Peut-être
cela vous est-il arrivé cet été. Vous êtes partis sans rien connaître de votre
destination. Une fois arrivé, vous n’aviez plus vos repères. L’expatriation
offre le même genre d’expériences ; chaque fois que l’on découvre une
nouvelle situation.
On est alors
bien obligé de faire confiance, par exemple au chauffeur de taxi, dont on n’est
pas sûr qu’il ait compris ce qu’on lui a dit. Faire confiance, compter sur
l’autre, risquer des relations nouvelles. A partir, on note plus que de coutume
que l’on ne peut pas vivre sans faire confiance aux autres, sans croire ceux
que l’on ne connaît pas même. C’est bien une histoire de foi. « Par la foi, répondant à l’appel,
Abraham obéit et partit pour un pays qu’il devait recevoir en héritage, et il
partit sans savoir où il allait. » (He 11,8)
Ce type de
confiance, de foi en l’autre est une pratique de la différence. Croire, c’est
pratiquer la différence. Croire, c’est se risquer au jeu de la différence. Croire
n’a pas alors un sens uniquement religieux ; nous sommes tous des croyants
au sens où nous portons tous foi à ce que nous disent les autres, mêmes
inconnus, lorsque nous leur demandons ne serait-ce que notre chemin ou l’heure.
Ainsi fonctionne la société.
La pratique
de la différence nous construit. Nous apprenons qui nous sommes par les autres.
Le plus court chemin de soi à soi passe
par autrui. Et voilà pourquoi il est si important de partir, précisément
sans savoir où l’on va. Notre identité ne précède pas le dialogue et la
rencontre, qu’elle rendrait possible, mais, jamais définitivement acquise, elle
s’élabore dans le dialogue et la rencontre. La différence et la rencontre rendent
l’identité possible. Cela est au cœur de la culture gréco-romaine,
judéo-chrétienne, jusque dans la philosophie contemporaine, y compris athée.
C’est cela la culture ou les valeurs occidentales. Mais…
Si Hermes
est le dieu des voyageurs, des marchands et des traducteurs, il est aussi celui
des voleurs ! En latin, un même mot dit ce qui est étranger et hostile. Il
n’y a qu’un pas d’étrange à étranger et ennemi. Il est possible de tricher, de
mentir dans la pratique de la différence ; la foi peut être abusée. Ne
convient-il pas de se méfier de ce qui est différent, inconnu ? Alors que
le monde est soumis à des migrations (économiques, touristiques, humanitaires,
criminelles) et des brassages de populations, la violence est-elle notre
avenir ? Faut-il fermer encore plus les frontières et se replier sur notre
identité ?
Le terrorisme
nous tend un piège identitaire. L’attentat du 14 juillet à Nice, l’assassinat
du Père Hamel et les réactions nous le montrent. L’Eglise Catholique en France
a tenu un discours de paix bien loin des populistes qui sollicitent nos
suffrages. Le Président de la République en a, dit-on, remercié le Pape. Si
jamais elle l’eut, la France n’a plus une identité homogène, faite de gaulois
chrétiens. Comme l’Europe, elle est plus mixte que jamais. La différence est partout
et tout proche. C’est un changement de civilisation. Cela peut faire peur. Toute
la planète est en permanence connaît la différence pour la rencontre ou le
conflit, la paix ou la guerre.
La pratique
de la différence, croire en l’autre, c’est le chemin, non sans obstacles, de la
paix. Ce n’est pas par syncrétisme que des musulmans sont allés à la messe
après la mort du Père Hamel, mais pour vivre la rencontre, pratiquer la différence, construire
une société de confiance. Les réactions identitaires, non seulement ne font que
décupler la violence, mais encore, trahissent l’identité européenne et chrétienne.
La communauté nationale n’est pas affaire de race, de sang ou de coutumes, mais
le partage d’une commune humanité, la compréhension de l’humanité comme
fraternité. Notre culture, c’est la conviction, sans cesse à regagner sur la
peur, que le dialogue est le chemin de la paix autant que celui de la
connaissance de soi. Opter pour l’identitaire, c’est laisser gagner la
barbarie, c’est piétiner nous-mêmes ce que nous voulons défendre.
Partir sans savoir où l’on va est parfois risqué ;
c’est cependant la définition même de la vie humaine, toujours rejouer la
confiance, la foi.
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