L’oracle de Jérémie (23, 1-6) se comprend dans le cadre de
la nouvelle alliance qu’un autre oracle, quelques chapitres plus loin, formule
explicitement. Impossible de s’en sortir, impossible d’extirper le péché du
peuple qui devrait être saint comme son Dieu, impossible de voir ce peuple
honorer la loi de sainteté, impossible de respecter l’alliance avec le Dieu
trois fois saint. Non seulement le peuple se prostitue préférant l’argent et la
superstition, le soi d’abord les autres après, le plaisir immédiat fût-il
petit, mais ceux qui le gouvernent sont eux-mêmes dévoyés, plus peut-être que
le peuple tout entier.
Les pasteurs, comme dit l’allégorie de Jérémie, exploitent
ceux qu’ils prétendent conduire sur les pâturages gras et abondants. Tout est
pourri. On n’en sortira pas. A moins que Dieu lui-même soit le pasteur de son
peuple.
Evidemment, le risque d’une telle espérance, la
contrepartie, c’est de se réfugier dans un autre monde, un arrière-monde. La
vraie vie est ailleurs puisque dans cette vie, les puissants exploitent les
faibles, les riches s’enrichissent sur le dos des pauvres. Chacun cherche son
intérêt, défend ses avantages, au prix de l’humiliation du frère en humanité.
Mais Dieu ne le voit pas de cet œil. C’est ici et maintenant
qu’il faut changer les choses. « Nous voulons un changement, un changement
réel, un changement de structures. On ne peut plus supporter ce système, les
paysans ne le supportent pas, les travailleurs ne le supportent pas, les
communautés ne le supportent pas, les peuples ne le supportent pas... Et la
Terre non plus ne le supporte pas. » (François, 9 juillet 2015, Santa Cruz
de la Sierra)
Les disciples de Jésus ont reconnu en son attitude, et
encore aujourd’hui, l’attitude même du Dieu qui est pasteur de son peuple.
« En débarquant, Jésus vit une grande foule. Il fut saisi de compassion
envers eux, parce qu’ils étaient comme des brebis sans berger. » (Mc 6,
30-34) Le voilà, le pasteur qu’il nous fallait.
Mais rien n’a changé. Les puissants, les pasteurs, sont
toujours aussi remplis de mépris pour leurs frères et d’égards pour leurs
comptes en banque. « Les êtres humains et la nature ne doivent pas être au
service de l’argent. Disons NON à une économie d’exclusion et d’injustice où l’argent
règne au lieu de servir. Cette économie tue. Cette économie exclut. Cette
économie détruit la Mère Terre. L’économie ne devrait pas être un mécanisme
d’accumulation mais l’administration adéquate de la maison commune. Cela
implique de prendre jalousement soin de la maison et de distribuer
convenablement les biens entre tous. » (François, Ibid.) « Ne
savent-ils, tous les malfaisants ? Ils mangent mon peuple, voilà le pain
qu'ils mangent. » (Ps 14 et 53)
Même dans l’Eglise, nous ne pouvons que congédier les
pasteurs, pour nous en remettre au seul pasteur. C’est d’ailleurs pour cela que
le mot pasteur, dans le Nouveau Testament, est quasi réservé à Jésus. Il n’aura
pas fallu longtemps pour qu’il soit de nouveau revendiqué par les responsables.
Rien n’a changé, et les « fidèles dispensateurs de la parole de
vérité » se sont fait les confiscateurs de la vérité qui rend libre, de la
miséricorde qui relève, excluant les pécheurs du banquet des justes. Or, qui est
juste ? Qui n’est pas pécheur ?
Sous prétexte d’organiser l’Eglise comme lieu de la
promesse, l’hypocrisie des pasteurs qui se disent justes et garants de la
justice, exclut et tue. Il est une économie de la grâce qui exclut et tue comme
le libéralisme. Quelques uns thésaurisent la grâce, en font leur métier, aiment
les tampons sur les formulaires administratifs. Le bon berger, l’unique pasteur
n’est pas dans un bureau à vérifier que tout est en ordre, quand la vie de ses
disciples est en danger. Il est « imprégné de l’odeur des brebis » !
Il se moque des subtilités canoniques qui pourraient rendre un mariage plus ou
moins nul, arguties hypocrites d’un droit source de tant d’injustices. Le bon
pasteur est dans les décharges publiques où tentent de se nourrir des enfants
abandonnés, il est aux côtés de ceux qui s’organisent pour une société plus
humaine, il est dans les prisons surpeuplées et violentes, il est en pleurs avec
ceux qui sont en deuil, etc., etc. « Jésus vit une grande foule. Il fut
saisi de compassion envers eux, parce qu’ils étaient comme des brebis sans
berger. »
Que les puissants de ce monde oppriment la planète est un
vrai scandale. Que les puissants de l’Eglise confisquent la miséricorde de
celui dont ils se disent les intendants est plus scandaleux encore ! Du
discours aux mouvements populaires au Vatican comme en Bolivie à la refonte de
la doctrine de la famille et du droit du mariage, lors du prochain synode,
c’est une même nécessité qui meut François. Ecouter le cri des pauvres, écouter
le cri de ceux qui souffrent, ne rien confisquer, ni l’argent ni la grâce, pour
que ce soit aujourd’hui et maintenant que l’unique bon berger conduise les
peuples. (C’est juste une recherche de cohérence qui rend à l’évangile sa
crédibilité. C’est juste une urgence missionnaire, l’urgence du salut.)