07/09/2013

Le savoir de la foi (23ème dimanche du temps C)

L’extrait du livre de la Sagesse (9,13-18) que nous avons entendu expose une théorie de la connaissance. Qu’est-ce que l’homme peut savoir de Dieu, alors que déjà il ne comprend pas grand-chose au monde qui l’entoure ? Que peut-il savoir sans Dieu qui lui envoie la sagesse ? Ce qu’il y a de droit dans la connaissance de l’homme, c’est ce qui vient de Dieu, ce qui est conforme à la sagesse divine.
Je ne conteste pas la limitation de notre connaissance. Ce que nous savons chacun est si peu par rapport à ce que nous savons ensemble, et ce savoir de l’humanité est fort peu, aussi impressionnant soit-il, par rapport à ce que nous ignorons encore.
Je ne conteste pas non plus le mouvement descendant de la connaissance. Ne dit-on pas : une idée m’est venue. Cette idée, qui est bien de moi, c’est comme si elle m’était venue d’ailleurs. Rien de mieux que le mythe pour exprimer ce statut paradoxal de la connaissance. On trouve cela chez Platon qui ne renierait rien des versets du livre de la Sagesse. Reste juste à dire ce que cela veut dire. Si on avait eu recours au mythe c’est justement parce que l’on ne savait pas rendre compte de ce qu’est la connaissance, mienne et cependant transcendante.
Je ne conteste pas enfin que la justesse de la connaissance puisse s’exprimer comme conformité avec un modèle, et pourquoi avec le savoir divin. Mais qu’est-ce que le plan de Dieu sinon une expression mythologique ou pour le moins anthropomorphique ? (J’exprimerais cependant des réserves, car la compréhension du vrai comme adéquation entre le dire et le réel a du plomb dans l’aile. Est-elle valide en dehors de ce qui est vérifiable et mathématisable ? La vérité d’un amour n’est pas affaire d’adéquation, mais d’engagement dans une manière, toujours située, perspective, de se comprendre et de comprendre le monde.)
Certains imaginent que leur amour est vrai puisqu’il est conforme au plan divin, que c’est Dieu qui les a fait se rencontrer, ou entrer au séminaire, mais là justement réside la difficulté. Comment savoir ce que Dieu pense ?
Oui, d’accord avec le livre de la Sagesse, je ne pourrais rien savoir de Dieu si Dieu ne s’était fait connaître. Mais concrètement, comment se fait-il connaître ? D’accord avec le livre de la Sagesse, Dieu a quelque chose à voir avec la vérité, y compris celle de nos existences, si fragiles et historiques. Mais comment ? Le discours biblique n’est pas une épistémologie, une théorie de la connaissance, et le lire ainsi, c’est le trahir, lui faire dire autre chose que ce qu’il vise.
Depuis le XVIe siècle, la tarte à la crème de la théologie, la solution passe-partout, c’est la révélation. Or jamais dans l’histoire de la pensée chrétienne, la révélation n’avait désigné un contenu, un message sur ce que Dieu pense. La révélation est l’acte d’un Dieu qui donne, qui se donne. Dans la foulée des Modernes, nous autres, surtout les techniciens et les ingénieurs, avons tendance à penser la vie selon un modèle scientifique, et nous nous enfuyons dans l’irrationnel dès qu’il s’agit de parler des sentiments, de la philosophie ou de la foi. A la fois nous prétendons voir l’action de Dieu dans notre vie comme on voit quelqu’un dans la rue, à la fois, si l’on nous demande de nous justifier, nous répondons, c’est le mystère. Le fait que nombre des prêtres aujourd’hui aient fait des études d ingénieurs, loin des humanités, leur ferme les portes de la théologie sauf s’ils font un véritable effort pour penser autrement. Ne faisons du premier degré du mythe la réalité de Dieu ! Nous serions comme des enfants qui croient au père Noël ! Mise à part le fait que Dieu se donne, nous ne savons rien de Dieu et la révélation est une non réponse. Ou alors elle est mythologie, dans ce cas mensongère, qui dissimule notre ignorance et fait croire que l’on sait.
Mais Dieu n’envoie pas des messages par un téléphone céleste ! L’évangile le dit, c’est à l’homme de s’asseoir et de réfléchir pour savoir ce qu’il peut engager, construction d’une tour, déclaration de guerre ou accord de paix. Que l’on ne croie pas que la foi donne des réponses là où la connaissance humaine fait défaut. La foi bouche-trou n’est pas la foi, comme l’écrivait Bonhoeffer. Laissons aux pentecôtistes de tout poil ce sinistre privilège de communiquer avec le divin. Leurs sectes font des ravages, aux Etats Unis et surtout dans les pays pauvres. Et nous autres catholiques, méfions-nous de ne pas être contaminés. Je vois tant d’entre nous qui manifestent leurs différences d’avec les protestants, mais quand il s’agit d’évangélisation, sont comme les baptistes ou les évangélistes, fondamentalistes, non certes des Ecritures, mais du catéchisme de l’Eglise catholique !
Pour nous, la volonté de Dieu, n’est pas une affaire de divination, de message divin, ni même de prière ou discernement. Qui peut parler au nom de Dieu ? Lorsque l’Eglise s’y est essayée, elle a écrit les pages les plus sombres de son histoire. Nous sommes invités à beaucoup plus de modestie. La folie des grandeurs est source des pires violences. Nous ne savons de Dieu que ce que la trace de son absence inscrit en nous, un immense désir amoureux. Nous ne savons de Dieu que ce que nos propos et toute notre vie, compris comme des réponses, laissent deviner d’un appel inaccessible, évanescent. Ce n’est pas rien, mais ce n’est pas une révélation au sens de messages et encore moins un catéchisme ! D’ailleurs s’il y a un catéchisme, c’est bien que les prétendus messages de Dieu ne sont pas si clairs !
L’évangile de ce jour (Lc 14,25-33) nous donne une clef pour la connaissance. Celui d'entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple. Vous me direz, ce genre de clefs mène au fanatisme et fait que l’on tue père et mère sous prétexte de préférer le Christ. Mais on aura mal lu. Car si l’on renonce à tout ce qui nous appartient, on renonce aussi, et d’abord, à ce que l’on croit savoir de Dieu. Le chemin de la connaissance de Dieu, c’est le consentement à ne plus rien savoir, ou plutôt à savoir que tout ce que nous disons de Dieu, ce n’est pas ça, pas ça, pas ça, jamais ça.
C’est étonnamment le même chemin que celui du chercheur, de l’amoureux et du chrétien. Ce n’est jamais cela ; c’est pour cela qu’ils continuent à avancer dans la nuit de l’ignorance, éclairés seulement pas ce qui de cette quête est à l’origine, insaisissable, qui se laisse deviner seulement dans le fait qu’elle nous a mis en route sur le chemin de la connaissance et de la vie.

