L’homme est une machine à fabriquer des dieux. Même quand il
n’y croit pas, ou plus, il sait encore, ou pense savoir, ce qu’est un dieu.
Faut-il qu’il y ait quelque dieu pour que cette idée ne vienne pas de lui, ne
se réduise pas à un idéal humain inatteignable et par conséquent projeté dans
le ciel ou à une explication de ce que l’on ne comprend pas, depuis le tonnerre,
l’ordre du cosmos au fait qu’il y ait quelque chose plutôt que rien ?
Les Ecritures dénoncent les faux dieux. D’abord, il s’agit
des divinités tutélaires des autres peuples. On n’en nie pas l’existence. Mais
si le Dieu sauveur d’Israël est le Dieu créateur, alors il ne peut être que le
seul et vrai Dieu. Il y a une création, et donc un créateur. Lorsque Dieu sauve
son peuple de l’exil, il le recrée. La détresse du peuple est tout autant
parabole de son péché que violence et injustice. Il faut remodeler l’ouvrage
comme aux premiers jours pour lui rendre le souffle vivant. Sauveur comme
recréateur, le Dieu d’Israël apparait comme le seul vrai Dieu.
Alors les dieux des autres sont considérés comme des
inventions de l’homme. Ce sont les Ecritures, depuis longtemps, qui font des
dieux une production humaine et de l’homme une machine à fabriquer des dieux. Les idoles, or et argent, ouvrages de mains
humaines. Elles ont une bouche et ne parlent pas, des yeux et ne voient pas,
des oreilles et n’entendent pas. (Ps 115 et 135)
Mais s’il est un dieu vivant qui donne et redonne la vie,
qu’est-ce qui garantit qu’il n’est pas lui, une idole plus sophistiquée ?
N’est-il pas lui aussi œuvre de l’homme et de son intelligence ? A moins
qu’il ne soit que l’illusion des sens, qui de la transe au sentiment de
dépendance absolue ou de paix, nous tromperaient en nommant dieu ce qui ne
serait que conditionnements psychosociologiques ?
Lorsque la prière, la
prédication, l’action caritative et la théologie parlent à Dieu ou parlent de
Dieu, ce qu’elles en disent n’est-il pas fondamentalement, indissociablement
expression de l’imaginaire ou de la rationalité, dans les deux cas, de nos
conceptions de Dieu. Il est des idoles de bois, il en est d’autres
conceptuelles, et le Dieu des Ecritures n’a pas été épargné par l’idolâtrie
conceptuelle. C’est peut-être l’une des causes principales de la condamnation
de Jésus. Ce qu’il dit de Dieu est intolérable. Il blasphème. Il conteste et
renverse l’image que l’on se fait de Dieu, que l’on doit se faire de Dieu.
On n’en sortira pas, du moins tant que l’on voudra s’en
tenir à des certitudes, des vérités disponibles. Seul le mouvement de retrait,
ce n’est pas ça, approche le dieu et le laisse exister pour nous s’il est. Ce
que nous nommons Dieu, nous ne le savons pas. Thomas d’Aquin reconnaît que le
nom qui lui convient le mieux, la meilleure façon de le dire, c’est le
tétragramme sacré, qui justement ne se prononce pas. Le nom est innommable.
Entendez cela dans les deux sens de l’expression : prononcer le nom est
immonde et il est impossible de prononcer le nom ; cela revient au même.
Mais alors, comment encore invoquer, crier, prier ?
Mais alors comment annoncer, faire retentir la bonne nouvelle du seul nom,
celui de Jésus, par lequel le salut nous advient ?
Par l’effacement de ce nom justement. L’annonce du seul nom par lequel nous puissions être
sauvés échappe à notre emprise et pour que nous ne prétendions pas retenir
le vent entre nos doigts, nous ne pouvons que consentir à cette déprise. Nous
savons bien le vent, il courbe les herbes, caresse les cheveux, parfois casse
et fracasse. Mais nous ne pouvons l’enfermer. Le vent souffle où il veut et tu entends sa voix. Mais tu ne sais pas
d’où il vient et tu ne sais pas où il va.
Ainsi donc, déprise du nom, comme en Mt 25. Personne ne
reconnaît le Seigneur au nom du quel il a agit ou aurait dû agir. Seigneur, quand t’avons-nous vu avoir soif,
faim, être nu, prisonnier ? Ce que vous avez fait à ces petits, c’est à
moi que vous l’avez fait. Le Dieu se cache pour n’être pas reconnu afin de
n’être pas saisi.
« Il ne faut pas moins que ce don, l’Esprit qui est
celui de Jésus, pour que Jésus puisse être reconnu comme le visage de Dieu. Il
ne faut pas moins que cet Esprit qui rend libre pour que, libérés de nos
préjugés, de nos représentations, de nos instincts religieux, nous discernions
en cet homme libre, le Fils de Dieu. L’opposition entre Dieu et l’homme, par
laquelle l’homme le plus pieux justifie son mépris du monde et l’athée son
rejet de Dieu, est sans fondement puisque Dieu fait de l’homme en son Fils le
lieu de sa manifestation et de sa rencontre. Il ne fallait pas moins que le don
de l’Esprit pour que s’opérât ce retournement. Ce retournement n’est pas encore
accompli ; il doit constamment se réaliser en nous. » (C. Duquoc)
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