Pourquoi ce conseil de Jésus, si ce n’est cette
recommandation, de s’assoir à la dernière place (Lc 14, 1-14) ? S’agit-il
seulement d’humilité ou de misérabilisme, d’une astuce qui permet de ne pas
avoir honte d’être relégué et de tenter l’honneur d’être promu ?
On se doute que si l’évangile n’a rien d’autre à dire que
des règles de bienséance et de bonne conduite, il n’a guère d’intérêt. Cela n’a
pas empêché les chrétiens de cultiver ces règles, et si vous voulez en rire, ou
en pleurer, allez voir la pièce de Jean-Luc Lagarce, Les règles du savoir-vivre dans la société Moderne.
Cela n’empêche pas les ecclésiastiques de revendiquer les
honneurs, les hochets, titre de prélat, soutane filetée ou à traine (je vous
recommande les photos d’un cardinal sur internet avec sa traine de plusieurs
mètres de long !). Mais les ecclésiastiques ne sont pas les seuls, et
nombreux parmi nous aiment les honneurs, aiment être reconnus. Et pourquoi pas.
On dira, c’est naturel ; nous cherchons à être reconnus
parce que sans reconnaissance, on ne peut vivre. On dira, il faut d’abord avoir
une identité, après on pourra discuter avec tous. On dira, il faut d’abord les
bases, après la critique. Mais non, on apprend à se dépendre de la
reconnaissance pour être disciple, frère et serviteur. Les sept milliards d’humains
reçoivent-ils la reconnaissance que nous exigeons pour nous ? On reçoit
son identité des autres dans la rencontre, le dialogue et le débat ; on
fonde les bases à les savoir relatives, critiquables.
Sinon… sinon, c’est la guerre. Si Jésus recommande la
dernière place, justement en remarquant ceux qui se placent, c’est d’abord
parce que c’est la seule façon d’éviter la violence. Il suffit de regarder et c’est
ce que fait Jésus. Il voit le manège, peut-être même les manigances ou les
magouilles, hier comme aujourd’hui.
Etre le premier ! Et dire que l’on a enseigné cela, que
l’on enseigne cela dans les meilleurs établissements catholiques ! Comme
il n’y a qu’une première place, forcément, au minimum, elle est en compétition,
au pire elle excite les jalousies et les haines, la violence. Le triste
spectacle de la politique intérieure et internationale nous montre cela à
longueur de colonnes de journaux, au point d’éclipser tous ceux qui s’engagent
en politique, pour les autres, pour le bien commun, pour disparaître.
Comment se fait-il qu’une parole aussi centrale de Jésus ait
été et soit encore aussi délibérément ignorée par nous-autres, ses disciples ?
Les premiers seront derniers. Ce n’est pas une lubie passagère des évangiles,
mais un accord de tous, et dans la répétition, pour attribuer cette conviction
à Jésus. Que cherchons-nous encore les premières places ?
Oh certes, nous avons de bonnes raisons. On pourrait, dit-on,
exceller et être pacifiques et même artisans de paix. On pourrait, dit-on,
faire du pouvoir un service. Mais non, cela n’est pas vrai. Il faut arrêter ce
genre de contorsions homilétiques ou morales. Seule la dérision des pouvoirs, à
commencer par ceux qui les détiennent, peut limiter les dégâts. J’ai connu un
supérieur de séminaire qui excellait à ce jeu. Il ne perdait rien de son
autorité, au contraire. Il tâchait de n’être pas dupe et de rendre les autres
libres. Il était au service des jeunes et se moquait de lui. Vous n’avez qu’un
seul père, vous n’avez qu’un seul maître. N’appelez personne du nom de rabbi ou
de père. Et l’on continue, mon père, Monseigneur, Excellence, Eminence !
Que le pouvoir soit nécessaire, qu’il vaille mieux qu’il
soit tenu par les bons que par les méchants, c’est certain. Mais cela ne suffit
pas. Le pouvoir corrompt, et seule sa dérision permet peut-être d’y échapper.
Et la dérision du pouvoir, c’est le service, et même l’esclavage. Plus notre
pouvoir est grand, en famille, dans l’entreprise, dans l’Eglise, en politique,
dans une association, plus nous devons prendre la figure de l’esclave, agir
comme lui, être à la merci. Ne pas croire en son pouvoir, l’exercer pourtant, c’est
se faire esclave des frères.
Je ne dis rien d’original. C’est sans cesse répété par l’évangile
et que nous ne voulons pas écouter, et que nous ne voulons pas voir. C’est le
chemin de Jésus lui-même. Il s’est fait le serviteur, l’esclave, lui, le maître
et Seigneur. C’est le scandale de l’évangile, sa vérité, le maître s’est fait
serviteur, le maître est condamné comme un maudit, un vaurien.
« Vous m’appelez Maître et Seigneur, et vous dites
bien, car je le suis. Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le
Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. Car c’est
un exemple que je vous ai donné, pour que vous fassiez, vous aussi comme moi j’ai
fait pour vous. En vérité, en vérité, je vous le dis, le serviteur n'est pas
plus grand que son maître, ni l’envoyé plus grand que celui qui l’a envoyé. Sachant
cela, heureux êtes-vous, si vous le faites. » (Jn 13, 13-17)
Père depuis peu, sans doute encore dans cette période de découverte de ce qu'est la paternité, ta parole est éclairante. J'ai un pouvoir énorme sur le nourrisson qui dort, ma simple absence quelques heures pourrait le tuer. Et pourtant, jamais je n'ai été autant au service de quelqu'un.
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