Pour préparer une catéchèse sur le buisson ardent, avec les enfants ou comme une catéchèse d'adultes !
Avec les plus petits au moins, on ne travaillera que les
versets 1 à 9 (attention certaines questions comme la vocation de Moïse ou le
nom de Dieu ne pourront alors être envisagées), si l’on veut 1 à 14, et
vraiment si on a le temps ou avec un groupe dégourdi tout le chapitre. Ces
découpages correspondent au récit de l’apparition, sur lequel est greffé celui
de la vocation (10-12) et la révélation du nom.
Proposition de traduction (T. Römer)
1. Quant à
Moïse, il était en train de faire paître le petit bétail de Jéthro, son
beau-père, le prêtre de Madiân. Il mena le petit bétail au-delà du désert et il
vint à la montagne de Dieu, à l’Horeb.
2. Le
messager de Yhwh lui apparut dans une Flamme de feu au milieu du buisson. Il vit, et voici le buisson était en feu, mais le
buisson n’était pas consumé.
3. Moïse
dit : je vais me détourner et je verrai
cette grande vision : pourquoi le
buisson ne se consume‐t-il pas ?
4. Yhwh vit qu’il s’était détourné pour voir. Dieu l’appela du milieu du buisson ; il
dit : Moïse, Moïse. Il dit : me voici.
5. Il
dit : N’approche pas ce lieu. Retire tes sandales de tes pieds. En effet,
le lieu où tu te tiens est une terre sainte.
6. Il dit :
je suis, moi, le dieu de ton père, le dieu d’Abraham, le dieu d’Isaac et le dieu
de Jacob. Moïse cacha son visage car il craignait de regarder
vers le dieu.
7. Yhwh dit :
Pour voir, j’ai vu
l’oppression de mon peuple qui est en Egypte, j’ai écouté leur cri devant ses
gardes‐chiourme. Oui, je connais ses souffrances.
8. Je suis
descendu pour le délivrer de la main de l’Egypte et pour le faire monter de ce
pays vers un pays bon et large, vers un pays ruisselant de lait et de miel,
vers le lieu du Cananéen, du Hittite, de l’Amorite, du Perizzite, du Hivvite et
du Jébusite.
9.
Maintenant, voici que le cri des Fils d’Israël est venu à moi et j’ai vu l’oppression avec laquelle l’Egypte les opprime.
10. Et
maintenant, va ! Je t’envoie vers Pharaon. Fais sortir mon peuple, les Fils
d’Israël, d’Egypte.
11. Moïse
dit au dieu : Qui suis‐je ? J’irai vers Pharaon et
je ferai sortir les Fils d’Israël d’Egypte ?
12. Il
dit : en effet, je serai avec toi, et ceci sera pour toi le signe que
c’est moi qui t’ai envoyé : quand tu feras sortir le peuple d’Egypte vous servirez
le dieu sur cette montagne.
13. Moïse
dit au dieu : Voici, je vais aller vers les Fils d’Israël et je vais leur
dire : le dieu de vos pères m’a envoyé vers vous. Et ils me diront :
quel est son nom ? Que leur dirai‐je ?
14. Dieu dit
à Moïse : Je serai qui je serai. Et il dit : Ainsi tu parleras aux Fils
d’Israël : « je serai » m’a envoyé vers vous.
15 Dieu dit encore à Moïse : ainsi tu parleras aux Fils
d’Israël : Yhwh, le dieu de vos pères, le dieu d’Abraham, le dieu d’Isaac
et le dieu de Jacob m’a envoyé vers vous. Ceci est mon nom pour toujours, et
ceci est mon mémorial de génération en génération.
1. Vous pouvez passer par-dessus ce point que l’on
n’abordera pas avec les enfants. C’est un peu compliqué. Mais cela permet de
répondre à quelques questions. Qui a écrit les textes ? A quelle
époque ? Cela permet aussi une formation pour adultes.
Vous trouverez ici un des cours du Collège de France de Thomas
Römer, un des spécialistes aujourd’hui de l’histoire du texte (on peut aussi
écouter le
début du cours suivant). Cela se comprend assez bien, comme ses livres
d’ailleurs. (On peut commencer à la minute 10) Je me contente d’expliquer ici
quelques termes techniques.
