut-il mettre de tels propos, abjects, sur les lèvres de Dieu ? A quelles conditions Dieu peut-il dire : N’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mon fric ?
Je ne vois qu’une solution, qu’il ait tout partagé avec les autres, qu’il ne lui reste plus rien. Non pas comme un flambeur qui a dilapidé tout son bien quitte à ne plus rien posséder. Dieu au contraire ne possède plus rien parce qu’il a tout donné à ceux dont il est responsable, ceux dont la vie et la mort l’habitent plus que lui-même.
Donner ici ne signifie d’ailleurs plus donner quelque chose, mais se donner soi-même. Quand Dieu donne, il ne donne pas un truc, ses grâces. Il se donne lui-même, il est la grâce qu’il donne, il est l’amour qu’il donne. Si Dieu se donne comme l’amour, il peut se donner tout entier à tous, amour sans partage d’un amour partagé avec tous.
Dans certaines langues, on peut distinguer, à la différence du français, l’article indéfini un, et l’adjectif numéral cardinal un. Il y a un et uno en espagnol. En grec des évangiles, l’absence d’article vaut comme article indéfini et se différencie clairement de l’adjectif numérique. Ainsi compro uno libro laisse entendre que j’aurais pu en prendre d’autres, que je n’en ai pris qu’un alors que compro un libro insiste sur l’achat et laisse indéfini le livre.
En français, il y a homonymie parfaite de sorte que l’on ne peut trancher le sens du contrat de un denier par jour. Curieusement le grec de quantifie pas. Comme si l’on se mettait d’accord sur le fait qu’un salaire serait versé et non sur la valeur de ce salaire. Et pourtant, le lecteur comme l’ouvrier de la première heure ont compris qu’il s’agissait d’un denier par jour, un et non pas deux.
Or, ce que toutes les traductions de façon incompréhensible sauf une, celle de Sr Jeanne d’Arc, ne rapportent pas, c’est une hésitation sur la tradition manuscrite. On lit de façon très attestée mais non unanime, Les premiers, venant à leur tour, pensèrent recevoir davantage ; mais ils reçurent aussi chacun le denier.
Il y a de quoi sursauter. De quel denier parle-t-on ? de celui qui a été promis ? de celui qui seul peut être donné et que les autres ont déjà reçu ? Autrement dit, l’amour de Dieu (comme tout amour) est-il quantifiable ? Quand les parents aiment leurs enfants, c’est le même amour qui est donné à chacun, même si c’est différemment, et non pas un amour pour chacun, ce qui n’a pas de sens. Il en va évidemment de même pour Dieu si Dieu est Dieu. Quand il aime, il aime tout homme du même amour, son amour, le (seul) amour qu’il puisse offrir, lui-même.
Et nous qui attendons de Dieu qu’il nous donne des trucs, plus ou moins, ou encore, qu’il ajoute encore telle ou telle grâce. Mais si Dieu a tout donné, si Dieu aime, si Dieu s’est donné, désirer encore autre chose, une grâce ou je ne sais quoi de quantifié, d’autre que Dieu, n’est-ce pas, comme un enfant gâté, réclamer des sucreries, des divertissements comme dirait Pascal, et passer à côté de ce qui a été donné ? N’est-ce pas mépriser Dieu ?
Et c’est cela précisément que raconte la parabole. Elle met en scène la méprise de Dieu par l’homme qui réclame à Dieu autre chose encore que ce qu’il a reçu, Dieu lui-même, le tout de son amour ; méprise de Dieu par l’homme dans une manière de se mettre d’accord avec Dieu, petits arrangements avec la religion, qui ne laisse pas Dieu s’offrir. L’homme est prêt à recevoir un peu, mais pas tout. L’homme est prêt à recevoir ce qui serait par-dessus, selon l’étymologie de la superstition, pour mieux se garder de recevoir le tout, Dieu, car alors, il serait obligé de s’y rendre. Passer du dieu de la récompense imaginé par un homme satisfait de lui-même et craintif au Dieu de la gratuité, de l'amour, qui se donne et ne cesse de sortir à la rencontre des hommes, à toute heure du jour pour se donner encore.
Et je ne doute pas que cette stratégie du refus de Dieu, au cœur même de la foi, au cœur même de la compétence des traducteurs, au cœur même de la compréhension des lecteurs ou des auditeurs qui n’ont pas sursauté à entre Dieu dire : n’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mon fric ? soit l’expression de cette méprise de Dieu, ce repliement mesquin sur la superstition pour se préserver de la vraie mesure de l’humanité, la divinité que Dieu lui donne. N’est-ce pas ce que déjà disait le prophète Isaïe : Mes pensées ne sont pas vos pensées, dit le Seigneur, et mes chemins ne sont pas vos chemins.
Le premier qui est dernier, c’est Jésus, lui, le premier aimé qui se fait dernier pour que les hommes, notamment les derniers des hommes, humiliés, pauvres, méprisés voire, même si ce n’est évidemment pas synonyme, pécheurs, puissent être considérés comme tous, donc comme le premier, puissent recevoir l’amour de Dieu, Dieu lui-même.
Is 55,6-9 : Ph 1,20. 24-27 ; Mt 20,1-16