3 commentaires:

  1. Merci Patrick. Je trouve que ta méditation, très philosophique peut-être, s'associe bien avec mon homélie. J'aimerai avoir ton avis. Et Merci à Jacques qui a attiré mon attention sur ton site.
    http://www.enmanquedeglise.com/article-dieu-sa-volonte-est-premier-en-tout-ce-que-nous-accomplissons-lui-seul-a-notre-confiance-non-l-119942274.html

    RépondreSupprimer
  2. Michel,
    De fait à certains moments, nos deux textes parlent presque à l'unisson. Si je puis me permettre, je ne suis pas tant philosophe dans ce texte (même si je ne vais pas me refaire) plutôt que lecteur de Michel de Certeau.
    Je suis aussi critique par rapport au nouveau Pape que par rapport à l'ancien, car je n'aime guère les ventriloques de Dieu, comme dit Nietzsche, ceux qui savent et disent ce que Dieu pense. Certes, je suis plutôt d'accord avec ce que François perçoit de la pensée divine, mais ce n'est pas une raison. Qui peut connaître la pensée du Seigneur, interrogent les Ecritures. Et je réponds personne, pas même le Pape.
    Bon d'accord, alors on ne peut plus rien dire. Si bien sûr, et même au nom de Dieu. Mais en assumant que c'est ce que nous en comprenons. Voilà ce que j'appelle l'humilité.
    Je ne sais si ces lignes te conviennent.

    RépondreSupprimer
  3. Dominique Bargiarelli10/9/13 18:03

    Si je vous lis bien,vous pensez donc que notre Pape François n'a jamais aucun doute et croit d'une manière absolue que ce qu'il dit bien évidemment c'est Dieu lui-même qui le lui souffle? Si tel était le cas c'est constamment qu'il ferait référence à son infaillibilité,or il est très rare que les Papes mettent en jeu leur infaillibilité.
    Pour moi je pense que le Seigneur ne cesse de nous parler,mais nous refusons la plupart du temps d'entendre ce qu'il nous dit.
    Et que faîtes-vous alors de "je vous enverrai l'Esprit Saint qui vous conduira vers la vérité tout entière"

    RépondreSupprimer