Le texte biblique nous est conservé en hébreu et en grec
principalement. Par un raccourci le texte grec est appelé du nom donné à la
traduction, la Septante (en fait ils existent plusieurs traductions anciennes
en grec). Même si c’est une traduction, le texte grec peut être témoin d’un
état antérieur du texte (il suffit que le texte hébraïque ait évolué après la
traduction). Il semble que ce ne soit pas le cas pour Ex 3. Ici, la plus grosse
différence de traduction réside dans le verset 14 qui traduit la drôle de
formule « je suis qui je suis » par « je suis celui qui est ».
Cette traduction a donné lieu à bien des commentaires depuis.
Le texte hébraïque n’est à l’origine pas vocalisé. L’hébreu
comme l’arabe est une langue consonantique ; le mot, ou plutôt une racine,
se compose habituellement de trois consonnes qui seules sont écrites, les
voyelles servent à les prononcer. Cela laisse plusieurs possibilités de
lectures, d’autant que souvent, les manuscrits les plus anciens ne mettent pas
d’espace entre les mots. Ainsi, pour lire, il faut non seulement vocaliser,
mais surtout découper les mots correctement. Quand on parle la langue, ce n’est
pas un problème. Les scribes faisaient cela très bien, d’autant qu’ils
connaissaient le texte biblique presque par cœur. Lorsque que l’hébreu se perd
comme langue courante, des savants inscrivent les voyelles, la ponctuation, coupent
les mots, autour des Vème-VIIème siècle de notre ère (donc très tardivement). Ce
faisant, ils fixent un sens du texte et réduisent de fait la possibilité
d’entendre le texte autrement. Ces savants s’appellent les massorètes d’où la
désignation de texte massorétique.
Römer fait allusion aussi à un autre texte hébraïque, le pentateuque
samaritain (mais avec des variantes peu importantes pour Ex 3). On peut ajouter
que la découverte des manuscrits de Qumran au milieu du XXème siècle, que l’on
date principalement du Ier ou IIème siècle avant notre ère, permet
de constater une assez grande homogénéité des textes. Mais ce serait encore une
famille textuelle différente dont il faudrait tenir compte pour faire
l’histoire du texte. Pour notre texte d’Ex 3, je ne crois pas que Qumran
apporte des changements substantiels.
Le texte tel que nous le lisons aujourd’hui, et les enfants
pourront le voir, est un peu curieux. Il répète certaines choses, ne semble pas
toujours cohérent même si la traduction a en général homogénéisé le nombre d’un
sujet avec celui du verbe. Tous ces accrocs littéraires témoignent de
différentes couches rédactionnelles. Les textes n’ont pas d’abord été écrits
mais plus vraisemblablement transmis oralement. Même une fois rédigés, ils ont
été repris selon les soucis de copistes plus tardifs. Il y a le courant sacerdotal,
autour des prêtres du temple qui essayent de montrer comment l’apparition de ce
buisson à Moïse se situe déjà en une terre sainte où brille la lumière de la menora,
cette lampe qui brûle toujours et ne s’éteint jamais, symbole de la présence
divine. Elle se trouvait dans le second temple, celui qui a été reconstruit
après l’exil et qu’a donc connu Jésus. C’est une transposition du temple dans
le désert. Dieu est présent dans le lieu où on ne l’attend pas. Notons que le
terme qui désigne « le lieu où tu te tiens » est souvent utilisé pour
désigner le temple. Notons que le verbe faire monter, au verset 8 (lequel est
au cœur du discours de Dieu en 7-10) est la même racine que holocauste, le
sacrifice qui monte (en fumée). Le temple est au milieu de désert, même si on
ne le voit pas.
Il y a le courant deutéronomiste qui lui est plus attentif à
la loi qu’au culte et va montrer comment cet événement du buisson parle déjà du
don de la loi. C’est le cas des expressions « montagne de Dieu » et « Horeb »,
où Dieu donne la loi à Moïse. Il y a d’autres courants dits élohiste ou
yahwiste, plus anciens, selon le nom que l’on donnait à Dieu, Elohim (ici
toujours traduit par « le dieu ») ou Yahwé (transcrit sans les
voyelles puisque normalement ce nom ne doit pas être prononcé, du moins à
partir du IIIème siècle avant notre ère. Le nom de la divinité ne peut être
prononcé, par respect. Römer avance aussi l’hypothèse que ce nom propre devient
un problème lorsque le monothéisme s’impose. En effet, s’il n’y a qu’un dieu
pour toute la terre, il n’a pas besoin de nom, il est le seul. Un dieu, le
dieu, c’est forcément Dieu.)