02/09/2011

Chrétiens sans Eglise ? (23ème dimanche du temps)

Pourquoi doit-on passer par l’Eglise pour être disciple du Christ ? Pourquoi ne peut-on pas vivre sa foi sans le rassemblement du dimanche, sans l’institution ? Faut-il vraiment prendre place dans des communautés vieillissantes ? Faut-il vraiment se forcer à rejoindre d’autres communautés, parfois jeunes, mais dont le style et la pensée ne nous conviennent pas ?
Ne peut-on pas vivre sa foi tout seul, dans son coin ? L’état ou le style des communautés paroissiales ou autres, les discours dominant ou dissonants nous déplaisent selon notre propre positionnement au point de nous détourner parfois de la foi, de nous rendre l’évangile indigeste. Ne serait-il pas préférable de cultiver pour soi une relation à Dieu, dans la rectitude de la vie et la prière ?
Ainsi, beaucoup de chrétiens ne fréquentent plus guère les communautés et préfèrent entrer dans une église pour se recueillir. La foi est affaire intime, disent-ils de surcroît, sans compter que le bruit des enfants ou les salamalecs ecclésiastiques peuvent être une vraie nuisance. Force est de constater cependant, que cette privatisation de la vie chrétienne, conduit souvent à un abandon de la responsabilité missionnaire, c’est-à-dire à un dessèchement de la foi, à son abandon. Beaucoup sont sortis de l’Eglise sur la pointe des pieds, sans bruits, laissant aussi de fait le Christ de côté. Ils n’ont pas oublié son enseignement sur l’amour du prochain, car point besoin de la prière et de la lecture de l’évangile pour vivre le respect et l’amour du frère. Mais le Christ n’est plus un compagnon de route, au mieux, une référence, un modèle, un idéal, parmi d’autres.
Ces départs discrets semblent affoler bien moins la hiérarchie de l’Eglise, si sensible à l’unité, qui au contraire, modère son discours et durcit ses pratiques pour ne pas se mettre à dos des minorités plus bruyantes. L’unité de l’Eglise n’en est pas moins passablement écornée. Quoi qu’il en soit, que répondre à ces remises en compte de la nécessité de l’Eglise pour vivre sa foi ? Pouvons-nous dire en quoi l’Eglise est indispensable à la suite du Christ par les disciples ?
L’évangile de ce jour me fait retenir un point. Il n’y a pas d’accès immédiat à Dieu. La rencontre avec Dieu se fait toujours de dos, comme disent les Ecritures, parce que l’on ne peut pas voir Dieu sans mourir. Ce vocabulaire imagé laisse entendre qu’il y a quelque chose de mortel dans un rapport qui serait direct avec Dieu. Si l’homme croit pouvoir se tenir devant Dieu alors qu’il n’a accès à lui-même que par le long détour de son propre corps et des autres, il est dans l’illusion.
