Encore un miracle ! On a l’impression que les miracles
représentent le plus gros des évangiles tant on nous en raconte. Certes, chaque
évangile synoptique en rapporte pas mal, répétant grandement les deux autres ;
et si l’on n’est pas attentif aux détails de chaque récit, on n’en perçoit pas
la nouveauté, on a l’impression d’une accumulation. La répartition liturgique
amplifie cette impression en ne donnant à lire qu’une seule fois par an des
textes qui nous paraissent plus importants comme la passion, certaines grandes
paraboles et les récits des apparitions du ressuscité, alors qu’elle fait
revenir les mêmes miracles comme multipliés par trois.
On finit pas se demander ce qu’il y a de nouveau à dire sur
ces récits de miracles, entendus des dizaines de fois. Pouvons-nous en comprendre
quelque chose ? Peuvent-ils encore nous apprendre quelque chose ? A
chaque nouvelle lecture ? La question se pose d’autant plus que le miracle
ne fait plus partie de notre pratique de la foi, de la vie quotidienne avec Jésus,
ou alors de manière tellement exceptionnelle qu’elle entre en contradiction
avec la fréquence des miracles évangéliques qui paraissent bien banals.
Pour tenter d’ouvrir le texte du miracle de ce jour (Mc
7,31-37), arrêtons-nous aux détails, refusant une lecture par les sommets qui
se contente de parler de la guérison d’un sourd muet. On pourrait même affirmer
que ce miracle ne raconte absolument pas la guérison d’un sourd-muet.
De quoi s’agit-il ? De beaucoup d’autres choses, dont
la guérison du sourd n’est que la parabole. Et chacun sait que ce dont parle la
parabole n’est pas ce dont il s’agit, mais le moyen de désigner autre chose
qu’il faut savoir entendre. Il ne suffit pas en effet d’avoir des oreilles. Il
n’y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, et c’est peut-être
pour ne pas entendre, pour ne pas nous convertir, que nous pourrions nous
contenter d’un bref résumé : guérison d’un sourd-muet. Ainsi donc, que
celui qui a des oreilles pour entendre, entende ! Cessons d’être sourds.
C’est peut-être de notre guérison qu’il en va.
De quoi s’agit-il alors ? La guérison du sourd et du
muet est un des signes messianiques, un des signes de la présence du messie, un
des signes de ce que le salut de Dieu se déploie. Le texte de la première
lecture est un exemple parmi tant d’autres de ce que la guérison des aveugles,
des sourds, des muets, des boiteux annonce la venue de l’envoyé de Dieu,
c’est-à-dire, annonce la libération du mal.
Dans la guérison du sourd-muet se joue le rejet, l’expulsion
du mal. La thaumaturgie évangélique est toujours un exorcisme, que soit
présenté ou non l’esprit du mal. La guérison est toujours libération du mal,
parce que la maladie est la parabole de notre possession. Nous sommes sous l’emprise
du mal ‑ du moins nous le sommes aussi ‑ qu’il s’agisse de notre
péché, du mal que nous commettons, mais aussi du mal que nous subissons, la
souffrance, l’injustice, la mort.
Alors regardons les détails de cette guérison. Il s’agit en
fait d’une création. Certes, l’on peut soigner avec de la boue, mais lorsque le
créateur donna vie à l’homme, c’est avec de la glaise qu’il le façonna. Il
fallut ouvrir le côté de l’Adam pour que la femme permît à l’homme de parler,
pour qu’Eve, la vivante, la mère de tous les vivants, apparût. C’est lorsqu’il
la voit que, pour la première fois, nous entendons le son de la voix de l’Adam.
Déjà il fallait ouvrir l’homme pour qu’il parle. Le don de la femme est repris par
le commandement : Effata, ouvre-toi !
La rencontre de l’autre – quel que soit son sexe d’ailleurs ‑ nous
fait parler, nous ouvre à la source de la parole qui s’efface derrière sa
créature.
Mais à quoi bon guérir ce sourd muet si vient l’interdiction
de parler ? « Alors Jésus leur recommanda de n’en rien dire à
personne. » N’importe pas, précisément, de fanfaronner sur le miracle qui
appâte le chaland. N’importe pas même de faire connaître le nom de Jésus ;
on pourrait se méprendre sur son compte. Hier, c’était pour le faire roi,
aujourd’hui, c’est par dégoût de tout ce qui a été fait de criminel en son nom.
N’importe qu’une chose, l’annonce d’une création sans cesse renouvelée, d’un
salut pour l’homme, de la vie, paradisiaque, pour l’homme. Importe au créateur
sauveur lui-même la vie de sa créature, la victoire sur le mal. La gloire de Dieu n’est pas que l’on
parle de lui ; c’est l’homme vivant.
La venue de Jésus au milieu de nous, la présence du messie
au milieu de son peuple est une recréation, une création toujours nouvelle,
toujours renouvelée, est la vie de l’homme. Si le mal recule, il y a indice de
la présence salvifique du créateur. Faire reculer le mal, c’est annoncer la
présence salvifique du créateur. A défaut de faire des miracles – nous ne
sommes pas le créateur – nous pouvons annoncer son évangile, la bonne
nouvelle, en faisant reculer le mal. Si la gloire de Dieu c’est l’homme vivant,
en libérant autant que faire se peut l’homme du mal, nous chantons la gloire de
Dieu.
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