Le Christ roi de l’univers, titre aux relents antidémocratiques
et monarchistes, expansionnistes aussi comme des prétentions hégémoniques de la
culture chrétienne. D’où l’importance de revenir à l’évangile pour convertir la
tradition, récente, d’une fête liturgique.
On aurait dû lire aujourd’hui, comme toute cette année, un
texte de Marc. Le deuxième évangile est-il trop court pour un lectionnaire d’une
bonne cinquantaine de dimanches et fêtes qu’il faille compléter avec Jean (18, 33-37) ? Marc n’est
sans doute guère adapté à notre fête ; il ne parle jamais de Jésus comme
roi, sauf dans le chapitre de la passion. Mais c’est pire avec Jean qui
rapporte que Jésus refuse d’être roi : « Jésus, sachant qu’on allait venir l’enlever pour le faire
roi, se retira à nouveau, seul, dans la montagne. » (6, 15)
La
royauté de Jésus, c’est sa mort en croix. C’en est fini du pouvoir, de la toute-puissance,
de la politique. « Mon royaume n’est pas de ce monde. Si mon royaume
était de ce monde, mes gens auraient combattu pour que je ne sois pas livré aux
Juifs. Mais mon royaume n’est pas d’ici ». Le Christ ne risque pas d’être un instrument au
service d’une soi-disant civilisation chrétienne dont il serait le chef. D’ailleurs,
une civilisation ne peut pas être chrétienne. Ce sont les personnes qui sont
disciples de Jésus, si c’est ce que signifie être chrétien, pas les cultures,
les pays ou les civilisations !
La
royauté de Jésus c’est, à en croire Jean, une affaire de témoignage,
littéralement de martyre de la vérité. « Je suis roi. Je ne suis né, et je
ne suis venu dans le monde que pour rendre témoignage à la vérité. » Deux questions, étroitement
liées, celle de la vérité, celle de l’engagement pour la vérité. L’engagement
pour la vérité n’est pas sa défense mais le don de sa vie ; on habite la
faiblesse, on entre dans l’histoire des victimes. C’est un renversement que notre
monde n’a pas encore appris. Même les historiens de métiers écrivent trop
souvent l’histoire du côté des vainqueurs.
On est
« compromis » pour la vérité ; c’est un engagement, le choix de
la faiblesse, une démarche éthique plus qu’une théorie ou une conception du
monde. Quant à la vérité elle-même, elle doit être totalement ré-envisagée. En
effet, la place des femmes, le pluralisme idéologique et culturel, la nécessité
de construire une paix mondiale, la relecture de l’histoire, les contrefaçons
chrétiennes de l’évangile, etc., nous obligent à une réinterprétation de
l’évangile.
On
comprend que cela résiste, chez les cardinaux et évêques notamment, comme on l’a
vu lors du dernier synode, comme on le voit dans l’opposition, souvent bien peu
loyale, à François. Le Concile Vatican II a été cela, ou plutôt, un essai, un
début, un changement de conception de la vérité. On le voit, ce n’est pas une
affaire pastorale, mais doctrinale (si jamais on peut contre-distinguer
pastorale et doctrine). Notre Eglise n’a pas encore reçu Vatican II. Elle pense
encore beaucoup dans un contexte religieux triomphant, celui de la puissance,
de Vatican I. C’est un modèle religieux traditionnel. Voilà pourquoi les
évêques africains y sont tellement à l’aise. Mais dans le contexte
contemporain, ce religieux n’est plus évangélique, tout comme à l’époque de
Jésus, la stricte observation de la loi selon les scribes et les pharisiens, n’étaient
plus chemin de sainteté.
Le Pape a
perdu ses Etats dès la fin du concile, mais nombreux sont ceux qui se s’en sont
pas aperçu, qui n’ont pas vu que cela signifiait non le deuil d’une perte
territoriale mais un total changement de lecture de l’évangile.
La
royauté de Jésus c’est son martyre. Nous sommes convoqués à une conversion, à
un changement des manières de vivre. Sommes-nous prêts à ce martyre de la
vérité, à ce changement total de paradigme, non pas défendre la foi mais
témoigner dans la faiblesse que c’est là que Dieu règne, habite en souverain.
Après les attentats de la semaine dernière, sommes-nous dans
la revanche, la vengeance, la guerre, la recherche du bouc-émissaire ? Le
Christ, prisonnier devant Pilate n’a pas les moyens de telles réactions. Les
auraient-il eut qu’il les aurait considérées comme sacrilège. On le voit, nous
avons déjà un peu changé d’idée sur Dieu : aujourd’hui, nous considérons
comme sacrilège l’invocation de Dieu comme chef de guerre, Gott mit uns.
Mère
Teresa est la parabole de Dieu pour notre temps, quoi qu’il en soit de sa théologie,
de son idéologie peut-être. Demeurer dans l’inefficace à côté de celui qui
meurt. La dignité témoignée est la venue du règne, c’est participer à sa cour,
à son intronisation, comme lorsque l’on n’ignore pas le regard de celui qui
mendie, qu’on le reconnaît comme frère, qu’on prend soin de son humanité, la
nôtre en partage. Bien sûr, au nom de Jésus, on a souvent été aux côtés des
pauvres. Mais aujourd’hui, dans notre monde où il n’y a plus de place pour
Dieu, Dieu ne peut plus être puissant, tout-puissant, qui sauve et guérit de la
maladie ou de la guerre. Il est le Dieu qui pleure, le Dieu qui souffre, le
Dieu sans pouvoir si ce n’est celui de tenir dans l’abject jusqu’au bout, pour
accompagner jusqu’au bout, celui qui s’y trouve. Voilà le Christ roi, le roi
nu. Voilà en conséquence les chrétiens, « devant et avec Dieu, nous vivons
sans Dieu ».
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