L’illusion en matière religieuse est toujours violente. L’idolâtrie ou le fanatisme, bref la psychose, en sont les formes les plus communes. Voilà pourquoi il importe pour se tenir devant Dieu que quelques uns soient réunis en son nom. C’est parce qu’il y a de l’autre que le Dieu autre, le Dieu qui n’est pas ouvrage de mains humaines ou conception d’élucubrations intellectuelles peut se laisser deviner.
N’allons pas penser que le rassemblement est un mode parmi d’autres de la présence de Dieu. Sans le rassemblement, sans la médiation d’autrui, du frère, il n’y a pas de chemin vers Dieu. Le chemin vers Dieu est le frère.
Cela est évidemment d’importance pour dire le cœur de la foi chrétienne qui ne saurait distinguer l’amour de Dieu et l’amour du prochain. Cela est d’importance aussi pour notre santé psychologique, mentale. Cela l’est enfin pour la santé de notre foi.
C’est effectivement trompeur de se retrouver seul à seul, dans le cœur à cœur, avec le Dieu tel qu’on l’imagine. C’est au contraire une aventure hautement spirituelle, qui décentre, que de se laisser surprendre par le Dieu livré dans la rencontre des frères, un Dieu que je dois résister à faire à mon image, à mon goût, que je peux laisser exister comme il vient, à moins que je ne fasse de mon groupe de prière, de mon Eglise, une secte.
Il n’y a pas de parade absolue contre l’idolâtrie et le fanatisme. Effectivement la sectarisation de l’Eglise nous guette. Reste que la médiation ecclésiale interdit au moins un certaine forme d’idéal. De fait, l’Eglise ne peut guère paraître idéale alors même que nous la confessons sainte, à moins, une fois encore, de devenir une secte, qui a toujours raison et sait tout. La médiation ecclésiale, c’est la rencontre charnelle avec un peuple pécheur mais aussi avec le peuple immense de ceux qui cherchent Dieu, de ceux qui dans l’ignorance de ce que fait la main gauche, viennent au secours de leurs frères.
« En faisant constamment buter le croyant sur le corps, l’institution ou la tradition, en rappelant à chacun que nul ne peut se déclarer chrétien si les autres ne le lui disent – et d’abord à travers le baptême – qu’une foi qui se voudrait toute intérieure sous prétexte de spiritualité et de pureté est une illusion, que cette foi ne peut se développer sans pratique, […] les sacrements » comme les frères, « posent un interdit d’idolâtrie, c’est-à-dire l’interdit de réduire Dieu ou le Christ aux conditions de l’expérience subjective que l’on dit avoir faite d’eux. En nous ramenant constamment vers la médiation du corps, de l’institution et de la tradition, ils viennent briser nos rêves de pleine et immédiate présence de Dieu ». (L.-M. Chauvet, Le corps chemin de Dieu, p. 77)
En outre, ce n’est pas nous qui prions, mais toujours cette Eglise sainte et toujours à renouveler à réformer. C’est à la foi de l’Eglise que nous avons part de sorte que si l’Eglise n’est pas là, vaine est notre rencontre de Dieu, illusoire est notre rencontre de Dieu. Seulement quand deux ou trois sont réunis en son nom, il est là, au milieu d’eux.

