Nous pourrions penser avoir un évangile (Mc 4, 26-34) pour
les vacances, un évangile qui nous mette en vacances. La croissance du Royaume
est inexorable, elle semble intrinsèque et indépendante de toute condition. Seul
le Royaume est cause de sa croissance, au point que croissance pourrait sembler
synonyme de Royaume.
Il en est du règne de
Dieu comme d’un homme qui jette le grain dans son champ : nuit et
jour, qu’il dorme ou qu’il se lève, la semence germe et grandit, il ne sait
comment. D’elle-même, la terre produit d’abord l’herbe, puis l’épi, enfin
du blé plein l’épi.
Le Royaume est présenté comme fécondité, production de
fruits mûrs, dont le but est la moisson, l’aboutissement de lui-même, la réjouissance
issue de cet aboutissement. Qui moissonne, on ne le sait, ce qui souligne
encore un peu plus le dynamisme interne de la croissance. A part les semailles,
il n’y a personne pour faire quoi que ce soit, ou, quoi qu’on fasse, qu’on
dorme ou se lève, le Royaume tend inexorablement à son aboutissement.
Si la vie chrétienne consiste dans la quête du Royaume, elle
est donc seulement un laisser advenir le royaume qui, quoi que nous fassions,
que nous dormions ou nous levions, inexorablement avance vers son achèvement,
vers la moisson, temps des récoltes, de la réjouissance, temps de la jouissance
du fruit.
Notre vie chrétienne, notre vie spirituelle, c’est-à-dire
notre vie dans l’Esprit, est un laisser advenir, une sorte de passivité. C’est
alors que se pose la question des vacances, de ce que l’on appelle le
quiétisme. Evidemment, le dynamisme de croissance intrinsèque du Royaume ne
nous dispense pas de la quête du Royaume. Notre liberté, celle qui nous définit
comme êtres spirituels, est convoquée lorsqu’il s’agit du Royaume.
Et cependant, le Royaume croît de lui-même. Comment penser
ensemble notre propre dynamisme spirituel, notre vie, ce qui fait que nous
sommes vivants, et la passivité liée au dynamisme propre et indépendant du
royaume ?
Cela s’appelle la disponibilité. Vivre de l’Esprit, vivre en
chrétiens, c’est se faire disponible. Et cet apprentissage de la passivité est
une sorte d’action, d’activité. Apprendre, le lâcher prise, la dépossession.
Apprendre à vivre de telle sorte que ce qui nous est propre, y compris la vie,
n’est pas ce qui importe. Seulement ce qui advient importe. La vie n’est pas un
donné, mais une tâche, un destin. Celui qui garde sa vie la perdra, celui qui
la perd est conduit à une réjouissance et à un accomplissement dont la moisson
est parabole.
Mais peut-on être chrétien s’il n’y a rien à faire ?
Oui et non. Car, il y a beaucoup à faire, c’est-à-dire, qu’il y a à soulager
ceux qui ploient sous le poids du fardeau de l’existence. Il y a ici de quoi se
dépenser sans compter, de quoi combattre sans souci des blessures, de quoi
travailler sans chercher le repos.
Mais si l’on pense que l’on serait chrétien à multiplier les
exercices de pitié, les retraites ou je ne sais quoi, si l’on pense que l’on
serait mieux chrétien à s’imposer un cadre de prière, alors non. Tout cela n’est
pas en soit mauvais. Tout cela est sans doute indispensable, avec la culture
religieuse, avec la connaissance des Ecritures et de la foi, avec l’intelligence
de notre foi. Mais tout cela n’est pas le geste chrétien. Importe de tout lâcher
et de se laisser mener là où, le cas échéant, nous ne voudrions pas aller, mais
là où cependant nous sommes conduits, vers le laisser advenir du Royaume, comme
il vient, où il vient.
Nous pourrions crier au laxisme. Mais il ne faut pas prendre
nos incapacités à laisser l’Esprit nous convertir pour une saine réaction au
laxisme. Tous nos remuements, Pascal aurait parlé de distractions, sont des
écrans de fumée qui cachent notre résistance à la conversion, à la passivité,
au laisser-advenir du Royaume. Nous voulons tout faire pour être sûr de ne pas
nous convertir. Nous voulons le benedicite
ou la connaissance de prières, la défense de points non-négociables et nous
nous pensons chrétiens. Mais nous ne nous laissons pas engager dans l’aventure
de spirituelle, l’aventure de l’Esprit.
Tout bien considéré, cette petite parabole du royaume ne
nous met nullement en vacances. Elle invite à ne pas confondre l’agitation avec
l’unique nécessaire. Marthe, Marthe, tu t’agites
pour bien des choses. Ce qu’il faut est unique. Qui consentira à renoncer
même à la maîtrise de sa vie spirituelle, celui-là seul vivra de l’Esprit.
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