Pourquoi la baisse des vocations ? Est-ce si sûr que
l’on manque de prêtres ? Ce sont plutôt les chrétiens qui font défaut.
J’en veux pour preuve le reflux conséquent des ordres religieux féminins ou
masculins sans prêtres. En nos pays, rapporter au nombre de chrétiens, pas sûr
que l’on manque de prêtres, surtout qu’avec les moyens de communication
modernes et les rythmes d’aujourd’hui, on n’envisage plus qu’il y ait un curé
pour cinq cents habitants, à cultiver son jardin et écrire l’histoire locale !
Le recul des chrétiens est inexorable dès lors que
l’appartenance religieuse n’est plus conditionnée socialement, pour le pire
mais aussi pour le meilleur. Aujourd’hui, être chrétien relève principalement
d’une histoire personnelle ; dans une fratrie certains s’engagent avec
Jésus, les autres non. Il n’apparaît plus évident du tout que l’on ait besoin
de Dieu ; et s’il ne sert à rien, pourquoi croire ?
Le discrédit de l’Eglise frappe grandement et prioritairement
les potentielles vocations. Les scandales de pédophilie en sont une
illustration parmi d’autres.
Réussir sa vie, aux yeux des familles, ne passe pas par un
engagement dans l’Eglise, mais par une grande école et de bonnes études. J’assiste
dernièrement à une discussion entre parents de Terminale et entends les
préoccupations en vue du meilleur choix. Les motivations font froid dans le dos :
que les jeunes fassent partie des meilleurs. Pas une fois je n’ai entendu un
quelconque sens du service ou de l’épanouissement personnel qui aurait pu laisser
place à un engagement ecclésial. Pour nombre de nos familles pratiquantes,
aujourd’hui, ce n’est même pas envisagé. Les enfants existeront par la réussite
sociale, qui est affaire de situation professionnelle. Les prêtres ne sont plus
des notables, et nos enfants doivent gagner leur vie au moins aussi bien que
nous !
A ces raisons sociologiques, on doit ajouter des raisons
théologiques.
Pendant des siècles, on a pensé que l’on était meilleur
chrétien à être religieuses ou clercs. Vatican II, en rappelant la vocation
universelle à la sainteté, rend optionnelle, et à juste titre, la vocation au
sens restreint. Ceux d’entre nous qui sont motivés par la sainteté, s’il en
est, ont d’autres chemins pour s’y aventurer que la cléricature ou la vie
religieuse.
Dans un monde qui ne croit plus que Dieu intervient
surnaturellement, magiquement, nous continuons à penser, de façon aussi
romantique qu’individualiste, les vocations spécifiques comme des révélations, une
intimité entre un élu et son Dieu. Les frères n’y apparaissent pas. Comment
voulez-vous que cela marche ? Comment voulez qu’une pastorale des
vocations, à base d’adorations et de pèlerinages, soit pertinente ? On
fabrique des égos autistes et machistes qui se prennent pour des prophètes, imposent
leurs avis comme autant de jugements sur la société. On génère une caste qui s’accroche,
même au prix de l’hypocrisie, à un système sous couvert de défendre l’éternelle
vérité. L’évangile et la miséricorde passent à la trappe. La pastorale des
vocations, ainsi, n’est qu’une gesticulation.
Dans un monde où Dieu n’est plus indispensable pour vivre
heureux, les chrétiens découvrent son absolue discrétion, sa radicale
inutilité. Et c’est très bien. Nous ne croyons pas en Dieu parce que ceci ou
cela, parce que cela rendrait heureux ou nous attirerait sa bénédiction. Nous
connaissons tant de croyants malheureux, déjà dans les Ecritures ; nous
croyons que Dieu aime tous les hommes et que les disciples de Jésus ne
bénéficient d’aucun traitement de faveur. Alors, à quoi bon croire et s’engager
comme religieux, religieuses ou prêtres ? La gratuité de Dieu fait de nous
des prophètes de la grâce, du sans-raison de l’amour, du respect d’autrui,
surtout de l’improductif et de l’inutile social. La gratuité n’est pas une
valeur en ce monde. Ce qui est gratuit ne vaut rien. La vocation universelle à
la sainteté ne peut être qu’intempestive, inactuelle ; les vocations
religieuses pareillement, en conséquence.
Si être chrétiens c’est s’engager dans le service des plus
pauvres, service souvent perdu d’avance, on comprend que cela n’attire guère. La
personne que l’on accompagne à la mort, cela ne va pas réussir, elle va mourir.
L’immigré que l’on soutient, cela ne réussira pas, nous n’avons pas de solution
pour le sortir de la rue. La personne sans emploi qui vient nous voir, nous
n’avons pas de travail à lui offrir. Pas de serviteurs, pas de chrétiens, pas
de vocations.
On peut certes continuer à être chrétien sociologiquement,
cela confère une identité. Mais de là à s’engager au célibat, à renoncer à un
certain salaire, à ne pas décider de sa carrière…
Si l’on est chrétien pour de bon, c’est-à-dire sans raison,
alors on sait qu’il faut convertir la conception commune du prêtre. Les prêtres
ne sont pas les chefs (et d’ailleurs personne n’en veut, on préfère les larbins
disponibles pour gérer le religieux, ouvrir les églises et faire le rangement
de la salle de garderie après la messe. Et surtout, qu’ils disent ce qui
conforte ce que nous pensons autant que nos intérêts !). Les prêtres sont
des ministres, c’est-à-dire des serviteurs. Est-ce ce que nous voyions ?
S’il y a crise des vocations, c’est parce que nous avons
redécouvert ce que certains ont toujours vécu, mais qui s’impose à tous, malgré
les contre-témoignages : en dehors du service de Dieu, c’est-à-dire de celui
des frères, à commencer par les plus pauvres, il n’y a pas de vocation.