La lecture de Römer montre notamment comment il faut
remonter le temps à partir d’écrits plus récents pour découvrir ce que les
époques plus récentes ont déposé sur une trame plus ancienne. Ce ne sont bien
sûr que des hypothèses d’historiens et cela ne dit pas encore le sens du texte.
Mais cela établit indubitablement qu’il y a une histoire de la rédaction, même
si la reconstituer est conjecturel, un travail de divers rédacteurs de diverses
époques, porteurs de préoccupations théologiques variées. Dans ce texte le nom
Yahwé s’impose comme le nom de Dieu (ce qui n’était donc manifestement le cas
au moment où on rédige l’histoire) ; la relation entre la tradition de
Moïse et l’histoire des patriarches se constitue (ce qui donc n’a pas toujours
été non plus), le peuple des Hébreux devient le peuple de Dieu, Moïse est présenté comme un prophète selon le
récit de vocation (v. 10-12), il est présenté sous l’aspect royale du berger
(v.1).
2. Avec les enfants
D’abord on écrit le mot Dieu au tableau ; on demande
aux enfants de dire ce que signifie ce mot et on note les définitions que les
enfants en donnent : Tout puissant, grand, il aime, il est sévère, il
pardonne, Jésus, etc…
Puis, comme chaque fois on lit le texte, et on le fait
raconter aux enfants. On leur fait remarquer ce qu’ils ont oublié ou
transformé. Ce ne sera sans doute pas anodin, ou bien les choses qu’ils n’ont
pas comprises, ou bien les incohérences du texte qu’ils auront aplanies.
Ensuite, on
récolte les questions des enfants à propos de ce texte. Qu’est-ce qu’ils en
pensent ? Y a-t-il des choses étranges ? On peut évidemment aider à
s’étonner. On note ces questions car on y répondra au fur et à mesure. Il y a
des choses curieuses dans ce texte :
- On dit à
Moïse d’enlever ses sandales. Que fait-il ? Il se voile la face ?
- Dieu a
plusieurs noms, au moins 4, lesquels ?
- Le texte
répète quelque chose qui a déjà été dit dans la Bible. "Moïse, Moïse", dit-il, et il répondit :
"Me voici." Exactement la même chose avec Abraham en Gn 22, ou qui
seront dites après comme le coup des sandales en Jos 5, 15.
- On parle d’un ange qui
apparaît, mais ensuite, il disparaît du texte, on n’en parle plus. Et qui plus
est l’ange prend la forme d’un buisson qui brûle.
- Evidemment, curieux aussi, un
buisson qui brûle sans se consumer.
- Et encore
Moïse demande à Dieu son nom alors que depuis le début le texte nous parle de
Dieu sous ce nom de Yahwé.
- etc.
De toutes ces remarques et questions, une conséquence. Ce texte est une énigme. Certains ont voulu expliquer
par un phénomène naturel, d’autres par un miracle. Ne l’expliquons pas trop
vite, on ne se poserait plus de question. Mais comme dit Römer : « le
texte ne veut pas démythologiser la chose, il veut dire Moise voit quelque
chose qu’il n’arrive pas à expliquer ». On a l’impression qu’on nous
raconte une histoire, en fait, on nous pose une énigme. Celui qui ne voit pas
le problème va passer à côté du message secret qu’il faut découvrir. C’est que
ce qu’on raconte ici est très important. Il ne faudrait pas que des gens qui ne
sont pas attentifs découvrent le secret. Nous, nous allons essayer de le
découvrir. Seuls ceux qui s’intéressent à Dieu voient qu’il y a un secret à
découvrir. Il peut y avoir plusieurs solutions qui ne s’excluent pas. Il s’agit
chaque fois de savoir comment voir Dieu.
Avec les enfants, il ne faudra sans doute pas aller si vite
à donner vous-mêmes la réponse. Laissez-la leur deviner grâce aux questions que
vous poserez et qui les guideront sur le chemin.
Un premier indice consiste à bien sûr se laisser étonner pas
ce buisson. La divinité se trouve dans un endroit désert. C’est curieux.
