Avec la rencontre de Marthe et Marie s’achève le chapitre 10
de Luc. Un retour en arrière s’impose tant ce chapitre semble hétéroclite. Il y
eu l’envoi des soixante-douze disciples et l’accueil plus ou moins bon qui leur
est réservé ; il y eut l’exultation de Jésus, au cœur du dessein du Père
de se faire connaître aux tout petits ; il y eut la parabole du bon
samaritain et enfin le repas chez Marthe et Marie. Qu’est-ce qui unifie tous
ces épisodes ? Quel rapport entre eux ? Pourquoi Luc les organise-t-il
ainsi ?
Avec ce chapitre nous entrons dans la seconde partie de
l’évangile. Le parcours de reconnaissance de Jésus par les Douze parvient à son
terme. Pierre vient de le confesser « Messie de Dieu » (Lc 9, 20) et
Jésus peut apparaître transfiguré, entouré de Moïse et Elie (28-36). C’en est
fini de la Galilée. « Jésus prit avec courage la route de Jérusalem »
(51).
S’ouvre alors la formation des disciples. Que signifie être
disciples ? Maintenant que les disciples ont reconnu Jésus, il leur reste
à se mettre à sa suite (Lc 9, 22-25), ou plutôt, reconnaître Jésus, c’est se
mettre à sa suite.
Premièrement, les disciples sont envoyés deux par deux. La
formation commence par la mission (on pourrait le rappeler aux évêques et aux
formateurs de séminaire ; c’est bien ce que nous vivons avec les catéchistes
et les chefs scouts). Les disciples ne travaillent ni seul ni à leur compte.
Ils reçoivent une mission qu’ils accomplissent ensemble. Pas de vedette,
toujours une équipe. Il n’existe pas de disciple qui soit isolé et n’ait reçu
une mission.
Cette mission, deuxièmement, semble rejetée par ceux
auxquels elle était initialement destinée. Jésus et ses disciples, prophètes du
Père, seront aussi rejetés. Voilà qui provoque étonnamment un moment de joie
pour Jésus. La connaissance de Dieu est désormais destinée à tous, à commencer
par les plus petits. Comme annoncé au début de l’évangile, dans le Magnificat, le Seigneur élève les humbles. Combien
de prophètes ont désiré voir ce jour !
Troisièmement, viennent deux récits, deux manières de poser
la question de l’action du disciple, le légiste et la parabole du samaritain,
le repas chez Marthe et Marie, deux hommes, deux femmes. La parabole du
samaritain semble faire l’apologie du service ; Marthe et Marie, pour
mieux faire celle de l’écoute de Jésus, semble relativiser ce même
service !
L’observance des commandements est ainsi résumée : débrouille-toi à faire en sorte que tout
homme puisse trouver en toi un prochain. Montrer de la bonté, voilà ce
qu’il s’agit de faire pour vivre en disciples. Et pourtant, cette bonté,
anonyme, qui semble sans référence à Dieu, que d’aucuns qualifieront de morale,
humaine, humaniste, voire sécularisée, trouve sa source dans le fait de se
poser, assis, aux pieds du Seigneur et de l’écouter.
Ecouter le Seigneur, assis, laissant tout, parce que c’est
lui la source, pas nous ; pour que, accaparés par le service, nous ne le
laissions pas seul au salon, pendant que nous nous réfugions, loin de lui, à la
cuisine, sous prétexte de le servir. Il est des manières d’accueillir en sa
maison, comme Marthe semble-t-il, qui sont tout sauf des accueils. Pourrait-on
être disciples sans écouter le maître ?
Il arrive qu’à prétendre servir le Seigneur, on ne s’occupe
pas une seconde de lui, voire on s’en protège, alors que d’autres, qui ne s’occupent
pas du Seigneur (ou du moins il n’en paraît rien) se montrent prochain de tout
homme, comme Jésus a lui-même fait. On pourrait dire que la mission ce ne sont
pas des choses à faire, une Eglise à organiser, des liturgies à animer, mais le
souci de ceux qui espèrent un prochain pour les relever. Le service du Seigneur
n’est pas de faire tourner l’Eglise, mais le souci des frères, c’est-à-dire l’écoute
de sa parole. N’est-ce pas ce qu’il a dit ? L’opus Dei réside bien dans l’écoute du Seigneur, c’est-à-dire dans le
fait de se rendre prochain de tout homme.
Et si vous lisez la parabole de façon christologique (c’est
Jésus le samaritain qui vient nous sauver, nous ressusciter), alors les deux sœurs
continuent à nous inviter au lâcher-prise. N’est-ce pas cela, prendre sa croix,
n’est-ce pas cela le chemin des disciples ? Prophétie de la gratuité, si
difficilement audible en notre monde pour qui ne vaut que l’utile. Après avoir
été relevé par le Seigneur, nous nous asseyons à ses pieds et nous l’écoutons
dans le silence. C’est lui notre vie. Il n’y a rien à faire, seulement à se
laisser mener, comme par l’amour. Cela n’est pas accessible à tous, même parmi
nous. Il s’agit d’aimer Dieu ce qui est bien différent de croire qu’il y a un
Dieu, une résurrection, une double nature du Christ et la sainte Trinité.
« Rien n’importe plus que de rencontrer Dieu, c’est-à-dire
de tomber amoureux de lui » écrivait le père Arrupe. C’est la seule façon
d’être en même temps sur la route qui fait de nous des prochains et d’être
assis aux pieds du Seigneur pour l’écouter.
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