« Cherchez à imiter Dieu. » L’auteur de la Lettre
aux Ephésiens (4, 30-5, 2) n’a peur de rien. Comment ne pas rire de son conseil ?
Le non-croyants hausseront les épaules devant la projection des vertus humaines
dans le ciel ; imiter Dieu est une manière mythologique et naïve de
sacraliser la grandeur d’âme. Les croyants seront arrêtés par le blasphème :
qui donc pourrait imiter Dieu, vivre comme Dieu ? Mieux vaut rire du
ridicule de la démesure.
Comme souvent, lorsqu’il s’agit de réagir, nous isolons un propos
sans prendre le temps d’écouter la suite. « Cherchez à imiter Dieu, puisque
vous êtes ses enfants bien-aimés. Vivez dans l’amour, comme le Christ nous a
aimés. » Bien-aimés, dans l’amour, il nous a aimés, trois fois le mot
aimer, lorsqu’il s’agit d’expliciter ce que signifie imiter Dieu. On parle d’agapè, mot que le Nouveau Testament
réserve pour désigner l’amour même de Dieu et partant, l’amour dont les
disciples veulent vivre.
« Vivez dans l’amour » se dit avec le verbe peripateo, se promener, déambuler,
souvent en échangeant avec les autres, depuis Aristote. Gare aux adeptes du
fauteuil, aux cramponnés du conservatisme. Pour garder la foi de toujours, vivre
et aimer, il faut marcher. Vivre dans l’amour est une marche, voire une simple
promenade, rien de difficile, la vie comme une déambulation et une conversation
fraternelle.
L’imitation de Dieu n’a rien à voir avec des exploits spirituels ou
des tours de magie, l’arbitraire de la toute-puissance ou l’extrémisme de l’ascèse,
de l’observance d’une loi et de rites. L’imitation de Dieu, c’est l’amour. Le
plus prosaïque de l’amour, dans sa banalité et dans sa folie, banalité car quoi
de plus ordinaire que l’amour, folie car l’amour en question n’est ni amitié ni
désir mais charité.
On ne sait comment traduire agapè.
La charité, dont Paul dit qu’elle est la plus grande, qu’elle ne passera jamais
(1 Co 13), c’est le type de la relation que Dieu entretient avec nous, comme en
lui-même. La charité, c’est Dieu même : « Dieu est amour » (1 Jn
4, 8 et 16).
Le modèle de l’amour entre nous, c’est Dieu, non l’auguste
immobile, mais le mouvement de vie, l’élan vital, tourné vers les autres, qu’il
est lui-même. « Cherchez à imiter Dieu » signifie chercher à faire de
nos vies un mouvement tourné vers les autres, mouvement de vie qui fait vivre,
qui tire de l’indifférence comme d’un néant, et révèle chacun, digne d’être
considéré, aimé.
Imiter Dieu est indistinctement, inextricablement, garder les yeux
rivés sur Jésus, ne voir que lui, pour voir les frères comme il les voit, il s’est
donné pour eux. Vivre, suivre le Christ n’est pas une affaire d’opinion, de
conviction. C’est un mode d’être.
Imiter Dieu, aimer comme Dieu, ce n’est cependant pas exactement
faire comme lui. Dieu n’a pas les yeux fixés sur lui-même ! Dieu aime,
nous ne pouvons, du moins en ce qui le concerne, que nous laisser aimer. « Pour
nous, aimer [Dieu], c’est nous laisser aimer » (R. Burrows). Nous ne
savons jamais si nous l’aimons. Ce peut toujours être illusion. Nous savons si
nous aimons les frères. Nous croyons que Dieu nous aime, nous nous abandonnons
à cet amour pour dilater en nous ce qu’il est. C’est ainsi que nous cherchons à
l’imiter. C’est ainsi que nous nous aimons les uns les autres comme il nous
aime (Cf. Jn 13, 34).
Reste à savoir si nous avons envie de l’imiter, si, pour nous, être
disciples, être chrétiens, être baptisés, c’est chercher ou non à l’imiter. Ce
n’est peut-être pas seulement devant l’énormité de la Lettre aux Ephésiens que
nous riions, mais pour ne pas en venir à l’extrême auquel nous engage le nom
que nous portons.
« N’attristez pas le Saint Esprit de Dieu, qui vous a marqués
de son sceau en vue du jour de votre délivrance. […] Oui, cherchez à imiter
Dieu, puisque vous êtes ses enfants bien-aimés. Vivez dans l’amour, comme le
Christ nous a aimés. »