Normalement, il est présent dans un lieu plus hospitalier, au temple. Pas si
sûr, Dieu pourrait bien être, hier pour les déportés à
Babylone comme aujourd’hui pour nous, comme dans un désert, un désert divin, un
désert de la présence de Dieu. Dans l’absence de Dieu autour de nous, Dieu se
montre à nous, comme aux déportés de l’Exil, comme à Moïse.
Un autre indice est l’emploi d’un mot qui revient sans
cesse, les mots de la famille voir. On peut les compter. Au moins dix fois en
quelques lignes. Pourquoi donc ?
Le texte raconte comment on peut
voir Dieu. C’est en effet une apparition de Dieu, ce qu’on appelle une
théophanie. Evidemment, on ne voit pas Dieu comme on
voit une chose ou une personne, là, posée devant nous. Dieu se voit dans
un dialogue avec lui et dans l’écoute d’un cri. Dieu se voit dans une parole.
C’est curieux : Moïse voit une parole (avec Jésus, nous verrons la
parole). Il y a ce buisson et le dialogue qu’il suscite. C’est ce que voit
Moïse. Il y a le peuple opprimé, c’est ce que Dieu dit à Moïse qu’il a vu.
Dieu se montre à Moïse comme un dieu de relation. Son nom, au
verset 6 est « le dieu d’Abraham, le dieu d’Isaac, etc. » Dieu ne
peut se connaître autrement que comme le Dieu des autres, le Dieu qui a déjà
été le Dieu de telle ou telle personne.
Dans ce texte, Dieu n’est pas tout puissant, du moins
jusqu’au verset 14. Il est d’abord celui qui a vu la misère de son peuple. Dieu
se fait proche de ce peuple opprimé, de ceux qui souffre. Dieu vient à leur
côté. Si nous voulons voir Dieu, plutôt qu’un buisson
ardent, aujourd’hui, il faut faire comme Moïse, voir ceux qui souffrent.
Quand on s’approche de celui qui crie sa douleur ou l’injustice, quand on ouvre
son oreille (car bien souvent on n’entend pas le cri des malheureux), c’est
comme une flamme qui brûle. Non seulement le malheur est insupportable, mais en
plus, on a fait comme Dieu à écouter, et à être comme lui, à l’écoute, on l’aura
un peu deviné.
Aller embrasser le réfugié que d’habitude on ignore, tenir
la main de celui qui pleure ou qui est à l’hôpital. Avez-vous déjà
essayé ? Sinon, il faut le faire très vite. Et vous verrez ce qui se
passe. Vous « verrez Dieu », non comme une chose ou une personne,
posée, là devant, mais comme un buisson qui brûle sans se consumer, comme le
sourire de l’autre, comme votre étonnement, comme…
On peut sans doute voir Dieu dans d’autres circonstances,
plus gaies. Mais ici, c’est la misère du peuple qui
paradoxalement fait voir Dieu. Voilà l’énigme, le buisson qui brûle sans se
consumer est le signe d’un autre paradoxe, un cri de misère, de détresse qui
fait voir Dieu. Une nouvelle fois, on ne voit pas Dieu comme une chose, on
serait en pleine idolâtrie. On voit Dieu dans son alliance, dans son souci des
hommes, ici dans ce texte, dans son écoute de cri des malheureux. Dieu est
celui qui a vu la misère de son peuple, c’est son nom.
On peut revenir à notre tableau du tout début et comparer.
Qu’avions-nous dit de semblable avec le texte à propos de Dieu, de
différent ? Que pensons-nous de ces différences ou ressemblances. Dieu
n’est jamais exactement ce qu’on pense, il faut chercher, comme Moïse qui
s’approche du buisson et cherche à comprendre. Mais on a aussi dans le cœur
déjà un peu compris qui est Dieu.
3. Si on lit le texte jusqu’en 14 ou 15, il y a deux énigmes
de plus.
a. Etre appelé c’est être envoyé.
Comment Moïse sait-il que Dieu l’a appelé ? Qui a déjà
entendu Dieu crier par deux fois son prénom pour pouvoir répondre « me
voici ! ». Si on apprend aux enfants que c’est ainsi que Dieu fait,
il ne faudra pas s’étonner qu’ils ne l’aient jamais entendu ! Ils ne
pourront pas le découvrir puisqu’on leur montrera comme endroit pour
l’entendre, le lieu où il n’est pas, celui de la magie ou du mythe.