07/08/2011

Noche de la fe (Decimonoveno domingo)

Una primera lectura del evangelio podría hacer pensar que la fe seria la actitud según la cual deberíamos creer lo más increíble. Una palabra más, y podríamos decir que la fe consiste en creer lo mas insensato, lo más absurdo. Se dice la frase atribuida a Tertuliano : credo quia absurdum, creo porque es absurdo.
Andar sobre el agua, no es un problema si crees, y si no puedes ir hasta tu destino, es la prueba que te falta le fe. ¡ Que poca fe ! ¿ Por qué has dudado ? Por lo tanto, hay gente que no entiende porque la Iglesia conoce tan dificultades. ¡ Tenemos que esperar, que rezar, y lo que pedimos nos será dado ! Si no, es la prueba que nos falta la fe, y esto explica la crisis de la Iglesia.
Pero, hoy, en una cultura técnica, los creyentes también saben que el mundo es autónomo, funciona según las leyes de la naturaleza, que Dios no puede intervenir para cambiar el desarrollo de las cosas. Somos salidos de un mundo mágico, a diferencia de las culturas primeras.
Los jóvenes, más que muchos, no pueden creer contra lo que aprenden por la ciencia, o bien, al contrario, pueden aceptar cualquier cosa, desconfiando de la racionalidad. Y prefiero la racionalidad que el irracional porque nuestro Dios envió a su hijo, es decir a su palabra, a su logos, a su razón, por el cual hizo todas las cosas, creo el mundo.
Como lo dijo el pastor Bonhoeffer, que estuvo en Barcelona durante dos o tres años al inicio del siglo 20, no creemos en un Dios figurante, rellenos las raciones cuando no podemos explicar las cosas. El milagro nunca es una solución para explicar el mundo ; la fe no explica lo que la ciencia no puede, sino, cada vez que la ciencia progresa, la fe pierde terreno.
Diciendo esto, volvemos a conocer la experiencia de todos los creyentes. Juan de la cruz y la tradición del Carmelo hablan de la noche de la fe. La fe no explica nada. Nada, nunca nada. No creemos para comprender, incluso si nada es más inteligente que la fe. No creemos para explicar, para buscar las raciones de la cosas, la racionalidad ; y, sin embargo, nada es más racional que la fe.
La tradición del Carmelo encuentra en Elías su fundador. La historia de Elías, el ciclo de Elías, cuenta la competencia entre el dios Baal y el Dios de Israel. Podríamos decir que Elías organizo un concurso de dios. ¿ Quien podría encender el altar y las victimas, las ofertas ?
Naturalmente, el altar de Dios, del verdadero Dios, se enciende. Y Elías, victorioso, mato a los profetas de Baal. Sin embargo, se volvió triste, deseando morir. ¿ Porque morir cuando hemos ganado ? Me parece que se percibió que se había equivocado de Dios. Hizo como los profetas de Baal, utilizando la fuerza, la de la persuasión, para mostrar a su Dios. Pero si Dios viene al final de una prueba, no hay mas sitio para creer, solamente para saber.
No vale Elías más que los demás. Es como sus padres, como los de su pueblo. Hay que morir. Dios lo dio una nueva suerte. Dios le salvo por donde había pecado. ¿ Como reconocer a Dios ? No hay nada a ver. Nada en el viento, nada en el terremoto, nada en la tempestad.
En el silencio, en el ruido de una brisa tenue, es decir, sin oír nada, Elías se tapa el rostro. Dios está aquí. Ninguno milagro, ninguna evidencia, solamente la noche de la esperanza y de la confianza, es decir también, la noche del dudo y de la imposibilidad de creer.
En un mundo desacralizado, desencantado, no hay la posibilidad de lo maravilloso. Nos quedamos en silencio, esperando al pasaje de Dios como una brisa tenue, interpretando su silencio como el signo de su presencia, entendiendo la ausencia de Dios de otra manera que los no creyentes, pero viviéndola como ellos. La ausencia de Dios, a la cual estamos confrontados, es para nosotros el índice de su presencia. Su presencia es lo que permite de entender su ausencia, no como un abandono sino como la forma de esta presencia. Así no podemos confundir nuestro Dios y un ídolo.
El creyente hoy, es un místico o no es, es como Elías o Sant Joan de la Cruz, viviendo en la noche de la fe, seguro que nada es más inteligente que la fe y sin embargo que la fe no se prueba. El creyente de hoy espero a su Dios, mendiga a su Dios.

30/07/2011

L'hostie est-elle le corps du Christ ? (18ème dimanche)

