Nous lisons depuis quelques dimanches de petits extraits de
la lettre de Paul aux Galates. L’épitre a été écrite vers 54, peut-être deux ou
trois ans plus tard. C’est donc un des tout premiers écrits du Nouveau
Testament. Elle est de la main de Paul et destinée à l’Eglise qui se situe
autour de l’actuelle Ankara.
Des membres de la communauté pensent que le respect de la
loi juive constitue une obligation pour les chrétiens. Cela met Paul hors de
lui qui traite les Galates de fous, stupides ou sans intelligence selon les
traductions. En plein milieu de ce court texte, au chapitre trois, Paul ne se
retient plus : « O Galates sans intelligence, qui vous a
ensorcelés ? À vos yeux pourtant ont été dépeints les traits de Jésus
Christ en croix. Je ne veux savoir de vous qu’une chose : est-ce pour
avoir pratiqué la loi que vous avez reçu l’Esprit, ou pour avoir cru à la
prédication ? Etes-vous à ce point dépourvus d’intelligence de commencer
par l’esprit pour finir maintenant dans la chair ? Est-ce en vain que vous
avez éprouvé tant de faveurs ? »
Une double opposition sous-tend les propos de Paul, l’Esprit
et la chair, la loi et la prédication. Esprit peut désigner aussi bien ce qui s’oppose
à la chair que celui que l’on appellera plus tard la troisième personne de la
Trinité. L’esprit est ce qui fait vivre et que l’on a reçu ; don de Dieu
mais aussi souffle vivant de l’homme. Cette théologie première est vraiment
délicieuse. Le souffle vivant en l’homme qui fait vivre l’homme, c’est bien l’homme
lui-même, mais c’est tout autant ce qu’il reçoit de Dieu, Dieu lui-même.
Pourrait-on mieux dire la création de l’homme par Dieu comme don de lui-même à sa
créature ?
L’Esprit souffle où il
veut ; on ne sait ni d’où il vient ni où il va. Il passe comme amour
de Dieu à l’homme et permet à l’homme d’aimer Dieu. Il nous fait participant de
la vie divine. L’Esprit c’est Dieu en nous et nous sommes de sa race. C’est divin ce qui est en nous, et c’est de
l’humain qui est en Dieu, nous le savons avec Jésus. L’Esprit, c’est justement
Dieu qui se partage, qui s’échange, du Père au Fils, de Dieu avec nous. Ceux
qui rêvent d’arraisonner l’Esprit on perdu d’avance. On n’arrête pas le
souffle.
Nous aimerions bien figer l’Esprit. C’est fatiguant de ne
pas savoir à quoi s’en tenir. Qui est Dieu ? Qui est l’homme ? Qui
est le croyant ? On veut des repères, clairs et distincts. On veut que l’appartenance
chrétienne soit objective, visible. Mais l’esprit brouille les pistes ; il
interdit les propriétés, ce qui est propre, ce que l’on possède ; il
entraîne à l’aventure de l’amour, de l’abandon. N’importe pas qui l’on est, l’identité,
chrétienne ou non, mais par qui l’on est conduit. Et dire conduite c’est dire
déplacement, nomadisme.
Paul oppose clairement la loi et ce qui a été entendu, la
prédication. Vivre selon la loi, c’est charnel. Cela mène logiquement à la
mort. C’est incroyable que des chrétiens qui ont reçu l’Esprit qui est Seigneur et qui donne la vie, puissent
lui tourner le dos et choisir la mort, la chair. La parole accueillie, voilà la
vie. Et la parole, comme le souffle, ne s’enferme pas. Nous voilà de nouveau
refaits avec nos envies de choses concrètes, tangibles, matérielles, charnelles.
Nous voulons l’objectivité d’une loi, d’un message, d’un catéchisme, que
sais-je ? C’est plus facile de respecter la loi que de prétendre se
laisser mener par l’esprit.
Or le Dieu de Jésus, comme celui de Moïse, se refuse à toute
objectivation, parce qu’il est sujet et source des sujets. Impossible d’en
faire un objet, une idole, de le chosifier, le retenir, que ce soit dans une
loi, une morale, un dogme, un sacrement. Même l’hostie consacrée fonctionne parfois
comme une idole. Folie de charnels qui se croient spirituels.
La vie avec Jésus nous libère de toutes les idoles. Et il y
a toujours beaucoup trop d’idolâtries en nos vies, nous-mêmes, nos desiderata, nos
lubies, nos phobies, nos incapacités à vivre librement, de l’Esprit, y compris
en matière religieuse. Il faut être fou pour suivre Jésus, de la folie de la
croix et non de l’ineptie du monde qui se détourne de la vie. Il faut être fou
pour oser entendre une liberté radicale, des convenances, de ce qu’il faut
penser et dire.
Choisir le Christ, c’est une libération. Nous l’avons
entendu dans une sorte de pléonasme : « c’est pour que nous soyons
libres que le Christ nous a libérés. » Etre disciples de Jésus, être
baptisés signifie notre libération. Et la libération est une lutte contre les
idoles, nos propriétés, nos identités, ce que nous vénérons plus que la vérité,
ce que nous prenons pour la vérité.
Liberté radicale de la vie chrétienne, liberté à laquelle
nous tournons le dos parce que c’est trop dangereux de vivre ainsi. Regardez les traits de Jésus Christ en croix ;
écoutez la parole de la prédication. Dostoïevski nous en a avertis dans sa Légende du grand inquisiteur. La
liberté, comme la foi, comme la vie, c’est un chemin escarpé ; trop
peut-être.
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