Moïse avait vu la misère de son peuple (c’est le chapitre 2).
Dans notre chapitre, il découvre que son regard, sa volonté de justice, c’est
celle de Dieu. Il découvre que sa volonté de sauver le peuple (qui avait raté
avec le meurtre de l’égyptien au chapitre 2), ce ne peut être son affaire. Nous,
nous n’avons pas les moyens de tirer tous ceux qui meurent de la mort. Un petit
peu, et jusqu’à un certain point. Mais tous ceux qui ont prétendu vouloir faire
le bien de tous ce sont transformés en dictateurs. C’est une mission que Moïse
reçoit. Mais s’il reçoit une mission, c’est que quelqu’un la lui confie, que
quelqu’un l’a appelé pour la remplir.
Le petit dialogue des versets 10 a 13 est typique des récits
de vocation qui sont toujours aussi des récits de mission.
|
Ex
3
v
2 : ange de Yhwh
|
Jg
6
v
11 : ange de Yhwh
|
Jr
1
|
Envoi
|
v
10 : Va, je t’envoie vers Pharaon
|
v.
14 : Va avec cette force que tu as et sauve Israël de Madiân. Oui, c’est
moi qui t’envoie
|
v
7 : Tu iras où je t’enverrai
|
Objection
|
v
11 : Qui suis-je ?
|
v
15 : Comment sauverai-je Israël ? Mon clan est le plus faible de
Manassé, et moi, je suis le plus jeune…
|
v
6 : Je ne saurais pas parler, je suis un jeune garçon
|
Promesse
d’assistance
|
v.
12 : Je serai avec toi
|
v.
16 : Je serai avec toi
|
v
8 : Je suis avec toi
|
Signe
|
v
13 : Vous servirez Dieu sur cette montagne
|
v
17 : Manifeste-moi par une signe que c’est toi qui me parles…
|
v
9 : Yhwh toucha ma bouche
|
Quelles sont les urgences de notre
monde ? Pas besoin de Dieu pour nous le dire ! On pourra aujourd’hui
parler des migrants. Mais s’en sortir, sauver ceux qui ont été engloutis dans
la mer, ça, ce n’est pas dans nos possibilités. Alors, si nous devons nous
retroussons les manches, il ne faut pas trop compter sur nous. Les croyants sont ceux pour qui s’engager c’est répondre à un
appel, non pour recevoir d’une autorité divine notre mission, mais au
contraire, pour nous défaire de toute autorité. C’est Dieu qui m’envoie, ce
n’est pas moi qui sauve les autres, ce n’est pas moi qui ait la vérité.
J’essaie juste de faire mon boulot.
Comment les enfants font-ils leur boulot d’enfants appelés
et envoyés par Dieu ? C’est quoi leur mission ? C’est quoi notre
mission ? Faire grandir du bonheur ? Secourir ceux qui sont sans
pays ?
Le récit d’Ex 3 est-il alors un récit de vocation ou une
théophanie, une apparition de Dieu ? L’alternative doit être dénoncée
comme pernicieuse. Une théophanie est toujours un récit de vocation et
inversement. D’une part, comme on l’a déjà dit, parce que toute vocation est
mission. D’autre part, parce que Dieu ne se montre pas autrement qu’à travers
des hommes et des femmes. Dieu n’est pas une chose que l’on pourrait connaître
sans être impliqué, changé, converti. Toute apparition
de Dieu est rencontre, alliance. Il n’y a pas le Dieu en soi et le Dieu
pour nous ou avec nous. Dieu est en soi le Dieu pour nous et avec nous.
Dieu se fait proche ne signifie pas qu’il était d’abord au
loin voire lointain. Dieu n’est pas d’abord en son ciel pour décider un jour de
se faire proche. C’est l’être même de Dieu de se faire
proche, Dieu est celui qui s’approche, qui vient à la rencontre de l’homme.
b. Le nom de Dieu
Le récit d’Ex 3 est connu plus encore pour la révélation du
nom divin. Pour les philosophes et théologiens, le récit des premiers versets souffraient
souvent d’une certaine pauvreté ; c’est une histoire imaginée, un conte, à
côté de la révélation du nom de Dieu du verset 14, plus conceptuelle voire
métaphysique.
