Nous lisons les derniers versets de l’évangile de Matthieu (Mt
25, 31-46) avant la passion et la résurrection. Immédiatement après ces lignes,
c’est la pâque de Jésus, il est livré, tué, remis à la responsabilité des
disciples qui tous l’abandonnent, à part quelques femmes au pied de la croix. La
montée à Jérusalem est sur le point de s’achever au Golgotha. Quelles sont les
dernières paroles de Jésus comme homme libre ?
Ce ne sont pas les chefs des Juifs et les Romains qui font disparaître
Jésus. C’est lui qui s’efface et disparaît derrière les frères. Le testament de
Jésus n’est pas l’invitation à ce qu’on le vénère, on pense à lui, fasse retentir
son nom à la face des nations, mais que l’on vénère et pense à ceux que l’on
rejette, à ceux que l’on ne veut pas voir.
Dans la logique de la prophétie d’Isaïe, Jésus prend la
place du serviteur, méprisé, compté pour rien. Il a compris, par le prophète,
que si le salut doit arriver à l’humanité, c’est par un homme à qui la dignité
humaine est refusée, il a compris que si les hommes peuvent espérer être
délivrés du mal – le péché bien sûr, mais aussi la souffrance et la mort –
c’est parce que l’un d’entre eux, innocent, dont l’humanité est niée par tous,
est révélé comme celui en qui Dieu se manifeste, est relevé parce que Dieu se
manifeste pour lui.
C’est que la puissance, la toute-puissance est le contraire
même de Dieu, empêche de rencontrer Dieu, et désigne l’idole. Et l’Eglise a
fait et fait adorer l’idole… Demandez à des enfants ce qu’est un héros. Ce sera
de l’ordre de superman, aux pouvoirs extraordinaires, qui se bat contre ses
ennemis et les écrase par la force. C’est sans doute aussi ce que les adultes
ont en tête. Sans quoi, les films et jeux à la superman ne trouveraient pas de
public, sans quoi, les nations qui se rêvent puissantes, ne joueraient pas à Zorro,
comme lors de la guerre du Golfe, comme lorsque l’on chasse Kadhafi de Lybie. On
croit qu’à traquer le salaud, on sauvera le monde. Pour l’heure, les résultats ne
sont pas plus probants en Lybie et en Irak qu’en Syrie, où ces mêmes nations se
sont faites complices assez hypocrites d’un tyran qui n’a rien à envier aux autres.
La toute-puissance de Dieu, c’est justement de se ranger à
côté de ceux qui ne valent rien, des laissés pour compte. Que Dieu, le très
haut, au plus haut des cieux, habitent avec ceux qui n’ont plus figure humaine,
voilà sa toute-puissance. Et il en faut à Jésus de la puissance pour ne pas retenir le rang qui l’égalait à Dieu.
Et il nous en faut de la puissance pour déserter la puissance ou ce que nous
nous imaginons être notre force. « Quand je suis faible, c’est alors que
je suis fort. »
Voilà la royauté de Jésus. Est-ce bien le Dieu que vous êtes
venus adorer ce matin ? Sinon, il est encore temps de partir. Mais si oui,
où sont les pauvres ? Pourquoi sont-ils à la porte de l’Eglise ? Oui,
je sais, c’est facile. Cela n’en demeure pas moins vrai. : ils ne sont pas
ici ; comment Jésus y serait-il ?
Alors que nos valeurs chrétiennes sont de moins en moins
partagées, c’est du moins le refrain de nombre d’entre nous, s’agit-il d’affirmer
Jésus, de défendre l’identité chrétienne, l’identité culturelle ? Le
Cardinal Vingt-Trois, peu suspect d’être un catho de gauche, s’exprimait ainsi
récemment : « L’essentiel, ce n’est pas l’étendard, mais la manière
dont se comportent les chrétiens ». Si nous devons refaire chrétiens nos
frères, ce sera par notre manière de vivre. Qu’a-t-elle de fondamentalement
différente de celle de tous ceux de notre milieu qui ne partagent pas la foi ?
Ne témoignons-nous pas davantage de notre appartenance à un milieu et une
classe sociale que de Jésus ?
Il est possible d’avoir l’impression d’avoir passé sa vie
entière avec Jésus, être allé à la messe tous les dimanches depuis tout petit,
avoir envoyé ses enfants au caté, à l’aumônerie, avoir défendu la culture
chrétienne, et ne s’être jamais trouvé avec Jésus au point qu’il ne nous
connaisse pas, au point que nous ne le reconnaissons pas, alors que nous méditons
sa parole. Nous ne pouvons pas dire que nous ne savons pas. C’est très explicite,
sans détour, pas besoin d’être exégète, théologien ou spécialiste. Chaque fois que nous l’avons fait, ou pas, à
l’un de ces petits qui sont les siens, c’est à lui que nous l’avons fait ou pas.
Jésus disparaît derrière ceux à qui l’humanité est déniée.
La parabole le dit quatre fois tant nous n’entendons pas. On ne sait jamais quand
on vit avec Jésus. Sauf à secourir ceux que nous voyons « avoir faim,
avoir soif, être nu, étranger, malade ou en prison ». (Ce n’est pas moi
qui parle toujours de migrants et des étrangers. C’est l’évangile ! C’est
le Christ-roi !) On est sûr de savoir où vivre avec Jésus, dans le service
de ceux que nous voyons « avoir faim, avoir soif, être nu, étranger,
malade ou en prison ».