L’évangile de Luc est parfois appelé évangile de la
miséricorde. Le chapitre quinze que nous venons de lire avec ses trois
paraboles mais aussi plusieurs traits spécifiques comme le pardon au
« bon » larron, explique cette dénomination. L’opposition suscitée
par l’attitude de Jésus, par sa manière d’être d’amour et de pardon, n’en est
que plus violente. Les pharisiens et les
scribes récriminaient contre lui : « Cet homme fait bon accueil aux
pécheurs, et il mange avec eux ! »
Peut-on tout pardonner ? Peut-on frayer avec les
salauds d’hier et d’aujourd’hui ? Un drôle de type, avec un fils sans
doute un peu rangé des voitures depuis quelques années, mais qui avait un casier
chargé, a dit à l’occasion de l’assassinat de ce fils à Marseille la semaine
passée : C’était mon fils et je
l’aimais.
Les pharisiens et les scribes de la presse, de ses lecteurs,
qui n’allaient pas pleurer sur un règlement de compte dans le milieu, nous donc,
en avons eu pour notre grade. Leçon d’évangile, non qu’il faille canoniser ce
père, leçon de vie, dictée par ses seules entrailles : C’était mon fils et je l’aimais.
Entrailles, c’est l’étymologie du mot miséricorde. Etre pris
aux trippes, mieux, car ce n’est pas l’estomac dont il s’agit, mais de la
matrice, des entrailles maternelles qui ont porté tous les enfants du monde et
qui se révoltent, blessées à mort par la mort de leurs fruits.
Une semaine avant, à Aranjuez, un tableau de la mort d’Absalon.
Et devant ce fils suspendu dans les branches d’un arbre, résonne le cri du
père, David, qui apprend la nouvelle de la mort de son traite de fils, de celui
qui était décidé à le tuer pour prendre sa place. Absalon, mon fils, mon fils, Absalon. C’était son fils, et il
l’aimait.
C’était dimanche sur France culture, devant Eichmann en sa
prison ou Saddam Hussein sortant hirsute de son trou à rats, devant l’homme à
terre, même bourreau, peut-on tirer, faire feu, ignorer, ne pas être pris aux
entrailles ? Pourtant, cette semaine encore, des rebelles syriens se sont
vengés sans jugement aucun en exécutant leurs prisonniers de guerre. Pourtant
nous sommes ou avons été jaloux d’un frère ou une sœur pardonné, pourtant nous
sommes intraitables avec les salauds. Que l’on partage son repas avec eux nous
révulsent.
Les paraboles du chapitre quinze, la confession d’un père
orphelin de son fils et la lamentation de David nous empêchent de parler comme
nous le faisons, scandalisés par l’injustice de la réhabilitation des pécheurs,
ce qui nous semble l’injustice de la réhabilitation des pécheurs. Les pharisiens et les scribes récriminaient
contre lui : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec
eux ! »
Dieu aime, comme un père, inconditionnellement. Il n’y a
aucune condition à l’amour de Dieu. Contrairement à ce que nous racontons
souvent, au caté ou ailleurs. Si tu es sage, si tu fais des sacrifices, si tu
agis bien, le Seigneur sera ton appui. Même les psaumes disent cela. C’est mon fils et je l’aime dit Dieu. Tu es mon fils, ma fille, et je t’aime dit
Dieu. Or le Seigneur ignore le conditionnel. Voilà un temps qui ne s’enseigne
pas dans les écoles du paradis, ou alors seulement pour rêver : si les
hommes étaient comme leur père, amour et vérité se rencontreraient, justice et
paix s’embrasseraient.
Ce qui rend non seulement acceptable mais indispensable
cette inconditionnalité divine, ce n’est pas que même des hommes en soient
capables, comme ce marseillais, comme David. C’est que nous sommes des salauds.
Il ne s’agit pas de misérabilisme, de coulpe battue pour s’humilier et ainsi se
croire humble.
L’inconditionnalité de l’amour du Père nous révèle à
nous-mêmes tels que nous sommes, non pour nous écraser, mais au contraire pour
nous relever, nous ressusciter. Evangile de résurrection que ce chapitre. L’inconditionnalité
de l’amour est bonne nouvelle, est l’évangile. Nous voulons accueillir cet
amour inconditionnel pour nous-mêmes alors nous ne pouvons qu’y consentir en
faveur de tous. Comment pourrais-je réclamer que les publicains et les pécheurs
soient laissés à leur vilénie si je veux être relevé de la mienne ?
C’est seulement cela, si l’on ose dire, la vie éternelle.
Etre cherché, retrouvé, relevé par l’amour inconditionnel. Pour accomplir le dessein de l’amour du Père, le fils nous aima jusqu’à l’extrême. Et nous sommes vivants.
Relevé, c’est ainsi qu’on dit ressuscité en grec.
Nos paraboles parlent effectivement de résurrection. C’était mon fils et je l’aimais. En disant cela, le père écrasé par la douleur relève son fils de son mal et interdit toute condamnation facile et posthume. Saluant son fils, il en sauve la mémoire. Le père de la parabole ne fait pas autre chose. Son amour est salut, relèvement, ce que l’on appelle résurrection. Mon fils que voilà était mort et il est revenu à la vie. Et pour que nous entendions bien la bonne nouvelle de la résurrection, parce que nous ne ouvons espérer la vie pour nous sans la vouloir pour les frères, même détestés, l’évangile répète : ton frère était mort et il est revenu à la vie.
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