C’est sale, c’est caca, c’est impur. Expressions du rejet,
du dégoût, apprises dès le plus jeune âge et que les religions transmettent.
Les tabous alimentaires, les règles de pureté et les rituels de purification ne
se distinguent pas des impératifs hygiéniques. Si les préceptes religieux ont
aussi un sens second, ce n’est jamais par opposition aux exigences de l’hygiène
mais au contraire par leur sacralisation.
Ainsi se définissent un jeu de catégories parmi
lesquelles : pur-impur, sacré-profane, tabou-permis, péché-purification,
tache ou souillure-propreté ou bain rituel. On ne sort jamais de l’espace
organisé par ces quelques axes. Il y a de l’archaïque en chaque nouvelle
existence ; à l’ère de la modernité la plus grande demeure une répartition
bipolaire de l’existence, spatiale, mais tout autant morale.
Au pays de Candy, il y
a des méchants et des gentils. Ainsi pense le petit d’homme. Ceux qui ne
sont pas comme lui, qu’ils le contraignent ou soient différents ne peuvent qu’être
les méchants. La crise de l’adolescence exacerbe la dichotomie. Le monde est en
noir et blanc et, confronté à la nécessité de faire des compromis, y compris
parce que l’on perçoit que l’on n’est pas soi-même tout entier du côté du bien,
on crie à la compromission pour mieux se dédouaner. Le sens de la justice si
implacable se mue rapidement en intolérance.
C’est que justement, le monde n’est pas en noir et blanc,
que l’intelligence humaine, pour le pire, certes, mais aussi pour le meilleur,
connaît la concession, la demi-mesure, la justice non pas d’égalité mais de
proportion. Aussi performante qu’elle soit, la logique informatique qui ne connaît
que le zéro et le un ‑ le courant passe ou ne passe pas ‑ ne permet
pas de construire un monde humain, tel qu’il peut s’exprimer dans l’amour de
ceux qui ont raté, dans l’art qui cherche à dire, à laisser advenir, ce qui
est, avant même que de juger.
Certains textes des Ecritures paraissent naïfs à distinguer
deux chemins. Soit vous mettez en pratique les commandements et vous vivrez,
soit vous ne le faites pas et vous mourrez. Ou encore, il y a le large chemin
de la perdition et le chemin escarpé, la porte étroite du salut. Certains
textes devraient nous paraître naïfs dans leur opposition bipolaire. Il n’y a
pas d’un côté les croyants, et de l’autre les idolâtres, païens ou athées. Il
n’y a pas d’un côté les saints et vertueux et de l’autre la massa damnata.
(Souvent les oppositions bipolaires des Ecritures doivent
être comprises non dans une logique exclusive, mais comme l’expression d’une
totalité. Ainsi, le jour et la nuit ne désignent pas deux moments de la
journée, mais la totalité de la journée , les bons et les méchants ne désignent
pas les deux seuls groupes de personnes, bien clairement distinguées et
opposées, mais la totalité de l’humanité.)
Le texte d’évangile de ce jour (Mc 7,1-23) vient briser
l’évidence de la bipolarité morale, rituelle et religieuse. Le pur et l’impur ne
sont pas affaire de spatialisation selon les coordonnées de l’extérieur et de
l’intérieur. C’est l’intention qui qualifie l’acte, de sorte que l’on pourra souvent
dire qu’il n’y a pas de bien ou de mal en soi, qu’il n’y a pas d’actes
intrinsèquement pervers ; une action est définie moralement par
l’intention qui la porte.
Est introduit dans prétendue objectivité extérieure et extrinséciste
du bien et du mal, le sens de l’action humaine. Ce qui pousse Jésus à faire
exploser le cadre du pur et de l’impur, du sacré et du profane, c’est, au moins
dans notre texte, l’hypocrisie religieuse, ce que l’on appelle le pharisaïsme,
la tartufferie. Le religieux sacralise l’objectivité d’un pur et d’un impur
basée sur la spatialisation, un intérieur et un extérieur, un espace sacré et
un espace profane avec ces propres lois, par exemple l’économie ou la vie
privée. Or ce religieux doit être converti, évangélisé sous peine de mensonge
qui s’exprime comme hypocrisie, pharisaïsme.
C’est qu’avec Jésus s’évanouit le sacré et le profane, le
pur et l’impur, car l’homme, icône du Dieu à l’image duquel il a été créé, est appelé
à la sainteté. Avec l’homme, tout est profane, au sens où il n’y a plus de lieux
réservés, sacrés ; Il est possible de prier dans sur un tas d’immondices,
autant que dans une église, une maison de personnes âgées dont la vie s’achève
dans la faiblesse, une maternité qui voit tant de bébés venir au jour. Mais on
peut, on doit aussi dire que tout est sacré, ou plutôt, tout est destiné à la
sainteté de l’homme. Rien, pas même le péché, n’échappe au mouvement de la
vocation de l’homme qui consiste à tout ramener à Dieu.
Seul l’évangile, semble-t-il, désacralise toute chose,
annonçant un Dieu qui n’est pas séparé de l’homme, mais un Dieu qui se fait
homme pour que l’homme soit Dieu. Si l’on ne peut certes pas confondre Dieu et
l’homme, on ne saurait pas non plus les distinguer, les séparer, les opposer.
Evangéliser le sacré c’est sans cesse faire reculer l’archaïque
du sacré en nous pour reconnaître que ce monde, que l’homme, vit très bien sans
Dieu, qu’il est autonome, et en même temps, que le monde et l’homme existent en
recevant la sainteté du créateur et sauveur. Evangéliser le sacré c’est faire
de chaque action une liturgie, un service à la gloire de Dieu, qu’il s’agisse
du culte bien sûr, mais aussi du travail, du repos, des amours et des arts, et par-dessus
tout du service du frère.
οὐ νοεῖτε ὅτι πᾶν τὸ ἕξοθεν εἰσπορευόμενον εἰς τὸν ἄνθρωπον οὐ δύναται αὐτὸν κοινῶσαι, ὅτι οὐκ εἰσπορεύται αὐτοῦ εἰς τὴν καρδίαν ἀλλ'εἰς τὴν κοιλίαν;
RépondreSupprimerNe comprenez-vous pas que les choses extérieurs qui entrent dans l'homme ne peuvent le souiller, puisqu'elles ne vont pas dans son cœur mais dans son ventre?
Ces paroles sont magnifiques.