La multiplication des pains ressemble à une eucharistie. Tout particulièrement les mots suivants : Il prit les cinq pains […], leva les yeux au ciel, bénit, puis, rompant les pains, il les donna aux disciples, qui les donnèrent aux foules. On y retrouve la prise du pain par Jésus, la bénédiction, la fraction (qui donnait son nom au rite eucharistique durant les premières décennies chrétiennes) et le don du pain.
Est-ce à dire qu’il faut lire notre texte comme un texte eucharistique ? La question vaudrait tout autant du discours sur le pain de vie dans l’évangile de Jean, qui fait suite au récit de la multiplication des pains dans le quatrième évangile. Je ne cherche par cette question à entrer dans un débat d’experts mais à nous aider à comprendre ce que nous vivons dans la fraction du pain, dimanche après dimanche.
Pour nous, spécialement pour nous catholiques, l’eucharistie s’est comme chosifiée. Le pain et le vin consacrés sont des en-soi que l’on peut vénérer, adorer. Au point que l’on peut parfois donner l’impression que l’on a oublié la dimension de repas de l’eucharistie ; l’adoration semble être le dernier mot, le meilleur, de l’eucharistie.
Notons pourtant que dans aucun des textes évangéliques à connotation eucharistique il ne s’agit de voir, mais toujours de manger, ce qui, aux dires des auditeurs de Jésus, est particulièrement inadmissible : Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? […] Après l’avoir entendu, beaucoup de ses disciples dirent : "Elle est dure, cette parole ! Qui peut l’écouter ?" Mais, sachant en lui-même que ses disciples murmuraient à ce propos, Jésus leur dit : "Cela vous scandalise ?"
La chosification de l’eucharistie me semble venir d’une récupération par la pitié, populaire et promue par des ecclésiastiques d’une théorie médiévale ‑ théologie tardive donc ‑ pour comprendre ce que sont ce pain et ce vin. La controverse anti-protestante a fait le reste.
C’est ou ce n’est pas le corps du Christ ? Répondez, c’est ou ce n’est pas ? Répondez simplement, sans nous embarquer dans des complications, oui ou non est-ce le corps du Christ ? Voilà le genre de questions que l’on entend, que certains formulent donc.
Mais voilà, il est impossible de répondre à une question ainsi formulée. Nos mentalités d’ingénieurs ou de techniciens ne voient pas aisément où est le problème, je vous l’accorde, mais enfin, la vie n’est jamais en oui ou non, en noir et blanc. Un ordinateur fonctionne en zéro et un, pas la vie, pas la foi.
Nous le savons nous qui sommes ici. Nous sommes assurément croyants, disciples de Jésus, et pourtant, nous constatons que nous ne sommes pas vraiment disciples de Jésus. Il est exact de dire que nous sommes disciples, oui, et ce d’autant plus que nous ajouterons que nous ne le sommes pas encore, que le chemin du serviteur n’est pas celui que nous empruntons le plus communément.
On parle de l’eucharistie comme d’une chose, en termes techniques, métaphysiques, comme d’une substance. On ne veut surtout pas en faire un symbole, parce que, toujours pour nos esprits peu cultivés et techniciens, le symbole n’est pas la chose. Mais l'on tombe dans une sorte de matérialisme eucharistique, bien typique de et conforme à l'époque dont pourtant on veut se démarquer par une soit disant spiritualité eucharistique. Il pourrait s'agir ni plus ni moins que d'une idolâtrie. On peut même, comble de la perversion de la foi, idolâtrer l'eucharistie.
La grande tradition parle de sacrement, dans un vocabulaire non technique, flottant, où les mots de signes et de symboles peuvent ne pas être contraires à ceux de vérité. On disait que l’eucharistie était le corps mystique du Christ, c’est-à-dire caché, sacramentel à la différence de l’Eglise qu’avec Paul on appelle corps du Christ. Voilà qu’un renversement se produit, et le verum corpus, c’est l’eucharistie, l’Eglise devenant corps mystique, au sens de non concret, second.
Or si l’eucharistie est sacrement, c’est dire qu’elle n’est pas un en-soi, qui se tient là, sous la main, mais signe qui renvoie à autre chose, signe tellement puissant, efficace, qu’en lui la chose désignée est comme présente, rendue présente. L’eucharistie est sacrement de ce que l’homme ne vit pas seulement de pain, de ce qu’il produit, de lui-même. L’eucharistie est sacrement de ce que celui que l’on ne voit pas, qui n’est pas disponible, là, qui est absent comme il semble si souvent, est pourtant celui qui fait vivre et qui, partant, doit bien être présent.
Les espèces eucharistiques ne sont pas l’eucharistie, ou alors, seulement comme sommet de l’iceberg, il faudrait dire métonymiquement, sacramentellement. C’est la vie qui est eucharistique dès lors que l’homme ne vit pas seulement de pain mais de tout ce qui sort de la bouche du Seigneur. L’action de grâce est visibilisée dans le pain et le vin qui ne l’épuisent pas mais l’expriment et ce faisant la présentent. Le pain et le vin sont des paroles visibles, comme dit Augustin, celles de l’invitation par Jésus qui nourrit les foules.
Ce n’est pas ce morceau de pain, cette hostie, consacrée, qui est l’eucharistie. Cette hostie est sacrement de ce que Dieu fait vivre. De même que nous mangeons pour vivre, de même, nous mangeons ce pain parce que Dieu nous fait vivre, pour signifier que, et vivre de ce que, Dieu nous fait vivre. Le pain reçu, sa fraction, son partage entre frères, sa manducation ne font qu’exprimer, comme la partie le tout, on dit sacramentellement, que c’est Dieu qui est la vie de son peuple.