Combien de noms divins y a-t-il dans ce texte ? D’abord
ce qui est traduit plus haut par « le dieu », en hébreu Elohim, nom
commun et nom propre, comme le mot dieu/Dieu en français et dans toutes les
langues que je connais.
Ensuite, le tétragramme, les quatre lettres, Yhwh. Ce nom ne
devient le nom du Dieu d’Israël qu’assez tardivement, quand le monothéisme est
vraiment installé chez les Juifs, même si cette désignation pourrait bien avoir
été récupérée de peuples païens. Ce nom est interprété dans notre texte comme
ayant un rapport avec le verbe être.
Il y a bien sûr la formule « Je suis qui je suis ».
Je vais y revenir.
Il y a enfin le nom du verset 6 : « je suis, moi,
le dieu de ton père, le dieu d’Abraham, le dieu d’Isaac et le dieu de Jacob »
qui résonne avec le « J’ai vu la misère de mon peuple » du verset
suivant.
Le verset 15 semble tous les reprendre, comme une
acclamation liturgique, de génération en génération comme pour les siècles des
siècles.
Saint Augustin (+ 430) articule les deux noms de Dieu, le
nom de miséricorde « Je suis moi, le dieu de ton père, etc. » et le
nom d’éternité « Je suis » ou « Je serai », parce que c’est
bien dans le fait d’être tourné vers nous (ici, j’ai vu la misère de mon
peuple) qui nous permet de le connaître, parce que son être, c’est d’être
tourné vers nous.
« Je suis » ou « je serai » signifie « j’ai
vu la misère de mon peuple ». « Je suis » signifie, « je
suis préoccupé par la vie du monde ». On retrouve sans doute cela dans un
verset de l’évangile de Jean : Dieu a tant aimé le monde qu’il a envoyé
son fils dans le monde, non pour juger le monde, mais pour que par lui, le
monde soit sauvé. On le retrouve aussi dans ce même évangile quand Jésus dit
« Je suis ». Jean lui fait reprendre la manière de Dieu de se
présenter, Jean lui donne le nom de Dieu. On comprend que cela sonne comme un
blasphème aux oreilles des gens les plus pieux. Comment un homme peut-il se
présenter ainsi ?
Quant à la formule « Je suis qui je suis », on
peut la mettre au présent ou au futur. Cela vient de ce que les temps en hébreu
ne sont pas les mêmes que dans nos langues. Le verbe est ici à l’inaccompli,
une action qui dure encore, un présent qui n’est pas instant, mais durée, un
peu comme la différence dans le passé entre fui et he sido,
amé et he amado.
Il y a un jeu de mot théologique entre « je serai (avec
toi) », en hébreu ehyeh, et Yhwh. Cette explication biblique n’est
étymologiquement pas évidente.
La traduction grecque a compris je suis l’être, je suis
l’existant, littéralement je suis l’étant. Cela paraît bien difficile
aujourd’hui de valider cette traduction, même si elle a donné lieu à une
littérature abondante. Il vaut mieux entendre : tu veux savoir mon
nom ? tu veux savoir qui je suis ? eh bien, moi, c’est moi ! A
la limite, savoir mon nom ne te regarde pas. C’est ce qu’explique souvent la
littérature rabbinique.
N’importe pas le nom s’il n’est qu’une étiquette. Poser la
question du nom c’est poser la question de qui es-tu ? En français, quand
on se présente, on dit je m’appelle Moïse.
En espagnol, soy Moises. Non, bien
sûr, tu es bien plus que ce nom. Ce nom dit si peu. Ne
crois pas connaître Dieu à connaître son nom. Dieu n’est pas un mot du dictionnaire.
C’est un amoureux du monde, il a vu la misère de son peuple. Tu en sais bien
plus sur Dieu si tu dis de lui qu’il est un amoureux de son peuple que si tu
dis son nom. Il est le Dieu avec, « avec toi » dit-il à Moïse, un
Dieu pour, pour les Hébreux, pour les sauver.
Autrement dit, loin de dire qui est Dieu, cette formule cache son nom : « Moi, c’est moi »
parce qu’il est impossible de connaître Dieu, au moins comme on connaît un
objet, même étudié avec beaucoup de soins. Dieu est celui que l’on connaît dans
son action pour nous, dans son alliance, quand il se fait proche.
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